lundi 31 janvier 2011

Le calcul Chatel

Le ministre Chatel n'en démord pas. Il veut réhabiliter le calcul mental, doper la capacité des écoliers à compter de tête. Le ministre Chatel s'attelle à la table de multiplication car la France figure en queue de peloton des nations en matière scientifique. Les sciences exactes pénètrent mal dans la dure caboche des élèves d'aujourd'hui. Finies à l'avenir les médailles Field qui faisaient la fierté du pays. Les mathématiques dépérissent au fond de la classe à côté du radiateur.
Reste que le ministre Chatel confond le calcul mental et l'apprentissage du raisonnement mathématique. Le comptage de tête est à l'analyse mathématique ce que la récitation est à la composition française: un banal exercice de mémoire. Jamais le travail de la raison.

La police égyptienne

L'insurrection égyptienne nous renseigne sur l'utilité sociale de la police. Durant le dernier week-end, les fonctionnaires de sécurité ont déserté leur mission. Aussitôt, illico presto, les pillards s'en sont donnés à coeur joie. Ils ont dévalisé les échoppes. A vrai dire, les polices du monde entier sont désarmées devant le grand banditisme. Elles pèsent peu devant les gangsters de métier. Elles ne conduisent jamais les malfrats professionnels à renoncer à leur criminelle vocation.
En revanche, elles dissuadent les honnêtes gens de passer à l'acte, de basculer dans l'illégalité et de s'improviser voleur par peur des représailles. Autrement dit, la police d'Egypte ou d'ailleurs n'a d'autre efficacité que d'empêcher les braves pères de famille de pratiquer le vol à l'étalage. Pas davantage.

Nathalie Baye

Loin de la gaudriole obligatoire, France 2 débarrassée des diktats publicitaires risque un subtil polar de dimanche soir. "Le Petit Lieutenant" tient lieu d'exemplarité, de brevet de service public. Nathalie Baye émeut par son jeu. Au milieu des gars de commissariat, où se ravive le quotidien d'internat, elle prête au film sa pâleur beige, son teint de plâtre, entre lenteurs et hâtes du métier de flic. Nathalie Baye, femme banale, l'autre manière d'être fatale, trimbale sa beauté naturelle au voisinage du drame de la plus simple humanité. Mieux que Girardot ou Signoret à leur époque, plus juste dans son intériorité inquiète ou ses élans d'énergie muette, Nathalie Baye impose ses frêles épaules de policière, la dense mélancolie d'un regard égaré, l'instinctive ténacité d'une femme brisée.
Avant d'évoquer les dieux, de raconter les hommes, Xavier Beauvois dessina le visage défait d'une femme qui fume, d'une femme flic alcoolique qui longe la vie, entre le sang des carrelages et la bordure d'une plage.

Les Experts squattent Drucker

Dimanche, sous le coup de cinq heures, les Experts ont squatté l'espace pépère de Drucker. Pas la série américaine, l'équipe reine d'Onesta. Je rassemble mes souvenirs de préau: le hand était alors un sport de fillettes dans les cours de récréation. On se cognait davantage au rugby. Le Chabal du hand s'appelle Karabatic. Il a crevé l'écran, transpercé les filets de Landin, le portier danois. Finale de feu entre les démons blonds du Nord et les génies bruns du Sud.
Omeyer, le gardien tricolore, champion de l'histoire, est réduit à l'état de passoire. Les gros bras à joue rose lui en font voir de toutes les couleurs. Il agite les bras, les jambes, gesticule dans le vide comme un pantin désarticulé. Or Omeyer en sauveur garde le meilleur pour la fin. A bout portant, il fiche son bras sur la trajectoire d'une balle fatale. Sur son aile, Abalo s'envole dans les airs. La solidarité de sueur est la marque de fabrique des Experts. Aux derniers Mondiaux de foot, les nôtres avaient joué comme des pieds. A Malmö, l'humble et brillante formation française s'illustre au bras de fer. Le hand administre une leçon au foot. La télévision publique a sacrifié son gendre idéal vieillissant pour la jeunesse explosive du vaillant Karabatic. Allocation heureuse de l'argent de la redevance.

