jeudi 23 mai 2013

Richard

Devant la grosse échoppe de machines à café, le kiosque de Richard a bouclé ses volets. L'homme qui lisait, au milieu d'un tas de papier, a déserté son passé.
Un dernier dimanche, il s'est voûté dans sa cachette désordonnée. Avant d'abdiquer, il se recueillait. Il se retranchait dans une mémoire à fleur de trottoir. Il était pâle comme ses cheveux en nuage. Un mal, quelque chose de sale, assaillait l'homme du journal.
Il détourna ses yeux qu'il avait rouges, plus jamais bleus. Richard fuyait mon regard. Il se terrait dans sa réserve, se taisait dans son malaise.
J'ai vu Richard au travail, dès six heures de l'hiver, allumer sa loupiote, organiser sa cahute en esthète, s'établir aux premières loges d'un monde de brutes. Il bivouaquait sur l'asphalte violet, dévoué guichetier des nouvelles de l'humanité.
J'ai vu Richard verrouiller sa journée à l'heure où se distraient les employés désoeuvrés. Il confiait qu'il vieillissait, qu'il avait froid quelquefois, que les journaux avaient dit leur dernier mot.
Je n'ai jamais su tutoyer Richard, mon ami de hasard, en trente années à se sourire, à se satisfaire d'un même bonjour.

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