mercredi 21 septembre 2022

L'art d'un dieu

Godard est mort. Dieu, la reine. Je ne me sens pas très bien. C’est un coup du sort qui déflore un visage de terreur, qui subtilise à nos regards une impeccable majesté, une manière sur la terre d’exalter la beauté. Godard nous laisse en rade, nous abandonne aux mascarades de la crétinerie, aux torpeurs de la laideur. “Pierrot le fou” est une œuvre géniale, le rêve wagnérien d’un art total. L’art d’un dieu: peinture, musique, danse et poésie. Godard fait des poèmes avec des fenêtres dans le ciel, des découpages de la nature, des profils et des figures, des bribes somptueuses. Rimbaud, Nicolas de Staël étaient ses frères de grande querelle. Godard lègue un testament d’artiste diamantaire: “Soigne ta droite”. Fignole ton petit pan de légitimité jusqu’au bout. Le grand art est une boxe. Godard chiade les encoignures. Il a forgé l’outil d’ouvrier qui lui sied. Le cinéma, son dernier cri, à bout de souffle. Dans un film sur Sarajevo, il énonce tout de go son credo: “La culture, c’est la règle; l’art, c’est l’exception.” C’est ce quartier de soleil, ce fragment de splendeur qui se dérobe aujourd’hui. Je voudrais revoir “Week-end “, revoir la scène de la ferme où les paysans à fourches s’approchent du pianiste, sur la pointe des pieds. La beauté des films de Godard ne doit pas mourir, se détériorer dans de vagues archives. Au voisinage du maître helvète, on est sur le qui-vive, dans la fulgurance et le grand métier. Il n’y a qu’un seul métier: tous les autres sont des courbures d’imposteur. Godard chantait la sainteté du coquelicot. Il en restituait l’écho. “Le roi vient quand il veut “. Godard savait la remarque de Michon. La mort est une allégorie des beaux arts. Un de chute. Les temps se hâtent. Faute de vrais rois, on se satisfait de pâles denrées d’hérédité. Le roi d’Angleterre légitime n’est pas le petit Charles au teint rosé. Non, le seul roi d’Angleterre que je reconnaisse est Irlandais. C’est Samuel Beckett. Indiscutablement. Observez les photographies de sa belle tête, de sa longue silhouette. Tant que Beckett régnera, rien d’essentiel ne capitulera. Depuis les statues grecques du “Mépris “, Godard appartient à une lignée de rois, dotés du même regard loyal, situé de plain pied dans le sacré.