mercredi 2 juillet 2014

La bécane Ocana

Je longe le périmètre de mon domaine. J'ai retrouvé Flaubert et le bon air. J'inspecte une terre de libraires, les sillons du crayon, une micro-géographie de Saint-Michel à Saint-Sulpice, de Gibert Jeune à L'Age d'Homme.
Je zigzague au ralenti. Je dérive en majesté. Je jouis du balancement du plaisir. Soudain, j'accorde ma désinvolture aux écriteaux de La Procure. Les grands mots honorent la pleine saison du vélo.
Ocana est une marque de bicyclette. Luis Ocana s'est fiché une balle de pistolet dans la tempe. Comme Achille Zavatta. Un petit ouvrage est édité à la sauvette, raconte la gloire d'un athlète qui prend la poudre d'escampette. Vingt ans. Il commémore sur le tard l'homme des coups de boutoir. L'album retrace l'automne du maillot jaune.
Vain temps. L'homme se sauve comme une bête sauvage. Le champion s'échappe du peloton, faux pelage. Luis Ocana savait l'art d'être cabochard, dénia au grand Eddy l'exclusivité du panache guerrier. La colère d'Ocana noircissait l'asphalte des lacets. Il aimait les cols, qu'il grimpait seul.
Ocana était forçat. Par révolte. Merckx, c'était Picasso. Ocana, Nicolas de Staël. Blondin définit bien le gredin, écrit haut les mots qu'il faut, célèbre dans L'Equipe l'introuvable fantaisie, l'insoumise générosité du fils de mineur des Asturies. "C'était un géant, c'était un seigneur, et c'était le soleil".
Le coureur de Fagor a tutoyé la barre, éprouvé la vie pour voir. La voir se tordre en corps mort.
A l'angle de la rue Castellane et de la rue Greffulhes, je lorgne le vélo rouillé d'un brave camelot d'antiquités. Il jette sur le trottoir un surcroît de vieux objets, d'inutiles bidules, de livres sans sérieux. Ces bibelots du passé débordent de l'échoppe surannée.
J'observe la bécane Ocana, guidon abandonné. Envie de la chaparder. C'est le moyen de transport du propriétaire. C'est mon vecteur d'émoi.

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