samedi 30 novembre 2013

Banque de France

Koltès se lit d'une traite. Dans la solitude des champs de coton. J'en vérifie l'aptitude au temps long. Une heure à déclamer, en prévision des Amandiers, de la journée Chéreau, à prononcer des mots comme se poursuit le bréviaire d'un homme de presbytère.
Je récite Koltès. Je m'acclimate à sa phrase. D'une pièce, d'un seul tenant, elle se jette dans l'océan, dans le blanc d'avant. Elle dit une fatalité d'anthropologie. Une peur d'insecte tenaille le dealer du texte. Dans un monde de brutes, les demoiselles cassent la vaisselle, sont lauréates des pugilats.
Isaach de Bankolé est un acteur camerounais, l'Abad de Quai Ouest, dont la bouche est scellée. Avant les représentations, le comédien travaille sans rien, construit un corps sans bruit, habite une faillite, s'accoutume au défaut des mots.
L'entourage s'effraie. Le grand Nègre est hospitalisé à Sainte-Anne. "Moi j'ai tout de même passé une nuit là-bas. Ils ont ouvert le grand dortoir, c'était comme la Banque de France: portes blindées, larges comme ça".

jeudi 28 novembre 2013

Travailler du chapeau

Une enfance rurale m'enseigna le parler coloré des villages. Je suis sensible à l'éloquence du soi-disant bon sens. En nos hameaux, on ne se payait pas de mots. L'illuminé du clocher, en pays labouré, "travaillait du chapeau".
Selon une fédération de la prévention, la nation compte un million de travailleurs du melon. Varin fait partie de la confrérie. Varin de chez Peugeot bricolait du chapeau, taquinait de la retraite feutrée.
La raison l'a sauvée. Il recouvre ses esprits, à défaut de sa liasse de Monopoly. Varin renonce à porter le galurin. Le Medef en accusation n'appréciait pas son couvre-chef de fonction. Varin rebrousse chemin. Il vivra sa retraite nu-tête.

mercredi 27 novembre 2013

Galli-marre !

La modernité rétrécit la liberté, réduit le champ d'une minimale correction, amenuise le souci d'exactitude.
"Ca ne trompe pas". Je prends de la chevrotine dans la rétine. Le ça de Freud devient syllabe de cacao. Galli-marre ! Le véloce éditeur publie la correspondance de Chardonne et Morand sans disposer d'un matériel d'imprimerie précis, respectueux de la langue, de ses règles de courtoisie. Je me souviendrai longtemps de la page soixante-sept. Comme d'un guet-apens.
Le "c" cédille majuscule s'est égaré du clavier. La maison du bon vieux Gaston se conforme au vouloir péremptoire d'un ordinateur. Elle se moque du petit croc de boucher, emboité au "c" d'alphabet, que Chardonne trace à la diable. Elle se rit du manuscrit.
Le grossier grossiste déballe mal ses bibelots d'artiste. Il produit de la phrase comme de la betterave.

Les yeux au ciel

On contemple une écorchure. Les tuyaux perdent leur sang. L'eau du plafond s'égoutte dans une poubelle de voirie. Il pleut au rez-de-chaussée.
La fuite fait fuir. L'alarme n'émeut pas le gendarme. Le pompier nous identifie comme des casse-pieds. Il est en panne d'échelle. On lève les yeux au ciel. L'inutile plombier coche les cases de son carnet à souches. On paie sans avoir la paix.
On communie autour d'une plaie. On compte les heures au regard d'une citerne d'éboueur. On ne peut violer le domicile au-dessus, en l'insouciante absence de son locataire. Au matin du dimanche, l'homme paraît à sa fenêtre, coupe l'eau de ses braillards sanitaires. On baisse la nuque.

