mercredi 22 décembre 2021

Joyeuse, folle Année !

« Ces années vont comme des folles ; la vie commence au pas, continue au trot et finit au galop » (Lettre du 30 mars 1964). Morand déconne avec Chardonne. Au fil de trois superbes tomes. Douze à table sont les mois qui viennent. Les quatre saisons connaissent la chanson. L’année nouvelle a disposé les ronds de serviette. Elle souhaite qu’on la fête comme ses cadettes. Encore une fois. Le pas se dérègle, le trot s’allonge. La fin de vie chipe au galop sa vitesse de prairie, l’allure d’oubli des mortelles chevauchées. A mes amis, encore en vie, je prescris le galop d’essai, qui sied à l’apprenti, qui convient à l’ouvrier. C’est un souhait de compagnon de chantier. Que deux mille vingt-deux soit un nombre chanceux, premier, à caractère entier, un numéro de loto, pas imaginaire, qui jongle avec les mots, un billet vainqueur qui octroie la beauté sur la terre !

lundi 22 novembre 2021

L'université de iel

Une jeune fille d’aujourd’hui étudie à l’université de iel. Elle traduit Corneille en français réglementaire, travaille comme une négresse sur Tite et Bérénice, débarrasse Horace des facilités de style, des tics de masculinité, des lourdeurs surannées qui entravent la diction, la pureté orale des récitants de la Maison de Molière. La jeune fille réécrit Polyeucte en neutre, remanie Le Cid en tiède. Elle rétablit le parchemin d’origine, rature masculin et féminin. A la bonne heure. La jeune fille jette son fiel sur les reliures miel des missels. C’est une missionnaire du grand chambardement littéraire. Elle fourgue à la poubelle les palimpsestes vieux genres des odieuses bibliothèques. Elle est hors d’iel quand elle relit Cinna dans l’édition des écoles. De tels écrits, d’une rare ignominie, sont destinés à la déchetterie. A la bonne heure. Dans La littérature et le mal, Bataille orthographie de travers la cause du désastre. Car le mal en vérité, qui sournoisement se féminise, c’est le mâle. Malpropre, comme on disait jadis, s’écrit mâle-propre. Le mâle propriétaire a dénaturé la Terre. Il convient de le désherber, de l’éradiquer comme un prédateur de la pire espèce. Oui : les écolos, j’entends bien. On trouvera les mots. C’est bien joli de déboulonner la statue de Colbert. Mais c’est loin de suffire. Moi président, je décrèterai un autodafé de fête comme on ordonne un couvre-feu de préfet. On s’égosille sur Les beaux draps de Céline, mais c’est de l’eau de rose à côté des libelles pornographiques des Zola, Sade et Kundera. C’est un autodafé républicain qu’il nous faut, illico presto, place de la Révolution, en souvenir de Joseph Ignace Guillotin.

dimanche 14 novembre 2021

Les frères Nono

A lever l’impôt, les frères Nonos partagent un même diplôme d’imposteur. Ils appartiennent à des promotions de la même maison : Bercy, le garage à picaillons. Arnaud et Bruno, héritiers des légendaires frères Bario, jonglent avec les mots. Le numéro d’Arnaud, c’est la Remontada. Le sketch de Bruno, c’est le Renouveau. Dans le droit fil de la bible de « Révolution », la bible des « Cinq Glorieuses », l’impérissable opus du quinquennat, deux fiers ouvrages sont aujourd’hui de nature à ragaillardir le peuple des gilets d’automne : « La Remontada » (il est traduit) et « Un éternel soleil ». Leurs fulgurants échos squattent les plats plateaux d’infos. Impossible n’est pas Nono. « Quand on veut, on peut ». A la bonne heure. Arnaud retrousse ses manches d’apiculteur, se fait piquer par la reine, se gratte, s’égare en salle de shoot, marque des buts à tire-larigots. A force d’en parler, il se croit sur le terrain. Dans son sommeil, Arnaud voit des soleils. Comme Bruno. Le villepinesque ministre publie un énième chef d’œuvre au titre saganesque. « Un éternel soleil » est un livre qui fera date, qui s’assied sur la dette. Bruno, le grand argentier communiste a étatisé des salaires pendant deux ans. Le chaman du gouvernement esquisse les contours d’une économie magique, faite de budgets de conte de fées. Les frères Nono n’ont pas écrit « Mort à Crédit : ils réhabilitent la sorcellerie.

jeudi 4 novembre 2021

Elle m'a beaucoup appris

"L’Etat paie peu, exige encore moins ». Morand cite ce mot de Maupassant dans sa pétillante biographie. Or l’Etat, ces jours-ci, diffère de celui de l’auteur de « Bel-Ami ». Il récompense les bras croisés, rétribue les petits et grands patrons d’échoppes à stores fermés. Il distribue de quoi vivre aux travailleurs empêchés, aux barricadés de l’oisiveté forcée. Il a décrété un socialisme de l’urgence face à la véhémence du virus à géométrie variante. Bref, le communisme salarial est l’invention majeure du quinquennal mandat d’Emmanuel, l’antilibéral patenté des diktats de santé. A l’heure des bilans, le communisme n’est jamais qu’un temps de parenthèse d’un capitalisme patraque, mal à l’aise avec les jobs de microbes. « Elle m’a beaucoup appris ». Le stagiaire de l’Elysée ne parle pas de la guerre sanitaire, mais de la chancelière. A Beaune, on a choqué les verres de bonne bibine. Au final des agapes, le jeune Emmanuel a remis le rapport d’étape à sa directrice de stage. « Elle m’a beaucoup appris ». La timide sentence traduit l’infinie modestie du prometteur apprenti. En échange de quoi, la Germanie, bonne fille, lui a décerné les félicitations du jury.

L'homme au sourire violet

Un jour de novembre, Gilles Deleuze quittait ses amis, pas ses lecteurs - pour aller acheter des cigarettes, aller voir ailleurs s’il fait bon mourir. A Saint Léonard de Noblat, l’homme aux semelles rebelles pensait à la petite reine, l’autre, pas celle de Fausto Coppi, la jolie Sophie qu’il aimait sans mesure. Deleuze ressemblait à l’homme de terre, pas à l’homme de tête, qu’il s’était faite, qu’il avait si merveilleusement faite. Deleuze donne de quoi vivre pour l’hiver, se vêtir la peau et les os quand il fait froid sur les idées, de quoi penser jusqu’à l’été. Sans philosophie fixe, il se meut dans les saisons, il émeut par les mots, il est mort d’un claquement d’aile. Shetland de jeune homme, visage brave, Gilles Deleuze tend une main de prince, une poigne d’Idiot, confie au temps sa noblesse et ses lettres. « Le peuple manque » disait-il à propos de l’artiste, après Paul Klee. Il lève sa plume d’oiseau urgent. L’homme au sourire violet s’en est allé. Loin des veules, près du peuple à venir. Ce texte est extrait de « Les fées de Serres » (à paraître, 5 Sens Editions, janvier 2022)

jeudi 21 octobre 2021

Le coup de main d'Arnaud

Il suffit d’une chiquenaude pour dérouter le cours des choses. Montebourg s’intéressa si fort à son destin qu’il fit sortir Macron du sien. Le bateleur du « Fait en France », troisième de la primaire socialiste, rallia Hollande, le désigna vainqueur d’avance. Or le choix de celui-ci au détriment d’Aubry rendit Macron possible. Car on n’imagine pas le blondinet du Touquet dans les valises de la cheftaine de Lille. Arnaud persévéra dans l’hérésie. Sous le règne de François, le roi joufflu, il démissionna de Bercy, à cause du sort réservé à l’industrie. En bon chef d’équipe, il tendit la main au brave stagiaire de l’Elysée. Macron saisit la perche, quatre bras d’un coup, s’assit d’un même élan sur le trône du monarque à cravate de travers. Sans les brillantes décisions du grand Arnaud, Macron ne se serait jamais approprié la timbale élyséenne. Montebourg est à Macron, ce qu’en son temps Nafissatou fut à Sarkozy : la voix prépondérante du scrutin. Mais qui se souvient du coup de main d’Arnaud comme d’un faux mouvement du destin ? Le Nafissatou de Manu était pourtant bien reconnaissable malgré son masque d’apiculteur.

mardi 12 octobre 2021

L’école nationale du terrain

Il faut une table pour s’asseoir autour. Et un dossier pour le mettre dessus. Les deux énarques ont planté le décor. Castex et Macron sont assis, masqués/démasqués, en fonction de la télévision. Ils froissent les feuilles de papier du dossier débouclé. Ecole nationale du terrain. Macron y tient. Le président s’est entiché du « terrain », mot fétiche depuis la gueuserie des ronds-points. Son collaborateur suggère « territoire », oserait même « terroir » pour mieux équilibrer l’épithète « national ». Mais Manu n’a pas fait sa mue. Pas encore mûr. Il préfère terrain qui fait plus sportif, qui évoque poignées de mains et empoignades, stades et « portée d’engueulades » comme disent les petits élus analphabètes des cantons de péquenauds. L’école nationale du terrain (ENT) se substitue à l’école nationale d’administration (ENA). C’est décidé. Décret. Castex gribouille un texte, agite les bras, opine du chef, tout en même temps. La scolarité ? La logistique en sera la discipline reine. Son financement ? Amazon. Amazon s’honorera d’un coup de main décisif au grand projet du deuxième quinquennat. Le premier des Gafa en fournira les plus brillants éducateurs. L’ENTreprise américaine et l’ENT ont une vocation naturelle à s’entendre, à bâtir ensemble une nouvelle élite républicaine, nourrie de sous-culture périurbaine. Un directeur ? Castex propose Delevoye, très libre depuis le désolant abandon de l’âge-pivot. Le président se sent grand. Il referme le dossier. Tapote le cartonnage, faute de joue dans le voisinage. « Tu vois Jeannot, ça c’est du concret ! »

lundi 4 octobre 2021

L'anti-Beckett

Tapie, anagramme de pieta. Vierge effarouchée, enfant de chœur ? L’envers de ça. Culot hugolesque. Gouaille de canaille. Je le vois chanter, Tapaille, bouger, tancer, éructer. Tapie sur scène, bête d’Olympia, c’est Sardou qui s’égosille. Les bals populaires. Gagne et castagne. Tapie, c’est l’anti-Beckett. Le génial Irlandais écrit tout le contraire, faux frère de Nanard, faussaire absolu : « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux, plus mal. Rater plus mal encore. » (« Cap au pire », Editions de Minuit, 1991)

mercredi 22 septembre 2021

Belmondo, le mien

Je n’allais pas voir les films de Belmondo. En revanche, j’allais revoir les chefs d’œuvre de son aurore. J’aimais sa décontraction, moins ses cavalcades, son insatiable débauche d’action. L’industrie du cinéma l’a privé d’un authentique génie abouti. Jean Marais vieillissait. Le genre cape et d’épée avait besoin de se requinquer. Belmondo, loin des canons formels de la beauté classique, renouvela le format. Belmondo tourna le dos au travail sur les textes, les sentiments, une intériorité. Aux silences sans écho d’un style d’action: la contemplation. D’entrée de jeu, Melville et Godard cernent en Belmondo un drôle de zèbre, un hors la loi d’une autre espèce, à faciès sans complexe. Qui a vu « Léon Morin, prêtre » sait de quelle merveille il s’agit. L’acteur est à hauteur de l’admirable Emmanuelle Riva. Belmondo situe son jeu dans la gamme du Trintignant de Rohmer dans « Ma nuit chez Maud ». Il n’affiche pas encore ses dents sur l’écran. Il ne sourit pas, quelles que soient les péripéties, les aléas de petits récits. Il joue la comédie avec délié, souplesse et courtoisie. Godard, si méchant, dit qu’il est gentil. Belmondo se soumet aux sublimes facéties du maestro. « Pierrot le Fou » fait l’effet d’une détonation dans le ciel des Beaux Arts. Belmondo prête une fraîche désinvolture au film solaire, fait de danse et de circonstances, de toiles de Stael et d’opéras. Opera, pluriel latin d’opus. Dans L’Humanité, Aragon sort de ses gonds, crie au génie, exalte un spectacle féerique qui allie Belmondo, Céline et Rimbaud. Godard peint la mer, le ciel, Anna Karina. Belmondo: la dynamite est son bleu de travail. Il se peinturlure, se grime aux couleurs de la Méditerranée, fétichise la statuaire grecque. Avant de clore en terreur l’aventure d’un corps. Quand donc, sacré bonsoir, La Pléiade éditera-t-elle les somptueuses chroniques du poète stalinien dans le grand journal communiste ? Léon Morin, prêtre. À Bout de Souffle. Pierrot le Fou. Le reste est littérature. Le choix d’un système pour la billetterie de Box Office. Le grand Belmondo, au talent si nouveau, s’il avait suivi les chemins d’une création qui se fiche du film d’action, qui le suspecte d’exaction, si jamais la star s’était un peu souvenu des exigences de son art, de la leçon des films de son aurore, alors notre héros du jour aurait pu endosser la tunique du grand acteur, d’un comédien exquis, colérique et humain. À la Bacri. Son naturel déjoue la querelle. Il périme d’avance le carcan moral du vieux temps gaullien. A mille lieues de la politique, le frénétique casse-cou annonçait déjà l’ennuyeux enragé de Mai, les scouts libertaires détrousseurs de pavés. La dégaine de Belmondo a imprimé une nouvelle manière d’être, affranchie des postures guindées des codes éculés de la bourgeoisie. Juste après Bardot. Belmondo, c’est Mai 68 avant la lettre, une douce, joyeuse, gentille révolte individuelle qui anticipe les monômes du soporifique Bendit. J’aime de Belmondo deux de ses visages: sa figure de curé en soutane - il n’a pas trente ans - , sa trogne burinée de vieil histrion attablé au Café de l’Alma. Entre les deux, le bondissant quadragénaire ne m’émeut pas outre mesure. Il achève un tumulte par un double grand huit.

