lundi 24 avril 2017

Macron 1er

Macron séduit les patrons, un peu moins les corons. Le fils de Hollande apprécie les paillettes et les guirlandes, la discrétion comme Sarkozy et le grand monde à la Rotonde. Il sourit à Paris, aux embrassades de brasserie. Il lève les poignets comme un haltérophile un peu niais. Sur la scène, main dans la main, on dirait Stone et Charden, on croit revoir la morgue sympa des temps giscardiens.
Fillon s’est pendu dans sa prison. L’humiliation est le prix de sa vilaine action. Il est déjà déchiqueté par les vautours saisonniers. Il n’a pas volé sa conduite de petit valet.
Mélenchon est en rogne. Mélenchon ronchonne un texte en vers de mirliton, aussi alambiqué qu’un nullissime poème de Christiane Taubira.
Hamon avale. Hamon avale une couleuvre, deux couleuvres, trois couleuvres. Il n’y aura pas d’ordonnance sur les perturbateurs endocriniens.
Le Pen exulte au spectacle réjouissant de l’uhèmepéesse renaissant. D’avance, Marine se pourlèche les babines. Elle a désormais le monopole de la grande gueule.
Le candidat Abstention manque d’un cheveu la première place en finale. Macron devra composer un gouvernement avec ce parti réfractaire, au silence encombrant.
Les primaires n’étaient ni faits, ni à faire. Elles ont été improvisées pour dissuader les tueries d’écuries. Ratage dans les grandes largeurs. Elles n’ont économisé ni l’échec cuisant ni le charnier des petits roitelets. La machine à perdre, venue d’Amérique, n’aura servi qu’à différer les lynchages et les représailles d’appareil.
Macron 1er, despote d’une république des potes patriotes, a l’embarras du choix pour nier la réalité : le pompilisme (Barbara, chef de file), le collombisme (Gérard, petit patron) ou le modémisme (le faux frère de Lassalle).

vendredi 21 avril 2017

Racine aujourd'hui

On s’égare dans des chemins bavards. On promène une mauvaise mine dans des impasses de magazine. On s’intoxique de petite politique.
Il est des hommes, plus grands qu’eux-mêmes, qui héritent de l’exact patronyme : Chateaubriand, Racine. Ils sont au fondement d’un vivre ensemble impérissable.
Je sors du Vieux-Colombier, où Artaud, le Mômo, hallucine encore la scène. Racine aujourd’hui ressuscite un vertige, un sentiment d’abîme, illumine une histoire racontée par des corps. Il a l’âge du Christ en croix. Il écrit sa turquerie, incorpore l’amour, le pouvoir et la mort à sa fatale songerie. Aux tourments d’une sultane ottomane, il mêle l’éclat splendide d’une rigueur alexandrine.
Gracq a fui l’oflag de Silésie. Il vit la guerre et l’imaginaire. A trente-trois ans, à la gare d’Angers, il s’émeut de Bajazet. Il fixe le sanglant récit au ciel étoilé de ses Préférences (José Corti, 1951) : « Bajazet est sans doute la plus pure des tragédies de Racine. »
Quand on est un peu vieux, qui plus est dur d’oreille, on aime voisiner les premières loges, frôler au plus près le texte des lèvres, s’asseoir à la source d’une souveraine beauté. Au quatrième rang, je suis calé devant l’absence du sultan, à bout portant des confidences, d’un soleil qui rutile, qui figure un sérail. Amurat étend son ordre à ne pas être là. On ne voit que sa loi. Il n’a d’autre corps qu’une obsédante odeur de mort, que la venimeuse passion d’un pouvoir exercé, que la jouissance perverse d’une vengeresse cruauté. Dieu n’a pas d’yeux.
La scène entière est blanche du sang caché, maculé dans les arrière-pensées d’un opaque gynécée. Un bataillon d’escarpins évoque Amurat, reproduit l’assaut babylonien. La parade fétichiste signe un ouvrage d’artiste. Le texte est rythmé de mille pieds invisibles.
J’écoute l’idiome racinien comme un homme, auprès des siens, se recueille. Dans ce labyrinthe byzantin, je sais d’instinct à qui j’appartiens. Je m’agenouille devant la dépouille. J’égrène un chapelet à la gloire d’une sonorité. La beauté n’octroie qu’une vérité, justifie seule d’être né. En revanche, elle ne souffre pas la moindre faute de majesté. Au renégat, elle ne pardonne pas.
Le lieu cloîtré du gynécée est piqueté de souliers secrets et de hautes armoires domestiquées. La pièce est un espace de sensations traîtresses, irrespirable comme un destin inexorable. La tragédie de Racine mène aux ultimes lacets d’une meurtrière bottine. La rivale Atalide suffoque sa passion jusqu’à la strangulation finale. Rebecca Marder est une comédienne fière, sublime de caractère. C’est une amoureuse fiévreuse, lumineuse dans sa pureté d’origine. L’admirable pensionnaire du Théâtre-Français prête au texte une jeunesse endiablée. Elle côtoie sans rougir les prouesses de Clotilde de Bayser (Roxane) et Denis Podalydès (Acomat).
Dans la rue, vers Le Lutetia, les vitrines réfléchissent nos bobines. J’ai le haut d’une joue mouillé. A la sortie, je sais qui je suis. C’est drôle. J’ai l’air égaré mais je me suis retrouvé. Racine chuchote à mon oreille le secret d’une identité. Je revendique la langue française comme seule et unique patrie. Ailleurs, je me trimbale en terre étrangère. Les panneaux de bureau de vote affichent un casting. Dans l’isoloir, l’absence de bulletins Racine se fait sentir. Je me terre dans une colère. Je voile mon choix d’un rideau noir.

