La lutte contre le fléau de la bagnole totalitaire aboutit à de lourdes brimades pour la piétaille des petits matins de grisaille. Les trottoirs sont devenus des réduits minuscules, des passerelles lilliputiennes, piquetées de terrifiants plots de fonte. Manière forte - oui - pour nous dresser. On nous met des bâtons dans les genoux. Les dociles piétons sont expropriés des lieux officiels de marche. Au motif pervers d'interdire aux 4x4 de squatter les trottoirs. Les haies de plots phalliques sont des chiens de garde qui ne mordillent pas les chevilles. Le piéton peine à slalomer parmi ces dents de la terre. Empêché de circuler sur son mince ruban de bitume, le piéton est évacué de sa ligne. Il nage où il peut. Il trotte sur la voie maudite des bolides et des cycles, faute de meilleur accueil ailleurs. Au feu rouge, lorsque le petit singe vert s'allume, ses frères sapiens, de chair et d'os, sont terrorisés par les engins vrombissants des seigneurs motorisés. Les cyclistes s'en donnent aussi à coeur joie. Ils foncent dans le tas de chair piétonne. Ils répugnent à freiner comme ils rechignent à l'effort. Paris est un coupe-gorge, un coupe-jarret, un terrain de chasse où les piétons sont tirés comme des lapins. Paris n'a plus besoin de ces frêles silhouettes à la Giacometti. L'homme qui marche est un délinquant virtuel, un déviant qui s'ignore. A Los Angeles, l'homme sans voiture est coffré vite fait.
La ville est trop petite pour la laisser au libre accès du piéton. Il faut l'exclure de la cité, lui interdire de se promener, les bras ballants. L'été multiplie les touristes gêneurs. Ils empoisonnent la vie des camions de déménagement, des gros engins de chantier, des estafettes de livraison, des autobus brûleurs de feux rouges. Le pâle piéton n'est plus aux normes de la mégalopole. Il enquiquine le monde des machines. Il détraque la civilisation du moteur. Il faut sanctuariser le centre-ville, en faire une zone exclusivement motorisée.
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