mardi 6 janvier 2015

Une majesté paresseuse

Le jour s'est à demi levé, a mis son tablier gris de cuisinière renfrognée, d'ouvrière malcommode. C'est un jour sans moquerie ni coloris. Je songe à Gracq dont j'ai fini le merveilleux récit.
Les péripéties d'une histoire chassent la beauté d'une épiphanie comme une vilaine monnaie. Le trot mécanique d'une stratégie réveille l'endormie en plein sommeil comme si la grimace d'une volonté tordait ses traits d'intacte majesté.
La messe, rue de Molitor, est recueillie comme une gosse orpheline, effacée comme un murmure, retenue comme un demi-sourire. La voix fraîche d'Agnès est un acquiescement rapide, le démenti mortel d'une fille.
Je sors sonné, résolument égaré, du bouquin blanc de Gracq. J'ai tardé. J'ai attendu la saison, saisi l'occasion d'une trouée du calendrier. Le Rivage des Syrtes jette un sort, bouge le corps, agite les peurs du lecteur. Le vieux Marino est un amiral somptueux. J'aime de Vanessa sa loi, les brumes matinales de Maremma. Relire la nuit fatale au palais, sans hâte, comme l'été, très exact, je le fais des sonorités de Mandiargues.
Blondin, critique à Rivarol, a fléché dans le mille, défini le style de métier, son genre de beauté: "Un imprécis d'histoire et géographie à l'usage des civilisations rêveuses".
Mais Gracq jette un bâillon sur la bouche à clairon. Gracq est autoritaire sur ce qu'il sait faire. S'il évoque Le Rivage des Syrtes, il s'exprime de la sorte: "J'aurais voulu qu'il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l'orage, qui n'a aucun besoin de hausser le ton pour s'imposer, préparé qu'il est par une longue torpeur imperçue " (En Lisant en Ecrivant, Librairie José Corti, 1951, page 216).


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