lundi 29 novembre 2010

Etrangères au rugby

La furia australienne n'a fait qu'une bouchée d'un Quinze de France égaré, d'une cohorte de premiers communiants éparpillés sur la pelouse, d'une bleusaille en culottes courtes infichue de faire front.
A droite, à gauche, au centre, sur les ailes, le bateau tricolore a fait eau de partout. Les vifs Wallabies alignaient les essais comme autant de bêtes à plumes à leur tableau de chasse. En deux temps, trois mouvements, dans une moitié d'heure, la brave équipe de Liévremont a été châtiée sans pitié.
Le public des gradins de Saint Denis écarquillait les yeux. Il criait son indignation. "Traille", lourd numéro dix, est alors affublé d'un patronyme à sens britannique dérisoire quand, chez les Bleus, il y a disette d'essais.
Au plus fort de cette mi-temps calamiteuse, la caméra de France 2 épingla deux supportrices à large sourire, mondainement désinvoltes, absentes au jeu, loin, très loin du drame national. La déroute tricolore semblait une affaire très étrangère à la ministre du Quai d'Orsay. Sa voisine des sports riait aux éclats. Les ministres d'en haut se souciaient comme d'une guigne du désarroi d'en bas. Cette félicité patricienne mesurait la distance entre les honneurs républicains et le labeur du terrain.
Ce samedi de froid novembre, le deuil de notre rugby interdisait à ces visages privilégiés de pétiller comme un champagne étoilé. Question de décence.

mercredi 24 novembre 2010

Le quinquennal chanoine

Il est peigné comme un fils. Il manie la bonne volonté comme un préjugé d'éducation, un devoir d'opiniâtreté. Il ennuie d'emblée, sans audace ni artifice. D'une voix atone, il s'applique dans un monde cantonal. Debout, le quinquennal chanoine récite le bénédicité, la litanie des flagellations de la nation. Le pays voudrait s'asseoir pour manger. Au bout d'une heure, il s'attable sans grand chose à se mettre sous la dent. L'homme de Matignon modère ses émotions, n'est pas peu fier de ses galons.

Vieillesse

La légèreté d'une fin d'été, l'apesanteur des dernières heures, la simple joie des jours, l'émerveillement d'un regard lent, la prière d'une vieillesse que rien ni Dieu ne presse.
C'est la liberté d'une femme de foi. Elle sourit à la vie. Les bonjours sont des fêtes de l'espoir. Dans sa nudité de peau, le temps déploie son torse. Il trimbale devant soi la vacuité d'un roi.

mardi 23 novembre 2010

Un drôle de zigomar

Julien Guiomar était un drôle de zigomar. A la Sainte Cécile, il a choisi l'exil. C'était un comédien au jeu piqueté de gourmandise, à l'oeil étoilé d'une suspecte folie. C'était aussi une trogne renfrognée, mal réveillée, une présence clandestine, un charme vénéneux, une gaieté ambigüe.
Il se prénommait Julien, presque Jules. Car il y avait du diable boîteux, du Jules Berry, dans la figure du trouble et facétieux Guiomar. C'était un acteur balafré d'humanité, exquisément secret.

jeudi 18 novembre 2010

Gregario de Sarko

Dans le Tour de France, les géants de la route ne sont pas égaux parmi le peloton des champions. Les gregarii, ces équipiers modèle, besognent à vélo pour la seule gloire du leader. Dans la formation Fillon, on note le débauchage des porte-paroles de chefs ennemis. François Baroin, longtemps voix de son maître Chirac, et Marie-Anne Montchamp, première attachée de presse de Villepin, ont changé de maillot. En langue cycliste, on traduit "gregario" par "porteur d'eau".
Le nouvel attelage Sarkozy/Fillon, redoutant d'avoir grand soif pour le restant de la course, a recruté de fringants livreurs de bidons, experts en bonne parole potable.