jeudi 26 août 2021

L'enchantement des métamorphoses

L’enchantement des métamorphoses De La Fontaine, Céline disait qu’il était « final ». L’œuvre du fabuliste clôt la pensée buissonnière de Michel Serres. L’essai posthume, reconstitué de ses papiers, fichiers et dossiers, déterrés de ses tiroirs, est un collage de textes épars, un embrouillamini de choix, la trace interrompue d’un livre entrepris, stoppé, repris au fil d’une vie. Deux projets se percutent ici qui lui tiennent à cœur. La légende des Fables – ou comment les lire – et l’ambitieux livre des prépositions qui expose la philosophie ultime de Serres. La pensée de cet athlète, esthète des grands textes, transite par les mythes, récits et textes composites. Serres et La Fontaine sont faits pour s’entendre. Le protégé de Fouquet et l’éblouissant Agenais rugbyman sont des moines défroqués. Sur le chemin de la rigoureuse attention, ils trouvent la contemplation du monde, le silence de la nature et de l’écriture. Les deux académiciens n’en demeurent pas moins remuants, distraits par les mouvements et circonstances, le jeu des genèses et des turbulences. L’un et l’autre renardent dans les fourrés, s’enchantent des bobards de lavandières et des racontars d’ivrognes. Le La Fontaine de Serres récapitulent trois de ses anciens livres, manuels de survie philosophique : Le Parasite, Statues, Variations sur le corps. Serres en a sa claque de la métaphysique comme philosophie première. L’ontologie rate la relation. L’être est un gros poussah vide, un gros mot creux, un sumo sans souplesse qui encombre la pensée. Serres se sauve de la figure trop stable de l’être grâce à de petits signes lilliputiens : les prépositions. Entre, avec, chez. Serres collecte les manières d’être, d’aller vers un complément, de coudoyer l’autre, de voisiner autrui, de venir au monde. Les prépositions chevillent la langue, opèrent l’enchantement des métamorphoses. Les animaux des apologues somment tous les rôles de composition des hommes. La Fontaine emprunte aux fabulistes grecs, latins, iraniens, indiens. Il s’inscrit dans le roman national de la littérature française comme Homère dans l’éducation grecque des origines. Il privilégie une sorte de féerie des formes, une indifférenciation des identités, à la manière d’Ovide ou d’Apulée. Mais d’abord. « Que suffit-il de savoir, que faut-il enseigner ? Les mathématiques et les Fables. Le reste est littérature » (page 58). Autrement dit, la rigueur et la fantaisie. Serres est formel. Leur alliage est gage de création. Les deux disciplines reines se frottent aux métamorphoses. L’inconnu des raisonnements est un équivalent général comme l’argent. La métamorphose est un passage à l’acte, le déni d’une définition. Elle résulte de l’expulsion d’un parasite. Serres s’interroge après Spinoza: Qu’est-ce qu’un corps ? « Le corps n’est pas, il peut. Il n’a aucune ontologie, il joue dans le virtuel. » (page 262). Et ce corps, La Fontaine l’incarne par Perrette. A la silhouette si légère. Perrette danse, virevolte, se promène dans le tourbillon des relations. Les prépositions sont des baguettes de fée qui transforment une réalité, la délivre des appartenances. Le corps n’existe pas. Il est possible, voilà tout. Si jamais il est, alors il chute. Il choie. Il perd la somme de ses déséquilibres. Il est malade. Malade comme une bête. L’animal des Fables, sans la métamorphose, n’est plus qu’un perroquet qui répète la même bêtise. Le corps est par essence déprogrammé. Or la danse figure la gamme infinie de ses métamorphoses. « Plus je pense, moins je suis moi ; plus je sais, plus l’altérité habite en moi » (page 323). « La Fontaine », Michel Serres, édité et présenté par Jean-Charles Darmon, Le Pommier, 2021

lundi 23 août 2021

Le dortoir des grandes

Osez, osez Joséphine. Osez tous les poèmes de Bashung. Osez Emma Bovary, Albertine Simonet. Osez l’héroïne de roman. Osez George Sand, Colette, Simone Weil. La liste des pensionnaires du Panthéon témoigne d’un esprit taliban. Il est temps que l’ouvrage de Soufflot devienne le dortoir des grandes. Osez Camille Claudel.

vendredi 20 août 2021

Comme une petite bonne

Biden rapatrie ses bidasses, se sauve d’Afghanistan. Les diplomates se carapatent. L’Amérique fuit manu militari. Ses alliés l’imitent en valets. La débandade est le visage d’une vieillesse, mal grimée, le rictus d’une civilisation atlantique qui claudique. L’inculture, le dollar, une morale de bazar n’ont pas suffi à domestiquer une lointaine terre ennemie. Aucun peuple n’absorbe la démocratie comme un remède de cheval. L’Afghan n’est pas un buvard qui sèche l’encre des discours d’Occident. L’esprit de revanche, aiguisé par une terreur de lèse-majesté, s’est enlisé dans le projet chimérique, toujours recommencé, d’une pacification post coloniale. Le sauve-qui-peut mesure l’étendue, la portée d’écho d’un pareil fiasco. L’âge de Biden, sa gestuelle laborieuse, accentue l’impression que « le Grand Satan » est tombé de son cheval. Go home. L’Amérique est congédiée comme une petite bonne.

dimanche 15 août 2021

Grégoire Dubreuil

Grégoire Dubreuil a choisi la nuit. Un jour, il publia un livre. Puis un autre. Du temps de notre amitié, il me confia un troisième manuscrit : « Heureux les pauvres en esprit ». Texte d’une rare dignité littéraire. A l’éditeur de qualité qui se désignera, je soumettrai volontiers la liasse de feuillets inédits – cent seize pages -, à son éventuelle attention, à sa juste appréciation.

dimanche 8 août 2021

Burn-août

Je suis fatigué des pâles apparitions du moussaillon de Brégançon. Il manque de Haddock dans la jeune tête à claques qui surgit au premier clic. Je suis déçu du petit débat des ticheurtes noirs qui complète le grand débat des gilets jaunes. Je voulais du glamour à l’ancienne, du roman-photo de bord de plage. Le jet-ski ? Déjà abandonné. Aucune suite dans les idées. Je voulais voir le chef par gros temps, les cheveux dans le vent. Fini, rangé des postures, le scooter des mers. Le petit frère des peuples délaisse son jouet mazouté comme un gosse blasé. Pas envie de purée, cet été. La pataugeoire ? Ils ont travaillé pour le roi de Prusse, les maçons de Brégançon ? Le toqué de TikTok s’en tamponne le coquillard de son bassin d’eau turquoise. Même la première dame fuit le voisinage du ponton. La philosophie du confinement, l’un et l’autre, les a secoués de l’intérieur. Alors, ils y restent. Vieux jeu, je me rabats sur la télé de papa, sur les navets réglementaires d’été. Julie Gayet, comédienne incertaine, fait la tournée des chaînes. Les patrons d’audiovisuel font du zèle à contretemps, se trompent de bonnes manières quinquennales. En revanche, Brigitte Trogneux est interdite d’antenne, même sur Ciné-Classic. Ses films sont boycottés. La télévision est outrageusement anti-Macron. Où est la liberté dans tout ça?

vendredi 2 juillet 2021

Grand dessein

Un grand dessein vient de loin. Dans son dictionnaire des idées reçues, Flaubert aurait ajouté : « gaullien ». Duras, renchéri : « forcément ». Je me suis réveillé tôt. J’ai écouté la radio. J’ai retenu les mots : « Ne pas saturer les hôpitaux ». Le grand dessein est un machin de médecins, une machinerie de toubibs qui nous mène au casse-pipe. Bref, je reste chez moi, même pas mal avec une fièvre de cheval. Je me bourre d’aspirine. Je suis brave. Avant de résilier le téléphone, je réponds à l’enquêtrice. « Non, je n’ai pas saturé l’hôpital de mon quartier ». Je le jure sur la Bible, la tête de Salomon. Je me conforme au grand dessein. Réglo avec les hôpitaux. J’ai bon. Oui, sous Macron, j’avais bon aux questions. Le dos rond est une stratégie de matou grognon. Que voit-on ? La Rem, reine d’un jour, rose majorette d’une Macronie morose, fille naturelle d’une hautaine Giscardie. Manu 1er, son roi, fut secoué par la rue, cogné par le virus. Il gouverna par vagues, par mimétisme. Manu le héros s’apparente à Walko, le maillot jaune surprise sous Guy Mollet, l’introuvable champion du Tour de 1956. Qui se souvient de Walkowiak, de sa gniaque éphémère de lauréat faussaire ?

dimanche 6 juin 2021

Assez d'actes, des paroles

Vendôme de la justice, Beauvau de la police, Orsay de la diplomatie, Grenelle de l’éducation, Valois de la culture, Bercy de l’économie, Descartes de la recherche, Saint-Germain de l’écologie, Beauvau bis de la laïcité, Balard des armées. La machine à fabriquer du colloque, du débat, du blabla s’apparente à un cheval fou, au galop des mots vers l’écurie royale, date d’expiration du mandat du cavalier de l’Elysée. On croule sous la générosité des états généraux. La multiplication des assises Emmanuel supplée l’embouteillage des comités Théodule. Les deux s’épaulent, Emmanuel et Théodule. L’oscar du bavardage absolu, du meilleur dialogue de sourds, est attribué ce quinquennat-ci à M. Jean-Paul Delevoye pour l’intégralité de son œuvre. On lui doit la magique invention de « l’âge-pivot », concept longuement mûri, peaufiné de réunion en réunion, deux ans durant d’un labeur jusqu’à pas d’heure. Trop tôt disparue, la géniale trouvaille laisse une famille de familles, une nation entière plongée dans la douleur, abandonnée au désarroi.

mercredi 2 juin 2021

Serres et La Fontaine

Il y a deux ans et deux jours, j’apprenais la mort de Michel Serres. Il ressuscite aujourd’hui avec Jean de La Fontaine, entre les lignes d’un même volume. Le philosophe et le fabuliste étaient faits pour s’entendre. J’ouvre l’inédit de Serres avec délectation. Avec l’assurance d’y croiser la jeunesse d’une pensée, les finesses enchanteresses de la langue française. C’est un luxe.

mercredi 26 mai 2021

Céline

Louis Ferdinand Destouches est né le 27 mai 1894. « Mort à crédit », livre deuxième, est un éblouissement, un choc littéraire. Nora, l’Irlandaise, impossible qu’on la taise, illumine le sublime récit du merveilleux styliste. Céline écrit pour ses plus belles lignes. « On ne quitte pas « Mort à crédit ». On est boxé dans les cordes. Le bouquin reste entre vos mains. Il colle à la mémoire, s'imprime dans la chair, squatte le corps. Céline parasite la réalité. "Non, mon oncle". Derniers trois mots. Point final de l'ébouriffant poème. Ferdinand est fixé sur sa folie. Cap sur la Légion. Ferdinand se fiche des préventions de l'oncle. Il est rectiligne sur la tribulation. Il suit l'exhortation de sa dure caboche. Il songe à Nora, la sublime noyée des mois de pensionnat. Nora s'est échappée de la nuit. Elle fend la mer d'Angleterre. Elle s'abîme dans une vague éperdue. Ferdinand se souvient de ses fièvres romantiques. Il revoit Courtial à l'aube, trouée dans la tête. Il n'a pas bronché, empoigné son fusil. Il voit du rouge qui dégouline entre les lignes. La mort se donne comme une carte de mauvaise pioche. Ferdinand est expert en pudeur. "Non, mon oncle". « Dancing de la marquise » (5 Sens Editions, 2020)

mardi 25 mai 2021

Epatant

Carlito est le mari de Carlita. Il est genré pour ça. Que nenni. Carlito n’est pas l’amant de Carla mais l’ami de Macro. Ils crachent dans le même micro. Le près-Zident est près des gens. Proche des plus que gens, proches des jeunes. Le présijeune n’attend pas l’automne pour sortir du tunnel, revoir les beaux jours, montrer ses dents de requin, sourire au destin. L’Elysée jouxte la rue du Cirque. La rue des clowns et des actrices. Son nez tourne. Le nez de Macro bouge quand il ment, le bougre. Carlito fait des roulades dans le parc. Il en profite, les salles de sport sont toujours fermées. Brigitte boude la cérémonie, n’aime pas la fantaisie. Macro l’Intello joue à l’idiot, au crétin des Pyrénées, influencé par le grand aîné du Modem, supprime l’Ena, copine avec les cancres des petits bachots et des blagues d’illettrés. Macro n’est ni fier, ni franc, ni français du collier. Macro, on dirait Jean d’O qui s’encanaille avec la plèbe, les sots du Web. Converse radieux de Dieu, de soi et d’entre soi. Macro sort bientôt du Château, de son colloque intime avec Jean d’O. Il publie la suite de ses Mémoires castristes, « Révolution II ». L’ouvrage évoque Zavatta, le vaccin de l’au-delà, Castex, l’extra-terrestre dont il apprécie les phrases à terroir, Benalla et son revoilà de maréchal, pugiliste oublié du début de quinquennat. Et plein d’autres choses. Bonnes feuilles en exclusivité dans le Gît Dédé. Epatant.

