mardi 30 décembre 2014

Voeux de beau jeu

Deux mille Quinze, deux mille Demis, deux mille Trois-Quarts. Vive l'an Quinze ! Vive le rugby ! Vive le Mondial hexagonal de balle ovale ! Allons de l'avant sans en-avant ! Allez les Bleus, Blacks, Pumas, Springboks, Wallabies !
Voeux de beau jeu. Joyeuse Mêlée ! Heureux Essais ! On tape à suivre jusqu'à l'an Seize.

La chair du poème

Vingt-neuf, nombre premier, jour de beauté. Le froid requinque la joie. Les habits déraillent comme la folie sur nos poitrails. On emmitoufle dix, vingt doigts. Je frôle un passé le long du quai d'Orsay.
La rareté est critère d'alacrité. Je m'émeus de la saveur du chocolat. Patrice S. noie sa détresse dans les essaimesses. On cause de Thou et de rien. A l'exception de Ferrare que je recommande à son émilienne attention. Hélène se délecte d'une petite viande d'esthète, apprécie la maison vietnamienne. Patrice S. parle d'un fils, se conduit comme un prince.
Renoir, sacré bonsoir. Renoir, la franche gaieté de French Cancan, féérie jusqu'à minuit. Re-noir. Encore de la couleur, davantage de bonheur. Re-noir, pas d'âge, du nom de l'art de Soulages.
Vaslav Nijinsky, Roland Petit côtoient un chorégraphe suédois. Je me dresse sur les coudes. Sylvie Guillem, l'arachnéenne, danse comme une reine. Un corps alphabet tisse l'espace dans la chair du poème.


dimanche 28 décembre 2014

Ersatz d'Herzog

Mon pouce est posé sur la page comme une petite madone sans visage. J'observe la collerette blanche qui délimite une chair.
J'ai froid sans drap. La Germanie ne borde pas ses lits. La couette, niaise coiffure de fillette, n'habille qu'à moitié mon squelette. Cette manière d'édredon condamne une civilisation. Au sud de la Rhur, les dimanches n'ont d'autre seigneur que la rigueur de l'hiver.
Faute d'attendre la fin des phrases, je cause aux images. Pompidou va mourir. Herzog a trente ans, une progéniture, rien que des films. Je regarde un documentaire à la télévision réglementaire.
L'image est beige comme une neige. Je lui confie le coloris d'une rêverie. Werner Herzog saisit la rectitude d'oiseau, la courbe exacte du saut. Il freine le vol à skis, fixe l'étrange cérémonie humaine. Il guette une prière aérienne.
Les champions sont des pions d'horizon. Ils convertissent la vitesse de sautoir en beauté provisoire. La majesté des corps parallèles agit comme une magie, exerce une hypnose, mortellement tachetée de soleils grandioses.
Hier, quarante années derrière. Je siffle une récréation. Je glisse une rondelle dans le bidule. Je rameute un, deux, trois souvenirs. L'image d'Herzog est cabossée, ses dialogues désossés. J'appelle vandale celui qui désaile un ciel.
Avec l'émoi du doigt, je presse une touche. Je stoppe une mémoire, mêle à ma colère la mauve mélancolie d'un ratage d'industrie. Les manufactures défigurent une nature, ses parures, ses postures. Leurs tags d'époque font des zigzags d'Herzog un brutal ersatz, un numérique cul-de-sac.

lundi 22 décembre 2014

Maison Jaune

J'imagine l'hôtel des Palmes à Palerme. Raymond Roussel, fils de famille, s'y suicida, jour de fête nationale.
Au rayon déchetterie d'une librairie, je localise Locus Solus, au voisinage de Maison Jaune. Dominique de Roux efface Roussel. L'alphabet permute un but. Je m'enfièvre à pareil désert d'étagère. Maison Jaune, que Dupré étiqueta "chambre du roi", est une feuille d'automne qui pourrit sans ami.
Un livre d'orgueil dort du sommeil du juste, abandonné des siens. Où sont Céline, de Gaulle, Gombrowicz, les petits soldats, l'armée des songes d'un enfant de Saintonge ?
Maison Jaune fait tapisserie dans un coin de librairie. L'auteur du Cinquième Empire n'a peur de rien, pas même des doigts qui frôlent un squelette.
Je peste contre un guichetier en livrée. Le Raymond Roussel de Michel Foucault est épuisé de toute éternité. Je revois l'émouvante moustache de François Caradec, son biographe, le doux regard d'homme de bar, sa trogne d'ivrogne. J'ai conservé sa lettre, joliment manuscrite. J'en extrais - comme un rite - le mot "luxueux" qui me rendit heureux.

dimanche 21 décembre 2014

Une liasse de forints

Budapest la nuit brille dans l'écartèlement du fleuve. Du Danube, le peintre sort du tube un bleu de Prusse. Il braque la couleur brique.
Le palota Gresham mime les coulures molles catalanes, dégouline comme un suaire de Dali, un sanctuaire de Gaudi. On mâche un texte à vouloir marcher dans Budapest.
La librairie Latitudes a quitté le quartier juif, la rue Wesselényi, dérangé mes habitudes. A Buda, elle s'est agrégée à l'Institut Français, l'ignoble bidule des bords du Danube. J'inspecte ses rayonnages dépareillés.
La blonde Hongroise s'invite en ma solitude. Elle me désigne un gros bouquin noir, au papier bible des missels de jadis. Elle me convainc par la magie du mot "proustien". C'est Histoires Parallèles, l'oeuvre de vingt ans de Peter Nadas. Je tranche le volume comme une pomme. Manière d'en avoir le coeur net.
Je suis ébloui par la soudaine blancheur des deux pages. Mes yeux se règlent à la lumière du texte. Je talonne une poignée de mots, à première vue, comme une inconnue dans la rue. Je ressens la fraîcheur d'une chair.
J'interromps mon désir de plaisir. L'imagination m'ordonne d'en différer la satisfaction. Je claque le bottin, dégrafe ma liasse de forints.


jeudi 11 décembre 2014

Le chat

"Je me casse la tête". Tracas rituel de Maman. "Je me casse la tête avec ce que vous me dites". Adorable compassion. "Je me casse la tête avec le chat".
Maman sentait, pressentait, mais jamais ne mentait. Un soir, dans le noir, Maman s'est fracassée la tête.

Loti

Loti fait la navette entre Hendaye et Rochefort. Il comble les temps morts. Sur l'étagère, je ne touche pas au livre qui me fait peur, qui m'a souri à la devanture d'une librairie. J'errais à Poitiers. Dans sa chambre bleue, Nadine regarde Loti dans les yeux: "Tu y crois, toi, n'est-ce pas ? Tu y crois bien, que nous nous reverrons ?". A la vitrine de l'échoppe, je suis saisi par la familière évidence, les questionnements de mon enfance. Une écriture manuscrite enrubanne le cartonnage de l'ouvrage. Elle m'éblouit.
Je tiens de ma mère que son père admirait Loti, se pressait à la sortie d'une nouveauté de librairie. C'est un journal de deuil, de fragments sèchement épinglés. Loti note le mystère d'une figure, le secret d'une mourante, exorcise un remords.
Loti trace des lignes sans pathos ni repentir. Les mots peuvent exploser à tout moment. Je les récite en connaissance de dynamite. Loti précise: "L'amour que l'on a pour sa mère, c'est le seul qui soit vraiment pur, vraiment immuable, le seul que n'entache ni égoïsme, ni rien". Au carreau du maître-ouvrier, j'ai sans doute voisiné avec l'éternité.

mercredi 10 décembre 2014

Les deux vicaires

Les notaires bariolent des banderoles, dépavent les boulevards, s'agrègent en cortège. Les enragés du droit coutumier se costument en déshérités de la société. Le mouvement ouvrier est relayé par un front notarié. Le métier ne doit s'exercer qu'en petit comité. C'est une action spontanée des rentiers du cadastre.
Hier, à l'heure des préparatifs de manif, j'ai coudoyé deux leaders notoires de la grogne. Ils jouissaient de la sécurité du papier. Ils dénombraient leurs feuillets comme des liasses de billets. Ils lisaient le poème du bien cédé comme l'abbé récite un bénédicité.
J'ai interrompu la prière des deux vicaires. A cause des manquements récurrents à l'orthographe élémentaire. Ils ont désigné l'arpète du texte en bout de table. Rien n'entache la légitimité du prélat. On se pardonne l'offense sans pénitence. Un sourire d'homme de droit suffit au contentement bourgeois.

lundi 8 décembre 2014

Le chemin de ronde

Rue de Castellane, rue de l'Arcade, rue des Mathurins. Je longe le carré des façades anthracite, arpente l'asphalte en fuite. La mort a tailladé le trottoir, scarifié la mémoire. Elle rôde en renard, maraude bande à part.
Sur un banc d'oubli, vert bouteille écaillé, le gros homme est vautré dans l'ivresse, hurle au vent sa détresse. Je frôle un corps qui dégringole. Un cri rauque égratigne la rue comme un genou. Sa panse éclate d'une écarlate violence.
A l'angle asiatique, la table où j'écoutais Django, loin des échos frénétiques. Je mordille mes lentilles. J'achève un chemin de ronde. Je me propulse aux basques du kiosque. Il est grillagé comme un danger.
Richard de dos s'était refusé aux mots. Le kiosquier périssait sous le poids du papier. Il rassemblait ses effets, déguerpissait du quartier. La mort l'a cueilli comme un éphémère pissenlit. J'ai fini le jogging du souvenir. Ma paume solitaire ne serre plus qu'une clé de propriétaire.

vendredi 5 décembre 2014

Bernard, chef de nef

De derrière, je vois ses cheveux lissés, argentés sur la nuque. Bernard rebondit de poitrine en poitrine, d'une joue mastic à l'autre, comme une balle de vertige.
Il pleure comme un veau d'abattoir, à visage découvert, tuméfié comme un lutteur déganté, tatoué de douleur. Hubert le boulanger a bravé les failles du rail, quitté sa masure de Chambois à l'heure noire du brouillard. La ronde des trognes s'ébroue lentement devant le catafalque.
Bernard, chef de nef, est secoué de sanglots par saccades. Bernard est mitraillé de l'intérieur. Sa tête pend sur son buste. Il est prostré sur un portrait. Pourquoi est-ce que vous êtes venus ?
Bernard tord sa mâchoire pour tenir le crachoir. Faut boire un coup. Les pèlerins du chagrin s'égrènent sur l'asphalte. On se serre au bistrot comme sur un banc de touche. Bernard officie au crématoire. Un homme procède à l'autodafé d'une femme. C'est le dernier match quand la chair devient cendre et la vie confettis.
Vous êtes toujours là ? Bernard commande à boire. On fait cercle à côté du serrurier, du bidasse et sa fiancée. Bernard le bistrotier n'est pas classé au patrimoine de l'humanité. Il est blanc comme un clown, d'une espèce menacée. Bernard remue notre peau, triture nos remords d'hommes falots. Bernard squatte un coin de square de nos misérables mémoires.

mercredi 3 décembre 2014

Diagonale de table

Je considère l'assiette, la meule de spaghettis rougis, la tiède odeur de tomate. Dans la diagonale de table, l'homme taillade une pizza. La bouteille de Valpolicella imprime une sémillante force, une gaieté factice à l'exercice croisé d'une conversation.
Je rate les gaudrioles de la rumeur de hall. Je manque la marche des mots. Je songe à la comtesse Greffulhe, alias Oriane de Guermantes. La rue se défausse, patiente sans promesse, la peau sur les os. L'horizon est une porte de prison. Je regarde par la vitre la couleur chauve des choses.

La boulangerie

Dans une nuit mauve où le passant se sauve, le bout de rue s'anime de lueurs brusques. La boulangerie réveille ses confiseries, au clairon d'un pain de tradition. L'échoppe se colorie de loupiotes qui hésitent.
Les solitaires, de bonne heure au plein air, s'orientent à la lumière des blés. Ils s'engouffrent dans la grotte étoilée comme dans une baraque à gaufres.
Le patron sans tablier gesticule dans sa propriété. Une jeune fille fardée obéit au débit saccadé. Ses grands yeux interrogent la hâte, pareils aux flammes qui crépitent.

mardi 2 décembre 2014

Le bonheur

Sarkozy s'égosille ces jours-ci. Il est chef de parti, pas à moitié. Il rame à rassembler les égarés, à contre-courant d'un mouvement dispersé. Il rameute les loups d'émeute. La chasse en bande prévaut sur les prébendes.
Il est fébrile du nombril. Il nous rappelle qu'il est pareil. Changer de nom. Paul Bismuth gesticule tous azimuts. Sarkozy souffre d'un handicap: il ferraille sans masque.
Le Maire est instruit comme un haut fonctionnaire. Il n'est pas bavard sur l'hectare. Il est mièvre et sans fièvre. "Je suis heureux". L'électeur lui cause du bonheur. Je songe au Général: "L'illusion du bonheur, d'Astier, c'est fait pour les crétins" (André Malraux, Les chênes qu'on abat..., page 121, Gallimard, 1971).
Le Maire ignore la passion comme un major de promotion. Il a mouillé sa chemise blanche de premier communiant. Il passera à la teinturerie, fils de Giscard, Juppé, Balladur réunis.
Juppé rime avec constipé. Il ne tirera ni son épée, ni les marrons du feu. Il est frileux comme un vieux. Avec génie, Chirac racontait des craques, a dit beaucoup de conneries.
Fillon est le bon à rien de la compétition. Séguin lui confiait son porte-documents. Villepin l'a oublié dans son calepin. Fillon ignore qu'il est médiocre.