mardi 16 novembre 2010

Le marais

Le centre est un archipel d'îlots mal répertoriés sur la carte politique. Borloo, dindon de la récente farce élyséenne, souhaite fédérer ce territoire composite. A l'heure où l'Europe - son cheval de bataille favori - se délite dans les grandes largeurs, le centre éclaté rougit de son allure décousue, rêve d'une hypothétique unité. Les bons pasteurs, guides éclairés du centre, ne font pas défaut. Les chefs se bousculent. Manquent les petites mains. L'irraisonné Villepin lorgne sur l'électorat modéré. Morin, le bel insignifiant, règne sur un petit bout de centre. Bayrou l'opiniâtre s'est enlisé à cheval sur son Modem. Jadis, on parlait à juste titre de "marais" pour désigner le magma du centre.
A l'approche d'échéances décisives, Royal, Hollande et DSK ne seront pas nécessairement fâchés avec le centre. Ils tendront la main à un absent. Tous se figurent que le centre est partout. A moins qu'il ne soit nulle part. Sarkozy semble s'en être persuadé. Le centre est la voie de transit des suffrages volatiles. Petit affluent, il se mélange au grand fleuve, généralement la droite. A l'occasion, la gauche reçoit un peu d'eau. Pas beaucoup. La querelle de chiffonniers qu'il suscite ne devrait qu'un peu plus l'assécher.

Rougissure

Pénombre du souvenir, entre parquet de bois bruni, vigne vierge dentelée dont la rougissure étirée barre la trouée du jour. Ce bruit de lattes qui craquent embrouille la mémoire, hisse la marche d'escalier à mi-hauteur d'un vain bonheur. Lumière vermeille de jolie feuille, joue contre pierre, dans l'isolat splendide d'une vitre moqueuse.

lundi 15 novembre 2010

La cérémonie du remaniement

Ils se serrent la main sur le perron du palais. Ils ont topé comme deux maquignons à la foire de la nation. Ils sourient d'avoir réussi à s'accorder. L'émail des canines brille dans la pluie d'automne. Le remaniement commence par ce jeu de mains ostentatoires. Ils ont marchandé durant des semaines avant de mêler leurs doigts. Le quinquennal premier ministre ne lâche rien. La poignée de mains politique figure au rang des genres photographiques. Elle est figée dans un cliché.
On attend la liste des ministres comme le palmarès du festival de Cannes. La distribution des maroquins s'invite à l'heure de meilleure audience, en plein dîner, au milieu du Jité. Les chaumières sont réquisitionnées d'office, installées aux premières loges. Les chaînes d'information rivalisent d'ingéniosité pour peupler la longue attente, entre crissements de pneus et mouvements de grille clandestins. BFM TV s'illustre en révélant la composition du gouvernement avec une bonne heure d'avance. Les journalistes ont l'oeil luisant des soirs d'élections. Ils s'en donnent à coeur joie. Ils sont de mèche, partagent l'excitation du tandem du perron. C'est jour de fête pour les "professionnels de la profession", leur Noël des nouvelles. Le rideau se lève: en pleine lumière, le récitant à pommettes asiatiques ponctue la cérémonie du remaniement.

vendredi 12 novembre 2010

Houellebecq et Fillon

Ni Houellebecq, ni Fillon ne sont gais comme des pinsons. Le succès ne les grise que moyennement. Fillon sait la mélancolie du désoeuvrement. Houellebecq sent bien l'inanité de ses démangeaisons de bic. Fillon trouve le temps long. Il sera veilleur de nuit, gardien à vie de la maison Sarkozy. Houellebecq n'invente rien. Il tourne le dos à la joyeuse vitalité des mots.
Fillon use d'un style de premier communiant. Style est un grand mot. Il sifflote dans ses bottes. Il s'enquiquine en attendant que le quinquennat passe. Houellebecq, calfeutré dans sa pelure, a marabouté le comité de lecture. Littérature et politique sont en fin de cycle.

Pénélope

Borloo a sans doute eu la berlue. Il s'est imaginé grand vizir de Sarkozy. Or Fillon verrouillait de l'intérieur l'accès à Matignon. Sarkozy modifie la consigne. On rature la rupture. On continue dans le connu. Exit Borloo, ce zozo à bords flous. Mais Sarkozy pèche par manque d'audace.
Dans la famille Fillon, j'aurais choisi Pénélope. Remanié avec Pénélope aux manettes. A l'heure des embrassades franco-britanniques, la vaillante Galloise disposait d'atouts majeurs. A commencer par un talent supérieur à celui de son François pour "inaugurer les chrysanthèmes".
Renvoyé à ses chères études de Formule 1, François se serait coincé les vertèbres dans l'habitacle des bolides du Mans. Il aurait pu arpenter ses terres sarthoises, chasser la perdrix, claquer des cartouches derrière ses roux setters fous.
Non. Fillon est indéboulonnable. Il ne détellera qu'à 67 ans, l'âge de sa retraite pleine. Il lui faut du temps pour ne rien faire. Car, sous Sarkozy, on se la coule douce à Matignon. Et le job est correctement payé.