samedi 22 mai 2021

Monsieur Michaux

Henri Michaux est né le 24 mai 1899. Est-il mort pour autant ? Visage en forme de bosse de chameau. Visage de Michaux. Visage désert. Visage d’oncle Pierre. Visage de salaud. Hors photo. À moins de la voler au Collège : le cliché d’un Michaux sans chiqué, visage blanc de vieillard sur un banc, lunettes noires, les yeux vers l’intérieur. Visage d’oncle Pierre. Dévasté. Déplumé. Démâté. Lunaire. Visage d’après la guerre. Il est Belge et sans âge, longue carcasse d’escogriffe effacé. Sinistre et drôle. Michaux confectionne des ouvrages dessinés à la plume. À lire original. Jamais dans une collection de vitesse, genre vide-Poche. Et puis la beauté qui terrorise, et le feu de la femme qui flambe. Michaux voit la chair en cendres, la vie en volutes, la souffrance d’un marin, raté d’avance, et les mots qui font signe de la main. S’entend Michaux. Vieux tromblon. Il écrit. Moins lourd qu’une brique, plus déchiffrable aussi : un livre. À quarante ans, vingt ans aller-retour, il écrivit de mémoire le récit du voyage, son carnet ethnique. « Visages de Jeunes Filles », un texte lentement halluciné, une prose royale d’ivrogne, qui sèche au soleil. Michaux fait un petit travail miniature, sans y toucher, de son doigté de fée. C’est une sorte de cri crayonné, le croquis dernier cri de deux ou trois jeunes filles de la terre. Michaux est invincible quand il écrit la fin, et le début d’une femme. Il tient le fil et la fille. Voilà cet oncle Pierre qui entrebâille la porte étroite, ouvre grand la fatalité. Dans la chambre rose de l’univers, il voit l’écorchée vive à son lever. Il pressent la soldate, contemplée renégate. Gracq évoque la saveur évanouie d’un chewing-gum. Il désigne ainsi la prose usée. Au détour de ses « Lettrines ». À la relecture, la fadeur d’un texte aimé déçoit sans pitié. Mais voici « Visages de Jeunes Filles ». Il garde son grain intact, sa peau de craie, sa cambrure primitive, sa sauvagerie. Henri Michaux, de son ami le poète équatorien Alfredo Gangotena, aimait à rappeler les mots suivants : « Les murs tremblent, les feuilles aussi, je vous le dis, je vous l’assure, il y a quelqu’un qui saigne ici. » L’homme, l’orme centenaire, traîna sa carcasse en chasse d’images, de for intérieur, de visages, de ces nourritures pour l’œil qu’on appelle des paysages. Aujourd’hui cent ans, du verbe entendre, Michaux joue à chat en vieux chien sous la terre. « C’est comment qu’on freine ? » Comme Bashung, Michaux se demandait. Michaux est hors photo, sauf pour le papier journal Libération, ce nom volé comme la photo, chapardé à de Gaulle. Hors photo, c’est-à-dire de coquetterie mahométane, à la Céline. Pas très chaud pour les clichés, Michaux. On songe à Deleuze : « Je nage la tête haute, hors de l’eau, pour bien montrer que je ne suis pas dans mon élément ». Sauf, qu’à l’image de Madame Michu, mercière à Angoulême, Monsieur Michaux a vécu pharmacien, on n’est pas sûr de Carpentras. Quelque part où le paysage ne donne pas toute sa mesure, où les couleurs restent en dedans. Il s’amusa de quelques phrases. Mais Michaux nous dit à peu près ceci. Je suis conservateur. Parce qu’un secret, je le garde. Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, 2018). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

mardi 18 mai 2021

Sénèque et moi

J’entends Léo, un slow, « et dedans comme un matelot ». Sénèque, c’est extra. « Et ce mal qui nous fait du bien ». C’est extra. Deux doses de Sénèque dans le biceps gauche, à deux mois d’intervalle. Ce sont « Les Lettres à Lucilius » que l’infirmière m’injecte contre le virus. Le stoïcisme pénètre dans l’organisme, l’exhorte au détachement. Je me sens libre comme l’air, débarrassé des gestes barrières, délivré d’une jugulaire. Je lève le coude à la terrasse, l’affranchis des éternuements de police. Je choque mon verre avec l’été. Il n’est plus louche que je l’embrasse sur la bouche. Je n’ai plus peur de Salomon, le speaker qui maniait l’épouvante pour que je rentre sous ma tente, qui tous les soirs comptait sur ses doigts les gisants de notre camp. J’ai oublié les communiqués des défaites. Je fais la fête, m’insoucie de mon squelette. Je me fiche des embolies comme d’une guigne. Je passe entre les gouttes des mauvais désirs de l’élixir. Sénèque prescrit l’ataraxie. Le précepteur de Néron sait les paradoxes du pharmakon, remède et poison. Réputé le pire, Sénèque, l’ami de Caligula et de ses sbires, n’est pas très « ailletèque ». Je l’ai absorbé d’une traite sans mal de tête. J’ai bénéficié d’une sagesse, d’un fond de cuve philosophique, d’une recette antique fourguée aux hérétiques, d’un racontar de bonne femme destiné aux vieillards. C’est tombé sur moi.

lundi 17 mai 2021

Nourissier

Nourissier est né un 18 mai. Dix avant de mourir, il écrit « A Défaut de Génie », la confession d’un ouvrier sincère, le récit testamentaire d’un artisanat littéraire. Faute de mieux, de savoir choquer son verre avec les dieux. « Je musarde dans le gros volume de Nourissier. Lecture d'avant-dîner. J'ai cédé à sa mauvaise tentation. J'ai ressenti de la pitié suspecte pour le vieil homme défait. Jusqu'alors, j'étais dissuadé par l'ennui d'un visage. J'évite sa barbante mélancolie. « A Défaut de Génie » est un livre sans cérémonie, un manuel de coquetterie. Nourissier s'applique. Il donne un ultime coup de collier pour figurer sur la liste des épargnés. A corps perdu. Vain courage d'enragé. L'ancien compagnon d'Aragon n'est pas un grand fêlé des mots. Il n'est pas brûlé au dernier degré. C'est un bon serviteur, comblé d'orgueil et d'honneur. Il fait de son mieux. Il écrit juste, net et concis. Il nous émeut à vouloir nous sourire un peu, du coin de ses yeux embués. Il parle comme personne de la maladie de Parkinson. Il cause du malheur, l'évoque de l'intérieur. Je lui dois d'avoir revu mon père derrière sa phrase lucide. D'avoir peut-être conversé avec lui, partagé sa longue douleur muette. Avant d'entrer, j'ôte mon chapeau. Nourissier sait ressemeler les souliers. Dans « A Défaut de Génie », la langue française est bien chaussée. Elle peut cheminer à son aise dans la tête du lecteur. La laideur est plus forte que la mort. L'artiste n'écrit pas, le pistolet sur la tempe. Il pratique la chirurgie esthétique de son propre visage. Il se refait, non pas une jeunesse, mais une illusoire beauté de papier. Nourissier noircit la page, barbouille son triste visage. Il rate sa tête comme Giacometti échoue au seuil du portrait. Il vieillit, épaissit les rides de sa disgrâce. Il fait l'économie du mot fin: "Ouste !" Ce texte est extrait de « Dancing de la Marquise » (5 Sens Editions, 2020). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/322-dancing-de-la-marquise.html

samedi 15 mai 2021

17 mai 1909 : Naissance de Jeannine Guillou

Jeannine Guillou s'est sacrifiée. Sans le sou. Les privations de la guerre ont eu raison de sa santé précaire. Dans une lettre admirable à sa mère, Nicolas de Staël évoque l'enterrement de Jeannine Guillou, épouse et peintre. "Le 4 mars après l'avoir habillée de tout ce qu'elle aimait porter nous avons fermé le cercueil, son fils et moi, devant la petite Anne et le plus grand des peintres vivants de ce monde". Braque a soixante-trois ans. Il ôte sa casquette, se décoiffe devant le corps. On pense au fulgurant tableau de Courbet La Toilette de la Morte, égaré quelque part en Amérique, admiré de Staël et de Braque. On s'embrouille entre la vie et la peinture. Il neige au cimetière de Montrouge. Une rangée de nez rouges se penche sur le trou. Georges Braque et Nicolas de Staël ne font qu'un. Ce texte est extrait de « Dancing de la Marquise » (5 Sens Editions, 2020). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/322-dancing-de-la-marquise.html

jeudi 13 mai 2021

Flaubert, l’album Pléiade, gâterie d’aujourd’hui

« A dix-sept ans, Flaubert écrit à Ernest Chevalier : "Je suis à moitié des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, c'est admirable. Voilà la vraie école de style" (11 octobre 1838). Dix-sept jours plus tard, Flaubert persévère: "J'ai presque fini Les Confessions de Rousseau. Je t'engage fort à lire cette oeuvre admirable, c'est là la vraie école de style." Un mois après, il ranime une même ferveur, radote avec sa marotte: "Tu as lu Rousseau, dis-tu. - Quel homme !" L'épistolier normand traite Ernest en premier communiant: "Tâche de croire à l'intégrité des ministres, à la chasteté des putains..., alors tu seras heureux et au trois quart imbécile." Flaubert est barricadé dans ses cahiers. Il se plaît à la félicité de l'été. Il trouve la pluie à Trouville. Il lit Rabelais, Corneille, Shakespeare. Il y a deux variétés d'idiot: le prince Muichkine et l'autre, le crétin des Pyrénées. Flaubert obéit. Flaubert va voir à la cuisine s'il y est. Flaubert révèle une désolante crédulité. Le père s'exaspère, rédige le diagnostic: "Idiot de la famille". Sartre grabataire en fera trois gros bouquins testamentaires. Admirable. » Ce texte est extrait de « Dancing de la marquise ». L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/322-dancing-de-la-marquise.html

lundi 10 mai 2021

La guerre

La guerre. Quand j’étais petit, les anciens ressassaient leurs souvenirs de maquis. J’entendais des maximes sommaires nourries de nostalgie militaire : « Vous, les jeunes, ce qui vous manque c’est une bonne guerre ». A l’époque, le chahut de Cohn-Bendit fit l’affaire. Malraux parla de « monôme ». Un idéal. « Un grand dessein » de général. Une raison de mourir. Une guerre. Or la denrée est introuvable, inconnue des stocks, l’article ne figure pas en magasin. Depuis des décennies, on bute sur la panne de projet. Le virus de Chine comble un vide. Il distribue de la peur, offre une guerre aux jeunes, donne une mort, le coup de grâce aux vieux. D’habitude, c’était l’inverse qui prévalait. On comptait les enfants, les fils de vingt ans, leurs corps meurtris dans les cimetières à crucifix. Le chef des armées a défini les lignes, première, deuxième, troisième, ajusté le calendrier des échauffourées, fixé l’agenda de la victoire. Une guerre ne suffit pas. Une guerre bis est déclarée contre le cannabis. Elle se surajoute au lancinant casse-pipe contre les égorgeurs d’Islam. Le pétillant baroudeur de Tourcoing, mentor à coups de menton, escamote la difficulté, fait des policiers les soldats des cités. Mais qui nous bassine encore que l’Europe préserve des bains de sang fratricides ? On a trois guerres sur le dos. L’arme nucléaire pèse peu. Et toujours pas de grand dessein dans le viseur des fantassins.

