dimanche 5 janvier 2020

Le bleuet, la marguerite et le coquelicot

L’année d’Anaïs est un livre d’extases, d’heures incantatoires, une sorte de calendrier bariolé de feuilles d’herbier, le précieux conservatoire d’une mémoire, le bénédicité psalmodié d’une sensibilité.
Au fil des jours, Nicole Lombard cisèle une pensée, taille les mots comme des copeaux, juxtapose les fragments épars, jette à poignée des miettes de beauté, les lance comme des confetti.
La ronde éblouie des saisons s’y égrène comme un chapelet d’oraison ; les mots d’une lente, intense et majestueuse prière s’y récitent, parmi les duretés et beautés tacites qui figurent « ces terres de rude approche ». L’Aubrac, cher à Gracq, - « le plus anarchiste des écrivains du dernier siècle » - plante le décor, dessine le paysage, règne sur les pages de l’ouvrage.
A sa tablée, l’auteur accueille les pèlerins du matin, ses amis de poésie, des compagnons d’horizon, les incorporent au texte de la nature qu’elle compose d’une manière douce mais d’une main sûre, d’une écriture fière et sincère. Bosco, Giono, Pourrat, Colette.  On y croise Stendhal, Jünger, le Livre du Graal, Dante Alighieri, le Livre de Tobie.
Les hêtres de Saint-Urcize, sans « e » comme s’y trompait Louis Poirier, s’y désignent des « fayards ». Le travail de l’auteur, comme les toiles peintes d’un ami de Conques, « s’adresse au silence de chacun ». Il y a de courts récits qui s’affranchissent du cadre fragmentaire, s’échappent du format éclaté, s’autorisent l’ébauche d’une nouvelle. La virée à Lourmarin est un petit chef d’œuvre littéraire dont m’émeut durablement le danseur solitaire, d’avant l’orage, sous la tonnelle de la maison de Bosco.  Dans un autre registre, je suis émerveillé par l’évocation du « repas des vieux », de ce temps exhumé des « dames pomponnées », des mots d’un autre âge, de la tournure attendrie de Tallemant des Réaux : « Elle s’était faite toute jolie ».
Une prière, au-delà du rituel, demeure une sagesse, un savoir, une saveur. Roland Barthes, au soir de sa vie, disserta sur le terme latin « sapientia ». Si je me remémore la leçon du savant homme, c’est qu’il y a tout cela, toutes les nuances du mot, dans le style de L’année d’Anaïs.
Chemin faisant, Nicole Lombard nous confie des secrets, sans jamais s’appesantir pour autant : « Qu’y a-t-il au monde de plus vrai que le rêve ? ».
A travers champs, on apprend des mots, on tombe sur un os, comme ces « fougères qui se décrossent ». Je me délecte des bonheurs éparpillés dans le texte, comme je goûte la sonorité batailleuse des « chamaillis d’oiseaux ». Et à Nasbinals, rien n’est banal : un poivron s’y nomme « piment de l’espèce d’Espelette ». D’une aïeule de la famille, on s’avise que « le bleuet, la marguerite et le coquelicot sont les couleurs de la France. »
Bref, L’année d’Anaïs, celle de la petite jument alezane, est un livre rare qui regorge de richesses littéraires et de belles manières artisanes. Il appartient au cercle des ouvrages, peut-être d’un autre temps, mais dont on frôle le papier, superstitieux, comme on toucherait un précieux talisman.

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