lundi 1 décembre 2014

Le roi Cophetua

Quand la nuit noire enfante un gris d'échec, qu'une pluie de lugubre intériorité cisaille un fiasco, je colmate une panique à l'aide d'une musique.
Sans la couleur au chevet d'une humeur, sans un rouge au secours d'un caprice, tel quel au jeu des voyelles, je manque d'alcool.
Je sonne La Callas en personne. La cantatrice interroge une cicatrice. Sa voix est l'émoi d'une foi. Elle guérit le défaut d'un coloris.
Je repeins les matins mastic d'une couche rouge de musique. Je frotte une phrase, les mots du Roi Cophetua, à l'écho domestiqué du bel canto.

dimanche 30 novembre 2014

Le signe d'égalité

On est égaux. Le dîner premier réunit des cousins autour d'une égalité. Il assemble autour d'une table un mince orphelinat, un peuple de poche, sans père ni mère. L'égalité est l'unité de mesure du malheur. Nous en sommes les définitifs pensionnaires. Deux d'entre eux nous précèdent, possèdent un rond de serviette depuis l'urgence de l'enfance.
On boit une vodka qui libère la voix. On choque nos verres dans une lumière opaque. On euphorise le manque de liesse de la vieillesse. On se toise comme des forçats en demande d'une gauloise. On se rencogne sur une banquette de plat blabla. On est coffré par une gendarmerie de courtoisie.
La réclusion nettoie l'illusion. On se tasse au salon comme une bande en communion. Le front de la ligne est traité aux petits oignons. Il est tard pour éconduire une mort dont la seule égalité nous fait signe.

vendredi 28 novembre 2014

L'ami du vent

Cet homme veut la vérité sur soi comme une propreté, veut la vérité d'une loi comme une nécessité. Il a entassé par pelletées des gribouillis de science et de conscience. Lui seul, faute de génie sous la main, peut déchiffrer ses palimpsestes d'adieu.
On ne dispose que d'un grand texte lisible que le Web entrepose. Il est titré comme un roman fleuve. Récoltes et Semailles est un soleil bâillonné dans les geôles Internet. Il est caché comme l'enfant qui joue aux dés se dissimule des fées. Grothendieck est à moitié russe. Il s'interdit la demi-mesure.
"Si dans Récoltes et Semailles je m'adresse à quelqu'un d'autre encore qu'à moi-même, ce n'est pas à un "public". Je m'y adresse à toi qui me lis comme à une personne, et à une personne seule. C'est à celui qui sait être seul, que je voudrait parler, et à personne d'autre".
La page sept est plantée comme un poteau indicateur de nationale. Plus de mille pages suivent, cheminent, glissent sur l'écran du rail virtuel, ruban vertical d'un convoi silencieux. On songe à Rousseau, à la passion des Confessions. Grothendieck mêle énoncé mathématique et projet véridique. L'homme est démangé par sa vision. Sa théorie des motifs se rit d'être incomprise.
A le lire, Alain Connes, l'inventeur d'une géométrie non commutative, évoque Proust, frotte l'aventure de Grothendieck à La Recherche. L'ermite pyrénéen, retranché sur son site, s'y définit comme l'ami du vent.

mercredi 26 novembre 2014

Transfiguration

C'est un vieil homme chenu, un conteur ingénu, un homme du cru à timbre ému. Le Gascon murmure à mon oreille un nom de difficile domicile. Il grommelle "gémelle". Michel zigzague du réel au virtuel.
L'auteur de Petite Poucette a cinq ans depuis belle lurette. L'an zéro de son calendrier commence à quatre fois vingt années.
Dans une bibliothèque de palais, Michel Serres embobine des écoliers de mon espèce, les embringue dans une histoire de l'oeil à la Bataille.
Il narre les avatars de Jupiter, la tromperie du dieu coureur de jupons, la traque jalouse de ses métamorphoses. Jupiter terrasse Junon. Les dieux délèguent leurs démêlés à leurs valets. La musique d'Hermès embue les yeux innombrables de Panoptès. La flûte de Pan est arme de crime de sang.
Yeux est un ouvrage de regards, légendé par un penseur des mille et une nuits, réfractaire au bleu totalitaire des ciels. La lumière vient du noir de Soulages.
Serres est fils de philosophie. L'amour de la sagesse est une paresse de professeur. Serres prêche la sagesse de l'amour. Panoptès, à la lettre, voit tout. Serres bouscule l'étymologie d'académie. Tout voit. La pierre, la mer, le hêtre, la bête ont des yeux. Les visions d'homme sont stockées dans d'autochtones musées. La galerie des regards d'aigle est à inventer.
L'Autoportrait au feutre gris. Van Gogh troue l'intériorité de mon regard. L'invu du peintre lance un sortilège comme l'inouï d'un solfège.
Le luxueux volume se clôt sur la Transfiguration du Christ, la toile céleste de Raphaël. Matthieu n'en croit pas ses yeux: "Son visage resplendit comme le soleil, ses vêtements deviennent blancs comme la lumière". La transfiguration est un concept d'esthète, une hypostase dernier cri, l'éblouissement en vraie grandeur d'une vie. Descola ne trouve pas d'autre mot pour désigner l'humaine transformation des paysages du monde.



mardi 25 novembre 2014

Irmgard

Ces feuilles collées à l'asphalte, à dentelé losangé, de couleur cadavérique, trop jaunes pour l'automne, n'appartiennent qu'au monde indiciel des arbres sans ciel.
La feuille morte saisit un temps mort. Je la suis à la trace, à l'angle du boulevard; je m'attache à sa menace.
Je stoppe La Presqu'île à vingt pages du terminus. Simon se dédouble. Il siffle une récréation. Je coupe le moteur. J'invente une pause. Je fais les cents pas. La fièvre du désir élargit son empire. Simon interrompt l'horizon. Je balaie un visage de mon regard. Il me tarde d'égarer l'hypothèse d'Irmgard.

dimanche 23 novembre 2014

Federer au cimetière

Le pontife du tennis s'agenouille sur la terre rouge comme un pape en prière. Le match s'achève par l'oraison de Federer à sa confédération. Entre un pays que j'aime et la beauté qui m'éblouit, je choisis la splendeur d'un revers, la joie d'un coup droit.
La beauté du jeu appartient à l'éternité du geste. La leçon des maîtres est apatride. Federer est un athlète solaire. L'homme de raquette impose une pureté de ligne, une rigueur de corps, une souveraine élégance de silhouette. Son tennis claque comme une fulgurante évidence.
Dans la matinée, j'arpentais les couloirs du pavillon Sully. La gardienne sommeillait dans une torpeur à peine méridienne. Je suis libre de mes yeux. Je suis planté devant la Jeune orpheline au cimetière. Je me décoiffe devant la toile.
Ce petit bout de croûte me maraboute. Je lis un ciel pommelé dans l'oeil désorbité, le fardeau de femme fardée dans l'orangé d'une lèvre. Delacroix peint la douleur de chair, l'absolu désarroi d'un ordinaire Guernica. Car Picasso vole à Delacroix ses pinceaux.
"Une minute, il pensa qu'il était profondément heureux, c'est-à-dire qu'il sentit qu'il allait cesser de l'être" (Julien Gracq, La Presqu'île, page 119, Librairie José Corti, 1970).

jeudi 20 novembre 2014

Les marionnettes

L'impéritie des chefs de la nation nourrit la dérision. Ce genre de plaisanterie est la santé de la démocratie. On moque les petits despotes. On rit du ministre de comédie qui ment comme un gouvernement. Nos mauvaises têtes soliloquent avec leurs marionnettes. La caricature est une seconde nature.
Sarkozy grossit le trait à défaut de grandir un passé. L'homme de débat est à deux doigts de la débâcle. Juppé demeure triste malgré les humoristes. D'un homme un peu las, on dit que c'est un homme d'Etat.
Hollande se tasse quand il se hausse. Il rabougrit sur la photographie. Il n'imprime ni sur Poutine ni sur le déroulement du film. Il est dans de beaux draps. Valls joue de ses épaulettes comme d'autres usent de leurs talonnettes. La gonflette est accessoire de marionnette. Il donne le ton avec son menton. Il n'étreint rien avec sa main. Il s'essaie à l'hypnose. La nation se souviendra d'une soupape de transition.

mercredi 19 novembre 2014

Macron et le mec rond

C'est l'histoire de Macron. C'est l'histoire d'un mec rond. Macron sert d'édredon au petit homme au bedon. C'est le fiston du président à double menton. Le blond Macron virevolte sur les perrons, répond à la télévision dans les salons.
Macron est le modèle fétiche de la collection d'hiver du couturier de l'Elysée. Le culot est l'accessoire tendance de l'année. Né grand manitou, Macron sait tout. L'émail de ses dents indispose le gouvernement. Il arbore un sourire satisfait, soigne un faciès de dame patronnesse.
Macron colmate les abandons du mec rond. Il taxe l'ouvrier d'illettré, prive le grand sachem d'une retraite extrême. Il se soucie comme d'une guigne des veilles de lundi. Le dimanche est jour à retrousser ses manches. On travaillera du chapeau, même les jours de repos. C'est la paresse dominicale qui crée la semaine bancale. Macron est natif de la banque comme Pompidou de Montboudif.

mardi 18 novembre 2014

Une voix

L'émotion s'est retirée comme un silence de marée basse. Reste le chagrin qui pince. "Mon foie ne le supporte pas". Le chocolat barbouille les apostats. Je mange un carré comme on venge un regret.
J'écoute une voix intérieure. "Il ne me faisait ni chaud ni froid". Maman était partisane comme une rousseur d'automne. Malgré sa certitude, sa voix interrogeait une solitude.
Au changement de rue, la distance est infime entre le dit et le tu. On ne parle que sur le tard, dans le noir, un peu fort, à cause d'une peur. On fraie à la hache un passage. J'emmagasine des brindilles, des voyelles de voix, faute d'en savoir stocker le timbre.
La mort ne nous parle qu'au téléphone. La morte ne communique qu'à mon répondeur.

lundi 17 novembre 2014

Grothendieck

Alexander Grothendieck est mort. Et alors ? Céline avait averti l'épicier de la rue Sébastien-Bottin que Le Voyage, "c'était du pain pour cent ans". Grothendieck lègue à la communauté scientifique de quoi nourrir des générations entières de chercheurs.
Cet athlète de la science pure réconcilie le nombre et la grandeur, unifie l'algèbre et la géométrie. Hors de l'école, il réinvente les mathématiques traditionnelles. Le grandiose ignorant se hisse seul au-dessus de la mêlée. Il stupéfie les esprits d'élite du groupe Bourbaki. Ses travaux sont publiés. Il est le chef de file de nos médailles Fields.
A quarante ans, il tourne le dos à la société, se cloître dans une baraque perdue des Pyrénées. Ses méditations formelles s'entassent avec le temps qui passe. Il fustige la science officielle, refuse le déshonneur d'être honoré, s'éprend de jolies jonquilles et d'écologie. Il quitte la pureté irénique des mathématiques.
Le génie casse son jouet par nécessité, pas par fantaisie. C'est parce qu'il veut vivre qu'il suicide son oeuvre. On songe au petit poète de Charleville, au merveilleux photographe de Valparaiso.
Grothendieck emprunte à Rimbaud et à Sergio Larrain. Inutile qu'il communique. Il est terré vivant, fermé à la langue de l'accommodement.
Dans son taudis des hauteurs, un génie grandeur nature finit ses jours avec le diable. Il est possédé par l'idée du mal.

vendredi 14 novembre 2014

Léontologie

Il est démonstratif, volubile, brusque et brouillon, d'affectueuse compagnie. Il pivote sur lui-même, s'étourdit de gestes et de paroles. C'est une girouette, Jouyet, qui tournicote autour de Valls, sanglé d'un imper à épaulettes. L'enjeu de l'aparté se situe sur la plus haute marche du palais. Cinéma muet. La France du fond n'entend pas le son du perron.
Chez Ledoyen, où les portables sont éteints, Jouyet réserve les plaisirs de la table à l'homme du pays des rillettes, l'ancien collaborateur de Sarkozy empereur. La droite et la gauche s'entendent comme larrons en foire. On s'invective à l'assemblée. On trinque à la buvette.
Jouyet soigne Fillon aux petits oignons. Il brille par ses qualités d'accueil. Le tandem du Monde est traité avec une même gourmandise, une attention précise. Pas d'étourderie. Les micros sont rebranchés.
Jouyet narre ses racontars. Jouyet se borne à la stricte vérité. Allez savoir. Scrupule ou crapule, on y perd son latin.
La cassette est interdite d'écoute. Niet de presse. Déontologie oblige. Déontologie chantage. Déontologie de Pierre, Paul ou Léon. J'appelle cela la léontologie.

jeudi 13 novembre 2014

Un balcon en forêt

Charly Gaul domina son sujet. L'ange de la montagne s'échappa dans les cols. De Gaulle cessa de se languir à Colombey. Il allait désorienter les habitudes de gouverner.
J'avais cinq ans. Je plongeais mes coudes dans le sable. Je traçais des routes, inventais des classements d'étape dans un cahier à gros carreaux. Je trichais pour que la bille en terre de Bahamontès devance l'effigie d'Anquetil. Je plantais mes petites figurines de cyclistes dans un ordre réfléchi.
Gracq publia un récit absolu. J'en exhume deux majestueuses séquences. Grange voit l'horizon comme une étrange illumination. Il règle son regard sur une démarche enjouée, la liberté à cloche-pied, la frivolité d'une petite fille isolée, sur la laie des bois de Moriarmé. Le soldat trouve une proie à portée.
Gracq, chemin faisant, dans une nature où l'homme exerce une filature, métamorphose une gamine en femme endeuillée. Mona accepte le duel comme une douceur, consent au rêve comme à une trêve, tend sa joue comme on s'amuse à la balle.
Mona nomme une solitude, un isolat, l'anonymat d'un monde. A hauteur d'elle, le soldat identifie le paysage de son exil. "Je ne déteste pas faire la guerre avec des gens qui ont choisi leur façon de déserter".
L'attente, avec un trou, désigne un attentat. La guerre a perforé les chairs. Le blockhaus est réduit à un tas d'os. Grange se hisse jusqu'à la maison de Mona.
Gourcuff l'a lâché. Il est blessé. Il traîne sa jambe endommagée par le layon qui mène à la maison abandonnée. "Toute une saison" pensait-il. Il se demandait s'il l'avait aimée. C'était moins et mieux: il n'y avait eu de place que pour elle".