mardi 4 mai 2021

Flaubert, passionnément

J’ai l’âge de Flaubert quand il erre loin de l’estuaire, s’assied dans le sable, fourre ses yeux dans la mer. Le Havre est sur ses lèvres. Flaubert va s’endormir là où Céline voudra finir. Culottes courtes et carottes cuites. Flaubert se ranime. Une silhouette l’éveille comme un éclat d’album. Elle ravage le paysage, piétine une vie d’enfant sage. Flaubert est beau. Tard, il songe encore à sa distinction de figure. La vie de Gustave va brûler d’un sang brutal. Elle est trouée, éborgnée par un alcool qui cogne. La baigneuse de Trouville s’approprie la mémoire d’un gosse débile. Elle flèche sa chair sur l’idiot de la famille. Flaubert s’absente de ses genoux. Il re-garde. Il garde deux fois. Il regarde, roi dans ses yeux. Une lumière de grand août interroge le rouge écarlate d’une étoffe à stries noires. Le garçon a l’âge de raison, deux fois dans ses os. La double raison donne une fraîcheur à sa déraison. Flaubert est fou. Il voit flou. Il est halluciné par un surcroît d’images. Gustave écrira ses Mémoires, gravera son désespoir comme on trace ses initiales sur une pierre tombale. Flaubert saisit le fétiche comme une algue sèche. Il traîne la soie sur le sable comme une robe d’épousailles. Il la gare des mouillures de la mer. Ses doigts ont senti le corps sans peau du manteau vide. Il froisse la pelisse. Il s’entiche d’une revenante. Flaubert se terre à l’auberge de l’agneau d’or. Il bouquine Byron, se remémore Cervantès. Il confie au papier l’éblouissement d’une épiphanie. Le collégien de quatrième a croisé le chemin d’une reine. Au repas de midi, les mots sonores perforent l’autiste effervescence de son esprit. Une voix supérieure rompt son colloque intérieur. La tenancière de l’établissement jongle avec les assiettes des bruyants pensionnaires. Gustave est sonné comme un petit valet. Un monsieur cible ses yeux. Dans son dos, la brune figure des flots le gratifie d’une juste reconnaissance comme d’une brusquerie. Je vous remercie de votre galanterie. Flaubert se réveille, rougit comme un soleil. Il fuit, pareil à un malappris. Il baguenaude, maraude de mauvais rêves le long d’une grève. Il habite un trou, une petite ville que la mer secoue. La rue du commerce est faite de bicoques de traviole, délicieusement disjointes, peinturlurées pour une cérémonie de ciel gris. Flaubert se pare d’une majuscule sottise, de la convoitise d’un front de taureau. La femme à chiffon rouge est une fille à lèvre d’orange. Elle bariole l’horizon du poinçon du poison. Gustave dégringole la rue des échoppes. Au port, au spectacle des barques, il toise le labeur des artisans pêcheurs, suffoque aux senteurs de la Touques. Quand la nuit sur la mer soudain bleuit ses plis, il s’étourdit des ultimes coloris. Trouville. Nom sans désir. Trou dans la peau. Trou, bled, patelin. Trou de mémoire. J’en consulte l’album des villas bourgeoises et des ciels d’ardoise. Boudin, en voisin, a peint le terrain de jeu de l’écrivain. Flaubert n’est pas loin. Il est voyeur aux premières heures. Il jette du sable, rôde sur la plage, considère la mer. Il a les sangs fouettés par l’iode et la beauté. Trou dans la correspondance du grand Gustave. Rien d'écrit entre le 24 août 1835 et le 24 mars 1837. Vingt mois d'absence. Temps mort où s'intercale la vision éclair d'Elisa Schlésinger. Flaubert ne sait pas quoi faire de sa peau. Il joue avec les mots. Il a quinze ans, traîne à Trouville son ennui de grand enfant. La féerie d'une image de vitrail interrompt sa rêverie. L'heureuse baigneuse surgit d'une vague affectueuse. Dans « affectueuse », il y a « tueuse ». Le sort de Gustave est scellé. Flaubert est ensorcelé. Il sauve le manteau d'Elisa de la montée des eaux. Du coin de l'oeil, il toise Maurice, la moustache lisse de mari sans orgueil. « Il tient le milieu entre l'artiste et le commis voyageur » (Mémoires d'un fou). Flaubert possède l'art d'épingler le boutiquier défroqué. Flaubert pose son épaule dans sa geôle. Il abandonne sa propre histoire à l'écritoire. Il est nié, prisonnier, prison-niais. De la beauté d'une phrase. De la fatalité d'une femme dont les pas s'impriment sur le sable. Vingt ans plus tard, Gustave observe une torpeur intacte. Il s'est muré dans l'immobilité. Il confesse un fiasco. Il cause à l'oreille d'Elisa. « Je me suis usé sur place, comme les chevaux qu'on dresse à l'écurie; ce qui leur casse les reins » (Lettre du 20 octobre 1856). Elisa est l’anagramme d’ailes. Elle est une parure dont Flaubert revêt son écriture. Tous ses volumes sont l’ambition d’un vol. Tous ses volumes y laissent des plumes. Elle a jailli comme une trouvaille. Elle élude une solitude. Dans Schlésinger, il y a schleu, il y a les chanteurs de Wagner. Flaubert vieillit. Elisa devient Eulalie. Elisa Foucault se grime en Eulalie Foucaud. Le même nom évoque Volk, ruse avec l’idiome de Prusse. Flaubert n’aime du peuple que ses filles. Ce diable d'automne tarde à révéler sa vergogne. La nature voile ses joues rouges. L'avenir se cache pour mourir. Une loi gouverne l'écorce des doigts. Les feuilles luisent d'un sang vermeil. Gustave se glisse dans le lit d'Eulalie. Il n'a pas vingt ans, mais envie d'embrasement. Flaubert a fui la Normandie. Il tente une escapade, se dérobe aux ciels gris. Le bleu Midi l'éblouit. Hôtel Richelieu, rue de la Darse à Marseille. Il cogne à la porte des dames Foucaud, échange quelques mots. Eulalie fixe le souvenir d'Elisa. S'appellent pareil. Elisa Foucault, Schlésinger par raccroc. Gustave est la proie de maîtresses entêtantes. Flaubert confie sa chair comme un secret de presbytère. A vingt-cinq, trente et quarante ans, Flaubert revient sur les lieux, toise les murs de l'hôtel Richelieu. Les foucades de Gustave sont inflammables comme une ruade, ou des incartades de style, dès la première syllabe. Flaubert s'instruit comme Godard. Il n'apprend que des éléments. A la Chantepie qui gémit de mélancolie, il écrit : « Votre médecin a raison, il faut voyager, voir beaucoup de ciel et beaucoup de mer.» Touché Flaubert, sexe fléché, vecteur de mort. L’écrivain diamantaire succombera à la morsure venimeuse d’une danseuse égyptienne. A la grisette sans piété, il préfère la prostituée qui sait. Cet amour-là griffe comme une phrase indomptée, taillade un corps, l’écorne, puis tourne la page. Le désir de l’almée s’aiguise aux carreaux du cahier. Et Flaubert gueule dans sa geôle, de chaude-pisse en haut style. Cette cicatrice du brave, que nomme en toute beauté Gustave, brûle au visage comme la balafre d’une phrase. Le loustic est calciné jusqu’à la plume d’une sainte syphilis. Ses brouillons scarifiés sont atelier d’artiste, barbouillés d’ébauches et de beau provisoire. La tuerie règne sur la page, avant qu’on y voie clair, le bleu du ciel entre les lignes. Aux abords de l’œuvre, les fosses communes sont pleines : la fille de mauvaise vie et la phrase de petite vertu s’y décomposent entrelacées. Mais qu’il écrive ou meurtrisse d’un même style, l’artiste finit toujours en beauté, donne la vie sans la mort, ressuscite la charogne. C’est pourquoi Flaubert n’a que faire d’être père, de jeter des marmots dans ses mots, d’aiguiller ce petit monde vers la pelletée terminus des cimetières. Car la mort, derrière l’amour, ne dort que d’un œil. Aux yeux de l’enfant, d’un Gustave en culottes courtes, qui sait les carottes cuites, l’assassin, le fauteur de destin, c’est lui, le père inconséquent. Ce texte est extrait de « La Cicatrice du Brave » (5 Sens Editions, 2017). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/90-la-cicatrice-du-brave.html

jeudi 29 avril 2021

Indépendance

Le prince accorde un entretien aux journaux de province. Il accepte qu’on l’interroge, s’y soumet en modeste. Je déconstruis la fable comme on dit ces jours-ci. Je songe au titre d’un bel ouvrage de Pierre Michon : « Le roi vient quand il veut ». Il y parle d’écriture, de style, de littérature. Le prince s’invite en première page, à cause du tirage local, selon son bon plaisir, au gré de ses désirs d’avenir. Il s’impose au papier journal. Il n’acquiesce pas, d’un sourire courtois, à la douce sollicitation du notable de région. Il lui tord le bras. D’autorité, il veut une pleine page pour s’exprimer. La presse est libre. Libre d’être convoquée par son prince. Le cordon ombilical est coupé entre les médias et l’Etat. Depuis belle lurette, Mitterrand et les chaînes commerciales. Vraiment ? L’Etat subventionne les publications sans lecteurs, les subordonne, leur assure les fins de mois. Soudain je pense mal. Je pense aux mauvaises fées qui, aux frais de la princesse, s’approprient mes précieuses données. Le rapt est indolore. Aux Gafa, je ne verse aucune dîme. Mon journal de référence, je l’achète au kiosque, le finance par l’impôt, en accepte les pâles publicités, en tolère la dépendance aux puissances et grandeurs d’établissement. Je suis un citoyen Gafa. Google satisfait ilclico presto mes recherches tous azimuts. Amazon, je l’ai découvert au début de la guerre. En plein confinement, à l’heure où les plateformes locales déclaraient forfait. Dans la disette, Jeff Bezos m’a acheminé des chefs d’œuvre. Je sais ce que je lui dois. Facebook élargit tous les jours mon horizon culturel. J’y converse avec des érudits qui partagent mes lubies. « Le livre des visages » a vieilli d’un coup mon vieux journal de kiosque. Et pour clore l’ensemble, Apple produit l’outil universel qui autorise tous les services numériques qui embellissent une vie intellectuelle. Du temps de Pompidou, la télévision était « la voix de la France ». Les choses étaient claires. De Gaulle s’attablait chez lui, à l’ORTF : les chefs étaient gaullistes, les artistes communistes. Le prince séjournait en sa télévision d’Etat. Aujourd’hui, il squatte n’importe quel média, public ou privé. Autrement dit, les impératifs d’audience et de bonne intelligence avec les pouvoirs se conjuguent pour vider de sa substance l’idéal d’indépendance. Indépendance : mot creux de discours pieux.

lundi 26 avril 2021

Infaillibilité papale

L’infaillibilité du magistrat est un dogme d’Etat. La décision de justice ne souffre aucune question critique, ne tolère pas l’opinion contradictoire, n’admet ni la réserve ni le doute. Faute de quoi, l’institution serait délégitimée, fragilisée au point de sombrer. J’entends ce catastrophisme obligatoire, ce discours de peur qui fige la pensée, qui glace la réflexion. Il me déplaît comme toute vérité non démontrée. Nos points de stabilité républicains exigent un ancrage d’airain. Pour ce faire, la raison satisfait mieux aux conditions de solidité de la fondation que la religion d’une corporation. La liberté de parole ne peut être entravée par un bâillon prudentiel, sorte de masque de prévention dissuasif du mal, distribué par une profession d’élite, si digne soit-elle. Attribuer une sorte d’infaillibilité papale à tout oracle de tribunal constitue une régression archaïque de la raison, révèle un privilège vieilli d’institution. Rien ne peut m’interdire de penser, dans mon for intérieur ou à la cantonade, que Madame Sara Halimi a été assassinée de sang froid par un homme comme moi, qui répond de l’ignominie de son acte, qui sait en conscience qu’il viole une loi. Les juges se déjugent à se cacher derrière un peuple dont ils seraient l’expression souveraine. Dans un prétoire, le peuple fait bande à part. Le peuple n’est qu’un symbole antique, sans vertu d’assemblée, sans la force d’une présence réelle de type eucharistique. Le peuple d’un prétoire, ce n‘est pas moi, ni toi. C’est personne, un principe ou une statistique. Une idée, peut-être. Une idole hors sol.

dimanche 25 avril 2021

Francis Bacon, mort d’homme, 28 avril

Tita colorise six cerises, bleuit l’anse d’une théière, enlumine une mandarine. Sa peinture éblouit comme une modestie, une toile pieuse de Morandi. C’est quoi, la couleur, les figures, la peinture, l’amour sur les murs ? La toile est un ring. Le boxeur est une viande d’abattoir, une chair incarcérée, un corps tordu de douleur. Bacon peint la contorsion. C’est son mode d’émotion. Ses autoportraits sont des selfies de bête traquée, des bouts de visage tuméfié, de moitié de trogne scarifiée. Le boxeur est déganté, premier de saignée dans la tranchée, cogné de l’intérieur par d’indicibles démons. Manque à Bacon Jésus le guérisseur pour éradiquer le diable, chasser Belzébuth, souffler sur sa gueule pétrifiée, ventiler ses narines de sordide miséreux. La vitesse de la douleur est étourdissante, invite la bête à la danse, lui assigne une humilité d’homme, joue du fouet de palefrenier, du lasso de dompteur de chapiteau. S’il y a la viande pantelante, son destin de charogne, il y a mêmement le cri primal d’homme qui longuement ressent le mal d’un flagellement dément. La gymnastique du loustic est sans acoustique, murée dans une figure sans murmures. On dirait la haine d’une finitude, la rage d’une solitude. Les anamorphoses de Bacon ne sont pas roses, mais couleur chair, teintée de vilaine terre. Le peintre saisit l’effraction, la torsion brute. Dans ses courbures de hyène, le boxeur sans adversaire se retranche en ses entrailles, calcine une déréliction dans un soleil intérieur, pervers, d’hiver. Le pugiliste est un artiste. Un monstre. De là jaillit la couleur impeccable, sans péché, rutilante, luxueuse luxure de peinture aux grands aplats satinés d’orange et de jaune, arrière-plans à vif comme des brûlures de glace. Le boxeur est entortillé dans ses nœuds d’humanité musculeuse. Il est coincé à perpétuité dans un cérémonial de cruauté. Le corps se distord, s’accroupit, se nourrit d’élans coupés, s’envenime de lents mouvements reptiliens. Bacon hurle une chiennerie, en farde la féerie. Tous les hommes s’appellent Bacon. Bacon est un peintre d’instinct, qui colore la toile de contours humains, dont l’obsession est la sensation. Les pinceaux nous rentrent dans la peau, perforent un corps, trouent la figure. « Dès qu’une histoire s’élabore, l’ennui s’installe, l’histoire parle plus haut que la peinture ». Francis vend la mèche. C’est pareil en littérature. Je suis revenu à Beaubourg, un beau jour, aimanté par la peinture du sixième étage. A la remorque d’un art brutal, éperonné par une beauté qui s’interdit le paysage, les joliesses de la pire espèce, la fausse piste d’une histoire. Bacon ne raconte rien. Ne ramène pas sa fraise : il orne les cimaises. Il vise une fraîcheur de coup de poing. C’est un sentiment véhément qui se recueille en pleine gueule. Je me sens bien parmi les toiles, une peinture exécutée entre deux bitures, ses figures charnelles en diable, jamais conceptuelles, soumises au vent de l’éventuel, au seul verdict de l’accidentel. Rien n’est peint d’avance. La couleur est à peine sèche. La peinture de Bacon est l’art des apparitions, loin des sottes narrations. « Illuminations ». Rimbaud accole à la poésie un autre mot. Ils fabriquent un même risque. Si Bacon n’a rien à dire, il s’attache à ne pas mentir. Noblesse oblige. La chair est une terre, flagrante de vérité, une évidente réalité bouchère, une sorte de pornographie groggy. La couleur sonne, un corps frissonne. J’ignore au juste ce qu’on appelle un homme, mais si je reviens voir les selfies cabossés de l’Irlandais, c’est que précisément je n’ai pas le choix : je suis chez moi, face à la terreur d’un corps. Mais pourquoi, sacré bonsoir, la nature morte de Tita me fait-elle penser à Francis Bacon ? Ce texte est extrait de « Tita Missa Est » (5 Sens Editions, avril 2021). L’ouvrage est disponible chez l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie/436-tita-missa-est.html Il est en vente à la Fnac, sur Amazon et chez Décitre. Il est également référencé sur Dilicom (catalogue professionnel des libraires de France). Le libraire peut passer commande en envoyant un mail à : servicedistribution@5senséditions.ch

