mercredi 15 mai 2013

Penaud avec mes mots

J'aime la librairie Tschann, docte échoppe à parures érudites. Son pieux silence évacue le bruit de rue. Il veille au repos des ouvrages. On s'y cadenasse à l'abri de Montparnasse.
Attraction fatale des étals. Envie de graviter autour des présentoirs comme on rôde au quartier des prostituées. Détailler la marchandise, aiguiser sa convoitise. Tenir un livre entre ses doigts comme on égrène un chapelet.
J'imagine à partir d'une phrase ultime. Ma songerie slalome entre les volumes. Je reconstitue la pile comme un gosse rafistole une figure de sable.
A la caisse, j'observe l'album Cendrars de Gallimard. Je tends mon petit bouquin rouquin. Je bredouille un boniment marchand, d'apprenti colporteur, d'auteur à la sauvette. Mes yeux ont quitté la gueule de boxeur de Cendrars. J'assiste au courroux de la blonde libraire. Je suis aux premières loges. Elle me jette un regard noir, desserre la mâchoire: "Trop de livres, pas le temps".
Je médite un peu la devise du lieu. Je me souviens du recueil des lettres de Nicolas de Staël, couverture blanche, enrobé de papier froissé. Là sur l'étagère, c'était hier. Je l'ai récité dans la splendeur des Pouilles, à l'heure où plus rien ne ment, à l'instant où le soleil meurt dans son sang.
Je remballe l'indésirable. Vendeur calamiteux, détestable véhèrepaix. Penaud avec mes mots.

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