vendredi 28 janvier 2011

Conflits d'intérêts

Copé ne verrait pas d'un mauvais oeil l'échec de Sarkozy en 2012. Il lorgne en effet l'Elysée en 2017. Il y a là conflit d'intérêts entre court et long terme politiques. Les socialistes, candidats en nombre à des primaires maison, ne soutiendront que du bout des lèvres l'heureux élu du scrutin. A nouveau, on se heurte à des conflits d'intérêts entre ego rivaux. Au premier tour de la présidentielle, Mélenchon va grignoter des voix au parti socialiste, au bénéfice d'un Front National en position de se qualifier pour la finale. Cas d'école d'un conflit d'intérêts entre une candidature en porte à faux et ses effets paradoxaux.
Le centre, bateau ivre de Borloo ou nom codé du Béarn, a le chic de ne modérer ni les conflits ni les intérêts. Le calcul y tient lieu d'éthique. Le centre, région plate de l'échiquier politique, est une contrée fleurie d'arrière-pensées. A côté, pas loin sur la carte, on localise assez confusément le territoire des Verts, population en perpétuel conflit avec la terre entière, qui bataille fiévreusement contre ses intérêts.
Bref, il était temps que le bon M. Sauvé remette un rapport circonstancié au locataire de l'Elysée visant à dissuader pareils tiraillements des consciences.

jeudi 27 janvier 2011

Un crime de société

L'euthanasie touche à la solitude de la mort. Elle dénature le propre de l'homme. Car elle introduit la décision d'autrui à l'instant où la vie s'abîme dans la douleur. Elle lui confie la responsabilité d'en finir avec elle, lui donne la clé du geste fatal.
Autrement dit, l'euthanasie collégialise la mort. La solidarité sociale se substitue au cheminement intérieur de la conscience, au corps à corps avec la mort. Les maladies neurodégénératives volent aux patients leur mémoire. L'euthanasie va plus loin: elle leur subtilise leur dernier mano a mano avec la mort. C'est un suicide sur commande, accompli par un "nègre" du trépas, un intermédiaire de décès. La mort assistée est un crime de société .

mercredi 26 janvier 2011

Dégage

"Moubarak, dégage", après "Ben Ali, dégage". Slogans de campagne populaire. Le peuple d'Egypte manifeste sa colère de manière lapidaire. "Dégage" est le point sur l'i d'insurrection. Le verbe est impérieux. Il signifie que la destitution du despote est la condition préalable à la liberté, à la parole retrouvée.
Dans notre démocratie décatie, Mélenchon a ressenti lui aussi l'envie de pareille table rase, d'en découdre avec les princes illégitimes. "Qu'ils s'en aillent tous" fulmine le grognon tribun. Que les usurpateurs débarrassent le plancher, que les Trabelsi du pays déguerpissent.
Il arrive que les mots révèlent leur pauvreté, témoignent de leur insuffisance, n'exprime que leur limite. Car les paroles sont trouées. Elles échouent à peser sur la réalité. Elles ne distribuent ni pain, ni liberté. "Dégage" traduit au plus bref le reproche adressé aux stériles discoureurs: "Assez de paroles, des actes !".
Après la Tunisie, l'Egypte veut "changer la vie", aspire au rimbaldien dans le quotidien. Moubarak n'est plus qu'un ballon de chiffon que le peuple joueur, gardien de but d'Egypte, expédie dans les tribunes. Il appartient à l'équipe des rives du Nil de se qualifier pour la démocratie.