mardi 20 avril 2021

Déconstruire, dit-il

Dans une lointaine jeunesse, j’ai lu, annoté, relu un libre blanc, couverture Minuit, tissé de soucieux signes denses qui faisaient écho à l’origine des langues, aux mots géniaux d’un homme de brio, Jean-Jacques Rousseau. « De la Grammatologie » est d’une lecture ardue, loin des voisinages d’une jolie prose, du visage de la littérature. L’ouvrage propose un concept massif, en béton, destiné à analyser l’essence d’une écriture. La déconstruction. Mixte à peine voilé des Destruktion et Abbau de Martin Heidegger (« Etre et Temps »). Déconstruire est une méthode philosophique que se donne Jacques Derrida pour pénétrer au cœur d’une écriture. Déconstruire, dit-il. J’ouvre le dictionnaire. Défaire, débâtir, démanteler. Les synonymes se succèdent pour démolir. Or l’homme, qui s’est fixé cinq années pour requinquer Notre-Dame, souhaite « d’une certaine manière déconstruire notre propre histoire ». A l’Amérique qui lui tend la perche d’un micro, aux universités qui jadis s’emballèrent pour la « French Theory », l’Emmanuel président près des gens ramène sa fraise intellectuelle, s’autorise de Jacques Derrida. De l’Histoire de France, de son grand récit, il prétend démonter la structure du bâti. Il est vrai que la bleusaille n’a jamais froid aux yeux. Macron, premier épidémiologiste de France, premier phénoménologue de Navarre, premier historien du pays, premier penseur de la nation, totalise le savoir encyclopédique de la planète. Il cumule tous les prix et accessits scientifiques naguère attribués à Staline. Tant d’excellence révèle l’impudence abyssale de ses béates ignorances.

lundi 19 avril 2021

A la Saint Anselme, la mort de Racine

« Il est des hommes, plus grands qu’eux-mêmes, qui héritent de l’exact patronyme : Chateaubriand, Racine. Ils sont au fondement d’un vivre ensemble impérissable. Je sors du Vieux-Colombier, où Artaud, le Mômo, hallucine encore la scène. Racine aujourd’hui ressuscite un vertige, un sentiment d’abîme, illumine une histoire racontée par des corps. Il a l’âge du Christ en croix. Il écrit sa turquerie, incorpore l’amour, le pouvoir et la mort à sa fatale songerie. Aux tourments d’une sultane ottomane, il mêle l’éclat splendide d’une rigueur alexandrine. Gracq a fui l’oflag de Silésie. Il vit la guerre et l’imaginaire. A trente-trois ans, à la gare d’Angers, il s’émeut de Bajazet. Il fixe le sanglant récit au ciel étoilé de ses Préférences (José Corti, 1951) : « Bajazet est sans doute la plus pure des tragédies de Racine. » Quand on est un peu vieux, qui plus est dur d’oreille, on aime voisiner les premières loges, frôler au plus près le texte des lèvres, s’asseoir à la source d’une souveraine beauté. Au quatrième rang, je suis calé devant l’absence du sultan, à bout portant des confidences, d’un soleil qui rutile, qui figure un sérail. Amurat étend son ordre à ne pas être là. On ne voit que sa loi. Il n’a d’autre corps qu’une obsédante odeur de mort, que la venimeuse passion d’un pouvoir exercé, que la jouissance perverse d’une vengeresse cruauté. Dieu n’a pas d’yeux. La scène entière est blanche du sang caché, maculé dans les arrière-pensées d’un opaque gynécée. Un bataillon d’escarpins évoque Amurat, reproduit l’assaut babylonien. La parade fétichiste signe un ouvrage d’artiste. Le texte est rythmé de mille pieds invisibles. J’écoute l’idiome racinien comme un homme, auprès des siens, se recueille. Dans ce labyrinthe byzantin, je sais d’instinct à qui j’appartiens. Je m’agenouille devant la dépouille. J’égrène un chapelet à la gloire d’une sonorité. La beauté n’octroie qu’une vérité, justifie seule d’être né. En revanche, elle ne souffre pas la moindre faute de majesté. Au renégat, elle ne pardonne pas. Le lieu cloîtré du gynécée est piqueté de souliers secrets et de hautes armoires domestiquées. La pièce est un espace de sensations traîtresses, irrespirable comme un destin inexorable. La tragédie de Racine mène aux ultimes lacets d’une meurtrière bottine. La rivale Atalide suffoque sa passion jusqu’à la strangulation finale. Rebecca Marder est une comédienne fière, sublime de caractère. C’est une amoureuse fiévreuse, lumineuse dans sa pureté d’origine. L’admirable pensionnaire du Théâtre Français prête au texte une jeunesse endiablée. Elle côtoie sans rougir les prouesses de Clotilde de Bayser (Roxane) et Denis Podalydès (Acomat). Dans la rue, vers Le Lutetia, les vitrines réfléchissent nos bobines. J’ai le haut d’une joue mouillé. A la sortie, je sais qui je suis. C’est drôle. J’ai l’air égaré mais je me suis retrouvé. Racine chuchote à mon oreille le secret d’une identité. Je revendique la langue française comme seule et unique patrie. Ailleurs, je me trimbale en terre étrangère. Les panneaux de bureau de vote affichent un casting. Dans l’isoloir, l’absence de bulletins Racine se fait sentir. Je me terre dans une colère. Je voile mon choix d’un rideau noir. » « Dancing de la Marquise » (5 Sens Editions, 2020, pages 17et 18) L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/322-dancing-de-la-marquise.html

samedi 17 avril 2021

Finir au Havre

Edouard n’est pas bavard. Il réserve ses épanchements littéraires au bidule numérique. Il pianote des deux pouces. Je le sens véhément, impatient d’achever son boniment. L’échoppe où il parade, boulevard Raspail, entrepose son bouquin rédigé à quatre mains. Edouard cale son trop-plein de pages parmi les piles, la lumière pâle d’étalage. J’observe Edouard. Il a l’emploi de son prénom. Il est distant des gens comme l’Edouard d’avant, celui qui n’a pas été président. Le style Edouard-Philippard ne s’invente pas, il s’enseigne au Conseil d’Etat. La librairie nous réunit. Edouard et moi, sous l’œil des gens de maison. Vu de la rue, il y a trois pelés et un tondu. Edouard taquine sa machine, fait galoper ses doigts. Il fait l’utile, s’acquitte de sa besogne tactile. Il est masqué. La barbe bicolore est interdite aux regards. Un bout de tissu noir veille à la conformité sanitaire. Edouard n’est pas le géant des écrans. Certes, il est longiligne quand il imprime ses signes. D’Emmanuel, il a appris le souci de son nombril. Au rayon Histoire, je considère Edouard, lui applique mes rudiments d’éthologie. Il n’obéit qu’à une loi : le sentiment de soi. Il soigne une parure, se mire dans le contentement d’une suffisance cérébrale. Edouard s’apprécie, s’autorise une coquetterie de légitime dignitaire. L’homme du Havre et des sensations portuaires ne souhaite pas y finir ses jours. « Finir au Havre ». S’y enterrer. C’était le caprice confessé d’un écrivain de la pire espèce. C’était le rêve de dernier abîme de Louis-Ferdinand Céline. La songerie de Destouches aurait fait tache sur la ville. C’est pourquoi il meurt à Meudon, loin des grands horizons. Edouard s’oblige à la fantaisie, joue la décontraction, se conforme au marketing d’empathie. Il surligne en blue jean un jeu de jambes d’aimable pugiliste. La posture nombriliste m’instruit sur sa qualité d’artiste. Edouard sonne son garde du corps. Le valet de pied rentre sans se frotter les phalanges d’eau bénite. On le sent à demeure. Edouard voudrait signer. Il est atteint de la maladie du paraphe depuis un récent séjour, rue de Varenne, à deux pas. Il s’est exercé à griffer. « Impressions et lignes claires ». Du Lao-Tseu apocryphe. Edouard aimerait commencer à dessiner les jambages d’une dédicace à Bernadette, Paulette, Marcel ou Gaston. Edouard interroge son faire-valoir. : « Faut toujours une attestation pour sortir ? Encore un coup tordu de ce con de Castex. Il s’est juré de bouziller mon service de presse ».

vendredi 16 avril 2021

Tita Missa Est

Pourquoi avez-vous écrit Tita Missa Est ? Tita Missa Est restitue un visage, dessine un portrait de femme, esquisse une figure littéraire, se désigne comme le livre de ma mère. Le récit entrepris m’a donné du fil à retordre. A vrai dire, j’ai écrit un livre que je ne sais pas écrire. A la différence de Fred, écrit d’une traite, Tita Missa Est a nécessité des haltes, des temps d’interrogation, une volonté de bien dire, la résolution de ne pas se mentir. D’emblée pourtant le livre se place au voisinage de Fred. Il requiert une écriture siamoise. Il réfracte une lumière de même nature, questionne des bribes de vie qui s’expriment de manière fragmentée, sous la dictée d’une mémoire incertaine, à partir de souvenirs remodelés. Je reconstruis des péripéties. J’en respecte le scrupuleux ressenti. La vérité d’émotion impose une narration. L’ouvrage est en quelque sorte, même involontaire dans son tracé, le second volet d’un diptyque littéraire. Il est la réplique féminine du livre de mon père. Tita s’égrène en quatre lettres. Comme Fred. Un petit bout d’alphabet suffit à orienter le tremblé d’une écriture. J’ai rompu la gémellité. Tita, si émouvante dans sa simplicité, s’est appelée, le temps du livre : Tita Missa Est. Car la liturgie du dimanche a scandé sa vie. Quand, dans un silence bref, l’abbé jette ses bras vers la nef, congédie ses ouailles, libère le temps d’une nouvelle Genèse à refaire dans la semaine. Tita était pieuse, heureuse des paroles du prélat. Moi je crois en Tita. Je me suis souvenu d’Ajar, le double de Gary. J’ai songé à la vie devant soi. Aujourd’hui la vie n’est plus devant moi, ne va plus de soi d’aller devant moi. Le passé décolore l’avenir. Il s’octroie la maîtrise de la ligne d’horizon, vise au retour des sensations d’hier, se projette dans un temps qui s’arrête. Derrière ou devant, c’est pareil, je regarde une mère. Je la peins. J’ai de la peine. C’est une morte qui repose sous une pelletée de remords. Je crois en elle, à un vieux sourire, du même bleu que ses yeux. Dans le demi-jour, je fais demi tour. Les dieux s’éloignent. Tita seule témoigne. Quelle différence avec Fred ? J’ai fignolé le portrait d’une cause qui m’échappe, ébauché les contours d’une femme qui m’a aimé comme personne ne savait. Avec Fred, on s’est tout dit. De son vivant. Il était fulgurant. Les regards ont suffi. Ils sont exhaustifs, dissuadent l’épitaphe. Ils flèchent dans le mille. Se débarrassent des mots qui ratent leur cible. Avec Tita, la conversation était hachée par l’incompréhension. Elle s’est interrompue, décousue par les malentendus. A une mère, un fils ne parle jamais bien, ne se situe pas à hauteur du mystère. Je lui ai infligé des fadaises, des sornettes de mauvais fils. J’ai mal veillé à l’éphémère sensation d’un temps qui parchemine un visage. Oui. A mesure que les jours s’écourtent, que les dieux du monothéisme se distancient des vies d’ici, Tita grandit dans la nuit. Oui. J’ai besoin d’elle comme d’une épaule qui acquiesce. Tita est un remords d’avant mourir. Tita Missa Est décalque un portrait de femme fragile, aussi robuste qu’un chêne sessile. J’évoque trois sujets sans jamais pouvoir les démêler : Tita, moi, et Dieu, peut-être un peu. La messe est dite, toute promesse interdite. Personne ne m’attend. Personne n’est là. Sauf Tita. Elle squatte ma tête, me souffle une épithète. Tita patiente. Patiente zéro d’une épidémie de mots. Sur la banquette de dispensaire où je poireaute pendant des heures, j’engrange de nouvelles séquences de l’existence. J’observe l’attention avec laquelle l’infirmière cajole un gobelet de café, berce un godet cartonné qui brûle une paume. Quoi d’autre ? Une phrase du livre, peut-être : "J’ai l’air de galéjer, de jouer avec des mots, mais j’entreprends le portrait d’une vraie personne, je crayonne une chair qui vibre, j’exécute le croquis d’une femme qui a vécu, que j’ai vue devant moi, qui ne court pas les rues, qui repose dans la terre et dans ma tête." Elle résume l’ouvrage. Au reste, peu importe la matière pourvu qu’il y ait la manière. A la table des matières, j’ai toujours préféré la table des manières. Un dernier mot sur vos projets d’écriture, dans l’immédiat ? Je travaille à la rédaction d’une chronique des souffrances françaises. Le titre provisoire, c’est : Froid de gueux, temps de guerre. Au fil des jours, j’observe les postures de Jupiter, le cri dans le désert des Gilets Jaunes, la bataille du virus de Chine. J’achève un ouvrage sur Michel Serres, l’ami que j’ai connu. J’y mêle souvenirs de l’homme et commentaires des textes de philosophie. Les fées de Serres s’impose comme un titre sincère. Mais le gros morceau, c’est le travail d’écriture des treize carnets d’Italie sur lesquels j’ai griffonné mes impressions, mes entailles de voyage, mes croquis de vagabondage. Je peaufine, je fignole, j’élague, j’ajuste plus de mille pages rédigées à la diable. L’entreprise exige un temps long. Car l’Italie est un paradis, une merveille qui ensoleille une vie, une terre de beauté qui s’imprime durablement dans la chair. Je ressasse une vieille idée, un sujet d’une rare fraîcheur, le récit imaginaire des péripéties non écrites d’Albertine, l’héroïne de Proust. J’ambitionne une troisième lecture, lente et patiente, de l’œuvre de l’admirable artiste. Une quatrième, une cinquième, peut-être. J’écrirai une vie d’Albertine Simonet. La Recherche est un roman-fleuve, une mer exquise, striée de mots délicieux. Je me vautre, me délecte d’un texte, dérive dans le papier bible de mes Pléiade écornés, glisse à mon aise sur les phrases, ne veut pas sortir de l’eau, prisonnier des mots. Au sortir des flots, j’écrirai une vie d’Albertine Simonet. Si je réfléchis bien, tous les volumes écrits de la main d’un homme sont des livres de souvenirs, le témoignage d’une mémoire imprimé sur du papier.

