mercredi 7 août 2024

Interview sur "Le type d'Antibes"

Qui est « le type d’Antibes » ? « Le type d’Antibes » est une silhouette qui frôle le ciel, qui rase les murs, qui longe la mer, qui peut-être titube à force de fatiguer la peinture, un corps qui explore les ruelles, le ciel, possédé par la lumière, qui hante l’aurore. On l’a trouvé mort sur l’asphalte, gisant au pied de l’atelier. On le disait fils d’un général du tsar, Vladimir de Staël von Holstein. Comment s’est écrit le livre ? Il s’est fait seul, texte autodidacte, dicté par l’étrangeté au monde, à demeure de son auteur, sur l’étendue d’une vie d’homme, sur la longueur de l’énigme. J’ai juxtaposé des bouts, jointoyé des pans d’écriture, procédé à des collages de phrases éparpillées, de divers âges, mais de même qualité de voyelles. Le livre est l’histoire d’une phrase qui jamais ne se satisfait d’elle-même, le récit d’une phrase qui se heurte au récif, qui revient sans fin comme une vague, un geste d’apprenti. A travers l’écriture, cet exercice qui ressemelle le réel, je cherche le lieu d’une prière, l’oraison elle-même dans les mots psalmodiés sur le cahier, je souhaite l’identifier dans sa sauvagerie, la saisir, savoir ce qu’elle est, sans menterie. « Le type d’Antibes » est un bréviaire, un petit missel de curé que j’ai colorié de mon vocabulaire, qui recueille les morceaux d’un choc, les fragments d’un sentiment, qui raconte une rencontre. Bref, c’est un livre d’heures dont l’urgence est la couleur. J’aurais pu l’intituler : « Attention à la peinture ». C’est un livre de première émotion, sur l’attention. Comment avez-vous connu Nicolas de Staël ? A la galerie Jeanne Bucher, entre deux joailliers, place Vendôme. C’était en 1980, Sartre venait de mourir. Je lisais « Les mots » dans un bureau de ministère. J’ai vu des toiles, ma tête s’est enfiévrée. D’instinct, j’ai su, j’ai compris que la fulgurance, l’autorité d’un métier, se situait sur le même chemin que la sainte douceur, la violence de la paix. Toute ma vie depuis, j’ai été ébloui par la révélation des toiles de Staël, l’apparition flagrante, l’épiphanie d’images peintes. Peintes pour de vrai. C’est un phénomène passionnel, proche de la pulsion criminelle. Une peinture effarante. Je suis sorti sonné de la galerie, marabouté par le sorcier. Que représente ce livre de particulier pour vous ? C’est un livre final, presque testamentaire, un exercice d’admiration, un geste d’infinie salutation à l’endroit d’un artiste splendide, le dernier peintre byzantin, à christique destin. C’est un livre, proche des tourments de « La cicatrice du brave », que j’ai partiellement consacré à Flaubert. L’un et l’autre sont des bougres d’artistes, des sortes de renégats, des hommes de pugilat, de grands gars incendiaires quand on attente à l’honneur, à un seul cheveu d’une phrase ou d’une couleur. Staël monte en effet sur ses grands chevaux, se débarrasse d'un chevalet. La beauté est pour lui comme la terreur supportable dont parle Rilke. Staël à chaque toile ponctue sa prière de ses doigts saints maculés de lumière et, comme s’il rompait le pain, d’autorité prononce deux mots : « Je peins ».

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