mercredi 12 novembre 2014

Le commentaire des yeux

L'élan du bleu, comme une lueur vive, ragaillardit la nuit. L'espoir nettoie le ciel. La neige beige du nuage se désagrège. La joie impose le jour comme une victoire sur le noir. Un bleu totalitaire fait taire le commentaire des yeux.
Dans le silence d'une couleur bruit la rumeur de l'aurore, cogne aux tempes la rancoeur d'un moteur. Un soleil hémophile cautérise la terreur du ciel.
Les étoiles d'automne sont piquetées au macadam, à la voûte pédestre, comme des mains coupées, arrachées des platanes. Le jour se tasse. La nuit tombe comme un verdict. Dans la débâcle des rites, je rate mes réussites. Les corps ont la bougeotte. La nuit invente la bougie.

dimanche 9 novembre 2014

L'icono-Clastres

J'ai farfouillé dans les étagères de ma bibliothèque, délocalisée dans la chambre, démultipliée dans le couloir et le salon.
J'ai collecté plein de petits formats, conservés pour les temps de frimas. Descola m'a requinqué pour l'anthropologie, rafraîchi la curiosité pour les récits précis d'Amazonie.
J'ai fait un tas des "Chronique des Indiens Guayaki". J'en possède quatre exemplaires. Peur de manquer. Pierre Clastres rayonne sur mes rayonnages. Il mourut à quarante ans sur le bitume sacrificiel d'un Week-End.
"La Société contre l'Etat" étanche encore ma soif de pensée brève. Les Indiens Guayaki se délectent de chair humaine mélangée à du miel, fuient comme la peste l'ordre politique et la hiérarchie d'une chefferie. Ils s'accommodent de la violence, s'opposent à la naissance d'un Etat. Ils ne tolèrent aucune obéissance, nul transfert de pouvoir à quelque transcendance que ce soit.
Ils s'acquittent des nécessités de subsistance comme on expédie les affaires courantes. Les chasseurs d'Amazonie sont paresseux, travaillent quatre fois moins qu'un besogneux du coin.

vendredi 7 novembre 2014

L'imposteur

C'est un petit roi qui ondoie, qui rate ses prophéties, qui mène un pays à l'asphyxie. Il vit au crochet d'une princesse qui s'appelle la détresse.
Il est souriant. Il se laisse vivre, joyeusement ballotté, d'une vague à l'autre, jusqu'à terme du plaisant mandat. Il trouve cela ravissant.
Au détour d'une blague, on apprend que telle ou telle mesure du catalogue ne coûtera rien puisque c'est l'Etat qui paiera. L'imposteur lève l'impôt.
Il arpente le chemin de ronde de l'Elysée, guette les nouvelles du monde en sentinelle des mouvements du ciel. La croissance viendra d'ailleurs. Le petit président tue le temps, tricote un petit baratin d'attente. Il ne veut pas brusquer sa nature.

jeudi 6 novembre 2014

Les yeux de président

Ils ont les yeux foncés. A défaut d'être visionnaires, les présidents n'ont pas les yeux clairs. Bruno Le Maire peut guetter l'Elysée. Il n'en sera jamais locataire. Marine Le Pen pas davantage, à cause du même mauvais regard. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande sont des gouvernants à poil brun.
Dans l'admirable république française, la chefferie blonde aux yeux bleus est interdite de présidence. Notre démocratie discrimine le type Viking.
Cela dit, la statistique hexagonale est démentie en Germanie. Le pouvoir n'est pas biologiquement ancré dans l'oeil noir du politicien prédateur. La chancelière allemande fait briller son regard d'une étincelle bleue azur.
Au vu de nos déconvenues, on peut se demander si les yeux de nos zélés princes ne sont pas trop foncés. On dirait que l'oeil noir jette un voile sur la réalité.

La phrase des hypnotiseurs

Nora, Mona, Angiolina. Totems de poèmes. Trophées d'une maisonnée. Céline, Gracq, Matzneff. J'ai omis Albertine. Proust veille sur une sublime effrontée, une grande brûlée, une couventine, dure comme une pierre.
La regarder dormir. Proust exprime un repentir. Albertine disparue. Les vies sont chétives, à moins d'une fugitive. Je songe à Radiguet, au final du Bal du Comte d'Orgel, à "la phrase des hypnotiseurs": Et maintenant, Mahaut, dormez, je le veux !".
Elisa Schlesinger ne s'est jamais réveillée de l'emprise du fakir. Flaubert sait-il qu'elle meurt à moitié folle dans une ville thermale du pays de Bade ?

mardi 4 novembre 2014

Hopi

Sous la table en bois, sur le parquet couleur de miel, contre la plinthe écaillée du mur blême, je joue avec une balle et un chien seigneurial, un grognon cocker à poil blond. Je suis l'ami d'Hopi. Je claque ma paume contre la balle qui gicle dans la gueule d'animal.
Hopi était majestueuse dans sa distance bougonne, dans sa légitimité de petite lionne. Hopi était jalouse de mes fantaisies. Elle montrait ses crocs à l'indésirable comme au sot. Je chantonnais un hymne maison à la gloire du hiératique petit fauve de salon.
Je saluais son affectueuse bouderie d'une joyeuse mélodie à voyelles emberlificotées: "Elléticominbotamabotamabotimabotomabotucominbotanana". La brillance de son croc suffisait à cercler l'aire de jeu.

lundi 3 novembre 2014

Diagonales de feu

Parenthèse Poirier. Mona, figure d'épiphanie. Je pense à la Nora de Mort à Crédit, l'obsédante Irlandaise, la divine affranchie. Mona est une diablesse de même espèce, rieuse et vénéneuse.
Gracq restitue la rosée d'aurore, la fraîche espièglerie d'un corps ébloui. Nora, Mona, Angiolina. La littérature d'apparition est signée d'artistes d'exception. Elle trace ses diagonales de feu. Mona donne le ton, son tremblé de madone, au merveilleux Balcon. 
Je prie de très près. Je chuchote une peur idiote. J'ai fleuri son fétiche de pétales de chrysanthèmes. Je pose un mot sans écho. Je prie par le truchement du dessin d'esprit.

vendredi 31 octobre 2014

Merdique fierté

Postures d'abbesse et de dame patronnesse. Les salauds moraux humectent de bave leurs lèvres d'insecte. Leur front vendeur dégouline d'une sueur de bon tueur.
L'abjecte morale impose une tyrannie du meilleur profil. Le voyou sous brevet, tourmenté de respectabilité, se fourre dans ses jupes de charité.
Le saint du calendrier se fiche de morale comme de sa première auréole. La bonne conduite est une case à cocher dans un formulaire de simplicité.
La chefferie des technologies consulte son nombril. Le patron d'Apple est un petit père du peuple. Le patron d'Apple prêche pour sa pomme. Il revendique une fierté d'inverti. Il cause au nom des opinions bâillonnées.
Sa splendeur de seigneur rayonne du meilleur coeur. Il distribue sa merdique fierté au marché des sexualités.
Il déverse une parole de bonne conscience comme on fourgue des vieux rossignols ou des tablettes numériques. Cook is a crook. Le curé de Cupertino est un escroc.

jeudi 30 octobre 2014

A l'école de Descola

Descola déserte sa chaire du Collège de France. La rigueur est rare; l'hiver qui vient, j'en souffrirai davantage. L'enseignement du chaman amazonien, doucement monocorde, était dans mes cordes. Depuis deux ans, il réveillait les démons de ma vieille thèse, mise entre parenthèses, sur la manducation de chair humaine. L'anthropophagie défie les lois de l'anthropologie. Le cannibalisme résiste aux raisons mécanistes. L'eucharistie n'en figure qu'un écho amorti.
Je me souviens de délectables récits, des précis d'ethnographie de l'iconoclaste Pierre Clastres. Or Philippe Descola s'absente pour rédiger une pensée, pour cause d'ouvrage à peaufiner. L'élégant savant revient de suite. Il a fermé boutique. Il y a presque dix années, il publiait "Par-delà nature et culture", précieuse typologie des ontologies, traité des présences au monde, livre du décentrement des regards.
Me manque, ces jours-ci, sa fine barbe blanche, taillée en triangle. Le spécialiste du peuple Achuar jette un regard neuf sur l'anthropologie du paysage. Il s'est retranché dans l'écriture. Le géographe défroqué impose un même respect que Louis Poirier. Descola est un compagnon d'artisanat. Il partage avec Gracq l'orgueilleuse humilité du travail.
Ses livres se comptent sur le fragment d'une main: une thèse introuvable, un récit publié dans la collection "Terre Humaine" de Jean Malaurie et la grande oeuvre précitée. Sans domicile fixe où m'instruire, j'ai rayé la place Marcellin-Berthelot de mes lieux favoris de flâneries ordinaires.


mardi 28 octobre 2014

Têtes de gondole

Modiano est une affiche de beaux quartiers. La bouille du romancier surplombe les égarés de la rue de Castiglione. Modiano s'expose comme Picasso. Sur les plages de juillet, les désoeuvrés du sable exhibaient comme des trophées le dernier Pancol, lauréat des têtes de gondoles.
L'ostentatoire Modiano vante son nouveau pedigree: prix Nobel. La ministre des artistes n'a jamais bachoté Villa Triste. Elle n'ingurgite que des fiches. Pareille franchise valide une expertise.
Modiano est propulsé vedette de mobilier urbain. Patrick électrise le pavé parisien. On l'a perché, un peu dans les nuages, au-dessus de la chaussée. La blonde Katherine surveille ses piles de supermarché, coincée entre Zemmour et Modiano.

Aega

J'exhume Gracq de la brume. J'hume le volume. On a déterré des liasses de phrases, des cahiers d'écolier, de la taille d'une boîte de cartouches.
C'est un livre sur le chemin de ronde, autrement dit sur le monde. Louis Poirier règle ses arriérés à la postérité. Gracq et son gang - Hal, Lero, Bertold - vaquent à leurs besognes vagabondes. Ils veillent aux embuscades barbares.
"Elle s'appelle Aega" nous confie l'un des gars. Gracq s'enrubanne d'illuminations guerrières. Sa dépense littéraire est somptuaire.
Dans la splendeur d'une géographie, Gracq risque sa peau, frotte ses mots à la terreur de la terre, cogne le heurtoir d'Aega. J'ai fini la fine bouteille d'alcool gris, d'étiquette Corti. "Les terres du couchant" nécessitent une cuillerée en se levant.
Page cent neuf, Gracq croque un profil de lecteurs: "Lero reposait exsangue et paisible, avec cette espèce de sourire qu'il avait et que Bertold appelait en riant son sourire privé - un étrange sourire de consentement et de connivence, pareil à celui qui vous reste parfois sur les lèvres en refermant un livre".

vendredi 24 octobre 2014

Libre et Juste

Les masques tombent. Les marques s’usent. Les labels périssent. Les statues de Lénine sont déboulonnées. Le mot socialisme flotte à la surface des égoïsmes, ballotte au gré des opportunismes.
Cambadélis s’arcboute sur un parti sans désir. Valls en mauvais fils fourgue à la casse le vertueux cadavre. Hollande inaugure les chrysanthèmes.
Marx jubile. L’économie, bonne fée, règne sur les esprits. Elle rapetisse l’homme à sa dimension de producteur de richesses. Elle rabote le réel à la valeur travail. La rareté des besognes fabrique une pauvreté.
On s’agenouille devant la croissance, divinité de violence, comme on quémande un peu de mansuétude aux cruels commissaires de Bruxelles.
L’Etat entrave l’activité, parasite l’entreprise. Il taxe la réussite, subventionne les déficits. Il étrangle la liberté, s’assied sur l’égalité. Il ne garde au front qu’une improbable fraternité. La République humanitaire dégouline de faux sentiments solidaires.
Libre et juste. Nous voulons une société libre et juste. Libre de faire, d’agir, d’entreprendre, de dire et de se contredire. Juste, mieux qu’égale. Sans privilèges ni arbitraire. Sans noblesse d’Etat. Libre et juste. Sinon rien.
Il convient de rebaptiser les partis décatis. Je rêve d’un mouvement des nouveaux élans. Je le nomme « Libre et Juste ». Il se désigne par son petit nom : L & J. Car je veux que l’élégie soit un chant d’amour à ma patrie.

jeudi 21 août 2014

Meilleurs

Le meilleur d'entre nous s'expose au ressentiment des jaloux. La politique est pleine des passions tristes spinoziennes. Juppé peine à se frayer un passage dans la foule, un pas derrière Chirac.
Giscard affubla le professeur Barre d'une redoutable étiquette: meilleur économiste. Mitterrand voyait en Fabius un double de lui-même, lettré, instruit, bourgeois, dans la meilleure fidélité de Blum.
Ces trois aristocrates du pouvoir, choyés des fées, ont minimisé les chausse-trapes du métier. Leurs têtes bien faites méprisaient trop la défaite.
Nés coiffés, ils bataillèrent moyennement dans la violence frontale de la revanche sociale. L'orgueil les hissait d'emblée au-dessus de la mêlée.
Juppé descend de son cheval, brigue la timbale dont il rêve depuis la petite école. Le prix d'excellence renonce à sa retraite vénitienne, cède à la séduction élyséenne. Il n'est pas entravé pas des scrupules de légitimité.

mardi 19 août 2014

Corps de podium

Tous les corps sont permis. L'échelle des morphologies est infinie. Au bout de sa gaule, le petit Renaud saute le plus haut. Un géant marche en tête trois heures et demie durant.
La blonde Justine balade son corps de gamine sur deux tours de piste. Le meilleur sprinter n'est pas le plus musculaire.
Vitesse et sveltesse valent bien une promesse. Les athlètes évincent les mannequins des podiums. La joie de jouer préfère la beauté de chair.
Dans l'eau, le corps double ses biscotos. Les nageurs font peur avec leurs épaules de déménageurs. Ils trimbalent un quintal de muscles en métal. Du stade au bassin, les corps changent de destin.
Les silhouettes épaississent comme des berlines bourgeoises. Il est loin le temps où le médecin de famille recommandait les longueurs de bassin pour le gracieux équilibre des corps enfantins.

lundi 18 août 2014

Le déménagement, c'est maintenant

Le réenchanteur de septième ciel n'était que chanteur de ritournelles. L'homme à discourir vole un coin de succès aux maîtres artisans du courir. Tout l'été, il a feuilleté l'album du souvenir.
Le piètre athlète est empêtré dans sa dette. Il se distribue le satisfecit de champion des déficits. Dividende de chef de bande. Il pérore, décore, commémore, fanfaronne en matamore.
Au Fort, il dévore, fait du tort à son corps. Il a rangé la table de jardin du tête-à-tête exécutif. Le déménagement, c'est maintenant. Il rentre au palais, content de l'été.
Il godille dans les eaux du zéro médaille. Roi n'était pas son meilleur emploi. Fainéant pas son moindre penchant. Avec ses petits bras, il ne se battra pas. Il commentera avec une mine d'évêque la bonne médication de ses échecs.

