jeudi 2 mars 2017

Etre chez soi

Des foules de meeting s’époumonent, revendiquent en cadence l’appartenance à une terre de naissance. « On est chez nous ». « On naît chez nous ». C’est le cri des gens d’ici. Ils braillent comme des supporters de Paris, porte d’Auteuil.
Je confesse une même paresse à ressentir une joie d’autochtone. J’ai longtemps résisté à la tentation de me frotter à trois gros bouquins, à la somme de Sartre sur Flaubert. J’avais peur de me perdre, de changer de domicile, de me fourvoyer dans L’idiot de la famille. Je craignais un luxe d’analyses au détriment d’un gai savoir, d’un plaisant style.
Or un soir d’été, j’ai succombé au péché. J’ai pris mes aises dans une somptueuse langue française. Je savais bien que j’étais chez moi à Croisset, que j’aimais l’hospitalité de Flaubert. J’ignorais en revanche que je n’étais pas mal du tout chez Sartre. 
Qu’il ait consacré les dix dernières années de sa vie à « Cruchard » aurait dû m’instruire sur le sérieux de son art. Bref, je me suis délecté des deux corps mêlés. J’ai tourné les pages d’un grand métissage d’artistes. 
J’ouvre aujourd’hui Cantique de l’infinistère (Desclée de Brouwer, 2016). J’ouvre les yeux sur les brûlures de Dieu. C’est l’ouvrage sauvage d’un autre ermite, d’un vrai moine marcheur, mi-français, mi-italien, tout à fait normalien : François Cassingena-Trévedy. Je me suis calé dans son sillage, docile gregario dans les cols, derrière les mots du campionissimo. Le docte bénédictin mène grand train sur les chemins d’Auvergne. Dès les premiers lacets, le premier tome d’Etincelles, il a créé en moi une joie d’homme, un besoin essentiel, une assuétude qui fait loi. C’est une lecture “à l’arrêt”, de guetteur de gibier.
« Où s’en aller prend source ». Les premiers mots éventent un secret, dévoilent une féerie : la magie de la randonnée auvergnate de l’oblat. « C’est du côté de chez soi que l’on retourne».
Frère François ne définit pas autrement son voyage de roi. Il suggère que le départ est un nécessaire retour, un aller chez soi, sans autre loi. Je saisis bien la sorte d’extase du marcheur d’horizon, du randonneur sans leçon. Ce sentiment de complétude, j’en devine la nostalgie cristalline dans un peuple de meeting. Il vocifère des horreurs. Je comprends ce désir d’être chez soi, loin de rien, à demeure et s’y plaire. Quand je lis Flaubert, il éteint ma colère.

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