lundi 11 janvier 2010

Séguin, mort à son destin

Il est mort du coeur. Loin de la gloire de l'été, des lumières de l'enfance, dans la grisaille d'un hiver comme les autres, sous un ciel au front bas. Sur les photos des journaux, c'est Séguin qui impose le respect, sa légitimité, qui pose en majesté sa nature de président. La souveraineté est un mot qui d'abord sied à sa personne. A ses basques, Chirac candidat lui serre la main en valet de pied, au mieux en lieutenant.
La relation Séguin/Chirac n'est pourtant médiocre, ni pour l'un, ni pour l'autre. Criblé de mille fêlures, Chirac se tasse auprès du volcanique et trop humain mangeur de pizzas. Séguin, bardé de tous ses doutes, use avec coquetterie de sa chatoyante intelligence, admire l'énergie militaire, la persévérance laborieuse du soldat Chirac. Ils se sentent, l'un et l'autre, à demeure au milieu du peuple. On ne sait pourquoi ils se sont choisis, peut-être pour une commune réserve à l'endroit de l'arrivisme bourgeois. Le peuple était touché par la pudeur, le secret, le panache des deux.
Séguin n'avait besoin ni de droiture revendiquée, ni de bottes pour arpenter le terrain politique. C'était un chêne, d'essence méditerranéenne, né dans la probité, en pleine tragédie. Il était enraciné dans l'histoire de France. Séguin a exercé un charme fou plutôt qu'un vrai pouvoir sur les foules. Chirac lui doit une fière chandelle, celle d'avoir décroché la timbale élyséenne. Car Séguin a donné de l'épaisseur intellectuelle, de l'éloquence enfiévrée, de la gravité sémantique aux pâles idées d'une droite boutiquière.
Mais Séguin a commis l'irréparable. Séguin est mort à son destin le jour où il a rendu son tablier du parti post-gaulliste. Il a envoyé valdinguer dans les décors les ors de la République. Les mots de sa démission n'étaient pas les bons. Il signifiait son congé au sacrifice de ses jours à la vie politique, qu'elle soit grandiose ou mesquine, au nom de la préservation intime de ses jardins secrets. Ce jour-là, il a trahi Churchill, il a renié de Gaulle. Il ne s'est pas donné tout entier à la France. Il a privilégié une sorte de pacte avec lui-même qui ne pouvait le satisfaire. La République perdait un talent d'exception.
Ce grand professionnel, si sourcilleux du travail bien fait, a bâclé sa sortie. A faire rougir de Gaulle. Séguin a fini ses jours parmi les grands esprits aux dons inaboutis. Avec lui disparaît une vraie rareté sur l'échiquier politique. La mort de Séguin n'efface pas seulement "une certaine idée de la France", revue et corrigée pour les temps modernes, mais élimine un style, un caractère, un tempérament apte à dessiner le chemin d'une grandeur à réinventer. Avec un orgueil sans mesure et une simplicité bénédictine, il sut se conduire en seigneur d'une République d'Epinal.
Durant l'une de ces festivités obligatoires, dans les fastes de l'hôtel de Lassay, je me souviens de sa noble stature, de sa digne rondeur, postée ans l'embrasure de la porte d'entrée, saluant un à un, jusqu'au dernier des convives, à l'issue du raout. Le style, s'il répugne assez souvent à embellir l'action des puissants, définit ici à coup sûr l'homme dans sa vérité. Séguin possédait pleinement la manière d'être maître de son art. C'est pourquoi la désertion d'avril 1999, la démission de la présidence du RPR, reste une faute impardonnable, se ressent comme un chagrin qui fait bifurquer son destin. Elle laisse une profonde estafilade, une large cicatrice sur le front de la nation.
Par la véhémence de ses fulgurances, entre saintes colères et tristes tendresses, Philippe Séguin appartient au cercle des hommes seuls, sans tiédeur, qui sont le sel de la terre. Il était, comme on dit, haut en couleurs. Car toujours à la hauteur voulue, vert de fureur, familier des colères bleues, sans crainte aucune de quoi que ce soit de médiocre, sans peur bleue, mais les joues rouges, écarlates, d'un homme embarrassé par sa timidité.
Aujourd'hui, il nous manque pour lever les yeux, relever le niveau de la chefferie ordinaire des tribus politiques, celui qui "voulait l'Europe, oui, mais debout".

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