C'est un livre blanc caréné comme un voilier, poncé à l'eau de Ravel, un bouquin polaire à main gauche, qui ne se referme pas pareil après les traces de doigt. A cause du bandeau bleu, glissé page trente-six, qui disjoint les lèvres du récit. Non, "on ne peut pas couper, inévitablement à la table du commandant, à l'immanquable brève barbe blanche et vêtu de son uniforme blanc d'apparat".
Echenoz est habillé en Minuit. Avec du froid sur la couverture, et dans le dos. Le texte se dévide d'une traite, se prend dès le rebord de la baignoire, s'empoigne par les cheveux dès les premiers mots. On traîne Ravel sur son genou, sans le quitter des yeux une seconde, jusqu'à son gilet livide, jusqu'à ses linges de trépané. Ravel fait de la musique flaubertienne. La sienne, il lui tord précisément le cou. Il gueule sa ritournelle d'usine, il bolérise jusqu'à plus soif, il peaufine sa répétitive colonne sans fin, il invente comme Brancusi la vie invincible, l'art d'exode du canard sans tête.Il échappe à son art. Ravel ôte la musique comme Flaubert se départ de l'histoire. Restent le rythme, l'élan, la cadence du corps au travail, la machine qui marche toute seule.
Echenoz s'échine un peu. C'est l'impression qu'il donne au petit roman-fleuve qui coule d'une même, longue et brève saccade. Le secret est inviolable, impossible à éventer. Ravel est touché dans ses retranchements, dans ses frivolités les plus intimes, sans pour autant céder un pouce de quotidienneté, sans dévoiler son éventuel mystère qui, au contraire, ne cesse de grandir d'un fragment de vie à l'autre.
Page cent-sept: "On part à sa recherche, on le trouve à faire la planche et se laissant dériver en attendant les secours". Echenoz n'est pas de ceux-là. Il laisse aller. Ravel n'est pas soignable.
Ravel fait la planche comme moi, ce dimanche, à le lire au vent des pages. Echenoz a même osé des ratages absolus. Page vingt-sept: "La canne est à la main ce que le sourire est aux lèvres".
Non. Ravel, le dimanche. Ritournelle entêtante.
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