lundi 24 janvier 2011

Pas touche à Destouches

L'Etat se retrouve dans de beaux draps. L'Etat moral cède à la tentation d'exister. Il cloue Céline au pilori, jette sa mémoire à la vindicte populaire. Le brigadier Destouches est interdit de cérémonie. Bien fait pour la mauvaise fée ! Et libre au ministre des artistes de prendre peur au voisinage d'un des plus grands ! Céline se fiche comme d'une guigne de pareil Barnum. Il ne se soucie que de la confrérie des génies: l'imprimatur de Gaston pour l'édition en Pléiade. Il la rate d'un rien de son vivant. Céline en mourra de chagrin.
L'Etat célèbre à qui mieux mieux, commémore à tort et à travers. L'Etat distribue en assignats ses prix de moralité et ses tableaux d'honneur. L'Etat couard est ignare, ingrat, myope comme une taupe. Céline ne prise guère ce genre de sauteries. Sa religion de poésie le lui interdit. Il s'invita à d'autres féeries.
Louis-Ferdinand Céline est un artiste exemplaire. Tout au long de sa chienne de vie, il n'a cessé d'honorer sa patrie. Céline, lui, savait célébrer ! Il respecta la langue de sa mère comme peu de fils osèrent. L'ermite de Meudon savait jouer du clairon. Céline aimait follement la langue française. D’où quand il en parlait les coups de gueule affectueux : « Que foutus baragouins tout autour ! ». Qui mieux que lui n'a plus délicatement baisé le front manuscrit de sa noble mère ?
Aux adorateurs officiels des bonnes réputations, il administre sa leçon personnelle de célébration mémorielle. Point final.
Céline repose en majesté dans son oeuvre. C'est un artiste monstre et une ordure majuscule. Salaud comme Dostoïevski, indigne comme Rousseau, abject comme Genet. Pas nobélisable pour un sou. Céline n'est pas Le Clézio. C'est un homme de bons sentiments mal vendus. Au point qu'on oublie le cri de Bardamu tout au long du "Voyage au bout de la nuit". Céline a souffert des ragots des jaloux et du ressentiment des bien-pensants. Car nul n'écrivit réquisitoire plus impitoyable contre la boucherie militaire et la chiennerie guerrière. La longue plainte de Bardamu court désormais les rues, n'a plus jamais cessé de scander sa beauté. Mais Céline n'a pas droit à la tendre humanité du soldat.
Son oeuvre est éclatée comme son identité, à rayonnement diffracté. Ses vomissures de salaud ne peuvent entacher la somptuosité de sa prose. C'est en ascète impeccable de la phrase musicale qu'il hérite du gueuloir de Flaubert. Correct à l'excès dans sa sobriété de vie: ni alcool, ni bagnole. Céline enseigne la frugalité et la splendeur des mots. L'Etat copain y perd alors son latin. Mais les amateurs de chair textuelle fraîche y puisent le goût, voire même quelques raisons de vivre. Pas touche à Destouches. Céline se sait trop raffiné pour les prescripteurs de haute moralité. Son anti-bourgeoisisme viscéral - plus que son antisémitisme maladif - heurte de front l'autorité des pouvoirs publics. C'est pourquoi l'Etat bourgeois a honte de Céline, roi de littérature pour encore quelques siècles.





mercredi 19 janvier 2011

La pichenette du destin

L'insurrection de Tunisie a pris de court les experts en colère populaire. Le sacrifice d'un homme a suffi à ébranler le régime d'un autre âge du dictateur de Carthage. Pareils événements s'apparentent au "périlleux enchaînement des choses", titre du dernier film d'Antonioni. Au-delà du questionnement de l'art, il exprime un devenir en chantier, témoigne de la création historique.
Car la loi des accidents gouverne le destin des hommes. Le récit des peuples n'obéit qu'à la règle des circonstances. A peu de choses près, l'embrasement tunisien démarre comme s'amorce "L'homme sans qualité" de Musil. A partir d'une anecdote, d'un fait divers: la mort volontaire d'un homme.
S'ensuit un déroulé des effets qui paraissent hors de cause. La logique du déterminisme est déjouée. L'anodin devient énorme, déborde la norme. Une chiquenaude précipite les commencements, ensemence leur champ de rayonnement. Le petit détail de l'histoire fait dérailler l'avenir tracé. Il pulvérise les chapitres pré-écrits. L'invention d'une démocratie est peut-être au bout d'une pichenette du destin. Loin des fusils.

mardi 18 janvier 2011

Fin d'un monde

A l'heure dite, ma pensée s'échappera vers toi, ta famille, Argentan, Saint-Martin, mes souvenirs de la rue de la Poterie. Je songerai au pays d'autrefois.
D'un père, on conserve les images précieusement dans sa tête, on thésaurise les photographies qu'on épingle à portée de regard. Mais il y a la voix, reconnaissable entre toutes, le timbre d'une voix qu'on entend dans son for intérieur, les mots et expressions d'un lexique personnel, la complicité des moments partagés que la mémoire privilégie. On casse la tirelire des souvenirs.
A l'échelle de soi, c'est la fin du monde, d'un monde enchanté dont le créateur s'efface, passe le témoin, nous tend un dernier bras. Restent les jours d'après la fin du monde. Nos pères nous exhortent à continuer l'aventure sans eux. Ou avec eux: autrement. Car nous sommes nourris de leur présence invisible. Ils ne sont morts que d'un oeil. Libérés de la matérialité, ils veillent sur nous, ils sont là pour toujours.