mercredi 19 avril 2017

Les minus du scrutin

Dans la cour de récréation de mon enfance, les caïds de préau faisaient régner la loi, exerçaient leur terreur sur les minus en culottes courtes. Les mêmes costauds s’appropriaient l’aire de jeu. Dans la course à l’Elysée, certains dossards sont tolérés comme des petits boursiers à la grande école. La démocratie s’applaudit, se regarde le nombril. La République s’extasie de ses valeurs méritocratiques. Les petits candidats sont costumés en habits d’apparat. Montrer le bout de son nez nécessite de s’endimancher. Seul le candidat du labeur revendique un maillot de corps.
Ils se tiennent à carreau, les porteurs d’eau. Ils savent que les médias sont les chiens de garde des caïds, qu’ils ne respectent que le campionissimo, pas le gregario. Les minus du scrutin sont soumis à la question gourdin des apprentis Bourdin. Ils sont raillés parce qu’érudits. Leurs sommaires interrogateurs se vengent ainsi d’être moins instruits. Ils brutalisent les jeunes élèves, les ringardisent avec gourmandise. Dans la catégorie des petits, ils ne préservent que la gauche extrême, les chantres de la vraie révolution. Moi je suis insensible au dogme ouvriériste, je suis allergique aux discours mécaniques des deux champions de l’expropriation capitaliste. J’ai la nostalgie de Krivine et Laguiller.
En revanche, j’écoute Asselineau qui n’est pas une tête de linotte. Il est gaullien par le maintien. Il fait doyen de n’importe quel machin. Il développe ses arguments sans tremblements. Il impose sa stature comme une seconde nature. Il moque la provincialité de l’Europe. Bref, il élargit la géographie, taille la politique dans l’universel, réhabilite une dimension mondiale. Pour paraphraser Morand, « il ne conçoit l’Hexagone qu’inscrit dans la sphère » (Venises, Gallimard, 1971). Des innombrables rejetons du Général, il n’est pas le moins légitime.
Cheminade tonne contre une financiarisation délétère qui asservit les peuples, appauvrit les économies, déboussole une société en perte de repères. Lassalle dit la même chose sur fond de ruralité morose. Les trois minus se plaisent au dissensus. Ils indisposent les répétiteurs, les perroquets de l’actualité, fâchés avec leurs fiches numérotées. Ils troublent la tranquillité des plateaux de plate démocratie. Ils attentent au formatage des opinions. Ils sont qualifiés d’excentriques. Les médias médisent à l’envi des petits candidats. Ils les apparentent à des compétiteurs de poche. Ils leur préfèrent les candidats de souche. Tout se passe comme si les idées étrangères avaient des figures patibulaires. C’est pourquoi elles font l’objet de suspectes risées médiatiques.