mardi 26 novembre 2013

Sa figure de mauvais acteur

J'ai laissé Emma Bovary à son enfermement normand. Flaubert revient de suite. Il est momentanément dans l'escalier. Il a fini Carthage, le travail d'un quinquennat, tissé page après page. C'est un péplum crépusculaire qui satisfait son goût de l'Antiquité romaine. Il pressent le ratage. Salammbô a l'âge des Misérables d'Hugo.
Je saute un siècle. D'autres courriéristes sont en piste. Les lettres de Chardonne et Morand ressuscitent la vie d'artiste. C'est un gros pavé Gallimard qui pèse son pesant d'oxymores. Leur légèreté de feuilles volantes est d'un agrément précieux, sorte de politesse du soleil, à l'heure des adieux.
Déon annonce la couleur, abat d'emblée la carte Chardonne. Car le délicat esthète de La Frette remonte le moral, dilate l'orgueil du scribouilleur confidentiel: "Un écrivain aura du prestige s'il n'est pas lu, si on ne trouve ses livres nulle part, si on ne voit pas sa figure de mauvais acteur. C'est dans la nuit que l'on atteint à une notoriété respectée".
Je suis assailli de bonnes choses. Je suis rassasié de jolis mots. J'aime ce qu'écrit Pierre-Marc de Biasi, fin lettré de l'université. Ce flaubertien de métier préface un bel ouvrage érudit sur Pierre Michon, l'ouvrier diamantaire d'une même extase littéraire.

dimanche 24 novembre 2013

La papouille de diplomate

Ils pavoisent au petit matin. Négociations réussies sur l'uranium enrichi, du côté du Golfe Persique. Les diplomates sont aussi des primates.
Le succès affiché nécessite d'ostentatoires baisers. Bourrades dans le dos. Les diplomates se tapent sur l'omoplate. Convoitent les joues comme des tomates de Catherine Ashton. Les hommes à cravate se palpent l'avant-bras, se cajolent l'épaule.
Kerry surenchérit dans la papouille de diplomate. Il marque son territoire de chef. Il soigne son image, maintient la hiérarchie sur la photo des embrassades. Le public hexagonal identifie son régional de l'étape. Fabius est aux nues, au diapason de l'ambiance de réveillon.

Leur tonne de barbaque

Les Springboks sont forts comme des Turcs, pèsent leur tonne de barbaque. Nos fiers pioupious ne progressaient pas d'un pouce. Le jeu de mains était sans lendemain, haché menu par des géants venus de loin. Parra botta dans les nuées. Parra parait au plus pressé.
Un grillage de hauts pectoraux interdisait l'accès aux poteaux. Nos corps de guerriers se déchiquetaient sur les fils barbelés. Aucune escarmouche ne pouvait faire mouche.
La révolte de Papé conduisit au minime essai d'Huget. Faute d'espoir, il y a Dusautoir, méritoire devant l'Histoire. Le rugby des Bleus était tassé dans son petit jeu. La victoire était fermée de l'intérieur. Botha et les siens renvoient le Quinze de Saint-André à l'anonymat de ses insuccès.

vendredi 22 novembre 2013

Gracquien, livre deuxième

Je sens bien que je vais être dérangé. Flaubert fera tapisserie. Je me délecte à l'avance de leurs textes, des lettres décachetées entre Paul Morand et Jacques Chardonne. Vitesse de l'un, justesse de l'autre.
Les deux vieilles badernes éclairent ma lanterne. La verve épistolière date du temps des chaumières. Elle n'a pas survécu à la paresse d'essaimesse, à l'écriture de rue. J'ai la nostalgie du bien écrit.
Le visage de Charles Juliet, je l'ai guetté toute la journée au coin de l'écran carré. Juliet l'émacié est une terre labourée, une mince torche vive, une voix empêchée, à peu près muette. Sa longue patience casse la preste ambiance.
Je compulse l'un des tomes du Journal de Charles Juliet. "Avant d'avoir vingt-trois ans, je n'ai guère lu que quatre ou cinq livres. Le second que le hasard m'ait mis entre les mains a été Un Beau Ténébreux...Pendant des jours et des jours, je n'ai cessé de le relire...".
A distance d'âge, j'ai partagé cette émotion de feu, cette brûlure de l'imagination. Je suis gracquien, livre deuxième.