Scrogneugneu

Dutourd a soigné son image de scrogneugneu. Il était incorrigible à se vouloir plus réactionnaire qu'un ancien révolutionnaire. Il était conservateur parce qu'un secret, on le garde contre son coeur. C'était un vieux sorcier goguenard, fier de ses sortilèges, éperdument amoureux de son art. A l'écriture expérimentale, il préférait la phrase de cristal.
L'homme de gauche de la quatrième République raconta sa rencontre avec de Gaulle, le récit d'une conversion, dans un petit livre rare, chef d'oeuvre absolu, "Conversation avec le Général".
C'est en fervent défroqué que Dutourd admira le grand Charles. Il peaufina ses ronchonneries d'iconoclaste au voisinage de dandies de son espèce. "Le mauvais esprit" est d'ailleurs le titre d'un dialogue réussi avec le regretté Jean-Edern Hallier. Il mérite bien sa palme de scrogneugneu d'honneur.

La féerie du Mépris

Dimanche, on range. On classe les souvenirs du temps du cinéma, d'un spectacle jadis vivant, entre poème et peinture, cantilène et chorégraphie. Féerie, majesté: les mots sont de Céline. Dimanche, j'ai revu Le Mépris sur TCM, la perruque brune de Bardot, le chapeau de Piccoli, la lumière de Capri, les couleurs de la vie. Godard a bâclé un pseudo scénario, histoire de contenter le distributeur du film. Il dédouble sa vie sur l'écran. C'est par le Mépris qu'il la traite, la tire par les cheveux. C'est sa peau qui vaut scénario. Pas besoin de noircir du papier, faut plutôt impressionner la pellicule, la faire rire aux instants rares. Faut chiader l'image aux encadrures, entre deux acrobaties, facéties, espiègleries. Bref, exercer le métier de voyeur, faire le job avec honneur.
Mettre du rouge, du vermillon sur les corps et les désirs, les dieux et les peignoirs. Mettre du bleu, du bleu de "sourire innombrable", du bleu d'Homère sur le ciel et la mer. Mettre des élans, des émois, des petits mots, du mouvement de motion picture dans l'appart romain et la villa de Malaparte.
Caméra danse comme pigeon vole. Godard filme le ballet des cils et des silhouettes, des objets et des rejets. Il défie la loi de pesanteur du scénario d'auteur. Vit son film, filme sa vie. Il momifie Hollywood dans la raideur de Jack Palance. Il fige l'ami Fritz dans sa posture de pommier faiseur de pommes, le laisse rêver d'Odyssée et de cinéma aimé.
Se révèle ici que regarder fait du bien. Le Mépris est la guérissure d'un rebouteux des yeux. Godard soigne tout ce qu'il touche. Brigitte Bardot étire sa beauté comme l'ennui dévidé sur un corps d'été. Camille se déprend de Paul. La femme du Mépris s'appelle la méprise. Ce film de feu s'adresse à la sensibilité des yeux.

jeudi 13 janvier 2011

Basses oeuvres

Nos épatants "people" se moquent du peuple. Champions des tombolas humanitaires et des bonnes oeuvres, ils truquent pour vaincre leur trac à l'écrit, ils chapardent des pages pour s'imaginer qu'ils rédigent. Bref, ils dégringolent dans les basses oeuvres. Ils s'illustrent à l'audimat du déshonneur.
Drucker, l'inusable gendre idéal, omet de rétribuer l'écrivain de métier qui confectionna ses mémoires d'animateur au grand coeur.
Poivre, l'as incontesté du prompteur, s'approprie la prose confidentielle d'un biographe d'Hemingway, à l'insu de tous sauf de L'Express. Le vol à l'étagère est un art de stars chevronnés.
Ces sympathiques vedettes de l'image pratiquent sans sourciller une sorte de droit de cuissage littéraire sur d'humbles travailleurs de la phrase. Delarue se dope, Poivre et Drucker nous dupent. Il est temps d'abolir les privilèges d'une notoriété sans scrupules qui prévalent en notre doux royaume.