mercredi 10 novembre 2010

Croc-Matignon

C'était son heure. Il avait renoué avec son coiffeur. Il rêvait de multiplier les Grenelle.
Patatras ! Sarko l'abandonne en route à ses cauchemars de raffinerie. Sarko exploite le filon Fillon jusqu'à la corde. Borloo montre ses crocs. La menace du centre vient de l'ingratitude du ventre. Mais l'homme de croc-Matignon, le vrai, l'unique, c'est le notable de la Sarthe, le fêlon Fillon. Sarko a décidé de le remanier de l'intérieur, de lui apprendre à sourire en inaugurant les chrysanthèmes. Manque pas de souffle, le quinquennal Fillon.

lundi 8 novembre 2010

Pensum du Rhum

Barnum du Rhum. Des coques font des ronds dans l'infini. Les hommes du Rhum s'inventent des palmarès sur l'océan. Ce Dakar des eaux colonise la vaste nature pour ses jeux de hiérarchie. Au classement des éclaboussures, l'argent roi gonfle les voiles.
Bravoure et baroud d'honneur font gentiment rêver les fonctionnaires de la terre. L'empoignade des hommes à dossard élargit encore davantage l'homérique "sourire innombrable" des eaux. L'Atlantique se fend la gueule. Le pensum du Rhum prend fin dans un délire de petits fanions et de vin pétillant.

Aujourd'hui à midi

Temps de novembre. La pluie égratigne. On dérive sur l'asphalte dans un monde noir et blanc. On évoque la mort de De Gaulle. C'est son heure publicitaire. Nul ne songe à écailler sa mémoire. La grisaille est hissée sur les murs de Paris, manière de se recueillir aux couleurs de Colombey.
Je suis dans mon élément. Je grogne à la première approximation du premier expert en grand Charles venu. Oui, de Gaulle affectionnait les référendums, soucieux du peuple et de sa légitimité. Le ratage du dernier n'entama pas sa bonne humeur. Il sifflotait dès le lendemain nous instruit son aide de camp. J'enrage à voir mon "Sur les épaules de De Gaulle", interdit de publication.
Je voudrais qu'on sache que le génial général était un artiste monstre. La manière dont le grand homme congédie le président est sublime. L'adieu politique est irrévocable, pareil à la prise d'habit religieux: "Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi". Facile à retenir, simple comme bonjour.

jeudi 4 novembre 2010

Election, contrition

Obama se repent. Battu aux élections, il fait acte de contrition. L'Amérique est une nation religieuse où bondieuseries et communication s'entendent comme larrons en foire. Obama pratique un mea culpa de bon aloi.
La repentance s'apparente à une sorte de droit à l'erreur revendiqué. L'imploration du pardon du peuple évoque aussi la relation de clientèle, l'exigence de service du monde marchand.
En chef d'entreprise responsable, Obama se soumet au verdict d'une demande insatisfaite. Au vu des retours et des invendus, il modifie son offre. Bref, le président américain mélange deux genres solidement enracinés dans la culture nationale - le religieux et le commercial - pour mieux sauver sa face politique.
En d'autres temps, les leaders du monde se seraient refusés à pareil mea culpa pour mieux fustiger l'électeur ingrat. On prête à de Gaulle le mot de "veaux" pour désigner ses compatriotes. Le même chef d'Etat, désavoué par référendum, n'hésita pas une seule seconde à prendre ses cliques et ses claques.

mardi 2 novembre 2010

Incarnat

Noirceur de Toussaint. Journée ténébreuse où la mélancolie se lit dans les yeux de Dieu. Sauf la lumière, par saccades, qui désaltère la terre. Les pommiers rougeoient dans l'aurore. Leur chevelure fauve rayonne d'un muet soleil.
C'est ce rouge de vigne vierge qui donne au paysage d'automne son intensité de feu, cette vibration heureuse. En pleine joie, l'incarnat du feuillage chasse les vieux jaunes délavés du matin, mauvais brouillard d'impiété.