jeudi 21 novembre 2013

Une espèce d'éternuement

Flaubert se définit comme "l'homme des songeries". Il ressasse, frotte sa cervelle aux murs de sa cellule.  "Nous ne devons entrer dans la vie réelle que jusqu'au nombril. Laissons le mouvement dans la région des jambes". Il ne bougera pas d'un iota. Sauf par panique, idée fixe, brusquerie poétique.
A Croisset, il trifouille l'encrier et barbouille du papier. Il blasphème à tue-tête dans un gueuloir d'esthète. Le curé du patelin est un ignorantin, son Dieu bon enfant "une espèce d'éternuement". Sa joie vient du bourgeois. A regarder Achille, il sait qu'il met dans le mille.
On lit la phrase de sa boutique à doses homéopathiques. Posologie oblige. "J'écris fort lentement parce qu'un livre est pour moi une manière de vivre". A Maurice Schlesinger, il confie la mauvaise influence, la douteuse fréquentation d'Elisa. Il s'excuse auprès du mari d'une besogneuse fantaisie.

mercredi 20 novembre 2013

Les yeux d'une rousse

Il est un âge, une situation en carton, un temps de gabegie, où l'on s'enivre de vie comme d'une eau qui pétille.
En fin de course, quand se grippent les ressorts, on s'interroge sur l'envers du décor, on lit la mort aux trousses dans les yeux d'une rousse. On voit l'éternité dans de la flotte éventée. La vie s'amuse de petites ruses.

Xénophobie positive

Patriotisme de gradins. On veille aux frontières. Le stade est un champ de drapeaux tricolores. Les banderoles chauvines ne troublent guère les zélotes d'un esprit planétaire.
La Marseillaise est un cri de guerre, aux paroles de malaise, un chant de haine à la face de l'Ukraine. L'enthousiasme n'a pas d'état d'âme. La joute sportive s'apparente à une xénophobie positive.
Sakho montre les crocs. Mamadou est un buteur fou. La tribune présidentielle est au septième ciel. Hollande a bravé les sifflets. Il commente le match de la dernière chance. Il est qualifié pour d'autres périls.

mardi 19 novembre 2013

La fable de l'idéologie

Une vie de photographe. Arrêt sur image. Le tireur à baskets vertes a suspendu le cours d'un destin. Visages décomposés, coups de mentons d'une délégation de ministres au siège de Libération.
On bâcle une sympathie rapide à l'endroit de la victime. On s'appesantit sur des concepts. La liberté de l'information est menacée. Le quotidien soixante-huitard mérite une solidarité anti-salopards.
Moins emblématique dans l'inconscient progressiste, moins porteur des bonnes valeurs, le média BFM TV ne jouit pas des mêmes gâteries. Pas de discours solennel des édiles locaux, pas un mot.
On se tait comme si on enterrait Gérard de Villiers, romancier trop populaire. Le silence affiche ses préférences.
Le braqueur fou est prétexte à de pieuses déclamations. Le pouvoir fait les gros yeux. Il invente un péril pour mieux s'observer dans la glace. Il politise un fait divers, fabrique une frousse, exhorte au sursaut démocratique. L'idéologie se saisit de la fable jolie.
Je chasse le nuage de fumée. Je vois quoi ? Un repris de justice fait usage de son arme. La police est à ses trousses. Un homme hésite entre la vie et la mort.



lundi 18 novembre 2013

La chambre royale

J'aime les livres parce que j'ai peur des lèvres. Flaubert ne cause pas d'autre chose. En novembre 1859, il écrit ces mots à Amélie Bosquet: "Chacun de nous a dans le coeur une chambre royale. Je l'ai murée, mais elle n'est pas détruite".
Flaubert évente un secret, confie à la féministe les ressorts d'une fixité littéraire. Il est ensablé. Il n'a pas bougé de la plage. La marée haute n'ordonne pas de hâte. Flaubert est enterré face au Havre, à côté d'un regard.

dimanche 17 novembre 2013

A la condition d'une rançon

Les grands clubs d'Europe jouent des coudes, rivalisent de convoitise, cassent leur tirelire pour s'octroyer les bonnes grâces de Ribery le balafré, de Benzema l'endormi, de Nasri le malappris.
Ces virtuoses du ballon rond galvanisent les stades de Bavière ou de Castille, de Manchester ou du Piémont.
Avec un paletot bleu sur le dos, ils traînent sur les pelouses un majuscule ennui. Ces athlètes d'exception se fichent de la nation comme d'une guigne. L'honneur tricolore, ils s'en tamponnent le coquillard.
Les footballeurs d'élite sont des apatrides, des mercenaires cosmopolites. Ils sont citoyens du monde, squatters de paradis fiscaux, déracinés d'un terroir sans dollars.
Leur morale professionnelle leur interdit tout sentiment national. A trop vouloir abolir les frontières, on cesse d'être fier d'une terre. En quoi, ils diffèrent peu des patrons mondialistes dont le pays d'origine se provincialise. Comme ces fortunés de la société, ils sont moyennement policés, de moins en moins éduqués.
Les petits gars en culotte courte se sentent à l'étroit dans leur maillot mal tricoté. Evra et ses copains de tombola n'aiment guère le bénévolat. Ils ne libèrent leur jeu qu'à la condition d'une rançon.