mercredi 12 janvier 2011

Roland nauséabond

Du portrait de Roland Dumas paru dans Le Monde ressort l'image d'un voyou de charme installé dans les ors de la République par la grâce d'un président complaisant. Avec aise, il s'ébroue dans les palais ministériels sans autre légitimité que l'amitié du prince. Mais la séduction d'un homme n'autorise pas pour autant qu'il dévoie les plus hautes institutions de la nation.
En effet, son laxisme au conseil constitutionnel et sa complicité au Quai d'Orsay avec des dictatures africaines dévoilent la nature d'une personnalité attachée aux seules lumières de la vanité, assez étrangère au service de son pays. En juin 1981, on lisait dans Le Monde ce jugement sans appel du poète Francis Ponge, alors communiste et bientôt gaulliste, sur François Mitterrand et Gaston Defferre en 1940: "Ces hommes étaient médiocres". On ne peut s'empêcher d'évoquer ce souvenir.
Bref, l'ancien ministre n'est pas embarrassé de scrupules. Sa dernière escapade à Abidjan nous renseigne d'ailleurs sur le peu de crédit qu'il accorde à la démocratie. A l'heure où Stéphane Hessel nous exhorte à une sorte d'indignation obligatoire, je m'étonne que pareilles fautes au sommet de l'Etat soient traitées d'une plume enjouée, avec une compréhension presque amusée.

Calendrier

A nouvelle année, nouvel agenda. On coche les jours du carnet de rendez-vous. On biffe les jours fériés. On étrenne le calendrier des postes. Le parti socialiste s'est réuni en conclave pour caler le calendrier sur les arrière-pensées de ses chefs. Autour de la table, les caciques de la maison Aubry se mesuraient aux primo-accédants de la primaire. Dans ce genre de tournoi, on rentre les couteaux mais on montre les dents. Chez les socialistes, la querelle de légitimité présidentielle est désormais fixée entre les cantonales et les sénatoriales. Comme quoi, rue de Solférino, on abat du boulot. On se creuse même davantage la tête sur un calendrier que sur un projet.
Il est vrai que la gestion du temps incombe en priorité à la fonction de président. François Mitterrand, récemment exhumé du purgatoire, se plaisait à exercer le pouvoir "en donnant du temps au temps". Il savait que le caprice d'une circonstance suffisait à ruiner les projets les plus élaborés. D'où la maîtrise du calendrier - on y revient - comme l'enjeu majeur des rivalités politiques.

lundi 10 janvier 2011

La jupe de Mazarine

On a l'embarras du choix. Avant d'être "social", le socialiste s'inscrit sur une "liste". Tout se passe comme si chacun des militants ambitionnait d'être candidat à ces lointaines primaires qu'on attend fataliste rue de Solférino, un peu comme Godot. La vieille maison de Jaurès, revisitée par Mitterrand, est secouée de conflits de voisinage à tous les étages.
A Jarnac, les prétendants du fratricide tournoi se sont recueillis autour d'une tombe, puis attablés autour d'une assiette. On a mangé un peu de la dépouille du défunt président. Royal et Aubry se sont installées aux premières loges. Elles ont serré de près la famille: l'une la jupe de Mazarine, l'autre la veste de Gilbert.
Dans un style très hobereau de province, Montebourg a manié l'insolence en se réclamant du grand homme des Charentes. Oubliés des distraits, Lang et Delanoë ont montré le bout de leur nez, ont testé leur popularité. Strauss-Kahn est introuvable. Comme l'était le Tonton des socialistes qui se faisait appeler "Dieu" pour plus de simplicité. Hollande est amaigri car il déploie beaucoup d'énergie, dispense trop de cours d'économie. La caméra ne l'a pas localisé dans la foule des fidèles. Valls veut cogner. Se montre à la télévision plutôt qu'au cimetière. Fabius est bouche cousue. Son intelligence vénéneuse est crainte de tous.
Bref, on sent bien que le premier qui dégaine est mort. L'actuel surplace prélude à l'emballage final. Mais à se serrer d'aussi près, les sprinters socialistes risquent à tout instant la chute collective.