L'athlète au torse fier

C'est l'histoire d'un mec d'ici, Mahiedine Mekhissi, qui situe sa joie plus haut que la loi. Il ôte son maillot à la fin de l'assaut. Comme l'acteur tombe le masque au dernier acte d'une cavalcade. Le gredin est dégradé par des généraux de gradins. Le vainqueur est traité en déserteur.
Mahiedine est du genre pas tenable. Il aime la ruade. A la cloche, il brûle la politesse à ses colistiers de cendrée. Il se sauve du troupeau, fuit la promiscuité du mano a mano. Il distance les convenances avec l'aisance de l'orgueil.
L'athlète au torse fier déterre la hache de guerre. Sa foulée bazooka mitraille les hectomètres. Le sublime Mahiedine crée l'abîme. Mahiedine exemplaire instaure la terreur. Il nargue les gnomes, au petit trot du finish. L'athlète qui rit évoque Rilke en poète: "La beauté est le commencement de la terreur supportable".
Le sportif dostoïevskien est possédé par les vertiges du rien, court sur le motif comme on peint d'instinct. Mahiedine Mekhissi a tué le match et les mochetés du stade. Il engrange les résultats, les recueille avec panache. ll se drape de tricolore. Il fait du tort aux médiocres. Il fait la leçon aux politiciens maison.

samedi 16 août 2014

Ferragosto

Ferragosto exhale une clarté de paille, la lueur de rouille d'un verger des Pouilles. Eclate au regard l'ultime écarlate des terres à tomates. On sent l'automne qui s'exécute sans qu'on le sonne.
Ferragosto épate le pinceau. Ferragosto version Assomption. Titien a peint la sienne, Chiesa dei Frari.
La madone s'abandonne à la féerie. Mariale est la montée au ciel.
Je saigne d'une Sardaigne méchante comme une teigne. Je cale une amitié dans l'axe d'un soleil blessé. Le jour se clôt dans l'écho d'une voyelle. La lumière se vide comme un verre.

vendredi 15 août 2014

Lauren Bacall

Je longe les docks. Il pleut des cordes. Je frôle des silhouettes muettes. Je ruse avec les rues. J'encapuchonne l'automne. Je courbe ma nuque dans un Londres lugubre. J'obéis à la nuit.
Je réponds à une dame étrangère. Je suis prisonnier d'un Bacall center.
Je vois ses films. Je lis les sous-titres. J'écris des bribes de phrases. J'imagine la couleur des regards. Je suis chez moi dans sa voix.
Les soirs sans Lauren Bacall, je me cale devant Renoir. Je patiente devant La nuit du Carrefour.
Elle est à moitié roumaine, la grande bringue de Key Largo. Elle ensorcelle ma petite cervelle. Elle me sauve des abîmes de la Tamise.
Je piétine depuis des heures devant la librairie du bonheur. L'actrice dédicace un récit de fausses cicatrices. Elle m'interroge sur mon prénom. Elle entaille la page blanche d'un petit baiser d'encre noire.



jeudi 14 août 2014

Où qu'ils se trouvent

J'adore La Colle, la Place du Général. J'aime sa mairie pastel, trouée de petits yeux, cernée de volets bleus. A l'heure de boire un coup, le soleil chauffe le genou à La Colle sur Loup.
La rue Clémenceau dégringole jusqu'à de Gaulle. Le chemin du Tigre s'arrête au lit du Loup. Les Collois n'ont d'autre roi qu'un grand gars renégat. A droite, sur le mur de guingois, on lit l'Appel hors la loi. Le coup de gueule côtoie l'affiche de jazz. Mes yeux pétillent de rien. Je me sens bien en pays gaullien. Au bistrot, je bois sans mots l'Americano.
La pizza croustille d'éclats d'olives. Les filles sont taggées comme des couloirs de métro. Aucun été n'a jamais calmé le goût d'épopée des grands fêlés.
Elle était couchée sur son flanc droit. Elle ouvrait de grands yeux blancs d'aveugle. La mort proche délave le regard, nettoie la couleur pure. Elle palpe mes doigts. Je sais qu'elle s'est cramponnée. Je sais, je ne sais que ça, qu'elle va mourir sans un sourire.
Il est un âge où le souvenir n'imprime plus. Il tourne les pages, agite un éventail. Je voyage dans des paysages sans mémoire, dans une géographie d'amnésie. Les arbres miment une mort debout. C'est écrit dans la pierre du village, la parole du petit colonel, le cri pêle-mêle de l'Appel. L'idiot du micro exhorte au sursaut."Où qu'ils se trouvent".
La Colle, deux tourterelles squattent la nappe du ciel. Je songe à ces corps miniatures, ces beautés de poupée, palpitantes de vie au soleil qui finit. Je revois mes doigts sur la plume, la chaleur de soie dans ma paume, l'odeur de poudre encore neuve.



dimanche 3 août 2014

L'arbre et l'oiseau

Ponge observe que l'animal c'est l'oral, que le végétal c'est l'écrit. L'un se planque, l'autre se plante.
L'un fuit sur la terre comme une parole éphémère. L'autre dort comme une souche. A la bougie de ce qui bouge.
L'arbre est muré dans sa durée. La bête se sauve dans l'urgence d'être sauvage. Le chien aboie sa défaite, mime l'émoi d'un maître.
L'oiseau jette au ciel un battement d'ailes frivole. L'arbre est marbré de verticalité, balafré d'immobilité, entaillé des cicatrices de mille solstices.

La croissance de l'univers

On déboulonne la statue. La croissance est le dernier visage du progrès. Faute d'elle, l'histoire s'enraye comme une vieille pétoire.
On s'agenouille insincère devant l'idole de pierre. On pensait que l'histoire poussait comme du chiendent, s'allait chercher avec les dents. L'illusion est marque de fabrique de la maison.
La linéarité se froisse comme du papier. Le temps a ses coups de sang. L'histoire se fracture, abandonne ses points voisins aux horizons lointains.
La matière noire est la mafia de l'univers. Elle structure la nature comme la pègre noyaute la culture. La physique est à lire comme le récit du grand banditisme.

vendredi 1 août 2014

Voir Meurisse et mourir

La couleur n'était pas inventée. Les images étaient grises. Les histoires étaient noires. Les robes étaient blanches. Le cinéma était un divertissement de temps couvert. Il reproduisait le terroir granitique.
Paul Meurisse est un fils de Dunkerque. Il rêve d'Albuquerque. Il se terre clerc de notaire au pays des houillères. Sa vie est encastrée dans un cadastre.
Paul Meurisse est le plus grand acteur du siècle. A revoir "Quand passent les faisans", on se pince. Meurisse se hisse au plus haut. Aux autres laisse les os. Il rapetisse Serrault, fait oublier Blier. Il ringardise les plus sublimes. Robert Dalban est le lieutenant d'un monument. Yvonne Clech est "une sorcière aux dents vertes".
Audiard chaparde les mots du bistrot, vole dans les plumes de Céline. Il retouche Destouches.
Sur la nappe, il y a les acteurs, en vraie grandeur. Le film est un champ de menhirs à perte de rire. Audiard est cerné de phénomènes. Audiard fait parler les dolmens. Alexandre, Hyacinthe et Arsène.
Paul est pâle. Paul Meurisse a la délicatesse de la prestesse. Serrault est traité de "pithécanthrope de Rodez", Blier de "petit jouisseur". Les escrocs s'échangent des mots d'archanges.
Deauville.  Il pleut des hallebardes. On ne voit pas Le Havre. Papa lit San Antonio dans son Wigwam. Le cinéma du Casino affiche "Le monocle rit jaune". Impossible qu'il périsse. Voir Meurisse et mourir.

mercredi 30 juillet 2014

La Mourachonne

L'oubli est une répétition de la grande nuit. Souvenir de Mecir, l'escogriffe tchèque, sa lenteur ensommeillée, sa longue paresse sur le tennis.
Je pardonne tout, en bloc, par goût du confort. Je pratique l'amnésie des dégoûts. La chambre sept du Bosquet évoque la dernière cigarette de Nicholson dans le film d'Antonioni. J'attends quoi ? Le calme et la simple volupté.
Nous irons vers d'autres étés, d'autres majestés formatées. J'aime prier, croiser mes mains, mêler mes doigts, faire le geste mendiant, à vide, pour la beauté frivole, dans un esprit étourdi, sans me rappeler les paroles.
Avec Dieu, je suis taiseux. Je m'amourache de La Mourachonne.



vendredi 18 juillet 2014

Le bonheur parisien

Aimer son prochain. Apprécier son voisin. On dégringole une vingtaine de marches. A l'étage du dessous, nous dînons joyeusement.
La cheftaine de Necker et le manieur de scalpel nous dépaysent des enfers ordinaires. Deux Australiens nous communiquent leur bonheur parisien. D'être né à Sydney ne suffit pas à percer les mystères d'une destinée.
J'évoque Murdoch. C'est son jour. Le vieux Rupert, à quatre vingt trois ans et des brouettes, jette un paquet de milliards sur la tablette. Le seigneur de la Fox veut rafler l'empire Time Warner.
J'adore l'insolente réussite du gamin d'Adélaïde. Il m'émeut comme de Gaulle. Rupert côtoie dans ma tête le général esthète. Même gouaille. Même audace visionnaire. Même anticipation des soubresauts du monde. Même sens de la contrebande.
Nos roitelets de la télé peinent à mordiller la cheville du génial iconoclaste à gueule d'épagneul. On se quitte vite dans l'embrasure d'une porte. J'ai la nostalgie de mes années Murdoch, de la jolie canadienne du Wall Street Journal, d'un petit couloir jaune, d'une plaque sur une porte anodine. Je toque à la porte de Rupert Murdoch.

mercredi 16 juillet 2014

La sensation éblouissante

Avec de la terre, on bâtit des mystères. Dieu joue avec la poussière. L'homme est fait d'humus, rayonne d'humilité. Le même mot de vocabulaire prospère jusqu'au cimetière.
La première eau d'étang renvoie son image de néant. A se regarder, on ne voit rien. Sauf une sale gueule, une figure untitledNarcisse tombe à la flotte. Giacometti est un apprenti de la tête. Il les ratera toutes, faute de métier, paralysé par la nullité d'une trogne.
A vingt ans, Flaubert sait les carottes cuites. "Quels sont mes rêves ? Aucuns. Mes projets d'avenir ? Point. Ce que je veux être ? Rien".
A vingt cinq ans, il confie à Louise sa conception de la table rase: "Moi je suis une arabesque en marqueterie". Flaubert épate la galerie. Paradoxe de la peau sur les os. La beauté voisine le vide. Le génie côtoie l'idiotie.
Chessex flaire Flaubert en chien de chasse. "Dire, premièrement, ce que je n'éprouve dans aucun autre texte, de littérature ou non: ce sentiment, ou plus exactement la sensation éblouissante et presque insupportable qu'avant le premier mot du texte de Flaubert il n'y a rien" (Flaubert ou le désert en abîme, Grasset, 1991, page 11).

