vendredi 13 janvier 2012

La jouissance et la mort

Visibilité réduite. La nappe de brouillard dissuade l'avenir d'émerger. Les prévisions se trompent d'horizon. En pleine mer, les visionnaires se terrent.
Le monde matériel n'a jamais lorgné vers le ciel. Les entreprises sont en guerre, se cramponnent à l'outil gestionnaire. Elles tailladent l'année calendaire en "quarters". L'éternité du trimestre scande la production des richesses.
La purée de poix impose sa loi. On assiste au rattatinement du temps de l'espérance. Les hommes vieillissent dans le noir. Leur longévité s'accompagne de cécité. Pour se donner du coeur à l'ouvrage, on ranime la flamme de la nostalgie: Jeanne la Pucelle, De Gaulle le Rebelle. Venu du fin fond de l'histoire, le Général chausse ses lunettes de sept lieues. De Gaulle voit loin, instrumentalise la mémoire, la propulse vers l'espoir. Il rédigera des "Mémoires d'espoir".
Le temps gaullien a fait long feu. Fini la majesté des septennats. Nous flottons aujourd'hui dans un temps lilliputien. Sarkozy voit près, pas plus loin que le corps à corps. Il vibrionne dans la prison de l'instant. Il gesticule dans l'actualité frontale. Il se cogne aux encoignures du présent.
Avec la fin du temps long, la mort se rapproche. Foi de Maya, l'apocalypse est pour demain matin. Les banques de renom s'effraient comme des civilisations: elles sont mortelles. Le capitalisme se regarde du bout des yeux dans la glace du communisme implosé.
Nous n'avons plus le temps pour rien. On se précipite sur l'argent sans en jouir pour autant. On se hâte en solitaire dans des plaisirs éphémères. Les amours de Sofitel s'emballent à toute allure. La corruption divertit l'élite des nations. On se dépêche d'amasser dans le temps court des marchés. La mort rôde, taraude, tenaille les entrailles des pontifes d'industrie et des hiérarques d'Etat. On s'enrichit personnellement sur le dos des pays. "Jouir du pouvoir" (Editions de Minuit, 1976): on songe au magistral ouvrage de Pierre Legendre.
Les démocraties occidentales ont fait une croix sur leur avenir. Elles guettent le ciel à la jumelle. Sans rien voir d'autre que la fatalité des destins individuels. "Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis". Dostoievski sait bien que l'avenir est l'autre nom d'un dieu messianique. Les Frères Karamazov n'annoncent pas seulement le temps des kalachnikov. Les crapules sauvent les meubles. La panique se nourrit des mêmes mimiques. Nos banquiers rapaces, nos traders cupides, nos patrons voyous, nos politiciens véreux, nos syndicalistes avides se jettent sur le présent et ses soleils d'argent. Ils se carapattent de jouir avant de mourir. Leurs pieux sermons n'ameutent plus guère les peuples.

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