mercredi 12 avril 2017

Un révolutionnaire exemplaire

Il a griffonné Révolution. A-t-il usé d’un nègre, d’un assistant littéraire ? Il est révolutionnaire, n’a pas l’air rangé des autocars. Avant, je prenais Macron pour Boris Vian. A cause du petit président Hollande et de ses bajoues de trompettiste. J’ai changé d’avis. D’auteur de La Pléiade, aussi. Car Macron, c’est Jean d’Ormesson. Il est académicien, en bon tacticien. La voix est perchée dans les sonorités Bruel. Il arbore un sourire à guérir les écrouelles. Emmanuel lève le nez au ciel. Il regarde les nuées sur la pointe des pieds.
La dernière décennie a rabougri le pays. La politique s’organise à la sauvette. On vit une période talonnette de la République : Sarkozy, Hollande, Macron. Les grands dadais ont débarrassé le plancher. De Gaulle, Giscard, Chirac se sont faits souffler les hochets de l’Elysée. Le sérail admet désormais les petites tailles. Macron la crevette aspire au rond de serviette présidentiel. Comme d’Ormesson, Macron soigne le bon ton, pointe le menton vers les beaux horizons. Il quitte son visage sans couper la lumière. Il n’éteint jamais son sourire. Il sait l’élargir pour le bonheur d’une rosserie. Etre de bonne compagnie, c’est servir les intérêts supérieurs du pays. 
Il a du cœur, lu Ricoeur. Il enjambe les échéances avec les dents de la chance. Le fils de toubibs vante l’argent des nababs. Il est épatant à plein temps. C’est un guerrier authentique de l’économie numérique. Il est prolixe en paradoxes. Il évacue le vieil Aristote et son principe du tiers exclu. Il fait taire les contraires. Sa logique est fondée sur la solidarité des chics types. A cause de ses autocars, il restera dans l’Histoire. Emmanuel est le prénom favori des manuels. Il aura démarché des tas de marcheurs. Il écrira une suite à Révolution, peut-être une saga sur l’ambition, revêtira comme Giscard l’illustre habit vert. C’est le costard réglementaire qui sied aux auteurs de textes divers. Parolier de Nabilla, pétillant de sympathie, il succédera à Dabadie, déjà centenaire, achèvera Quai de Conti sa carrière de révolutionnaire exemplaire.

mercredi 5 avril 2017

Mes chers compatriotes

Il y a des pupitres. Il y a un pitre, qui fait bande à part, snobe la photographie d’équipe, exhibe un dos réfractaire à la caméra. Macron, chic type, tend la main à l’ouvrier qui s’en tape. La brebis égarée a sa fierté.
Le flanc gauche est occupé par un trio d’énarques, le milieu appartient à un tandem de femmes, l’aile droite est l’exil d’un homme triste. Lassalle parle une langue de rocaille, Poutou un idiome tout en gouaille. Cheminade n’est pas cheminot, ne chemine guère avec les beaux marcheurs. Il cogne Macron au corps, à son talon d’Achille : « Vous êtes d’accord avec tout le monde ! »
Fillon est oublié à l’aile, ne touche pas un ballon, lève les yeux au ciel. Asselineau préside le conseil d’administration de la nation. Il récite des articles de traité comme des poèmes de Mallarmé, dans une posture marmoréenne.
Marine Le Pen est habillée en veuve bretonne, porte le deuil de ses haines. Hamon a changé de cravate : mauve pâle au détriment du bleu horizon. Dupont-Aignan est saignant. Il conteste à Mélenchon la figure du grognon.
A la fin des quatre heures, on sonne les sondeurs pour savoir qui croire, comment y voir clair, pour qui s’émouvoir. Résultat du grand fatras : Macron fait rêver par ses bons sourires, Mélenchon éblouit par ses méchantes colères. Moi, Lassalle m’épate avec ses entames sans litote : « Mes chers compatriotes ».

