dimanche 11 août 2024

Fan de Sifan Hassan

Sifan Hassan, l’Ethiopienne défroquée, court depuis une décennie sous bannière batave, rue dans les brancards avec un dossard d’Amsterdam. La fille d’Adama mouille un maillot couleur de soleil, dans l’ultime hectomètre d’un marathon de fête, décramponne Tigst Assefa, l’athlète à tunique verte, sa cadette d’Addis-Abeba. Serrée par sa rivale contre l’hostile balustrade, Sifan Hassan esquive le piège de macadam, impose une foulée de reine, assied une renommée. Durant la bagarre d’autant de kilomètres, la noire néerlandaise a pratiqué la stratégie de la dent de scie, choisi l’option d’un marathon en accordéon. Lâchée à la loyale dans la côte du Pavé des Gardes, l’âpre raidillon de Meudon, in extremis elle a recollé au gruppetto des candidates, grignotant son châtiment mètre à mètre, à coups d’épaules penchées sur l’asphalte. Dans sa ligne de mire, elle voit tanguer de libres chevelures qui balaient effrontément les nuques, voilent de luisantes omoplates à peau d’ébène. Aux Invalides, l’orange maillot finit en bolide, recueille les bravos, les hourras, les vivats de Lutèce en liesse. Les profs de gym sont des plagistes de cour de récré. Ils occupent des cases de fainéants dans l’emploi du temps, des espaces blancs dans le cahier de textes des écoliers. Ils végètent en survêt. Pourtant, ce qu’ils prêchent ne court pas les rues : ils enseignent la vertu du corps. Au sens romain de courage. Au sens actuel de virtuel, d’accès au champ des possibles. Leur matière est méprisée par les doctes des ministères qui ne goûtent guère leurs manières. La discipline du corps est traitée par dessus la jambe. A vrai dire, ils pratiquent la philosophie sous des airs ahuris. Ces Aldo Maccione du gymnase répondent à l’interrogation de Spinoza : « Que peut un corps ? » D’eux, le philosophe sait que le corps est d’abord. Au commencement de toute aventure, y compris de l’esprit. Qu’il anticipe sur tout principe, qu’il devance l’appel du réel. Qu’il fraie le passage, qu’il précède le concept. « Que le Gascon y aille, si le Français n’y peut aller ». Le corps y va, quand la tête hésite, s’arrête, s’entête au statu quo, tarde à trouver ses mots. Montaigne fait du corps un Gascon téméraire, connaisseur local du réel, premier dans la cordée du savoir. Il serait fan de Sifan Hassan.

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