jeudi 6 janvier 2011

Au-delà du populisme

Faire oeuvre de populisme, c'est flatter le peuple dans le sens précisément de son ressenti. Ressenti épidermique, partial, brutal. Le grognon Mélenchon et la volontaire Marine Le Pen s'autorisent du coup de sang des braves gens. Ils engrangent la colère des sans-grade, des déclassés, des muets et des paumés, des apeurés de la croissante misère.
Ce peuple-là, incorrect, mal peigné, mal embouché, s'émeut des injustices criantes de la société de satiété. Il se débat comme un beau diable dans ses difficultés récurrentes. La haine de l'autre - l'étranger parasitaire, le riche exploiteur, le patron cosmopolite, le politicien véreux, le financier corrompu - se donne pour explication du monde. Ces fauteurs de malheur préparent le terreau politique des Le Pen et Mélenchon. Or la caricature dénature la réalité. Elle la déforme, la tronque, mais jamais ne la nie tout à fait. Car il est ici ou là des employeurs sans honneur, des banquiers de grande cupidité, des magistrats sans vergogne ni vertu, des étrangers aux droits outrepassés.
L'indécence ostentatoire de leur conduite provoque nécessairement le ressentiment du peuple. Je voudrais dire que le peuple ne se divise pas. Il s'exprime en bloc lors des scrutins, dans le secret de l'isoloir et l'addition de ses bulletins. Mélenchon, Le Pen, sans doute Royal, ne se pincent pas le nez au voisinage d'un peuple renfrogné, protestataire, passionnel et radical. Ils n'ont pas rompu avec le langage cru de la rue. Alors, le populisme serait peut-être la dernière main tendue des élites démocratiques au peuple effervescent. A celles-ci, il appartient de convertir la violence des passions en un discours de raison, préalable à l'action praticable. Au populisme sommaire d'une foule révoltée, il convient de substituer une vraie politique du peuple, d'esquisser un projet rigoureux de justice sociale, sans chimère ni pathos incantatoire.

mercredi 5 janvier 2011

Va pour Ernest

On écrit pour se rassurer comme un enfant crie dans la nuit noire. On écrit pour apprivoiser sans le moindre succès un monde insensé. On écrit pour se sauver de l'étrangeté des origines.
On écrit donc n'importe quoi, ce qui passe par la tête. On s'abandonne à ses songes. On use du mensonge.
Le brave Poivre scribouille comme tout le monde, scarifie la page blanche de petits signes d'emprunt. Il copie comme un moine, de minuit à l'aube. Il copie les ragots et racontars de son voisin. Il reproduit les gros mensonges du premier littérateur venu, soigne ses pleins et déliés.
Poivre veut signer des autographes et des biographies plutôt que de se saigner à la tâche. Il veut sans doute arrondir ses fins de mois avec de la prose de bibliothèque. Hemingway figurait au rang des commémorés de l'année. Va pour Ernest.

mardi 4 janvier 2011

Le deuil des carouges

Ces dépouilles de plume qui jonchent le sol d'Arkansas peuplent le premier camp d'extermination à ciel ouvert de la gent ailée. Les carouges à épaulettes sont morts de peur panique en pleine féerie d'apocalypse, sous les assauts organiques d'une pyrotechnie totalitaire. "C'est comment qu'on freine ? Je voudrais descendre de là..." chantait Alain Bashung. Les oiseaux se sont exécutés. Pareille au grand collisionneur de particules, la fureur humaine a provoqué les carambolages d'étourneaux.
A traiter la vie des bêtes comme la matière inerte - mais l'est-elle seulement ? -, l'homme saccage ciel, terre et mer, vide la nature de son âme. Sans le faire exprès, par distraction, en trinquant joyeusement, en formant le voeu d'un monde meilleur. Ce monde-là ignore l'au-delà des villes. La société du spectacle, la civilisation du loisir et du défouloir obligatoire se fichent comme d'une guigne du deuil des carouges.

