lundi 17 novembre 2014

Grothendieck

Alexander Grothendieck est mort. Et alors ? Céline avait averti l'épicier de la rue Sébastien-Bottin que Le Voyage, "c'était du pain pour cent ans". Grothendieck lègue à la communauté scientifique de quoi nourrir des générations entières de chercheurs.
Cet athlète de la science pure réconcilie le nombre et la grandeur, unifie l'algèbre et la géométrie. Hors de l'école, il réinvente les mathématiques traditionnelles. Le grandiose ignorant se hisse seul au-dessus de la mêlée. Il stupéfie les esprits d'élite du groupe Bourbaki. Ses travaux sont publiés. Il est le chef de file de nos médailles Fields.
A quarante ans, il tourne le dos à la société, se cloître dans une baraque perdue des Pyrénées. Ses méditations formelles s'entassent avec le temps qui passe. Il fustige la science officielle, refuse le déshonneur d'être honoré, s'éprend de jolies jonquilles et d'écologie. Il quitte la pureté irénique des mathématiques.
Le génie casse son jouet par nécessité, pas par fantaisie. C'est parce qu'il veut vivre qu'il suicide son oeuvre. On songe au petit poète de Charleville, au merveilleux photographe de Valparaiso.
Grothendieck emprunte à Rimbaud et à Sergio Larrain. Inutile qu'il communique. Il est terré vivant, fermé à la langue de l'accommodement.
Dans son taudis des hauteurs, un génie grandeur nature finit ses jours avec le diable. Il est possédé par l'idée du mal.

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