vendredi 15 novembre 2013

A peine fardé sur la joue

La petite poire Guyot est une gaieté de la vie. C'est un fruit joli, à peine fardé sur la joue. La nature l'a doté d'un exquis postérieur. On la cueille par la taille. Sa chair désaltère comme une joie, sans loi ni désir.
La petite poire tournoie entre mes doigts. J'y plante les dents. J'aime son affectueuse fraîcheur de jeune fille toute simple.

Il était une forêt

Francis Hallé est le botaniste d'un monde de verticalité, l'ardent croisé des canopées. La forêt tropicale est une énigme langagière, un palimpseste végétal entre ciel et terre. Je sors du cinéma. Je ressens l'ivresse des cimes. L'homme premier est d'habitat forestier.
Le déchiffreur des vies arboricoles filme le récit collectif de seigneurs millénaires. Il jette mille informations, dévoile les secrets d'une société, révèle l'organisation des hauts végétaux.
Nos mots percent mal le mystère d'une langue d'arômes, d'une communication odorante, d'un dialecte d'écorce. L'arbre lève ses branches vers le soleil, témoigne sa ferveur à la lumière. Il sous-traite la mobilité au règne animal pour se reproduire à distance, à l'écart des fatales concurrences.
Le film excite une convoitise. L'arbre est désir de connaissance. Il y a dix ans, Francis Hallé a rédigé un gros bouquin savant. C'est un beau plaidoyer, un mémoire à sa gloire, qu'il faut lire le doigt sur chaque mot.
L'arbre jouit d'une majesté. Il dispose d'une sorte d'éternité qui assied sa souveraineté. Hallé est le Champollion désigné des modes d'expression de la canopée. Le vieil homme est au commencement d'un savoir, applique la raison à de nouveaux territoires.

mercredi 13 novembre 2013

Le casseur de Sempé

Les grognons du terroir breton cassent des portiques, défoncent le palais du préfet, saccagent des radars.  Détruire est une langue régionale. La force convainc mieux que d'oiseux discours. L'acte troue la réalité quand la parole n'est que chantonnée sans autre effet.
Je me souviens d'un fou rire, d'un dessin du grand Sempé. Dîner bourgeois. Les convives bruissent de conversations futiles.
En bout de table, l'un d'entre eux veut parler pour de vrai, s'attaque au vacarme. Il peine à se faire entendre. Il perd patience. Il s'enroue. Il saisit son couteau d'argenterie, le cogne au verre de fine cristallerie. Le joli calice se fend en mille morceaux. Silence de mort.
Les notables se sont tus et regardent la rue. Les yeux du gouvernement se braquent sur le délinquant, considèrent le casseur comme un misérable intrus.

Entre deux pères

Identification d'une femme. Il y a trente ans. Maria Vittoria. Antonioni épingle des visages, comme des papillons, jusqu'au plafond. Il cherche la fille du film. L'histoire d'un regard suffit à l'incendie du récit.
Antonioni est emmuré dans ses photographies. Maria Vittoria. Mavi navigue entre deux pères: le cinéaste, l'homme aux longs doigts.
Antonioni l'apprivoise à moitié. Masseria d'hiver, couleur de cendre, s'y dessine la nuit latine. Virée auto dans un brouillard à couper au couteau. Mémoire d'une jeunesse à Ferrare.
Mavi s'échappe du film. Ruelle romaine. Théâtre à l'italienne. Représentation proustienne. L'actrice aux yeux noirs joue le soir, chevauche le jour. Christine Boisson est la doublure, une seconde nature, un deuxième visage.
Antonioni s'égare, fait fausse route, va quelque part. Venise indécise, entre elle et lui, entre parenthèses. Palais Gritti, sonnerie de hall. Profil diagonal. La petite Arabe balance entre deux espaces, se perd entre deux pères.
Antonioni regarde la photo des deux amants terroristes. Maria Vittoria a une figure d'attentat. Elle trimbale un visage de magazine, de une d'Herald Tribune. Antonioni piste une récidiviste.
Maria Vittoria loge à l'étage dans un anonymat de filles. Elle guette Antonioni. Lointaine comme une reine. La passion tourne autour du soleil, d'une étoile de science-fiction.
J'admire l'art du maître de Ferrare. J'ai besoin du grand coloriste italien.