L'homme est un singe

L'homme fait partie des singes. La paléoanthropologie nous l'enseigne. Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, l'écrit à longueur d'ouvrages, l'explicite à l'image (vidéo mise en ligne sur YouTube le 25 octobre 2010).
Je suis un singe. La garde des sceaux - d'origine guyanaise ou non - l'est aussi. Traiter quelqu'un de singe, c'est le désigner par son appartenance. Nous sommes des singes parce que c'est vrai. La science est l'argument d'autorité de notre société.
Un ancien ministre socialiste, postulant officieux à la magistrature suprême, a été qualifié de porc par d'obstinés détracteurs. A tort. Car l'homme ne fait pas partie des porcs. La science est formelle là-dessus.
Le mot porc peut insulter la dignité humaine si l'on accorde un statut dégradé à la gent animale, hors du cercle des singes. Dans les tribunaux de la République, on prononce la justice sans s'embarrasser de la vérité. On se fie à sa conscience sans bien connaître la science.

mardi 15 juillet 2014

La croissance est là

Non, ce n'est pas la danse de l'été, la Croassencéla. Ou le cri de désespoir des écolos: "La croissance hélas !".
C'est un heureux événement. L'enfant est né. "La croissance est là". Fragile, hésitante, vulnérable. L'enfant sourit à son papa président. Il ne faut pas la brusquer avec des questions de journalistes. La croissance est la fille cachée du palais de l'Elysée, une sorte de Mazarine de redressement économique. Première hypothèse.
Seconde hypothèse. "La croissance est là". Fragile, hésitante, vulnérable. Espiègle. Joueuse en diable. Elle s'est dissimulée dans le grenier. Elle joue à cache-cache avec son papa, cravate de travers. La gamine le fait tourner en bourrique.
A moins qu'il ne s'agisse d'une troisième hypothèse. Le président est distrait. Il a égaré la croissance. Pas moyen de mettre la main dessus. "Où est-ce que je l'ai fourrée ?" tempête le président. "Dans ma poche d'imper avec les clés et le code nucléaire ?". Inutile de s'affoler. Il va la retrouver puisqu'elle est là. Il a confié à Manolo, son chauffeur catalan, plus rapide que le professeur d'allemand, la mission de fouiller partout, dans les moindres recoins.

lundi 14 juillet 2014

Le sanglot d'une gouttière

J'aime les vieilles chairs, la figure craquelée d'une terre lointaine, le visage de jeune fille. Un soleil les a mordues comme un fruit défendu, laissé ses entailles sur une pommette marbrée.
La beauté s'est tassée à la vitesse d'une vieillesse. La face est une surface labourée. Une eau d'usure dégringole les rigoles et griffures. Le regard se perd comme le sanglot d'une gouttière.

mercredi 9 juillet 2014

Mariposa

A Chardonne, Morand cite une confidence des Goncourt: "Les bonheurs arrivent toujours trop tard dans la vie, sauf celui d'avoir des parents".
Hier, Maman avait trois mois d'enterrement. C'est une enfant qu'on préserve du jour. Le corps mort n'est qu'un fétiche, une poussière de météore. Cent jours, un point dans l'infini.
Le train du bonheur n'arrive jamais à l'heure. Maman ne regarde pas l'été sous les pelletées. Qu'elle soit dans le trou ne tient pas debout.
On mélange tout: Maman et le sable d'un château de sable. Mariposa. Le mot s'est posé sur mon doigt. Maman papillonne dans ma tête.

mardi 8 juillet 2014

Un style de mourir

Faute d'été, je regarde du côté des beautés d'encrier. Flaubert jette sa lumière de chronique ordinaire. J'exhume de la poussière l'essai de Chessex. L'ogre vaudois célèbre en Cruchard le galérien du rien.
L'artiste "aux prurits d'épopée" s'interdit le récit de cape et d'épée. Salammbô n'est beau qu'à cause de mots d'une vacuité glacée.
Chessex axe son texte sur l'essentiel: l'aventure des voyelles. Il écoute en boucle la profession de foi du rabat-joie. La lettre à Louise éblouit le gros Suisse. Chessex se saisit du nihiliste d'une main subtile.
" Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut ". Flaubert a trente ans. Il lui en reste autant pour exécuter un rêve dément, devenir un monument.
Flaubert se soustrait du texte. Il se retire du livre. Il a des absences. Il se rature comme Dieu dans la nature. Il ôte à sa phrase l'ambition d'un but. Il s'interdit le coup de crayon d'une opinion. Les mots ne sonnent, ne pensent que du défaut de sens. Madame Bovary est un fragment de géographie, un bloc de risque, un phénomène atmosphérique.
Flaubert tord la littérature du côté d'une musique pure. Lui importent le genre de beauté, la parure d'écriture, une manière de danser, un style de mourir. L'athlète Flaubert tient l'haltère à bout de phrase.
Il fait une chanson du vide de signification. Il frotte les mots jusqu'à l'inexpression. Il veut l'exacte beauté, chaussée de vent d'Orient, sans autre matérialité qu'une sensation d'éternité.


dimanche 6 juillet 2014

Le square

Le sable des enfants est encadré de bancs verts écaillés. Le soleil chauffe la peau. Les marmots assaillent le toboggan rose.
L'homme des bureaux s'est calé à l'ombre, face au laid monument des reliques d'un roi. Il plonge ses doigts dans un paquet de petites victuailles.
Il a ôté sa veste d'un geste de fermeté, jeté l'étoffe de sa cravate au bas de sa nuque. Un fil pendouille de l'oreille, comme jadis le bout de coton jauni des vieillards décatis. Il bredouille, mâchouille dans une chemise immaculée.
Les femmes lisent leurs mails au voisinage de leur gamelle. Le réceptacle en plastique est bourré de matériau vitaminique. A l'heure dite, elles rassemblent leurs effets d'un air insatisfait. Aucune joie ne s'exprime dans le petit bois. L'insouciance est la science des gosses.
Les enfants du square courent après les pigeons, un ballon, un avenir bidon. Aucune dénégation ne fronce le visage long des petites bonnes. La négresse se répand sur un banc, l'Asiatique s'active de manière frénétique, l'autochtone songe à l'automne. La ville sauvage, derrière les feuillages, fait un boucan du diable.

samedi 5 juillet 2014

Le peuple bleu

L'Allemagne est méchante comme une teigne. Notre portier est fusillé de près dans ses filets. En représailles des dérapages budgétaires. Le peuple bleu ébauche un mouvement de sauve-qui-peut.
La Germanie casse la rêverie avec sa manie d'être efficace. Un seul coup de tête la désendette. Benzema ricane dans sa barbe d'imam. La chancelière préempte les vestiaires. Le pépère de pédalo annule l'escapade à Rio.

jeudi 3 juillet 2014

Jeanne assassine

Au feutre, au pinceau, à l'encre de Chine, Nicolas de Staël ne dessine rien de neutre, mais l'écho d'une femme, de Jeanne assassine.
J'ai dérobé le bouquin de l'exposition d'Antibes pour cela: les dessins des collections particulières, les nus et figures d'intense joie.
Je ne bouge plus les yeux à la page du Guitariste. Il est déglingué comme le Christ dégingandé de Cimabue. Le feu des doigts danse sur la diagonale du bois. L'art expédié, entre deux portes, donne du fil à retordre.
J'aime sa beauté vierge. J'aime le dessin parce qu'il ne peint rien, pas même une lèvre. Le dessin n'a que la peau sur les os. Il faut qu'il mange.
Picasso a seize ans quand il exécute le croquis de Lola, dix-huit quand il se regarde sur la toile, s'approprie l'aurore, l'épingle à son oeil noir. Picasso a faim de dessin. J'ai chipé les cartes postales, carrer de Montcada, quartier du Born de Barcelone.

mercredi 2 juillet 2014

La bécane Ocana

Je longe le périmètre de mon domaine. J'ai retrouvé Flaubert et le bon air. J'inspecte une terre de libraires, les sillons du crayon, une micro-géographie de Saint-Michel à Saint-Sulpice, de Gibert Jeune à L'Age d'Homme.
Je zigzague au ralenti. Je dérive en majesté. Je jouis du balancement du plaisir. Soudain, j'accorde ma désinvolture aux écriteaux de La Procure. Les grands mots honorent la pleine saison du vélo.
Ocana est une marque de bicyclette. Luis Ocana s'est fiché une balle de pistolet dans la tempe. Comme Achille Zavatta. Un petit ouvrage est édité à la sauvette, raconte la gloire d'un athlète qui prend la poudre d'escampette. Vingt ans. Il commémore sur le tard l'homme des coups de boutoir. L'album retrace l'automne du maillot jaune.
Vain temps. L'homme se sauve comme une bête sauvage. Le champion s'échappe du peloton, faux pelage. Luis Ocana savait l'art d'être cabochard, dénia au grand Eddy l'exclusivité du panache guerrier. La colère d'Ocana noircissait l'asphalte des lacets. Il aimait les cols, qu'il grimpait seul.
Ocana était forçat. Par révolte. Merckx, c'était Picasso. Ocana, Nicolas de Staël. Blondin définit bien le gredin, écrit haut les mots qu'il faut, célèbre dans L'Equipe l'introuvable fantaisie, l'insoumise générosité du fils de mineur des Asturies. "C'était un géant, c'était un seigneur, et c'était le soleil".
Le coureur de Fagor a tutoyé la barre, éprouvé la vie pour voir. La voir se tordre en corps mort.
A l'angle de la rue Castellane et de la rue Greffulhes, je lorgne le vélo rouillé d'un brave camelot d'antiquités. Il jette sur le trottoir un surcroît de vieux objets, d'inutiles bidules, de livres sans sérieux. Ces bibelots du passé débordent de l'échoppe surannée.
J'observe la bécane Ocana, guidon abandonné. Envie de la chaparder. C'est le moyen de transport du propriétaire. C'est mon vecteur d'émoi.

mardi 1 juillet 2014

La débandade des proies

La sueur révèle le pot aux roses de la terreur. Les joueurs ont peur. Ils courent, une heure, deux heures. Derrière un ballon de couleur.
Ce spectacle de tacles exprime la débandade des proies. Les banderoles des sacrificateurs de stade communiquent l'état civil des prédateurs. Les Nègres du Nigeria ont été mangés in extremis, au bord du précipice. On entend des chants de supporters. On entend Deschamps dans les vestiaires.

lundi 30 juin 2014

La robe Bardot

Dans la pénombre du raout, on s'éclaire à la bougie des visages. Il suffit d'un front haut, d'une clarté de canine ou d'une pommette rosée pour réveiller un prénom, brièvement sourire d'un souvenir, se rappeler d'une tête comme d'une anecdote.
Je slalome parmi des regards comme une boule de brouillard. Je déjoue la fixité passagère d'une civilité.  J'erre au gré de complicités inachevées.
J'évoque la robe Bardot d'une grande bringue. Je noie ma mémoire dans la pétarade étoilée, le clapotis morose d'un verre de quelque chose.
L'histoire se compose de bouts de phrase de comptoir. On se raconte des bobards. Je suis un vieillard d'après la bagarre. J'identifie les sosies dans la nuit. Je sais l'alerte rouge quand une jeune fille me tend sa joue.

vendredi 27 juin 2014

Rue Bourbonnoux

Les transats jaunes fluo du petit jardin de curé. Le jour n'en finit pas de durer. Les guêpes se plaisent au voisinage des tilleuls. Place de la Pyrotechnie, on hésite sur le nom des ethnies.
Les reliques d'Etienne se mêlent à celles de Laurent. On stocke la sainteté comme des données de société.
Rue Bourbonnoux, anciennement des Bonnets Rouges. Maisons pastels à pan de bois, de guingois. Ruelle dégringolée, pavée des meilleures intentions de la noble confection. Le vitrail est une manière d'étourdir le soleil.
A l'étage, la télévision rate l'image. S'essaie à sa multiplicité d'insuccès. Notre art de samedi soir, matin, midi, nul ne songe à le confier au soin précis d'un juste artiste.

jeudi 26 juin 2014

De la démocratie

La chefferie du pays se soucie de démocratie comme d'une guigne. Elle discourt de vertu, étreint la morale à bouche que veux-tu. Nos rois hurluberlus pratiquent l'hypocrisie comme des vendeurs de bondieuseries.
La démocratie est la scie des partis de la patrie, leitmotiv d'apparatchiks. Or les faits sont contrefaits. La tricherie impose sa tyrannie. On fraude les scrutins comme on se frotte les mains.
Aubry vole la victoire à Royal. Copé chaparde le succès à Fillon. Hénart verrouille le vote valoisien au grand dam de Yade. Trois notoires de pouvoir s'auto-proclament vizirs par intimidation de cour de récréation. A gauche, à droite, au centre, la démocratie exemplaire, on s'en tamponne le coquillard.
Faute de démocratie, le peuple fait tapisserie. Il est humilié par des bateleurs de supérette, des causeurs de sornettes. Le peuple est loin, reste dans son coin. Il voit rouge, se coiffe d'un bonnet. Il vit dans ses songes, sa chefferie dans ses mensonges.

mercredi 25 juin 2014

Un chien

Je regarde la minuscule masure de pierre, porte verte, rectangle de couleur et lucarne borgne à gauche. Trois pins déglingués qui encadrent une mer bleue, piquetée de petites barques hésitantes. L'hôtel de plage craque des premiers bruits du jour, éprouve ses articulations rituelles de vieille baraque.
Le soleil chauffe la joue, démange la pointe des coudes. Savoir jouir. Autrement plus calé que de laidement travailler. Pas facile de se faire accepter, d'apprivoiser l'inutile. L'étrangeté fait aboyer un chien.
Je songe à Dominique de Roux: "On fait des batailles de pamplemousse. Je voudrais que vous voyiez". Il taillade le dos d'une carte postale. Il écrit sa joie d'enfant à ses parents vivants. Maison jaune est un texte d'automne. Il est fini le temps des cartes postales.