lundi 3 avril 2017

Un rire de granit

Dans l’avion qui griffe le ciel d’Atlantique, je lis Maison Jaune. A trente-trois ans, on est mort ou père de famille. Ce qui est la même chose, plutôt deux fois qu’une.
En route pour l’Amérique, j’ai rencontré Dominique de Roux dans ce drôle d’oiseau corridor. Un long bruit d’étoffe venait des réacteurs. D’autorité, j’ai décidé pour l’urgence : livre d’honneur. « Ce qu’il me fallait écrire là, c’est précisément le testament de ma jeunesse : l’écriture noire et blanche ».
Arrivée à l’âge des couleurs, des livres peinturlurés qu’on jette à poignées, la littérature s’est enlaidie du cliquetis de ses bracelets. L’écriture noire et blanche, sous-titrée dans la langue d’avant-siècle, se nomme encore cinéma muet. Elle laisse les restes et fioritures, je veux dire le parlant, aux assemblées de non-voyants. Car la couleur des origines, c’est la lumière de ciel par la fenêtre. D’où vient le luxe. Et les ombres s’y dessinent à plaisir.
Chienne de lecture que celle de Maison Jaune, émaillée d’images de passe qui en filtrent l’accès. Aux premiers jours, la liberté est indémêlable de sa grande sœur, la fatalité. Toujours ensemble, ces deux-là s’entendent comme larrons en foire, nous trompant à l’excès derrière des masques de loups.
Pour arracher le vocabulaire, il faut un retour aux sources. L’auteur de Maison Jaune est un bandit de grands chemins qui taraude la terre, couleur d’emballage, et chaparde les souvenirs aux branches, de ses poignets veinés d’encre.
Dominique de Roux rôde sur les lieux d’un crime, sur les traces d’une jeunesse de sang. A la lettre, il écrit un livre de bras d’honneur. A mesure des chapitres, à mesure des cassures, les cercles s’amenuisent sans jamais neutraliser la proie du temps qui passe.
L’écriture est celle d’un grand brûlé. Trouée comme un damier. Avec des taches de soleil sur le parquet des mots, couleur de missel. L’écriture grince pareille au bois de marqueterie, dans un cri d’os qu’on esquinte mais qui ne fléchit pas.
Ce livre fait figure de débarras splendide, où vieillissent  des pans de joie, où rutilent à peine déballée des fiancées mortes : « La mer, le soleil, les marées de fleurs et d’oranges, la Sicile merveilleuse. On fait tant de bicyclette, de tours en barque, de batailles de pamplemousses, et tout est si beau que je voudrais que vous voyez ».
Il entasse les cartes postales anonymes, New York et Wilhelmine, les maîtres Gombrowicz et Pound, les petits aussi, emmêlés dans leurs chaînes. Autant de paragraphes qui se querellent dans un embrouillamini de roi. Il y a plusieurs images-seconde qui se chevauchent. Et à la fin du livre, histoire de brouiller définitivement les pistes, la pellicule casse une fois pour toutes.
Dans l’avion, un œil dehors, j’avais les mots du poète pour lire le monde, si bas de plafond soit-il : « …détresse que les passants appellent brouillard et qui est l’ivoire réduit à ses nervures… ».
Ce petit livre appartient à la tradition noire des recueils de prière, dont les mots se cabrent en faisant signe. Sur les visages, la mort souffle au plus près, leur donnant ce genre de beauté travaillée, si hautement sophistiquée.
Je sais un peintre dont les plaies luisent au mur des galeries. A livre ouvert, j’y reconnais l’écriture, ébouriffée d’élégance, de Dominique de Roux. La poésie lacérée de cet homme est faite au couteau. Dans le secret de l’écorchure. Dominique de Roux imprime ses à-coups, joue avec le feu.
La primitivité de plume est signe d’une civilisation de princes. Avec faste et mots de moine. Sur la page, des fragments de dureté précise se détachent comme éboulis de marbre. Dominique de Roux annonce la couleur : « Aristocratie et peuple sont du même bois. Et quand l’aristocratie est vaincue, le peuple est exclu ». Entre-deux, la morale des vainqueurs, gens des bourgs, qui manquent de corps, désespérément. Cette variété-là fait eau de partout, « inflammable pour n’importe quelle connerie ». De prime abord et jusqu’à mort d’homme, le courage aguerrit les meilleurs et les meilleurs seulement. De Céline, disait-il : « Ecrire, ce n’est ni faire carrière ni prolonger ses humanités. Il faut avoir la force, ne servir que sa vision ». Ou le rire de granit des statues de Fulda.