mardi 13 avril 2021

Sartre/Flaubert

Année Flaubert. Bicentenaire de sa naissance. Sartre est mort le 15 avril. « Sartre passe les dix dernières de sa vie avec Flaubert. L’aveugle, à contre-courant, pactise avec L’Idiot de la Famille. Il finit ses jours avec Cruchard. Il mourra, trois milliers de pages au compteur, laissant Gustave au milieu du gué, n’achèvera pas le chantier. C’est une œuvre de toute première grandeur qui explore deux continents qui se touchent : l’acteur et l’auteur. Le jeune Gustave se destine à la comédie. Il improvise des farces, il joue des bouffonneries. Flaubert veut être acteur. C’est une vocation dont seul le gueuloir survivra aux décombres. Achille, le père du loustic, ne veut pas d’un saltimbanque à la maison. Gustave se créera une identité d’amuseur grossier. Il le baptise Le Garçon. Flaubert renonce à son destin de comédien. Il ne sera ni Molière, ni Shakespeare. Proust s’entiche de Réjane et de Sarah Bernardt. Dès les premières pages de La Recherche, on est saisi par la passion du narrateur pour la Berma. L’auteur est un acteur raté, un grimacier empêché, un baladin dissuadé. L’écriture est une profession de deuxième zone, un métier de second choix, un médiocre lot de consolation. Tous les scribes de la terre ont des démangeaisons d’histrion. Auteur, acteur. Les mots ne varient que d’une lettre ; une voyelle supplée une consonne. On aimerait que l’étymologie nous enseigne une parenté, un voisinage, une légitime ressemblance qui serait le lien du sang du sens. » Fred (5 Sens Editions, 2019) « Melancholia, c’était le titre de Sartre. Un beau titre. Dans son petit bureau de la rue Bonaparte, il désignait une gravure, la reproduction d’une toile de Dürer. Gaston ne mange pas de ce pain-là. Il impose à Sartre l’inutile Nausée. Sartre se conforme au diktat Gallimard, retouche l’ouvrage, biffe des bouts de pornographie. C’est son premier livre publié. Il est satisfait de pouvoir garder l’épigraphe, la citation de Céline : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu » (L’Eglise, 1933). La sortie du méchant bouquin révèle en Roquentin un pedigree célinien. A l’époque, Staline goûte la prose de Destouches. Le Voyage au bout de la Nuit est le livre de chevet de Joseph Djougachvili. Sartre a l’âge du Christ en croix. « Dans les église, à la clarté des cierges, un homme boit du vin, devant des femmes à genoux » (Folio, pages 66/67). La machine est lancée. Cau, son secrétaire, prix Goncourt en sa jeunesse de gauche, pestiféré en sa vieillesse de droite, fignole un saisissant portrait du Prix Nobel réfractaire. Il peint un homme bien : « Au fond, le cœur, un cœur immense lui était monté à la tête » (Croquis de Mémoire, 1985). Je grelotte dans le petit bois du Ranelagh. Je ne veux pas rater la conférencière du musée. Corot, avant Sartre, se décoiffe devant la peinture de Dürer. Les pinceaux de Corot lui font écho en sa boudeuse Melancholia. Je suis content que le musée Marmottan l’ait rapatriée de Copenhague. J’ai longtemps résisté à la tentation de me frotter à trois gros bouquins, à la somme de Sartre sur Flaubert. J’avais peur de me perdre, de changer de domicile, de me fourvoyer dans L’Idiot de la famille. Je craignais un luxe d’analyses au détriment d’un gai savoir, d’un plaisant style. Or un soir d’été, j’ai succombé au péché. J’ai pris mes aises dans une somptueuse langue française. Je savais bien que j’étais chez moi à Croisset, que j’aimais l’hospitalité de Flaubert. J’ignorais en revanche que je n’étais pas mal du tout chez Sartre. Qu’il ait consacré les dix dernières années de sa vie à « Cruchard » aurait dû m’instruire sur le sérieux de son art. Bref, je me suis délecté des deux corps mêlés. J’ai tourné les pages d’un grand métissage d’artistes. Il y a deux variétés d'idiot: le prince Muichkine et l'autre, le crétin des Pyrénées. Flaubert obéit. Flaubert va voir à la cuisine s'il y est. Flaubert révèle une désolante crédulité. Le père s'exaspère, rédige le diagnostic: "Idiot de la famille". Sartre grabataire en fera trois gros bouquins testamentaires. Admirable. Dancing de la marquise (5 Sens Editions, 2020) « Dancing de la marquise » est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/322-dancing-de-la-marquise.html « Fred » est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie/295-fred.html

samedi 10 avril 2021

Une manière de se distinguer

Hollande, c’était la cravate. Castex, c’est la veste. La cravate de travers, la veste qui flotte. Philippe, c’est le poil au niveau des maxillaires. Il est blanc. On s’accoutume au champ de neige étincelant sur fond d’horizon nocturne. L’Edouard est bicolore de barbe. Mais c’est en tricolore qu’il se projette. Il est vrai qu’il boxe en salle, en corps à corps avec un destin national. Macron, c’est la rouflaquette de mauvais garçon. Le coiffeur du Château l’a ratiboisée, l’a coupée plus haut. Inutile d’apeurer les familles. L’air bandit peut gâcher l’élan d’une marche. On se souvient de Mitterrand, des dents de devant, du sourire carnassier que jalousaient les banquiers. Il les lima et on l’aima. Bayrou, les oreilles. Elles étaient décollées. Comme des scores d’opinions favorables de sondages bidons. L’agrégé les a recadrées, fixées à son portrait. Il bégaie rassuré désormais. Il discourt droit dans ses esgourdes. Tout le monde est relifté. Maquillé, bien éclairé, rajeuni sur la photo. La fraîche Roselyne Bachelot a vingt ans sur le cliché de sortie du dispensaire, sans la moindre séquelle de guerre. Ses bonnes joues lui suffisent pour braver le virus. A leur domicile, quand on les interroge en plein télétravail, l’âge d’état civil s’embrouille un peu les pinceaux. « T’as vu, Moretti, comme il a vieilli ! » Le coup de vieux saute aux yeux. La force visuelle des hiérarques se nourrit de biens non essentiels. Ils ne parlent face à la caméra qu’en présence de leurs avocats. Les livres sont au bout des lèvres, derrière. Une bibliothèque pleine à craquer, comme la chaîne des Pyrénées dans le dos du maire de Pau, un massif entier d’ouvrages rares, de Pléiade flambants neufs en milieu d’étagère. Ah oui, bien sûr ! Je pige la stratégie murale des pages. C’est une manière de se distinguer. La tête qui se paie la mienne n’est pas analphabète.

lundi 5 avril 2021

Mort aux oiseaux !

Un rêve d’enfant s’envole avec le temps, n’appartient qu’à ses parents. Un rêve d’enfant ment, illusionne le garnement, oriente ses projets de tyran. Par définition, l’enfant ne parle pas, nous enseigne le latin d’autrefois. Il se tait, répugne à la volubilité. Il regarde les nuages. Il songe, ronge ses ongles, grimace devant une soupe ou le visage d’un oncle. La songerie d’un gosse est inflammable. L’édile d’une ville a désigné le péril. La dame de Poitiers n’a pas fléchi, interdit pareille momerie. Une civilisation poitevine s’honore à fixer des scellés sur les rêvasseries de jeunes écervelés. La dame s’y emploie. Jadis les gamines idolâtraient les speakerines. Elles fétichisaient une femme potiche aux apparitions journalières de vierge immaculée. Rêverie détestable. La secouriste du chef-lieu poitevin en délivre les mioches, les préserve des mochetés stéréotypées. Les enfants sont dans la lune. Y vivent sans amertume. Séjournent dans un monde léger comme une plume. A Poitiers, on déconne grave, on n’arrête plus les Sarrazins, mais les joyeux bambins. Les enfants qui songent sont priés de remplir une attestation de sortie dans les nuages, un certificat de rêverie, d’en cocher la bonne case. La brigade veille. Les rêves sont mauvais, par essence, nécessite une éco-vigilance. La municipalité réfléchit à une fiscalité onirique, travaille sur le sujet, envisage la taxation des cauchemars de moutards. L’aéroclub et ses carlingues de dingues sont des bizarreries obsolètes comme les houillères, les sapins de Noël, le Tour de France et ses majorettes. A vrai dire, la suppression des avions est une demi-mesure, un projet qui pèche par timidité, qui manque de radicalité. La dame veut reboiser les tarmacadams. Très bien, mais insuffisant. Car l’avion ciblé n’est jamais qu’un artefact, un oiseau manufacturé. Plus qu’à la copie, c’est à l’original que la maire de Poitiers doit s’attaquer. Le rêve d’Icare procède du vol d’oiseau. Les volatiles sont à la racine des rêves infantiles. Qu’à cela ne tienne. Le pays doit réquisitionner les guerriers appropriés, les chasseurs invétérés, avocats ou vétérinaires, du style Larcher ou Dupont-Moretti. On a le choix parmi les viandards illustres. Les bêtes à plume sont à l’origine des vols sur la lune, produisent les délires de gosse d’Elon Musk. A l’image du « grand débat » qui jadis mata la révolte des gueux, une grande battue s’impose à travers champs. « Mort aux oiseaux ! » Tel est notre cri d’écologie. En cas d’échec et de rêves d’enfants persistants, subsiste la solution extrême de l’infanticide généralisé. Le hic majeur, c’est qu’elle contrevient aux pieuses valeurs dont nous sommes fiers. C’est un plan B risqué.

vendredi 2 avril 2021

La cause alitée

On s’interroge sur la vérité, sur le statut du vrai, d’un vrai aussi robuste qu’un théorème. Le temps d’épidémie questionne le principe de causalité, tourmente la linéarité du déterminisme, désolidarise l’effet de sa cause. Au bout d’un an et quelque d’une guerre masquée, l’expérience enseigne d’être modeste, valide l’échec face à la contagion. Les conséquences ne se déduisent pas aisément d’hypothèses bien identifiées. A l’effet, nulle cause n’est assignable avec certitude. La logique élémentaire est interpellée, chahutée par les caprices du virus. On se blinde, on se barricade, on s’encabane. On désigne l’enfermement comme la raison du reflux. La science est convoquée, brandie comme argument d’autorité, de manière indiscutable, sans que la relation directe entre l’incarcération sanitaire et la maladie délétère ne soit démontrée, n’ait la pureté universelle d’une preuve algébrique. Une cause approximative est privilégiée dans un contexte de science utilitaire qui habille de rigueur des faits de banale coïncidence. Dans l’arsenal des mesures sanitaires, il est malaisé de démêler les responsabilités, d’attribuer à l’une ou l’autre l’efficacité d’un résultat. Or les praticiens d’art politique tranchent sans le moindre embarras, désignent des causes à l’évolution des choses. Mais nous sommes les jouets d’une ignorance. Moins nous savons, plus nous galéjons. D’un ballet chaotique de faits insensés, de coïncidences échevelées, nous construisons une fable, nous échafaudons un récit de lumière, nous nous leurrons avec des discours de légitimation, prétendument « scientifiques ». Autrement dit, le déterminisme est malade, la cause alitée. Depuis que la tyrannie du « en même temps » s’exerce sans complexe sur les esprits, la logique d’Aristote est malmenée, voire sacrifiée. Le principe de non-contradiction est bafoué. A et non A sont compatibles. Dès l’origine, nous étions au voisinage de l’imbroglio. Le relativisme était décrété philosophie d’Etat. La confusion des causes illustre la théorie, témoigne de la situation, identifie la béance de l’ignorance. Les petits racontars des hiérarques sont des colmatages de fortune. Le conte de fées occulte l’épreuve des faits.