Les loustics du Gothique

A Bourges, on ne s'embarrasse pas d'ambages. Les vitraux de la cathédrale Saint-Etienne jettent un écho vertical de souveraine lumière. Sous une pluie fine d'un Berry à temps pourri, les vibrations de la couleur ensoleillent la bande dessinée de la Bonne Nouvelle. La verrière renvoie l'espoir, ne raconte pas d'histoire.
Les loustics du Gothique ont taillé l'habitat dans l'esthétique d'une foi. A deux pas du parvis, le musée berruyer du meilleur ouvrier précise une philosophie. On lit sur la pierre deux mots téméraires, "joie et travail", la prière surannée d'un style de mauvaise vie.
Les corps d'attention font acte de contrition. La beauté fait peur, exige la totalité du coeur. La page d'ouvrier est un ouvrage enluminé.

dimanche 22 juin 2014

La mort

La mort nous fait douter des souvenirs, se moque de notre mémoire. Elle travaille à ce que l'illusion soit parfaite, à rayer la vie de nos têtes en sursis. Rien n'a eu lieu. J'ai rêvé. J'ai vu les fées de mes yeux.
"Je me casse la tête pour vous". Ce genre de prophétie rougit les plissures de l'oubli.

vendredi 20 juin 2014

Platja de Tamariu

Anniversaire d'une mère. Maman a quatre-vingt-seize printemps. Demain, c'est l'été. Le jour d'après la fin du monde n'a pas vraiment d'avenir.
J'aime mêler mes doigts et regarder le ciel. L'éternité s'est arrêtée à Tamariu. Le soleil s'est hissé derrière les rochers, a régné sur une mer apaisée, a chuté de l'autre côté. Le vieux ne ressemble à rien d'autre qu'à un vieux.

mercredi 4 juin 2014

La sainteté du coquelicot

A main gauche, Chambois. Les routes se croisent, Sainte Eugénie à droite, raidillon mauvais des cyclistes embringués. Un carré de rouge incendiaire. Une trouée de sang impose sa joie. La parcelle flamboie sous un grand ciel malade. Juin lugubre. Le coquelicot des dimanches est l'écho sauvage d'une sainteté.

lundi 2 juin 2014

La Toulonnaise

Ilie Nastase est sénateur de Roumanie, Victor Pecci ministre du Paraguay. Les champions recyclent leur nom. Ils sont gros, gras, sans style. Ils vieillissent hors du tennis, s'accoudent à la table des notables. Ils ont troqué la raquette pour un rond de serviette.
Federer reste rare malgré ses déboires, garde une fière allure bien que battu sur terre. Un traître sujet de Sa Majesté lève le bouclier gaulois du rugby. Une foule pavoise sur l'air de La Toulonnaise, sosie sublime du God Save The Queen.

jeudi 29 mai 2014

Bovary et la Nubie

J'empoigne le bouquin bleu de Pierre-Marc de Biasi. Il sent l'écurie. Je me retrouve en terre amie. "Gustave Flaubert - Une manière spéciale de vivre". J'avais claqué la porte de Croisset de manière précipitée. Biasi m'a rattrapé par le collet. Il me désigne "Voyage en Orient". J'obéis à Biasi.
Flaubert a le diable au corps. Il fiche le camp avec Maxime. Rouen, l'Orient. Les petites fiancées du Caire instruisent son corps.
Dans les sables de Nubie, il est démangé d'une songerie, taraudé par la Bovary. Flaubert trentenaire galope dans le désert. Il cède à sa nature, se penche sur l'encolure, se jette dans les ratures, prête serment  au roman, à l'enfermement de Rouen.
Il conte à Bouilhet l'embouteillage de sujets: "J'en ai trois: Une Nuit de Don Juan, l'histoire d'Anubis, mon romand flamand". (Lettre du 14 novembre 1850).
La Bovary grille la priorité aux almées d'Egypte, à cette grande fille d'Azizeh, à la petite Hadély. Il répudie Don Juan, s'accorde cinq ans d'adultère normand.

mercredi 28 mai 2014

J'aime mon pays

"J'aime mon pays". C'est un cri de rancoeur, de dégoulinante affection. Les vaincus d'élections confessent à tire-larigot leur amour du drapeau. Les désavoués du peuple multiplient les signes d'attachement passionnel à la nation. L'incantation patriotique masque l'échec économique.
Hollande, Ayrault, Valls ne cessent de déclarer leur flamme à Marianne. Les bons sentiments font les braves gens. Faute de résultats probants. A court d'arguments, le chef politique se réfugie dans une géographie dévote de la patrie. "J'aime mon pays". Encore heureux.
Copé, débarqué comme un roitelet du Zimbabwe, coincé dans les cordes du ring, n'échappe pas à la petite musique chauvine. "J'aime mon pays". J'abhorre cette phrase superfétatoire de détestable confort. Elle jette la suspicion sur ceux qui la prononcent comme une assurance de pardon. Elle ajoute au discrédit des insincères repentis. On dévisage l'habileté. Elle révèle une terrifiante médiocrité.


mardi 27 mai 2014

La facture

Nikki de Saint-Phalle épaule. Elle colle sa joue contre la crosse. Elle presse la gâchette. La couleur gicle sur la toile. Nikki de Saint-Phalle peint ses figurines à la carabine. Elle maîtrise l'art de la pétoire.
Jackson Pollock penche son pot de couleur sur le parquet, pas vraiment en vrac. Il use de la peinture comme d'une coulure. Il enjambe la toile comme jardine un moine. Jackson piétine ce que Nikki dégomme. Il tient son sujet. A la lettre: ce qui est jeté dessous.
Shakespeare. L'art du poignard. "Hume l'épée" se dit du parti à moitié cuit. On observe les "politichiens" comme des crabes assassins dans leur panier privilégié. Les hommes de main frottent leurs pinces de paléo-gaulliens.
Fillon est conforme à l'écho rapproché du mot félon. Copé écope. Ils libèrent une nature dont ils ignorent la facture. La politique est une anthropologie, un ramassis de bandits, le champ clos des tueries.


lundi 26 mai 2014

Fin de partie

Quand on peine, on vote Le Pen. On dépouille les bulletins des fripouilles. Holland est lent, Valls catalan. Le peuple goûte moyen le baragouin européen.
La fête des mères n'est pas celle du pépère, retranché dans l'isoloir à Tulle. Il roule en berline. Il nous roule dans la farine. Dix heures au volant en font un exemplaire votant. Il ne conduit pas sport, s'endort et valse dans les décors.
Copé a mangé du BigMac-lion. Copé rigole, sera découpé en rondelles. Valls sort les grosses ficelles, les prunelles exorbitées, les petits yeux fanatisés, un regard furibard. Philippot adopte un style louis-philippard.
Samedi à Cardiff, le bonheur est bref. Je me décoiffe devant Johnny. Dossard numéro dix. J'ai voté à main levée. Wilkinson par impulsion. Sans réfléchir comme on admire. Johnny, c'est le Lawrence d'Arabie du rugby. O'Toole à Toulon. Fin de partie. Merci.


dimanche 25 mai 2014

Payez à la caisse

Coquelicot de bas-côté dans toute sa sainteté. La détonation du rouge inonde le spectacle du monde. Godard consulte les toiles de Nicolas de Staël. Il se remémore un corps, la feuille de route, le chemin de terre de la couleur.
Les enfants démêlent le blanc du bleu du ciel. L'épaisseur de la vague est un bonheur de gouache. Une huile inutile rutile au soleil. Roxy est un cabot, une péripétie d'après les mots. Il est le roi des bois quand il aboie. Roxy traîne dans le temps présent comme un chien errant, ressent les instants comme des coups de sang.
Godard peinturlure d'après nature. Au plus près du corps, dans l'axe exact d'une métaphore. L'autoroute est luisante de lucioles. Les berlines se sauvent comme des illuminés. Le week-end des bagnoles est une somptuosité d'asphalte. On change de vitesse sur un mouvement de Sibelius.
La beauté crisse, coupe le souffle comme le haut de lèvre incisée de la petite actrice. L'eau à vif charrie son plein de cicatrices. Godard soigne au fusain les pubis. Le sexe de Courbet est un bâton de vieillesse. Monet fait la loi: "Ne pas peindre ce qu'on voit, puisqu'on ne voit pas... mais peindre ce qu'on ne voit pas".
La lumière fragmentée des fleurs est le genre de beauté sonore dont on fait les colliers. Godard fignole les reliefs d'un sublime banquet, le film d'une vie terminée, dont Roxy énumère les rendez-vous manqués. A la station-service, près des établissements L'usine à gaz, on lit sur la grande pompe, le pistolet sur la tempe : "Payez à la caisse".  Adieu au langage est un bouquet d'images de mon âge.

L'AtletiKO debout

L'AtletiKO debout. Dans les arrêts de jeu, Ramos égalise d'un coup de tête comme un coup de feu. Courtois est trop court, déplie sa longue carcasse, frôle la balle du bout des doigts. L'Atletico est sonné comme un boxeur groggy par l'uppercut précis.
C'est un taureau blessé, aveuglé par le sang, qui s'expose au châtiment. Bale, Marcello, Ronaldo plantent leurs banderilles avec une insensibilité de joyeux drilles. Le Real des prolongations fait mal, administre une correction à l'animal.
L'AtletiKO debout endure les coups, coincé dans les cordes. Le sang gicle des gants du pugiliste. La proie trop facile fait de l'arbitre un imbécile. Il tarde à siffler la fin de corrida.

jeudi 22 mai 2014

Hauts vertiges

Les gracieuses pivoines de la toubib s'extraient du vase de verre, hissent la collerette de leurs pétales au contact rose d'un soleil tiède.
On dirait des bonnets de bains de poupée dans une éclaboussure de feuilles fripées. Les dos de chaises Mallet-Stevens sont zébrés de réminiscences. Ils grognent d'un regard de canines, avec des yeux de tigres.
Le cerisier de bout de table étire ses rameaux de mouches rouges, dessine ses hauts vertiges sur l'ardoise d'une vitre. La vasque à torse de papillon masque d'une branche orange sa brève décapitation.

mercredi 21 mai 2014

Le gentilhomme du café

A la croisée des deux voies, le garçon d'établissement jette un mégot sur le pavé. Son tablier noir de bougnat le désigne comme le curé d'une paroisse. Il officie au Castellane où il soigne les soifs. Il s'est absenté dix-huit années.
Il s'était égaré au Trocadéro dans un estaminet de beaux quartiers. Il est revenu dans la rue de ses premiers menus.
Il est long de taille, svelte de silhouette, flegmatique et charmeur comme un acteur britannique. Je songe à Jeremy Irons. Jean Baptiste avait six, sept, huit ans. Il s'attablait en habitué, conversait en écolier avec le gentilhomme du café.
On se toise sous un ciel ardoise. Ses yeux s'illuminent. On bavarde dans une paix de cigarette. On s'octroie un bref bonheur de gauloise.
- Je me souviens de vos parents. Je les aimais bien.
- Les gens de métier ne courent pas les rues sur le marché.
L'élégant barman plisse doucement les pommettes. Il sourit comme pour s'excuser. Un client le sollicite. Je surveille son maintien. Je l'observe courber son corps de grand pingouin, causer à l'oreille d'un impérieux soiffard.

Un étrange rébus

Je longe de grands panneaux électoraux, vides de tout visage, aussi niaisement dégingandés qu'un champ d'éoliennes désaffectées. L'Europe est une page blanche. Morne comme un dimanche.
Le Vieux Continent manque de vent. Les girouettes de Bruxelles n'indiquent la direction d'aucun ciel.
L'Europe va à l'abattoir, faute de thuriféraires un peu gaillards, faute de bateleurs sachant raconter les histoires.
Certes, les vieux politicards sortent du placard, mentionnent Airbus ou Erasmus au rang de ses us et coutumes. Reste que le grand machin communautaire demeure un étrange rébus.
Les leaders autochtones ont décampé, débarrassé le plancher du plus lointain des scrutins. L'Europe confie son sort à des charismes d'experts-comptables. Le sourire jovial de M. Schulz et la grimace gênée de M. Juncker n'exaltent personne. Ils enquiquinent plus qu'ils ne galvanisent. Les télévisions soucieuses de publicité relèguent leurs gentilles causeries tout au bout de la nuit.

mardi 20 mai 2014

Kerviel et Messier

Derrière la tunique rouge du rebelle Kerviel, une foule de disciples cheminait entre ciel et Vintimille. Le marathon christique du courtier en fric s'est achevé à Menton. Au bout des citrons, il y a la zonzon. Le trader est à terre. Le voyou est un numéro d'écrou.
Messier, replet petit monsieur, a ruiné Vivendi, jeté des milliards par la fenêtre, pour satisfaire sa déplaisante vanité. On le condamne du bout des lèvres à verser un petit pourboire au taulier. Au casino des grosses ficelles, il lance une pièce au personnel.
Messier est homme honorable. Sa respectabilité est blindée. L'inspecteur des finances est protégé par sa puissance. Un corps d'origine - mafia en calabrais - le préserve des embarras du crime. Il n'est pas question de zonzon pour si peu de pognon évaporé dans la nature. Je suis contrarié par les inégalités de ma charmante petite contrée.

dimanche 18 mai 2014

Cette forme durable de la fatigue

La fête d'une Morte. C'est dimanche. On offre une fiole de parfum à l'Europe. La vieille dame fait cliqueter ses bracelets. Elle est pomponnée, fait sa publicité à la télé.
Elle est assise dans l'indécision, sert le thé dans son salon à ses vingt-huit nations, perd la mémoire de leurs noms.
L'ennui suinte de sa conversation. L'ennui prodigue une fatigue. L'Europe des langueurs est percluse de douleurs. L'Europe est lente à mourir. Elle est lente en tout. Ses meilleurs partisans peinent à rafraîchir ses souvenirs. Elle soliloque un argumentaire de plus jamais la guerre.
La vieille dame nous assomme. Elle provoque aujourd'hui "cette forme durable de la fatigue qu'on appelle le mépris" (Roger Nimier, "Histoire d'un amour", page 9, collection Folio).
Décerner ou non la palme à Monsieur Schulz. That is the question. Voilà une pâle et piètre motivation.
Dépêcher à Strasbourg les refusés du musée Bourbon. Encore une bonne raison de passer son tour. A chacune de ses rares sorties, l'Europe se fait siffler par la foule. On se lasse de ses castings de patronage.
Vivement qu'on passe à autre chose ! L'Europe, on l'envoie sur les roses. On fleurira sa tombe à la Saint-Glinglin, au lendemain de la Toussaint.