mardi 12 novembre 2013

Voir beaucoup de ciel

Ce diable d'automne tarde à révéler sa vergogne. La nature voile ses joues rouges. L'avenir se cache pour mourir. Une loi gouverne l'écorce des doigts. Les feuilles luisent d'un sang vermeil.
Gustave se glisse dans le lit d'Eulalie. Il n'a pas vingt ans, mais envie d'embrasement. Flaubert a fui la Normandie. Il tente une escapade, se dérobe aux ciels gris. Le Midi l'éblouit. Hôtel Richelieu, rue de la Darse à Marseille. Il songe au "pays du soleil". Il cogne à la porte des dames Foucaud, échange quelques mots.
Eulalie fixe le souvenir d'Elisa. S'appellent pareil. La baigneuse de Trouville, Elisa Foucault, Schlesinger par raccroc. Gustave est la proie de maîtresses entêtantes. On sait des Goncourt que Flaubert confie sa chair à la belle marseillaise. Eulalie a deux fois dix-huit ans, de quoi ranimer l'enchantement d'un roman. A vingt-cinq, trente et quarante ans, Flaubert revient sur les lieux, toise les murs de l'hôtel Richelieu. Les deux foucades de Gustave sont inflammables à la première syllabe.
Flaubert s'instruit comme Godard. Il n'apprend que des éléments. A la Chantepie qui gémit de mélancolie, il écrit: "Votre médecin a raison, il faut voyager, voir beaucoup de ciel et beaucoup de mer" (Pléiade, La Correspondance, tome II, lettre du 30 mars 1857).

lundi 11 novembre 2013

Le film des Philippines

Le monde ne tient pas debout. Un typhon suffit à balayer ses maisons. Le Philippin manque de pain. Dans les décombres, l'homme, la femme, l'enfant interrogent leur ombre. Les morts d'Asie nourrissent des documentaires précis. La civilisation a des jambes d'allumette, des fondement en carton. C'est quoi ces parois de désarroi ?
Les yeux embrassent la bouillasse, considèrent ce qui se passe. La lèvre ourlée d'une fillette est une aile engluée dans le sable. Sur la joue s'y dessine un papillon de chair. L'horreur caracole sur l'échelle de Richter du malheur.
On zappe l'Asie. On oublie la sympathie. Les petits pas d'un homme d'Etat le mènent à Oyonnax. Il serre des mains. Il ne sert à rien. Je m'endors sur le film des Philippines.

dimanche 10 novembre 2013

Les poilus du jeu dru

Rugby rugueux. Les gars s'enterrent dans la bagarre. Clôturent les herbes d'un barbelé de corps. Vague de Blacks comme des claques de mer opaque.
Ces poilus du jeu dru sont des gentlemen, voyous de rue. Il y a malaise à céder un pouce de terre glaise. Ces torses d'écorce privilégient la force. Rare est la beauté dans une guerre de tranchées. La mêlée est un charnier vivant de corps pantelants.
On guette la prouesse d'une silhouette svelte, la libre étincelle de tête brûlée. L'époque est au sport de bloc. J'aime la muette humilité de Dusautoir, capitaine de grand soir. Se met en six, déchiquète l'ennemi.
Costauds devant, gaillards derrière, ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Ils s'interdisent l'anomalie. Ils ont jeté la fantaisie du rugby aux orties. La reddition aux picaillons en a pourri le style, gâté l'esprit d'épopée.

