mercredi 16 janvier 2013

Travail, famille, nation

La nation était la terre des familles où naissaient les rejetons des lignées. Les aléas de la géographie et les fracas politiques en définissaient les contours stabilisés. La paix fixait des frontières d'enjeu guerrier.
Ce campement de groupes humains liés par le sang, au même parler venu des mères, partageait une sorte de sentiment. National, patriotique, clanique. Il s'enrichissait de la liberté d'adopter, accueillait des étrangers, franchisseurs de limites, échappés d'autres sédentarités. La nation métissée prospérait de ses sangs mêlés.
Le mode de production et d'échange économique s'est développé au point d'exiger une mobilité généralisée de la société. Les techniques de communication ont périmé les frontières, provincialisé la nation. Vu d'avion, le monde fait bloc, boule de solidarité. La culture se calque sur une nature sans couture.
D'où les adieux de Depardieu. Le citoyen du monde s'exile du clocher où il est né. Nous sommes des Depardieu sans feu ni lieu. L'indistinction des nations brouille les couleurs, la palette chromatique de la ronde mappemonde. On n'y voit plus que du bleu. "La terre est bleue comme une orange". Eluard, en poète cosmonaute, identifie la seule citoyenneté qui vaille.
La famille miniaturise la nation. Les aléas de la vie et le fracas des passions en altèrent la solidité. Le lien sentimental a fragilisé les vieilles unions patrimoniales. La famille est fendue comme les murs d'une demeure. La famille s'éparpille. La tapisserie s'effiloche. On ne sait recoudre les trous de mémoire. La famille se recompose à l'infini, persévère dans le fiasco.
Corps obsolète, la famille ballotte comme une marionnette victime de ses passions. "Le mariage pour tous" la ramasse à la petite cuiller, moribonde, les deux pieds dans la tombe. Papa et maman ont fait leur temps. Ce nouvel agrégat élargit le concept traditionnel de la famille, un peu comme l'union européenne supplée au désamour de la nation.
"L'inverti" selon Proust se convertit au mariage de bourgeoisie. La marge annexe la page. Guigne les conforts de l'institution. "Les chevaliers de la manchette" - la plaisante expression figure dans Les Confessions de Rousseau (Pléiade, page 69) - revendiquent le droit d'adopter garçonnets et fillettes. Visent une respectabilité de chefs de famille.
S'aimer, s'aimer soi-même, cela n'est jamais qu'aimer pareil. La vie vient de sexes indivis. On abandonne leur partition comme on se libère d'une nation. Le brouillage des paysages sexués fait écho au gommage des territoires à drapeaux. La confusion des genres s'apparente à la fin des nations. On n'y voit plus que du même.
Il n'y a qu'un seul métier. Orfèvre. Tous les autres travaux sont des courbures d'imposteurs. Le travail s'est détaché de l'élaboré. Travail détravaillé comme on dit café décaféiné. Le travail fatigue parce qu'il ennuie. On ne donne plus de travail car il n'est pas très donnable. On ne l'octroie qu'au Chinois. A la machine par surcroît.
La mort du travail, créateur de merveilles, inaugure le règne des besognes sans vergogne et des labeurs sans honneur. Mélasse de masse. On n'y voit plus que du toc. On n'y voit plus que du low cost. Monde morne et monotone, sans travail, sans famille, sans "patrie". Exit les grigris d'Emmanuel Berl. Notre quotidien, fait de mauvais pain, s'abreuve des anti-discours de Pétain.

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