Fillon n'est pas son copain

Aux oubliettes l'homme du perron élyséen à pommettes asiatiques ? Où est passé Guéant, bon sang ? Sur les marches du palais, il dévoilait, à voix blanche et intelligible, la liste des ministres comme on lit la dictée aux écoliers. Patatras ! L'Elysée l'a remanié dans le sens du motus et bouche cousue. La parole de Guéant est verrouillée de l'intérieur. Le mutisme de cabinet est désormais privilégié.
Il a mis sa serviette à l'ombre, Guéant, et renoncé à bronzer devant les micros. Il laisse aux ministres, du premier au dernier, le soleil et le cancer de l'ego à fleur de peau, la gloire et le mot de trop. Penaud, Guéant refait préfet du palais. Recule de trois cases, prend à contresens la voie royale de son curriculum vitae. Bref, si le roi n'est pas son cousin, Fillon n'est pas son copain.

lundi 3 janvier 2011

Flop des voeux

Les voeux de nouvel an des chefs de parti sont affligeants de mièvrerie. Les voeux poussent à son paroxysme le règne du mot creux. Cette collection de souhaits débités à la queue leu leu se vend sur le marché de l'élection à venir comme un produit dérivé des promesses de métier.
Les voeux dessinent un avenir radieux ou un futur odieux. La girouette du sens oscille selon le vent des mots, qu'il vienne de la majorité ou de l'opposition. Ils n'engagent pas davantage qu'un serment d'ivrogne. C'est le degré minimal de la promesse de campagne.
Les voeux sont distribués à souhait comme des poignées de mains. Reste que la population se fiche des voeux partisans comme de l'an quarante. Echaudée depuis belle lurette par les promesses envolées, elle n'accorde pas d'intérêt à l'exercice convenu des voeux de fin d'année.
Sarkozy peut bien se planter au milieu de son écran de télévision et réciter son petit boniment de circonstances, la population tourne le dos, a d'autres chats à fouetter. La scie des douze prochains mois "utiles" revient périodiquement comme les années bissextiles. La désaffection du politique se mesure à l'aune de l'indifférence à peine polie devant pareille cérémonie. Bref, le flop des voeux anticipe la future désertion des urnes.

Les albums

Dans cette pièce ornée de trophées de chasse, il est deux armoires bourrées à craquer de photographies décaties. Il y fait froid. La mort figée des clichés imprègne les dallages carrelés. La poussière échoue à dissuader la mémoire.
Les albums s'entassent dans l'indifférence du temps. Pêle-mêle, s'y agglomèrent les ciels, les âges et paysages d'une vie. C'est l'oeuvre d'un homme qui confiait à l'album les sourires et tourments de son âme. A toutes les pages, la mort rôde, d'un visage à l'autre. Elle mordille la cheville du souvenir.
Dans ces coffres de bois, hautement dressés dans l'encadrure des murs, sont stockées les pensées d'un muet. On passe à côté sans les voir, sans nul égard au doux murmure des griffures sans futur, sans le moindre salut au regard du photographe.

Mitterrand

Mitterrand est mort depuis quinze ans. Il a laissé sa famille éparpillée. Les héritiers peinent à recoller les morceaux d'un socialisme d'opportunité. Les littéraires se souviennent qu'il affectionnait la phrase concise de Chardonne. Après coup, la droite l'annexa comme l'un des siens, louant son talent manoeuvrier, vantant son entreprise de démolition sans bavures du parti communiste. Crime parfait. Chirac et Sarkozy ont salué, en mille occasions, le subtil politicien.
Mitterrand calqua sa trajectoire solitaire sur De Gaulle. Il jalousait le grand homme. Il régna trois années de plus à l'Elysée. Mission accomplie. Cette victoire de la longévité le contenta. Il mentit sur l'économie, sur Vichy, sur sa maladie. Le souci de sa célébrité lui importa davantage que le respect de la vérité. Avec désinvolture, l'homme créa le ministère du temps libre à l'amorce de la mondialisation. Une certaine France villageoise, celle des chasses de Charasse, appréciait le tonton de province aux vies dissimulées.
Sous Mitterrand, la France s'est ligotée dans des chimères prétendument sociales, bombes à retardement des lendemains qui déchantent. Elle a raté la modernité technologique, freiné l'esprit d'entreprise, déprécié la compétitivité industrielle. Nous étions mûrs pour la gueule de bois.
A part la suppression de la peine capitale, libre et digne mesure de chef d'Etat, François Mitterrand n'a déposé sur le miroir de l'Histoire qu'un égotiste sourire carnassier, le pâle éclat d'un ambitieux d'autrefois.