samedi 9 novembre 2013

Bêtise de l'homme

Madame Taubira s'est faite injuriée par une fillette. L'invective, dans la bouche de l'enfant, traduit une antipathie, un sentiment d'hostilité.
Traiter l'homme d'animal est signe d'animosité. Dans le bestiaire des insultes ordinaires, figure "chienne" souvent proférée à l'endroit de la femme adultère. L'homme aux excès sexuels est taxé de "porc". Jadis, l'adversaire idéologique était qualifié de "hyène". On décernait même des brevets de "hyène dactylographe". Les maoïstes appréciaient  volontiers "tigre de papier".
Aujourd'hui on déconsidère l'enfant dès lors qu'on l'exhorte à cesser ses "bêtises" ou d'arrêter ses "singeries".
Bref, le mot "guenon" salit la dignité de Madame Taubira. Or l'homme et le singe sont assez semblables. Foi de paléoantropologue. Dans "Qu'est-ce que l'humain ?" (Le Pommier, 2003), Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, écrit: "La famille des hominidés se compose des grands singes africains: gorilles, chimpanzés, bonobos et hommes".
Dans une déclaration récente au Canada, il précisait: "L'homme fait partie de l'ordre des primates, et plus particulièrement d'une grosse partie des primates qu'on appelle les singes. L'homme ne descend pas du singe, nous sommes des singes".
Inutile de monter sur ses grands chevaux. On parle de racisme à tort et à travers. Est raciste celui qui prétend que la couleur de peau hiérarchise la condition humaine. Est raciste celui qui dénie l'égalité de dignité des hommes, selon qu'ils soient de chair pâle ou foncée. Le racisme distingue une sous-humanité, au seul motif d'une peau teintée, blanchie, différenciée. A ne pas confondre avec la banale invective.


vendredi 8 novembre 2013

Lisez pour vivre

Mademoiselle Leroyer de Chantepie est la lectrice éblouie de Madame Bovary. Dans son trou perdu d'Anjou, Flaubert lui fait un bien fou. C'est une vieille fille, mal instruite, frappée d'acédie, qui écrit sa reconnaissance à Gustave, l'ouvrier du manuscrit.
Gustave a trente-six ans. La Chantepie cinquante-sept. Le forcené de Croisset noircit des pages attentionnées qui lui sont destinées. Flaubert lui répond pour de vrai, quand il a une minute, en homme de métier. On songe à De Gaulle causant à Le Clézio, trouvant les mots qui font écho.
Il s'agit de lire. Sacré bonsoir ! "Plaisir divin" selon Proust. Debord, hors spectacle, a bien vu la société, ses ostentatoires temps morts. Il usa ses yeux sur les feuillets d'un autre siècle. "Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre".
Flaubert est au chevet de la petite châtelaine. Flaubert, toubib de La Chantepie, prescrit un alcool à réveiller les morts. Il pratique la médecine différemment d'Achille. L'idiot de la famille fait sa tambouille à sa guise.
"Lisez Montaigne, lisez lentement, posément ! Il vous calmera. Et n'écoutez pas les gens qui parlent de son égoïsme. Vous l'aimerez, vous verrez. Mais ne lisez pas, comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non. Lisez pour vivre" (Pléiade, Correspondance, tome II, page 731, lettre du 6 juin 1857).

jeudi 7 novembre 2013

L'haltérophile d'un peuple

Novembre est un mois gaullien. Un général gothique d'une lointaine république, l'haltérophile d'un peuple qu'il portait à bout de bras, s'est écroulé en vieux soldat.
Il vécut quatre jeunesses, quatre fois vingt ans, dans le mouvement des renaissances, dans la résistance au bon sens, au voisinage des prouesses.
Il reconnut la Chine comme la passante prioritaire du coin de rue planétaire. Un demi-siècle après, on bricole dans l'à peu près, on détricote un somptueux passé. A rebours des marchands de présent, des publicitaires d'éphémère, l'homme récalcitrant savait que "l'avenir dure longtemps".
Althusser nomma ses mémoires d'étrangleur du mot du général visionnaire. Marxistes, gaullistes: sur la même piste. Entre les deux, rien, disait Malraux. Un néant de gouvernement.