samedi 17 mai 2014

Trois pommes

Maman a treize ans, mais elle ne possède que du vent, du temps qui lui échappe. Elle est le doigt du fusain, le crayon du dessin. Maman a treize ans, peut-être douze. Elle ébauche une cruche, trois grosses pommes.
A droite, une date: six mars mille neuf cent trente et un. Je naquis d'un croquis. Vingt-deux ans après, Maman donne la vie pour de vrai.
Maman a treize ans, fait son âge ou davantage. Maman crayonne avec son sang une nature pas très morte. L'homme n'est pas plus haut que trois pommes. Il s'abreuve à l'eau noire. Se désaltère à la figure trinitaire. Je reste en carafe.

jeudi 15 mai 2014

Cher Gabriel

Les agissements de l'agessa sont d'odieux tourments. L'insécurité sociale règne en toute iniquité. L'anonyme Etat mime le grondement d'une grosse Bertha. Il tire dans le tas, coupe le gaz, débranche les petits gars, active la fin de moi.
Je veux vous dire mon amitié, ma révolte. Vos écrits sont des coups de griffe sur la joue des académies. Jusqu'à ma dernière cécité, je me décoifferai devant la beauté. Ex imo.

mercredi 14 mai 2014

Rayé de Rio

Nous, gens de peu, courons derrière une croissance, dernière croyance des gueux. Nous remuons notre postérieur derrière une chimère. Le footballeur court derrière un bonheur, une balle, la voix d'un speaker.
Deschamps, pluriel de Marcel Duchamp, compose une équipe ready-made, de barbouilleurs à crampons, d'artistes d'usine, au détriment de Picasso sublimes.
Nasri récidive ses niaiseries. Il est rayé de Rio pour son sourire jaune. Nasri et Ben Arfa rejoignent le banc des peintres maudits, le musée des refusés de Jacquet, Cantona et Ginola, dans le plan social du groupe tricolore, du collectif académique.
L'Histoire repasse la même séquence de pieds plats. La jalousie du travailleur exige de sacrifier la fantaisie du créateur. Le ressentiment fabrique les pires bons sentiments. La beauté de geste n'appartient qu'au cercle vilipendé des esthètes.

mardi 13 mai 2014

Péché de gourmandise

Inutile de persévérer. Montaigne est illisible. Son vieil idiome est impénétrable. Trop d'herbes folles à enjamber. Je n'ai pas l'équipement pour m'aventurer dans le roman de ses errements.
Céleste m'a recueilli. Dans sa maison de Proust, j'ai séjourné sans hâte. J'ai patienté de quoi voir venir.
Dans la bibliothèque, sans bruit, j'ai consulté la Correspondance de Madame de Sévigné. J'ai chapardé le premier tome des Mémoires de Saint-Simon.
J'ai résolu de me fourrer dans les cancans du méchant duc. Huit volumes de Pléiade à dépoussiérer des étagères. Les feuillets de l'incipit exigent que je m'y précipite. J'ai besoin de me vautrer dans une longue nuit de style. Péché de gourmandise.

lundi 12 mai 2014

Malaise et Marseillaise

Les couplets de La Marseillaise ne sont plus chantables en l'état. On a besoin d'un coup de main d'académicien, d'un poète estampillé parolier pour rénover l'hymne guerrier. Il est temps de substituer Jean-Loup Dabadie à Claude Rouget de Lisle. Même si "Les loups sont entrés dans Paris" prêtent à contentieux éthique.
Plus de "sang impur" dans un refrain contre-nature. Carton rouge. Il faut en finir avec cette "horde d'esclaves, de traîtres, de rois conjurés" (couplet II) qui grésille dans nos oreilles gonflées de haine. Le général Dumas en pleurerait dans sa tombe.
Il faut tordre le cou à "nos bras vengeurs" (couplet VI), si détestables de nationalisme et d'esprit revanchard. Il faut faire taire la xénophobie hystérique qui suinte des "cohortes étrangères qui feraient la loi dans nos foyers" (couplet III).
On garde la musique de fanfare qui motive le footballeur. Mais on supprime toutes ces vilaines rimes de chanson nauséabonde. En attendant que Jean-Loup Dabadie se colle à l'établi, qu'il soigne La Marseillaise de son malaise, je préconise un silence recueilli des ministres de la patrie.

Un petit chef de bataille

La cravate politique est bleue comme la colère du peuple. Bleue roi comme un désarroi. Valls exhibe son accessoire textile, bleu de Prusse, comme un message codé de média de masse.
Il est taillé dans le marbre du musée Grévin. Sa statue est équidistante de la Tour Eiffel et de Claire Chazal. Valls valsifie les chiffres, versifie l'économie. Il a le ton volontaire d'un menton de militaire.
Il grogne qu'il est patriote. Il crie très haut son amour du pays, son amour du drapeau. Il fait sa prière avant de se coucher devant la chancelière.
Il fronce la tête, raccord avec les nuages de la dette. La solennité conforte son statut de sommité. Il se hausse du col à mesure que sa cote dégringole. Il est de droite dans ses bottes. C'est la politique de la volte-Valls. Il se momifie sous les sunlights, surjoue l'autorité d'un petit chef de bataille.    

dimanche 11 mai 2014

La soubrette d'Auxillac

Derrière le texte, au bout du contexte, il y a Céleste. Proust est encabané dans une volonté surannée. Il est possédé par la nuit, le ressenti d'un style. Il n'appartient qu'au petit matin.
Marcel commande. Céleste gouverne. Le prince décati et la fée du logis s'aiment à la folie. La gracieuse domestique trimbale un très sérieux loustic.
Proust se nourrit de peu, de réminiscences et d'adieux répétés, d'essence de café. Il observe de son lit le monde de l'oubli. Une blessure sans imaginaire crée un malade pulmonaire.
Le petit Marcel use d'un charme oriental. Il bâtit une cathédrale avec des violettes de Parme. Il trace les lignes d'un corps comme on jette un sort. La soubrette d'Auxillac s'abandonne au doux maniaque, veille à ses caprices d'esthète.
Monsieur Proust est la bouleversante confession d'une camériste d'artiste. Ce récit d'une passion est splendidement rédigé par le normalien collaborationniste Georges Belmont.

vendredi 9 mai 2014

Admirable

J'ai l'impression que j'ai besoin de relire indéfiniment Proust et Flaubert jusqu'à l'impossible achèvement  de mes éblouissements. Mais Marcel est l'aîné, Gustave le cadet.
Admirable est le seul mot qui convienne pour définir l'art de Proust. Il désigne autant sa vie d'incarcéré que son genre de beauté. Dans le recueil de souvenirs de la gracile Céleste, Proust ne trouve pas d'autres syllabes pour évoquer une mère pleine de grâce.
Je sors de Flaubert comme des Baumettes. Je cherche un toit, un métier, un repère dans la société. Je saigne et je songe à Montaigne. Mais le gentilhomme m'effraie comme n'importe quel inconnu dans la rue.
Je me fourre dans Proust. J'empoigne sa phrase comme la texture d'une jupe. Il apprivoise ma liberté. Il civilise ma sauvagerie. Je suis prisonnier d'un paradis où les pommiers sont des alphabets.

jeudi 8 mai 2014

Un laboureur

Morand se lit dans l'ennui car il agite sa phrase plus qu'il ne fouette une braise. L'Helvétie lui dicte un souci de superficie.
En revanche, j'aime quand il cingle l'écrivain du dimanche. Gifle Malraux d'un mot, rosse Green et Mauriac. Il hausse le ton, le menton. Il cause de bonnes choses. Ose Bernanos, mendie Mandiargues, se toque de Frank.

Céleste ne quitte pas Monsieur des yeux. Madame, il l'appelle comme ça, parce que "Céleste, il ne pourrait pas". Proust n'a pas choisi sa route. Il est suiviste, fataliste, artiste.
Il est difficile comme un fils. Il écoute son corps mais il ignore l'aurore. Il se réveille au crépuscule. Il consulte un docte comme ses notes. Bize en bon toubib se risque au diagnostic d'un prince paysan. "Vous travaillez de force comme un laboureur !".

mercredi 7 mai 2014

L'InContinent

Le Vieux Continent se mue en vieil incontinent. Il ne peut se retenir d'élargir son empire élastique. L'Europe dégringole sur un modèle d'auberge espagnole.
L'Europe est née des horreurs d'un Führer et de la terreur d'un rêve partageur. On se rabiboche avec le Boche. On enterre la hache de guerre, on ouvre les frontières.
Plus jamais la saignée des tranchées. Plus jamais la fureur d'un Kaiser. Sur la table rase de la dernière grande ratonnade mondiale, les esprits déliés inventèrent une fraternité des nationalités. Ne plus faire qu'un en territoire européen. S'interdire la guerre par ambition d'être prospère.
Primat de la Ceca. On resta dans la mentalité canon à vouloir construire l'amitié par l'acier. Nous autres grognards, vieux du Continent, désarmèrent nos arrière-pensées de livres d'histoire. Même si paisiblement, sous pavillon Otan, nous bombardâmes Belgrade, il y a quinze ans.
On ne se querellera pas pour une frontière ou un bornage de terre. On guerroie pour des marchés. Nous heurtons nos nations pour des picaillons. Nous sommes ennemis par l'économie.
Nos nations exercent une guerre de positions sur le champ de bataille d'une mondialisation. L'ego prévaut en zone euro. L'économisme dérive en nationalisme. On ne mitraille plus la bleusaille. Les travailleurs licenciés se substituent aux gueules cassées. Ils tombent sous les balles de la concurrence.
La compétitivité allemande détruit nos emplois comme hier la grosse Bertha nos plus fiers soldats.
L'Amérique et le Qatar s'octroient nos patrimoines ringards. On taxe l'audace. La jeunesse fuit vers l'Asie ou la Californie. L'Europe coince, fait province. Hollande, notre débonnaire pépère, cache un déficit visionnaire derrière ses pactes de petit chef de bande.
La vieille Europe fait son âge, s'agrège par manque de courage. Pas de capitaine, pas de cap pour l'incontinente Europe, faubourg d'Amérique et périphérie de l'Asie. La crise ukrainienne révèle l'impéritie européenne. L'Europe barbote dans une mer morte comme un canard sans tête qui bat des ailes de manière mécanique.
De Gaulle privilégiait un vigilant pragmatisme au détriment du bêlant européisme. A Londres, il parlait d'avenir, d'hier et d'aujourd'hui: "La France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts".


mardi 6 mai 2014

Marcel et Gustave

Début de printemps 1922. Ses doigts exécutent une dernière danse. Dans la nuit, s'achève une frénésie de scribe. Marcel trace trois lettres: consonne, voyelle, consonne. Il a fini sa vie. A Céleste, il confie un sourire: "Maintenant, je peux mourir". Il traînera jusqu'en novembre.
Mai 1880. A Du Camp, son compagnon d'Orient, Gustave griffonne un soulagement: "J'ai à peu près terminé mon livre; ce qui me reste est peu de chose". Il périt le huit dans le travail accompli d'un dernier manuscrit.
L'un et l'autre, à la peine, se cramponnaient à la beauté comme à un ballon d'oxygène.

lundi 5 mai 2014

La parole intérieure

Avenue Rapp, le soleil ruse, séditieux comme un pape, parmi les promeneurs d'Emmaüs. On s'attable, pose les coudes sur la nappe. On se requinque au champagne orangé.
J'observe la parole intérieure d'une liqueur. L'été est d'éternité brève. J'aime mai pour cause d'incivil avril. Une flaque de poivre encercle l'insulaire barbaque.
L'ombre s'allonge comme le linceul d'une tombe. Dieu change de lieu."Reste avec nous; le soir approche". Luc évangélise à pic.

samedi 3 mai 2014

Elisa Schlesinger

J'approche du rivage. Je fais la planche. Je ralentis la cadence. J'ai peur de toucher le plot du dernier mot. Si d'aventure la possibilité m'en était donnée, je rebrousserais chemin volontiers.
Je dérive à une poignée de pages de l'accostage. J'ai parcouru cinq tomes de Pléiade sans jamais violenter la majesté d'une allure gourmande.
J'ai lu l'oeuvre complète en parallèle des miraculeuses lettres. J'ai situé ma connaissance dans l'ordre des naissances. La beauté Flaubert m'est révélée dans sa nécessaire continuité.
Des sublimes écrits de jeunesse à l'ultime bouquin sur la bêtise. Je reviendrai sur Novembre et Mémoires d'un fou. A cause d'un souvenir tabou. Par amour d'Elisa Schlesinger.
Ses manuscrits sont des cadavres, au style planté dans le mille, des proies maculées de traces de doigts. Madame Bovary, Salammbô, L'Education Sentimentale, La Légende de Saint Antoine, Un Coeur Simple, Saint Julien l'Hospitalier, Hérodias, Bouvard et Pécuchet. Marmaille d'un même sang.
Flaubert guerroie contre le bourgeois. Se lasse de sa lancinante bassesse. Il souffre, il souffle. Appareille dare-dare pour les fureurs de l'Antiquité barbare. Flaubert alterne roman de son temps et peplum de dépaysement. Question d'hygiène.
Ce drôle de zèbre écrit dans le marbre. La phrase de Flaubert diffracte une beauté d'apparat qui n'a pas bougé d'un iota.






jeudi 1 mai 2014

Les joues rouges

Inspecteur honoraire des chemins de fer. J'examine la calligraphie de l'enveloppe jaunie. Paul s'adresse à Maurice, mon grand-père. J'ai son âge et la guerre fait rage.
Je le vois, treize ans plus tard, dans son lit d'agonie, rue de Logelbach. Le drap découvre la diagonale de son corps. J'observe les fesses rouges. La lumière colle aux yeux comme l'ardeur d'un feu.
Je revois Maman, chambre trois cent vingt-cinq, les joues empourprées, colorées d'une même fièvre coquelicot. Ma vie s'insère entre deux figures d'enfer.

