mardi 31 mars 2009

Demain le communisme

Le capitalisme nous en fait voir de toutes les couleurs. Plus personne n'est très au clair dans ses convictions. Les libéraux nationalisent, la Chine finance l'oncle Sam, Obama congédie les patrons d'entreprises privées, les vieux soixante-huitards français soutiennent mordicus l'idéologie Sarkozy. C'est fragile un homme, surtout sans la bouée de sauvetage d'une doctrine. A quand la collectivisation des moyens de production en Californie ?

lundi 30 mars 2009

Bonus horribilis

On s'étonne que des dirigeants de grande entreprise renoncent aussi vite aux bonus qui leur sont consentis. Cette célérité dans la volte-face jette un voile de suspicion sur la légitimité de pareille gratification. Parfaitement légales, ces rémunérations récompensent des travailleurs dévoués à la cause de leur entreprise. Elles ne sont pas octroyées à la légère, de gaieté de coeur ou par complaisance, mais de manière raisonnée. Dès lors, cette renonciation subite aux fruits du travail crée une sorte de malaise. Elle discrédite ses bénéficiaires qui flanchent à la première critique de l'opinion publique. A se demander s'ils ne confessent pas leur défaut de mérite ou même n'avouent se conduire comme des voleurs, des "prédateurs" pour user du mot choisi par la gent politique. Or ils auraient pu calquer leur attitude sur celle du chef de l'Etat. En effet, le président de la République a lui même procédé à l'augmentation de ses émoluments dès le début de son mandat sans s'émouvoir pour autant de la contradiction flagrante avec le déficit abyssal des comptes de la nation. Malgré le tollé général, l'homme n'a pas bronché. 

vendredi 27 mars 2009

Je dirais: Mandiargues

La littérature est un territoire noir, une contrée sauvage. N'y séjournent que des forcenés de la phrase, des fous furieux de la féerie textuelle, des bêtes féroces qui dépècent les songes, déchirent la viande des mots. André Pieyre de Mandiargues est un artiste rare, un écrivain de fier lignage. Son centenaire officiel oblige à considérer l'éclat chatoyant d'une oeuvre fulgurante. Gracq l'admirait au point d'envier l'excellence de ses récits courts, sa maîtrise des textes majestueux. Mandiargues n'écrit pas vite: il tâche d'écrire faste. Mandiargues ne se donne pas à lire sans d'emblée se raidir. On entre un jour par la bonne porte. J'ai lu La Marge à Barcelone. J'y découvrais la nuit, ses ruelles odorantes, au rythme de l'errance narrative, à la cadence enivrante d'un cheminement fatal. C'est un roman sublime, exquis, raffiné, d'un grand poète primé en 1967 par l'académie des Goncourt. Ce trésor n'est pas plus épais qu'une boîte de cartouches. J'envie, d'une jalousie féroce, le lecteur qui découvrira ces pages magnétiques, déambulant au hasard dans les travées entortillées de Barcelone.
L'écriture de Mandiargues joue avec la lumière, les couleurs, les humeurs et les sons. L'artiste fait luire sa griffe au soleil. La  joie méditerranéenne jaillit des sortilèges de l'écrivain huguenot, irradie les pages de Rodogune, somptueuse nouvelle, plante un couteau dans la cruauté du bonheur. Se lit à haute voix. Amour fou. On n'en sort pas indemne.
Je voudrais te relire, Rodogune, recommencer l'histoire à son début. Pendant les heures méridiennes, sur les rives de Sardaigne, j'ai suivi du doigt la courbe de ton destin. Dans les mots ciselés, prose élégantissime du grand Mandiargues, j'ai chanté haut l'hymne voyou du vent. Hier encore, demain toujours, je glisserai mes doigts inquiets sur ta lèvre de papier. Sur ma paume, la lumière de Sardaigne saigne. Nous sommes loin du crincrin des machines à compter. A mille lieux de la stridence incivile des sirènes.
Je contemple la blancheur du visage et les secousses de sa crinière. J'ai cherché sur la terre l'endroit qui guérit. J'étais fait pour elle, Rodogune, comme l'oiseau d'un seul ciel. Le "aigne" de Sardaigne, méchant comme une teigne, me rentre dans la peau, lentement, comme une morsure de soleil. C'est un moment d'égarement où le corps marche tout seul, libre de toutes sollicitations. Intouchable. Rodogune est la jeune inconnue à la courbure de hyène. Je lis les mots du peintre, souffle sur les grains de sable du phénoménal Staël: "Il avait vu quelque chose comme le bonheur". L'invincibilité du ciel, son évidence absolue, me cloue sur le banc d'un quai de gare. Rien à faire. J'écris avec le bout des griffes. Je songe aux citronniers de Pula, à "Pierrot le fou", au dancing de la Marquise. Je revois la maison de joie de Sinistria. Nous enfourchions le dos tiède d'une vague affectueuse. Je relis, je revois son chignon noir dans l'ovale d'un fichu de paysanne. Elle repose sur ma joue, le derrière en bataille.
Dans la continuité ou par contiguïté, il faut lire le merveilleux Lis de mer. S'abandonner au charme vénéneux de Tout disparaîtra, l'ultime récit d'un quotidien où le métropolitain n'a jamais été aussi bien dépeint. Au petit bonheur, au vent du caprice, il convient d'égrener les cinq tomes de Belvédère, qui sont des recueils de prière, des textes de ferveur, des communiqués lapidaires en forme de dernier salut sur la terre. Reste à aimer La Motocyclette, récit inspiré d'une Bardot chanteuse chevauchant une Harley-Davidson, et tant de merveilles littéraires délicieusement érotiques.
Dans Matinales, Jacques Chardonne vend la mèche: "On veut une neige fraîche où personne n'a encore marché". L'écrivain charentais, partenaire épistolaire de Paul Morand, s'interrogeait le 11 décembre 1962 sur l'avenir de la littérature: "Je dirais: Mandiargues". Oui: Mandiargues s'avance solitaire dans le siècle. C'est un splendide centenaire, un styliste admirable, qui frappe discrètement à la porte des plus grands prosateurs de la langue française.

