dimanche 9 juin 2013

Pierrot du Nord

Avec sa petite moustache neigeuse et son pyjama écossais, calé dans un fauteuil d'hospice, le vieux Mauroy fixait des yeux le bleu des cieux. Il était grand, rond, jovial et débonnaire, fabriqué à l'ancienne, d'une longue lignée de bûcherons. Sa cognée avait la conviction d'une épée. Son coup de hache ne manquait pas de panache.
Avec ses épaules de déménageur, sa carrure d'armoire à glace, il n'ambitionna jamais d'emménager à l'Elysée, d'accéder à la première place. L'homme à initiales de Premier Ministre ne brigua pas le piédestal. A Matignon, il s'installa au comptoir, paya à boire d'entrée de jeu. Il rasa gratis, vite honora sa promesse.
Au bar/tabac du septennat, Pierrot du Nord anticipa le temps des gueules de bois. Après banquets et confettis, il consentit aux sacrifices d'une maudite économie. Dans un monde de brutes, Mauroy était une bête d'humanité. Dans un téléfilm bien de chez nous, il aura joué les rôles d'un Victor Lanoux. Mauroy n'avait pas peur de grand chose. Il feignait de croire à une réalité tapissée de roses. Son vrai talent d'homme du Nord était d'être heureux, courageusement heureux, généreux dans l'effort, dédaigneux de la mort. Tout son corps rayonnait d'une ferveur, brûlait d'une fureur, était animé d'un soleil intérieur.
Jaurès était sa tasse de thé, l'emblématique rayon de fraternité d'une destinée. Il fut ce socialiste génétique qui s'abstint de mettre de l'eau dans son vin, qui refusa de rayer l'ouvrier de son coeur de métier. Il fut un socialiste municipal dont l'idéal était enraciné dans les terrils. Il fut la rougeaude figure de Lille, l'apôtre modèle de "plus belle la ville".
Mauroy était le bon soldat, le missionnaire exemplaire d'un socialisme trop souvent d'apparat. Pas gauche plein aux as pour un sou. Il se tenait loin des cupidités ordinaires et des masques de vertu sous couvert d'égalité.

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