mardi 29 avril 2014

Pauvre type

Je suis vide. Vide de mes vanités. La chute de Maman m'a déséquilibré. Je perds mes repères. Je bute sur un chemin de terre.
On dépeuple les tiroirs. On déracine les objets. On rafle une communauté de bibelots et petits mots. On dénude un secret. On déterre la poussière des étagères. On étale le linge d'une malle.
On gomme la vie d'une femme, en deux temps trois mouvements. On déficèle les liasses. On jette comme on crache. On ligote les poubelles.
Je suis vide. Je suis vieux d'avoir vidé les lieux. Rage du saccage. Hystérie de la déchetterie. Mécanique d'une tuerie. On fracture une serrure. On brutalise une mémoire. On fesse l'espace. On dépèce jusqu'à l'os. On s'anime vers l'abîme.
Je songe au Julien de Flaubert, d'avant la sainteté et l'hospitalité dernière. Maman morte me donne la certitude d'être un pauvre type. Son fétiche se décompose, s'étiole parmi les roses.

jeudi 24 avril 2014

Mariage pour tous, mariage au large

Nos lentes contrées se sentent d'humeur galante. Sous leurs ciels de grisaille, elles songent aux épousailles. Le mariage pour tous tenaille jusqu'aux régions les plus moroses.
L'Auvergne volcanique s'enflamme pour la Bretagne celtique. La Franche-Comté de Courbet courtise Midi-Pyrénées. Le Centre fait tapisserie. La Normandie s'enhardit jusqu'en Picardie.
L'Aquitaine sans merci veut l'Alsace-Lorraine manu militari. On fête les eaux mêlées de Garonne et du Rhin. Le Limousin de Poulidor lorgne sa cousine d'Ile de France qui vaut de l'or. Le Nord ne va pas caler: il se fiance avec Provence-Alpes-Côte d'Azur. La Corse éconduite noie son chagrin dans la Champagne.
Les régions de France s'apprivoisent avec prudence. Elles fréquentent des gars qui ne sont pas du canton. Les régions rougissent la carte de leur timidité. Leurs noces cabossent le territoire, désossent le partage des terroirs. Un nouveau récit redessine la géographie.
L'époque exhorte à la mobilité sentimentale. Elle disqualifie la querelle de bornage. On se bécote par dessus les clôtures. On détricote le pays. Le mariage pour tous s'entend au large.


mardi 22 avril 2014

La diagonale des éclats

L'ombre muette squatte un mur blême. Dessine un carreau que la lumière colorie. Le soleil mord le papillon de Lanskoy. Le bleu du ciel calme l'ardeur d'un courriel.
Les livres brillent comme les verres décatis d'une déchetterie. Le matin hisse son drap dans la diagonale des éclats.
Je me demande pourquoi Chardonne aime autant Mandiargues. Rien de sosie dans leur style de fantaisie.

Cinq cent pages

J'avais besoin d'un coup de main. Flaubert m'accueille en son dernier missel. Son aventure épistolaire capotera dans cinq cent pages.
Je me cramponne au bastingage. J'empoigne le parapet de ses bavardages. Je suis emmailloté d'une bouée. Je suivrai le fleuve jusqu'à sa lettre à Tourguéniev. Le Russe est son terminus.
Après quoi, l'écho d'une sonnerie. Après la vie, le vide. Il aurait péri au milieu de ses manuscrits.

lundi 21 avril 2014

Grolle-Emploi

Aquilino est un caillou dans la chaussure des figures exemplaires. Le socialisme fétichiste se fiche comme d'une guigne d'un peuple chiche.
A toutes largesses, Aquilino acquiesce. Le luxe impressionne les sots. Aquilino s'entiche de bottines Berluti. L'homme de la rue a la berlue. Un larbin du palais époussète en valet ses précieux escarpins, vernit en catimini les baskets alignés du conseiller. L'Elysée est dans ses petits souliers. Une secrétaire d'Etat est dans le cirage.
Aquilino remballe ses godillots. Il range ses plats discours de quinquennat. Le Château tourne le dos à l'aigle de mots. Aquili-mots se fait la malle. "Courage, Vuitton !". Le frotteur de cuir est prié de s'inscrire à Grolle-Emploi.

vendredi 18 avril 2014

L'oeil blanc

Je savais où fuir. J'étais du coin. J'étais juge du refuge. Même pas peur de mon sort, sans rien pressentir d'une mort.
J'ai commencé ma vieillesse par le commencement d'une détresse. M'effare son oeil blanc comme un regard de départ, qui n'est plus comme avant.
Je me fourrais dans ses bras comme dans l'oubli de soi. De ce bouquet de doigts, j'en détenais seul la foi. "Je m'ennuie partout". Je raidis ma songerie. Je fais semblant d'être bruyant, vivant, même modérément.
Je vide un coffre de ses photographies. Je déblaie, je trie parmi les fantaisies d'une imagerie. Je m'abîme à d'illusoires épiphanies.

Mon poignet

18-14, c'est la durée de sa guerre. Une guerre de cent ans. Mon poignet me démange, matin et soir, à l'heure fixée de nos paroles croisées. Nous causions du temps, du jour et de la nuit, des douleurs du corps. Nous causions de petites choses, de bonheur et de rien.
L'évocation est une suffocation. Une pluie de souvenirs m'asphyxie. Je suis saisi du côté de la gorge. Je sacrifie au rite des effigies, à la cérémonie des photographies. Je regarde la mort dans un album. Je serre le bouquin de Barthes. "J'affronte la longue série des temps sans elle".

mercredi 16 avril 2014

Monsieur le Préfet

Les rayons d'Orient me chatouillent gentiment le cou. Je m'aventure sur la pointe des yeux dans le deuxième conte du grand Gustave.
Julien s'enivre de sang, exhorte les chiens à déchiqueter les bêtes. Une rage de carnage anime son jeune âge. Flaubert ébauche un homme de terreur qui tuerait père et mère.
Je souffle un peu. La beauté exige de s'arrêter. La beauté, Flaubert comprend peu qu'elle soit absente en totalité d'une pensée d'épicier.
Flaubert est toujours en pétard contre un bourgeois sans foi, insensible à l'émoi. Il est en rogne contre des trognes sans vergogne. Il se mure dans Bouvard, tout habillé dans son bêtisier. Il n'écrira ni La bataille des Thermopyles, ni Monsieur le Préfet.

mardi 15 avril 2014

Le coaching du soleil

J'hésite à dessiner des lettres. Mes voyelles font des taches sur la nappe. Mon doigt glisse sur la page. Il s'affaisse sur le papier glacé.
Je suis boxeur de second ordre, tassé dans les cordes. Je suis sonné d'uppercuts. Le soleil chauffe ma nuque. Je sens ma peau, pas mes mots. J'éparpille mes vertiges.
L'ombre et la lumière sont les écritures que je préfère. Le coaching du soleil ne me dit rien qui vaille. Je m'emberlificote dans un coin du ring. Je suis secoué de brutalités de gendarme.

samedi 12 avril 2014

Nous nous reverrons



Nous étions trois hommes. Elle était Notre Dame, grande dame. Elle s’inquiétait du sort de chacun.
Maman se tord dans l’espace. Elle s’est fracassée la face sur la table en bois. Elle sommeille les joues ensoleillées sur son dernier oreiller. Je touche ses doigts qui pressent ma paume. « Je vous téléphonerai en arrivant ». Ma phrase est sans usage. Je n’arriverai plus jamais. Il est trop tard. Maman est morte le lendemain de la Saint Jean Baptiste. Saint Jean Baptiste, précurseur de Jésus-Christ.
J’ai du temps à perdre. Je chemine dans le vieux Poitiers. Je tue le temps avant de blablater à la faculté. Mes yeux s’arrêtent à la devanture d’une échoppe. Le libraire exhibe un ouvrage de Pierre Loti. Je lis derrière la vitre les derniers mots d’un fils à sa mère : « Tu y crois, toi, n’est ce pas ? que nous nous reverrons ? ». C’est la question des questions.

Tertu. Elle s’est nourrie des variations du ciel et des loopings des premières hirondelles. Elle a tant regardé la couleur des fleurs, tant veillé à la soif de la terre.
Elle vouvoyait son chien avec une simplicité de reine. Tertu : elle repeignit sa première lettre, gomma le « t », lui préféra Vertu. Maman séjourna à Vertu, naturellement chez elle. Vertu sans bondieuseries ou moralisme de pacotille. Non, vertu au sens latin, romain, c’est à dire courage. Maman déploya l’énergie d’une mère courage. Courbée sur sa canne, elle allait en première ligne sous la mitraille de l’âge. Jamais, elle ne recula ni ne déserta son destin.
Au plus près de sa mort, vers les derniers de ses vieux jours, elle nous a converti à sa religion du courage. J’ai succombé à sa douce ténacité. Contre vents et marées, elle a résisté aux tourments du grand âge. Notre Dame était une soldate de Dieu. Une merveilleuse soldate.

Il faudra vivre les jours d’après. J’écris. Je n’arrive pas à dénouer mon écriture. C’est l’heure précise de ma sonnerie du matin où vite elle se saisirait du combiné les doigts collants de miel.
Maman était la survivante d’un jeu de massacre. Elle ne pliait pas, seule avec sa mémoire longue et son amour inépuisable de vieille dame parcheminée. Elle était Notre Dame.
Elle a pressenti l’ennemi, sa manœuvre d’approche. Quand l’aîné des ses frères percuta de la tôle. Quand Papa s’absenta pour quinze années sans mémoire. Quand Jean, le cadet, s’en alla au terme d’une longue marche. Quand Papa baissa la nuque, acquiescement à l’heure dite. Quand sa petite sœur Myriam rendit son âme en bon ordre. Quand Jo lâcha la dernière main secourable.
Nièces et neveux l’appelèrent de son vrai nom : Tita. Tita comme le tictac de son cœur.
Tita, petite tante, était un mot d’enfant qui désignait une infinie tendresse, un regard si bleu de compassion. Elle savait l’amour plus fort que la mort. Elle ne vécut que de ça. Elle s’est jetée dans l’amour, la tête haute.
Maman était ce qu’on nommait jadis une femme de devoir. Et son devoir sur Terre, c’était l’amour. Sa raison d’être, son premier et dernier souffle.
Elle a rejoint la maison du Père. Mais sa maison était déjà la maison du Bon Dieu. Elle nous accueillait avec tant d’attention, avec tant d’affection
Maman consacra sa vie aux seuls témoignages, preuves et actes d’amour.
Femme de foi, d’autrefois. Femme de foi, si peu de loi et de mesure, démesurément aimante. Femme de foi et de folle énergie qui savait compatir au chagrin des plus meurtris.

Maternelle, elle me donna sa langue. La langue d’une mère. Ce murmure intérieur court dans mes veines jusqu’à mon dernier bonsoir.
Sa frêle vaillance défendait le dernier point haut d’une génération. Ses yeux de la couleur du ciel s’étaient ouverts rue de Logelbach, à côté du Parc Monceau, il y a presque un siècle, au sortir d’une très grande guerre. Elle vénéra son père, garda toujours dans le regard le pétillement d’un jour d’éblouissement, la joie d’un Paris libéré.
Son père et La Libération étaient deux soleils secrets. Maman nous quitta un jour pour veiller sa mère, s’agenouiller à son chevet. C’était l’été du premier homme sur la lune. Nous regardions la Méditerranée. On voyait les étoiles. Papa nous prêta ses jumelles. Maman est revenue qui n’avait rien vu.

L’excès de vie l’a tuée. Elle savait bien que Dieu est nul en calcul. Maman ne comptait pas. Puisqu’elle aimait.
Maman nous a faussé compagnie, cette même compagnie des amis qu’elle appréciait tant. La solitude lui pesait davantage avec l’âge.
Elle était née le 20 juin, Papa le 20 mars. L’été s’était fiancé avec le printemps. Elle aimait la lumière, les couleurs, la gaieté autour d’elle. Son bonheur était d’avoir « tout son petit monde, autour d’elle ».

Plusieurs fois blessée, tombant, vacillant, claudiquant. A chaque fois, elle s’était relevée, pleine d’espoir et de projets. Maman était la grand-mère de substitution de tant d’enfants, une sorte de bonne maman orangeade, attentionnée à tous. Elle distribuait sa bonté comme on découpe le gâteau du goûter. A chacun sa part d’égard, son quignon de considération.
Maman a tout donné, a tout abandonné avec une générosité sans pareille. Elle n’avait plus de force parce qu’elle nous l’avait communiquée, jour après jour, jusqu’à son dernier baiser.

« Aujourd’hui, Maman est morte. Ou peut-être hier. Je ne sais pas ». On dirait les premières phrases d’un roman absurde, d’un roman universel de prix Nobel, qu’on a lu comme ça sans y penser dans l’insouciance d’une jeunesse.
J’ouvre Albert Cohen. « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles ». Un fils ne veut pas de cette douleur-là. Jamais de la vie.
Maman était Notre Dame, grande dame. J’aurais voulu l’aimer, la chérir davantage. La secourir. La retenir doucement par le bras. J’aurais voulu que notre amour soit plus fort que la mort.
Je ne peux imaginer vivre sans vous. Vous nous protégiez des misères comme une mère seule sait faire.
Maman voulait être enterrée avec sa petite fille, la petite sœur de mon âge, morte au premier jour, sans prénom ni baptême. Elle voulait rejoindre Arielle, ma jumelle, et l’emmener au Ciel avec elle.
Il n’est de paradis que perdus, à la loterie de la vie.