jeudi 1 avril 2021

Proust

Proust, l’admirable. L’inédit des soixante-quinze feuillets. L’Herne, jamais terne, splendide. Les deux Pléiade dans un sale état. Fallois, homme de foi. Proust, un casse-croûte pour la route.

mercredi 31 mars 2021

Pompidou, 2 avril

Une pluie fine taillade les pommettes, perce le squelette. Le ciel et la mer joignent leurs doigts d'ardoise. Les hommes meurent sans un stock de douceur. Vent tombé. Silence dégringolé sur une mer apaisée. Roches et varechs sont des signes celtes. L'aigrette remue le sable avec des pincettes. C'est l'heure où l'eau se froisse. La mer est trouée comme une mémoire millénaire. Un climat punitif fronce le relief des visages. La pierre a les yeux rougis par la pluie. Les hommes partagent le chagrin des parpaings. On est mangé par le temps, démangé par le ressentiment. Le Finistère est un bout d'Angleterre. Par ces vents fous, j'ai pensé à Pompidou. La politique s'est arrêtée à Pompidou comme la peinture au Lavandou. L'homme aimait l'auto et les mégots. La poésie et l'industrie. Il se méfiait des grands mots. La pudeur était sa demeure, un for intérieur, une parole d'honneur. " Dans notre famille, on ne se couche que pour mourir ". Quarante-sept ans qu'il nous manque, qu'on nous flanque au balcon des premiers communiants, que font long feu des petits morveux sans grand sérieux. Pompidou a vingt-et-un ans. Il griffonne à Pujol qu'il est tenté par l'opium. J'aime Pompidou, compagnon de Poulidor et des sons du terroir. Il est facile dans les cols, à l'aise en Mai qu'il démêle, collectionne Staël. Il est désinvolte, brillant, rude au mal. De Gaulle : il rédige à sa droite. Ce texte est extrait de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, pages 74 et 75). Il est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexionpamphlet/90-la-cicatrice-du-brave.html

vendredi 26 mars 2021

Dominique de Roux

29 mars. Dominique de Roux est mort, il y a quarante-quatre ans. La grandeur était son genre de beauté. Quand j’ai lu Maison Jaune, j’ai su, j’ai pressenti l’enjeu fatal, la royauté absolue de la littérature. « Dans l’avion qui griffe le ciel d’Atlantique, je lis Maison Jaune. A trente-trois ans, on est mort ou père de famille. Ce qui est la même chose, plutôt deux fois qu’une. En route pour l’Amérique, j’ai rencontré Dominique de Roux dans ce drôle d’oiseau corridor. Un long bruit d’étoffe venait des réacteurs. D’autorité, j’ai décidé pour l’urgence : livre d’honneur. « Ce qu’il me fallait écrire là, c’est précisément le testament de ma jeunesse : l’écriture noire et blanche. » Arrivée à l’âge des couleurs, des livres peinturlurés qu’on jette à poignées, la littérature s’est enlaidie du cliquetis de ses bracelets. L’écriture noire et blanche, sous-titrée dans la langue d’avant siècle, se nomme encore cinéma muet. Elle laisse les restes et fioritures, je veux dire le parlant, aux assemblées de non-voyants. Car la couleur des origines, c’est la lumière de ciel par la fenêtre. D’où vient le luxe. Et les ombres s’y dessinent à plaisir. Chienne de lecture que celle de Maison Jaune, émaillée d’images de passe qui en filtrent l’accès. Aux premiers jours, la liberté est indémêlable de sa grande sœur, la fatalité. Toujours ensemble, ces deux-là s’entendent comme larrons en foire, nous trompant à l’excès derrière des masques de loups. Pour arracher le vocabulaire, il faut un retour aux sources. L’auteur de Maison Jaune est un bandit de grands chemins qui taraude la terre, couleur d’emballage, et chaparde les souvenirs aux branches, de ses poignets veinés d’encre. Dominique de Roux rôde sur les lieux d’un crime, sur les traces d’une jeunesse de sang. A la lettre, il écrit un livre de bras d’honneur. A mesure des chapitres, à mesure des cassures, les cercles s’amenuisent sans jamais neutraliser la proie du temps qui passe. L’écriture est celle d’un grand brûlé. Trouée comme un damier. Avec des taches de soleil sur le parquet des mots, couleur de missel. L’écriture grince pareille au bois de marqueterie, dans un cri d’os qu’on esquinte mais qui ne fléchit pas. Ce livre fait figure de débarras splendide, où vieillissent des pans de joie, où rutilent à peine déballée des fiancées mortes : « La mer, le soleil, les marées de fleurs et d’oranges, la Sicile merveilleuse. On fait tant de bicyclette, de tours en barque, de batailles de pamplemousses, et tout est si beau que je voudrais que vous voyiez. » Il entasse les cartes postales anonymes, New York et Wilhelmine, les maîtres Gombrowicz et Pound, les petits aussi, emmêlés dans leurs chaînes. Autant de paragraphes qui se querellent dans un embrouillamini de roi. Il y a plusieurs images par seconde qui se chevauchent. Et à la fin du livre, histoire de brouiller définitivement les pistes, la pellicule casse une fois pour toutes. Dans l’avion, un œil dehors, j’avais les mots du poète pour lire le monde, si bas de plafond soit-il : « …détresse que les passants appellent brouillard et qui est l’ivoire réduit à ses nervures… » Ce petit livre appartient à la tradition noire des recueils de prière, dont les mots se cabrent en faisant signe. Sur les visages, la mort souffle au plus près, leur donnant ce genre de beauté travaillée, si hautement sophistiquée. Je sais un peintre dont les plaies luisent au mur des galeries. A livre ouvert, j’y reconnais l’écriture, ébouriffée d’élégance, de Dominique de Roux. La poésie lacérée de cet homme est faite au couteau. Dans le secret de l’écorchure. Dominique de Roux imprime ses à-coups, joue avec le feu. La primitivité de plume est signe d’une civilisation de princes. Avec faste et mots de moine. Sur la page, des fragments de dureté précise se détachent comme éboulis de marbre. Dominique de Roux annonce la couleur : « Aristocratie et peuple sont du même bois. Et quand l’aristocratie est vaincue, le peuple est exclu. » Entre-deux, la morale des vainqueurs, gens des bourgs, qui manquent de corps, désespérément. Cette variété-là fait eau de partout, « inflammable pour n’importe quelle connerie ». De prime abord et jusqu’à mort d’homme, le courage aguerrit les meilleurs et les meilleurs seulement. De Céline, disait-il : « Ecrire, ce n’est ni faire carrière ni prolonger ses humanités. Il faut avoir la force, ne servir que sa vision. » Ou le rire de granit des statues de Fulda. J'imagine l'hôtel des Palmes à Palerme. Raymond Roussel, fils de famille, s'y suicida, jour de fête nationale. Au rayon déchetterie d'une librairie, je localise Locus Solus, au voisinage de Maison Jaune. Dominique de Roux efface Roussel. L'alphabet permute un but. Je m'enfièvre à pareil désert d'étagère. Maison Jaune, que Dupré étiqueta "chambre du roi", est une feuille d'automne qui pourrit sans ami. Un livre d'orgueil dort du sommeil du juste, abandonné des siens. Où sont Céline, de Gaulle, Gombrowicz, les petits soldats, l'armée des songes d'un enfant de Saintonge ? Maison Jaune fait tapisserie dans un coin de librairie. L'auteur du Cinquième Empire n'a peur de rien, pas même des doigts qui frôlent un squelette. Je peste contre un guichetier en livrée. Le Raymond Roussel de Michel Foucault est épuisé de toute éternité. Je revois l'émouvante moustache de François Caradec, son biographe, le doux regard d'homme de bar, sa trogne d'ivrogne. J'ai conservé sa lettre, joliment manuscrite. J'en extrais - comme un rite - le mot "luxueux" qui me rendit heureux. Le soleil chauffe la joue, démange la pointe des coudes. Savoir jouir. Autrement plus calé que de laidement travailler. Pas facile de se faire accepter, d'apprivoiser l'inutile. L'étrangeté fait aboyer un chien. Je songe à Dominique de Roux : "On fait des batailles de pamplemousse. Je voudrais que vous voyiez." Il taillade le dos d'une carte postale. Il écrit sa joie d'enfant à ses parents vivants. Maison jaune est un texte d'automne. Il est fini le temps des cartes postales. » Ce texte est extrait de « Dancing de la Marquise » (5 Sens Editions, 2020). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexionpamphlet/322-dancing-de-la-marquise.html

mercredi 24 mars 2021

Squares, boulevards, rues et impasses

A Pézenas, Bobby Lapointe a hérité du parking municipal. Son nom figure sur les tickets de caisse. Le copain de Brassens méritait mieux qu’un hangar à bagnoles. Un Théodule de comité a dressé une liste de patronymes, de noms divers pour désigner les squares, boulevards, rues et impasses. Diversité est un mot paradoxal. Il privilégie la singularité d’une origine, la banalité d’un lieudit de naissance. Le Théodule en question, un historien d’aujourd’hui, confesse un double sentiment : « Je me sens Breton, je me sens Français. » Il revendique deux identités, les superpose. A mes yeux, le terme d’appartenance serait mieux approprié. Il autorise le pluriel. L’identité ne se décline qu’au singulier. Un singulier mystérieux, peut-être introuvable, malaisé à se dévoiler. L’identité est infalsifiable, idiosyncrasique, telle une spirale d’acide désoxyribonucléique. C’est un concept de biologie. Quant à Théodule, alias M. Blanchard, je ne partage pas son sentiment régional. Je me sens Français, point final. Je me sens Français, totalement, sans rien d’autre en même temps. La Normandie où petit j’ai grandi ne me communique aucun ressenti privilégié de vaches ou de prairies. J’appartiens à une nation qui me requiert tout entier. Je suis possédé par une langue dont l’école m’a transmis les plus beaux rudiments. Le baragouin normand, l’idiome de mes aïeux vikings, n’est qu’une langue lointaine, ésotérique, dont je ne cherche pas à me réclamer. A vrai dire, elle m’indiffère. Des trois cent et quelque nouveaux noms de ruelles, sortis d’un chapeau « scientifique », j’extrais Kopa. Raymond Kopazewski a régné sur le Onze tricolore, le Stade de Reims et le Real Madrid, distribué le jeu, la balle, les passes à Fontaine et Piantoni. Il m’importe peu que Kopa soit Polak. Ou que Piaf soit Kabyle. Mais les squares et les boulevards arrivent bien tard pour eux. Ces noms d’hier, ces gloires d’antan, ne parlent qu’aux vieillards, à leurs souvenirs défaillants. J’imagine mal un maire d’arrondissement séduire une jeunesse, une génération en détresse, avec les people des années de Gaulle.

jeudi 18 mars 2021

Les phlébites du Brexit

Les duettistes nous distraient des morosités de la cité. On rit de Laurel et Hardy, de leurs querelles habituelles, du rituel de leur duel. Un couple, digne de ce nom, ne se chamaille que pour un trait d’union. Les alliés ne font jamais la paix. Les relations privilégiées n’autorisent qu’à des guerres à perpétuité. AstraZeneca est un cas d’école pour nous autres, gars des Gaules. Devant le fait accompli du mauvais vaccin d’Oxford, la pointilleuse Germanie s’est offusquée, a mis les points sur les i, s’est dépêchée d’en suspendre la toxicité. La « grande nation », toujours bonne fille, à la hâte s’est pliée au diktat. Le couple franco-allemand, l’union d’une ronde fiancée et d’un prince charmant, au glamour monégasque, est fondé sur un serment romantique qui résiste à mille tourments chroniques. Les deux nations s’accordent sur la vaccination, se solidarisent sur des doses, s’échangent sourires et bouquets de roses. A vrai dire, le tandem germano-gaulois calque une logique boiteuse, une relation bancale sur le sympathique attelage maire/préfet, jailli de la pensée patoisée d’un Jeannot d’Hérault, mirobolant leader régionaliste. Car le préfet d’Europe, c’est une chancelière allemande, et le maire d’arrondissement qui exécute l’ordre au doigt et à l’oeil, c’est un président suiviste qui obéit en petit valet. Les Anglais nous fourguent déjà des tonnes d’un variant encombrant. Il n’est pas question maintenant d’importer les phlébites du Brexit.

lundi 15 mars 2021

Tita Missa Est

La parution d’un livre est une émotion forte, l’attente fiévreuse, l’espoir d’un jour qui se lève. Tita Missa Est ébauche un portrait de femme, esquisse la figure littéraire d’une mère. A voir la couverture, je réalise que je touche au but, que j’achève un travail de composition française. Seule m’importe la langue d’une mère. A vrai dire, j’ai écrit un livre que je ne sais pas écrire.

