vendredi 28 avril 2023

La marche blanche

La grande marche derrière l’épatant président chemine de ville en ville, lent pèlerinage vers l’argent qui ruisselle et la béatification d’Emmanuel. Elle tourne en rond, fait le tour de l’hexagone depuis six ans dans le sens des aiguilles d’une montre. Le saint monarque tarde à guérir les corps. Il vise la canonisation, ne lâche pas son bâton d’excursion. Les archives inventorient déjà les cercles entortillés tracés dans la glaise, sur le terrain des vilains, parmi les poignées terreuses des gueux. La marche du démarcheur s’apparente à une promenade de sainteté, à une errance exemplaire. A la nation, l’auteur de « Révolution » tient sa promesse de marche circulaire, de prouesse légendaire. Cent pas, cent jours. Mille bornes. La marche blanche du dimanche matin macronien processionne comme une caravane de Grande Boucle, en file indienne, derrière les hommes du maillot jaune, collectionneur de podiums. La marche est blanche, neutre, tiède et centriste, comme une page d’histoire triste à ne jamais noircir.

vendredi 21 avril 2023

Profil Gracq

L’attentat ponctue l’attente, ressentie comme un retour au pays, à l’esprit de poésie. Entre les deux, l’attention opère une narration, fixe une matière, discipline un feu sauvage. L’attente est un appel qui s’achève en cri. Le récit inédit de la maison Corti est écrit. Les toiles de Courbet n’ont pas d’autre sujet qu’une légitimité. Au milieu du tableau, hurle une identité, deux mots : « Je peins ». Les livres de Gracq exprime, en pleine figure, la même autorité : « J’écris ». La phrase de Gracq serpente, toujours différente et pourtant la même, parcourt une trentaine de pages, se jette à la mer, jusqu’au désir d’un dernier mot, d’une première femme. « La Maison » est nommée à tort, sans raison, sinon d’hameçon. La demeure est un leurre qui s’impose au rôdeur. Gracq n’entreprend une ronde ensorcelante, un précieux travail d’écriture, une manœuvre d’envoûtement, un exercice d’encerclement du haut lieu venimeux, que sous la dictée d’un pressentiment, d’une fulgurance, d’une lumière instantanée. La phrase exalte une hantise exquise, produit un texte indécis qui courtise un désir. Je songe à l’admirable « Roi Cophetua » qui exécute pareil attentat. La voix est la loi d’un livre sans pourquoi. Une voix qui cloue, fait taire, rabroue. « Une voix s’élevait de la maison en ruine : la voix d’une femme qui chantait. » « Elle chantait très au-delà de la gaieté et de la tristesse, à la fois très ancienne et merveilleusement revenue ». Ce livre d’une voix transite par les voyelles, disperse une musique par les méandres d’un mince roman-fleuve. A sa manière, après Rousseau et ses beaux mots, Gracq écrit ici l’origine des langues. « La Maison » est un livre fait maison, un ouvrage de magie destiné aux seuls gens de maison, aux seuls serviteurs d’un bonheur absolu qui se nomme littérature. La nouvelle exige d’être lue à voix haute, dans un timbre d’or et de majesté, pour qu’elle soit plus belle encore. A l’heure où les regards se perdent comme tant de métiers d’artisanat, où l’écriture n’est plus qu’un rictus de convention, une gênante réminiscence de la jouissance des sens, Julien Gracq est planté devant les eaux étroites du fleuve, simple et loin, devant la splendeur du travail fait. J’ai rangé l’objet intouchable dans l’armoire à cartouches. L’ouvrage de la couleur d’une pomme coudoie « La Presqu’île », bleu cobalt. On m’a fauché l’édition verte des débuts.

mardi 4 avril 2023

On nous craint dans le monde

La Semaine de Suzette a recueilli les propos contrastés de la patronne de la rue de Varenne à l’endroit de la pulpeuse Marlène. Parce qu’elle s’est effeuillée dans Lui, Elizabeth se chamaille avec elle. Dans le même hebdomadaire, sans état d’âme, elle confesse une passion torride pour Fessenheim, un emballement soudain, non négociable, pour une si belle centrale. Le monarque tire à l’arc. Il en a plein le dos de jouer aux dés. Il relit l’intégrale des albums de Bicot. Dans un entretien au Crapouillot, il dévoile son plan eau, un projet du tonnerre à base d’énergie solaire. Darmanin se souvient qu’il a appris à lire, mentir et discourir dans Bibi Fricotin. Au magazine, il confie sa vision du bon immigré d’usine, confirme sa détestation des mauvais Anglais qui viennent au stade sans billet, ébruite la fin des temps maussades et des débandades, proclame une formidable croisade anti-zad. Dans le supplément Sandwich, Dussopt révèle un penchant pour Dujardin, s’entiche d’une retraite sans points; bien que d’un naturel changeant, il opte en dernier ressort pour le bon côté, celui du manche. Le Maire règle ses arriérés en roupies de sansonnet. Dans la Pravda et le Gît Dédé, il dévoile comment il a imposé sa loi aux Gafa, fait plier le paltoquet du Kremlin. Au grand dam du Pentagone, à la barbe de Xi Jinping. « Si la terre est ronde, c’est qu’on nous craint dans le monde ». Bruno recycle ses bons mots comme des invendus de Casino. Bruno n’en démord pas. Il sort du lot à force de renouveau.

samedi 1 avril 2023

Le camarade de Poirier

Il est mort un 2 avril. Il est mort d’une maladie effroyable. Pompidou était rude au mal. Son mandat de président fut écourté. Il accomplit le premier quinquennat de la Cinquième République, le plus abouti. Dans « Le nœud gordien », texte testamentaire, l’homme nous prévient : « Le fascisme n’est pas improbable, il est même, je crois, plus près de nous que le totalitarisme communiste ». « La politique s'est arrêtée à Pompidou comme la peinture au Lavandou. L'homme aimait l'auto et les mégots. La poésie et l'industrie. Il se méfiait des grands mots. La pudeur était sa demeure, un for intérieur, une parole d'honneur. " Dans notre famille, on ne se couche que pour mourir ". Cinquante ans qu'il nous manque, qu'on nous flanque au balcon des premiers communiants, que font long feu des petits morveux sans grand sérieux. Pompidou a vingt-et-un ans. Il griffonne à Pujol qu'il est tenté par l'opium. J'aime Pompidou, compagnon de Poulidor et des sons du terroir. Il est facile dans les cols, à l'aise en Mai qu'il démêle, collectionne les toiles de Nicolas de Staël. Il est désinvolte, brillant, rude au mal. De Gaulle : il rédige à sa droite. » Ce texte est extrait de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, page 73) « Julien Gracq est le Charles de Gaulle de notre littérature. Les deux hommes ne s’accommodaient pas d’imprécision. Ils n’ont pas cédé sur l’essentiel : la grande querelle d’une France et de sa langue. Ils ont donc joui d’une infinie liberté dans leur discipline. De Gaulle appelle. Gracq attend. De Gaulle appelle de Londres. Gracq attend Irmgard à la gare de Brévenay. Le général provoque l’événement. L’écrivain guette l’instant plein. De Gaulle a d’emblée recherché « un normalien qui sache écrire ». L’oiseau rare se dénomma Pompidou, camarade de Poirier. Julien le Gaullien, voisina dans les parages, voyagea dans les songes de « la princesse des contes », femme fatale des Mémoires de Guerre. » Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, 2018, page 50)