jeudi 26 mars 2009

Ombilical

A première vue, on dirait qu'ils ont suspendu un même collier entre leurs oreilles. Ce cordon ombilical les relie à la planète musicale. Leurs yeux sont rentrés vers l'intérieur. La rue est un espace sans joie qu'on arpente malgré soi. Les hommes d'aujourd'hui s'indiffèrent pour mieux s'étourdir de bastringue. L'autisme ostentatoire est revendiqué sur les trottoirs. 

mercredi 25 mars 2009

Morale

On ne parle plus que de morale. La vertu est matière à discours. La virginité est réhabilitée. L'angélisme est exalté comme idéal du capitalisme. Les guerriers de l'économie sont priés de se convertir à la charité. La leçon de morale s'écrivait jadis au tableau noir. Les voyous, la pègre, les gens du milieu prononcent à l'envi le mot de "morale" qui leur rappelle l'école communale. Quand la chose fait défaut, le mot fait l'affaire. Et les bonnes affaires se nourrissent aujourd'hui de bons sentiments. L'éthique est un argument de vente décisif: elle endort la vigilance des faibles, elle fait baisser la garde des apprentis. Bref, la moralisation du capitalisme est une vaste fumisterie. 

mardi 24 mars 2009

Plan à tiroirs

A la soviétique, à la de Gaulle, les plans quinquennaux, septennaux, appartiennent au musée des vieilleries. Notre bon commissariat au plan n'a pas survécu à la folie du court terme. Le krach a fait fuir les libéraux comme une poignée de moineaux. Dans la hâte, le mât du capitalisme fait l'objet de maints rafistolages. La grande suspicion financière a stoppé net la circulation de monnaie. Les plans de sauvetage sont échafaudés à la sauvette. Ils colmatent les brèches, parent au plus pressé. Les milliards se noient dans des trous noirs. Les banques se sont intoxiquées à respirer l'air ambiant d'un argent trop facile. Des volutes de fumée financière font écran sur la vérité des âmes cupides. On fait des plans comme on récite des prières. Les gouvernants du monde égrènent leur chapelet de bonnes intentions. La crise boit les dollars comme un buvard. Trop de plans nuisent à l'ordre et à la rigueur. Jadis, les professeurs de composition française sanctionnaient à l'encre rouge ce qu'ils qualifiaient avec mépris de "plan à tiroirs".

lundi 23 mars 2009

Du matin

Je suis du matin. Pareil à la rose, je ne garde ma fraîcheur que les premières heures. Je m'étiole avec le jour, je suis fané à la nuit tombée, je perds mes pétales sous les étoiles. Je ne saisis pas les idées, les mots m'échappent autant que les choses, j'ai les doigts glacés. Je chute dans le sommeil comme un oiseau désailé. Ma vie est un destin de jeune fille.

jeudi 19 mars 2009

Sida couac

L'idéal chrétien de fidélité et l'urgence curative du sida se contrarient mutuellement. Les mots définitifs du souverain pontife sur les vertus supposées du préservatif sont de nature à décourager le minutieux travail des bonnes volontés médicales. Autrement dit, la théorie heurte de front la pratique. Une certaine théologie conduit à une anthropologie désincarnée. Or Benoît XVI accomplit sa mission lorsqu'il prescrit la loi du christianisme sans rien céder sur ses valeurs, lorsqu'il privilégie la libre responsabilité des hommes au détriment de tout autre fondement moral. Ce hiatus entre la vérité spirituelle et la réalité du monde ne s'apparente nullement à un lapsus. Le successeur de Pierre s'adresse d'abord et avant tout aux victimes, aux malades, aux misérables. A tous les damnés du continent africain, il manifeste sa compassion, accorde son pardon. Car le don du pardon réalise la souveraine liberté du Christ. Reste le vacarme et les cris d'orfraie. Au triple galop des médias, une course à la bien-pensance s'est engagée avec une rare férocité. La horde sauvage des accusateurs se rue sans pitié sur une même proie. On joue des coudes pour mieux cracher à la figure du pape. Cette lapidation symbolique nous renvoie aux débuts du christianisme.

lundi 16 mars 2009

Ecorché fils

Bashung a ôté son chapeau, salué sous son son chapiteau, n'a pas sauvé sa peau. Ce métis, à profil d'oiseau de race, était un écorché fils. Il a sculpté les mots, saccadé les sons, fracassé les rythmes. Il chantait des splendeurs dans son for intérieur, confiait sa déchirure à des volutes de volupté. C'est comment qu'on freine l'élégant énergumène ? Avec des Victoires de dernier soir, Bashung a noyé son désespoir. Il est mort sur les rails, trente ans d'allers, trente ans de retours. Gaby le Kabyle n'a rien échappé belle. La rougissure des yeux est le pourboire des endeuillés.

jeudi 5 mars 2009

Silence

Les mots me manquent. Quand le silence annexe le territoire intérieur, la frêle identité d'un corps, les  contours indécis de soi, l'index se pose sur la bouche. Dans les blancs de la pensée, la prière est à réinventer. Le cri de chair s'arrête au chant des lèvres.