jeudi 11 mars 2021

Je dirais, Mandiargues

Mi-mars. Mandiargues a 122 ans. De « L’amitié de mes genoux » , j’extrais ces lignes : « Au croisement des meilleures manières de dire, au hasard des lectures françaises et des feux de braise, se percutent tête à tête la prose de Jacques Chardonne et la phrase d’André Pieyre de Mandiargues. C’est un voisinage d’exception, une sorte de discrète communion, le précieux coudoiement de merveilleux artisans. Je les identifie comme une compagnie de fin de vie. Je les reconnais aux grains de beauté jetés d’instinct sur la page écornée. Rien de commun entre les deux écrivains. Bien sûr. Sauf la littérature. La littérature est un territoire noir, une contrée sauvage. N’y séjournent que des forcenés de la phrase, des fous furieux de la féerie textuelle, des bêtes féroces qui dépècent les songes, déchirent la viande des mots. André Pieyre de Mandiargues est un artiste rare, un écrivain de fier lignage. Son centenaire officiel oblige à considérer l’éclat chatoyant d’une œuvre fulgurante. Gracq l’admirait au point d’envier l’excellence de ses récits courts, sa maîtrise des textes majestueux. Mandiargues n’écrit pas vite : il tâche d’écrire faste. Mandiargues ne se donne pas à lire sans d’emblée se raidir. On entre un jour par la bonne porte. J’ai lu La Marge à Barcelone. J’y découvrais la nuit, ses ruelles odorantes, au rythme de l’errance narrative, à la cadence enivrante d’un cheminement fatal. C’est un roman sublime, exquis, raffiné d’un grand poète, primé en 1967 par l’académie des Goncourt. Ce trésor n’est pas plus épais qu’une boîte de cartouches. J’envie, d’une jalousie féroce, le lecteur qui découvrira ces pages magnétiques, déambulant au hasard dans les travées entortillées de Barcelone. L’écriture de Mandiargues joue avec la lumière, les couleurs, les humeurs et les sons. L’artiste fait luire sa griffe au soleil. La joie méditerranéenne jaillit des sortilèges de l’écrivain huguenot, irradie les pages de Rodogune, somptueuse nouvelle, plante un couteau dans la cruauté du bonheur. Se lit à haute voix. Amour fou. On n’en sort pas indemne. Sur ma paume, la lumière de Sardaigne saigne. Nous sommes loin du crincrin des machines à compter. À mille lieues de la stridence incivile des sirènes. J’étais fait pour elle, Rodogune, comme l’oiseau d’un seul ciel. Le « aigne » de Sardaigne, méchant comme une teigne, me rentre dans la peau, lentement, comme une morsure de soleil. Rodogune est la jeune inconnue à la courbure de hyène. Je lis les mots du peintre, souffle sur les grains de sable du phénoménal Staël : « Il avait vu quelque chose comme le bonheur. » L’invincibilité du ciel, son évidence absolue, me cloue sur le banc d’un quai de gare. Rien à faire. J’écris avec le bout des griffes. Je songe aux citronniers de Pula, à Pierrot le Fou, au dancing de la Marquise. Je revois la maison de joie de Sinistria. Nous enfourchions le dos tiède d’une vague affectueuse. Je relis, je revois son chignon noir dans l’ovale d’un fichu de paysanne. Elle repose sur ma joue, le derrière en bataille. Dans la continuité ou par contiguïté, il faut lire le merveilleux Lis de Mer. S’abandonner au charme vénéneux de Tout disparaîtra, l’ultime récit d’un quotidien où le métropolitain n’a jamais été aussi bien dépeint. Au petit bonheur, au vent du caprice, il convient d’égrener les cinq tomes de Belvédère, qui sont des recueils de prière, des textes de ferveur, des communiqués lapidaires en forme de dernier salut sur la terre. Reste à aimer La Motocyclette, récit inspiré d’une Bardot chanteuse chevauchant une Harley-Davidson, et tant de merveilles littéraires délicieusement érotiques. Dans Matinales, Jacques Chardonne vend la mèche : « On veut une neige fraîche où personne n’a encore marché. » L’écrivain charentais, partenaire épistolaire de Paul Morand, s’interrogeait le 11 décembre 1962 sur l’avenir de la littérature : « Je dirais, Mandiargues ». Oui : Mandiargues s’avance solitaire dans le siècle. C’est un splendide centenaire, un styliste admirable, qui frappe discrètement à la porte des plus grands prosateurs de langue française. Vanina. À Jean Paulhan, novembre 1956 : « Magnifique roman de Mandiargues. Je le crie partout. » Chardonne change de ton, sort de ses gonds. L’art de Mandiargues provoque une sauvage exaltation, compose une sorte de psaume noir, d’allure incantatoire. Chardonne taille le silence, cisèle un cristal musical. Mandiargues est un luxueux coloriste, un adorateur de dorures, un collectionneur de terreurs. Son genre de beauté fait peur, ride les eaux lisses d’un éphémère bonheur. Chardonne découvre la peinture en littérature. Vanina est le titre originaire du légendaire Lis de Mer. La suffocante beauté de Santa Maria di Siniscola se jette sur la phrase comme un fauve qui dépéce, une bête prédatrice dont la trace de canines invente un secret alphabet. » « L’amitié de mes genoux » est un ouvrage disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexionpamphlet/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

samedi 27 février 2021

Pour une littérature exclusive

Je reviens sur le ramdam actuel autour de la littérature exclusive. Les jeunes ont raison de rafraîchir les idiomes. Les formes galopantes d’écriture ont fait leur temps. Elles nous semblent aujourd’hui des gribouillis contre nature. La phrase de Proust réclame un bon coup de sécateur. Elle s’emberlificote pour le plaisir de bien nuire, colonise la page, végétalise le roman. Une circulaire de préfet pourrait pratiquer des césures bienvenues, la scinder en quatre, en calquer le rythme sur le tempo d’un Musso, par exemple. Court, sec, sujet verbe, complément. Sinon, on verbalise : cent trente cinq euros. Et si récidive : autodafé. Il est impérieux d’élaguer les récits sinueux. Les langueurs de duchesses et les bouffées de chaleur de Charlus nous enquiquinent autant qu’Anna Karénine. On aère, c’est de bonne guerre. Même Céline fignole de travers, bourre ses lignes de vilaines onomatopées, stoppe une logorrhée avec des points médians, côte à côte, trois par trois, comme des parapets de sécurité pour ne pas tomber. Suspendre les points au nom de la bienséance. Suspendre les points, à la fin comme sur les i. Voilà de justes causeries qui nous libéreraient de pénibles fantaisies qui n’ont que trop duré. Simplifier la grammaire. Revenir aux fondamentaux. Loti est le pluriel de Léautaud. Poe est le pluriel de Paz, Michaux le masculin de madame Michu. Savoir élémentaire. Et ça suffit. Deleuze parlait de la langue comme d’une gueuse. L’écrivain serait « un étranger dans sa langue ». Comment ça ? Non. Il faut bannir du lexique les noms à coucher dehors, sans quoi le vocabulaire s’intoxique, sans réserve d’anticorps. Bref, la vieille écriture invasive qui s’entortille sur la page est à rayer du paysage. La littérature exclusive, la seule qui vaille, enseigne d’écrire propre, court, bien dégagé sur les oreilles. Même l’Académie, le docte Ehpad du quai de Conti, n’est pas vacciné d’office contre l’immigration massive d’idiomes vérolés. Christian de Maussion

jeudi 25 février 2021

A l'aise Blaise

L’Etat impose une peur, s’identifie au gang des saucissonneurs. Il ficèle à domicile un peuple indocile. L’Etat encabane, fourre une nation entière en détention solitaire. Il cloître les corps sains, les malades aussi bien. Il engrange du virus dans d’étroits espaces. Un dieu médecin reconnaîtra les siens. L’Etat distribue les rations d’incarcération. Les chefs se planquent derrière des couvre-feux. L’isolement s’apparente à un châtiment. L’Etat teste une torture contre nature. La stratégie d’un faux lazaret, mal compris, mène à la déréliction d’une nation fragmentée. L’exercice du for intérieur est un art élitaire, pas l’expérience digestive d’un tourisme de masse. La politique d’enfermement ignore l’aptitude au recueillement, la capacité de retranchement solitaire de l’homme ordinaire. Ils font l’Ena, à dos de chameau, en possèdent la centaine de mots, consultent les mages d’hôpitaux, mais nul Théodule de comité n’a lu le Pascal des billets de cinq cent balles. Or Blaise est à l’aise avec l’actuel malaise. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans sa chambre. » (Pensées, 1669). Exit le bruit et le remuement. La loi d’Etat dépouille de tout, sauf de soi.

jeudi 18 février 2021

Comment tu me parles ?

Le préfixe re- est accommodé à toutes les sauces. On le sollicite à l’envi pour épaissir une expérience, mentir sur une mince existence. Il est obligatoire de relire Proust – c’est un dû – sans jamais l’avoir lu. Quand c’est la bonne année, à l’heure de la commémoration officielle, on revisite Napoléon, sans qu’une première fréquentation n’ait précédé l’impérieux emballement du moment. Il est de bon ton de se réinventer comme nous l’exhorte un président quoiqu’on soit bien embarrassé de trouver la trace d’une invention d’origine. Les verbes. Les vilains verbes poussent comme de mauvaises herbes. Maudit chiendent. Une décision impacte : il eût suffi qu’elle affecte. Dans la foulée, on nous fourgue son corollaire : une mesure solutionne à défaut de résoudre. Les princes qui nous parlent sont en charge, délicieux anglicisme, exquise subordination linguistique : ils fourrent des malles volumineuses dans le coffre d’une nation. A notre oreille exercée, ils susurrent qu’ils sont en responsabilité. Traduire : ils s’acquittent d’un métier. Avec, au besoin, une précision d’haltérophile : « Le projet que je porte ». Cette langue de forts des Halles fait lever le sourcil. C’est ainsi. On s’habitue mal. Dès lors, un remède s’impose. Je propose la création d’une application mobile StopMotsVides qui traquera les dysfonctionnements du parler d’Etat. Sans trou dans la raquette, cette fois, et qui coche toutes les cases. Evidemment.

jeudi 11 février 2021

Mieux qu'un monsieur

A la saint Valentin naissent aussi les écrivains. Jean-Luc Lagarce est de ma génération. Les deux tomes de son Journal, un théâtre, un style sont des émotions longues, des manières de ne pas mourir. Quelque part, Lagarce mentionne une phrase lapidaire, sait sa vérité de chair : « Sauf la souffrance physique, tout est imaginaire. » (Jacques Chardonne, Propos comme ça). Le jeune gauchiste s’émeut des textes de cristal d’un écrivain d’autrefois, joliment conservateur. L’art littéraire est une patrie qui réunit les contraires. « Je n'avais pas vu "Juste avant la fin du monde" au cinéma, ni au théâtre d'ailleurs. Dans le bidule devant mon lit hier soir, j'ai regardé ce que les marchands d'illusion avaient fait de Lagarce. Ce grand garçon de Besançon m'obsède par sa probité et son pacte avec la beauté. Son Journal est une merveille, il faut le lire et relire. Dans le film du jeune Canadien, la joliesse du visage de Gaspard Ulliel m'a intéressé. Bref, j'ai dîné en tête à tête avec Lagarce. C'est un type sérieux, "mieux qu'un monsieur", aurait dit Nicolas de Staël. Oui. Il faut lire la vie de Lagarce, au jour le jour. Rien de publié de son vivant, une ou deux pièces jouées sur une trentaine d'écrites. Dolan a du goût. L'ami de Lagarce est mon ami. » Ce texte est extrait de « A défaut d’écho » (5 Sens Editions, page 46, 2020). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/19_christian-de-maussion

mercredi 10 février 2021

Prix Geste Barrière 2021

Le Prix Geste Barrière, parrainé par un grand groupe hôtelier, a été attribué à Mme Brigitte Macron, à l’unanimité du jury, moins une voix. Celui-ci était composé des Professeurs Caumes, Crémieux, Delfraissy, Derai, Fontanet, Juvin et Lacombe. Le Professeur Raoult n’a pas pris part au vote, se désolidarisant de la décision commune. La distinction récompense chaque année une personnalité du monde politique pour l’ensemble de son œuvre de prévention sanitaire. Etaient nominés, par ordre alphabétique : Albert II de Monaco, Michel Barnier, Christian Estrosi, Christian Jacob, Bruno Le Maire, Brigitte Macron, Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg, Brune Poirson, Frank Riester, Emmanuelle Wargon. Mme Brigitte Macron recevra son trophée lors d’un modeste pot de l’amitié – volontairement frugal compte tenu des circonstances – qui se tiendra au restaurant Le Fouquet’s, rouvert à l’occasion. La date n’est pas précisée.

mardi 9 février 2021

Qu'est-ce que la morale ?

La morale est un regard de surveillant général, un œil exercé de sentinelle aux aguets. Pas vu, pas pris. On ne se débarrasse d’elle qu’en se cachant d’un pareil soleil. Seule l’invisibilité préserve du contrôle voyeuriste de la morale. Dans La République, Platon évoque une bague de prestidigitateur, un anneau magique qui assure à Gygès un privilège d’invisibilité. Dès lors, Gygès accomplit des prouesses, jouit des libertés les plus traîtresses. Il vole, viole, assassine. Devient roi. La toute-puissance résulte de l’inapparence. Les pédophiles de tous pays, les pères incestueux de familles élargies commettent des actes qui réclament d’être opaques pour prétendre à l’impunité. Faute de quoi, un jour ou l’autre, ils sont pincés, dévoilés dans leur nudité. Le faisceau panoptique de la morale les éblouit comme un lapin de garenne surpris par les phares d’une berline.