mercredi 6 novembre 2013

Le parti des burettes

Il a discipliné sa tignasse argentée. Il est habillé pour les caméras. Il est rieur pour deux. Il est confus, désordonné, gouailleur à toute heure. C'est un copain de bistrot, partageur de petits bonheurs, amateur d'ivresse et de paresse.
Borloo griffonne sur la table un projet bâclé comme Picasso dessinait d'un trait sur une nappe de café. Il y croit sur le moment, moyennement, pas vraiment. A d'autres voisins de table, il barbouillera d'autres figures, en géomètre de fantaisie.
Borloo est un alliage joyeux, fait d'une humanité burinée à la Carmet et d'obscurités langagières à la Rocard.
A côté, Bayrou est empêtré dans son corps. Il est planté là, comme un grand gars de la terre, cravaté pour la messe. Son visage est fixe dans une posture de bélier. Il est obsédé par l'Elysée malgré ses échecs répétés. Il se calque sur Mitterrand, le président qui l'ensorcèle, qu'il vénère en disciple provincial. Il est sensible à la flatterie, très centré sur sa destinée.
Entre une gauche qui gâche et une droite qui rate, il fait l'équilibriste. C'est un fildefériste amateur, un acrobate suicidaire qui a dégringolé à force de se pencher toujours du même côté. Bayrou est cousu de bosses. Il est rafistolé à l'hôpital Borloo.
Les deux compères, comme Bouvard et Pécuchet, se retrouvent par hasard, non pas boulevard Bourdon, mais sur le trottoir de leurs ambitions. Il y en a une de trop. Ils sourient comme des premiers communiants, pieux comme des novices, avant de s'entre-dévorer pour un même calice.
Le centrisme est une passion triste. Il préconise la modération. Il se trompe d'exaltation. De Gaulle raillait la tiédeur du centre avec des mots d'orfèvre: "Ce sont des enfants de choeur qui auraient bu les burettes". Bayrou est resté rouge de ses premières audaces. Borloo, c'est plus compliqué. Il a mangé à tous les râteliers de l'économie de marché. Il ratisse large les jardins du capitalisme.
Bayrou est un agrégé madré, fier de maîtriser l'alphabet. Il est très content d'avoir déterré un mot nouveau: "sécession". Trouvaille de Béarnais. Il colle à l'actualité de la nation. Le peuple est irrédentiste, coupé de sa représentation notabiliaire, nationaliste pour deux. Le mot "sécession" définit le climat émeutier du pays, la fronde des corporations.
Les deux hommes s'observent déjà en chiens de faïence. Borloo pince le poignet de Bayrou. Il veut parler à son tour. Il lui faut surenchérir. Gommer la bonne impression de "sécession". Il trouve "le plan B". Le conglomérat Borloo/Bayrou, c'est le plan B à la crise, au marasme, à la défaite cuisante de notre économie.
Le scoutisme centriste nous inflige un triste blabla. Pour finalement tirer à hue et à dia, à l'approche du grand match présidentiel. Le nouveau parti des "burettes" s'entête à l'optimisme comme une musique de supérette. Je retourne à mes fourneaux. Le Candidat, comédie politique, est sur la table de cuisine. Flaubert n'attend pas.

mardi 5 novembre 2013

Cioran mon tablier

La cérémonie des prix est morte d'une balle perdue. Victime collatérale de l'idéologie post-Général. Méfait de Mai. L'école jeta le discrédit sur la fête annuelle du mérite, voila sa honte des compétitions studieuses.
Mon père riait qu'on réservât l'exclusivité des croix d'honneur aux vieillards grabataires. Les grandes personnes raffolent des petits honneurs. Elles s'échangent les médailles comme l'hostie pailletée d'une gloire. Les enfants à la maison sont interdits de décoration. Ils ont mieux à faire avec leurs leçons que de jouer avec des bouts de ficelle.
Les prix littéraires ont gardé leur régularité saisonnière. Ils s'organisent autour d'une bouffonnerie: un frichti tonitruant, le raout chez Drouant. Les jurés de prix manquent de précocité dans le regard. La reconnaissance tardive entache le geste d'un élan insultant. Un Renaudot, de seconde zone, s'est prononcé pour Matzneff, l'autochtone. Il y a trente ans, au même âge, Cioran déclina le prix Morand.


lundi 4 novembre 2013

Nique ton portique

Ils sont coiffés de rouge. Folklore d'Armor. Nique ton portique. Il crachine à Carhaix. Grande marée. Quimper gagne. Méli-mélo. Malo-Mali.
Deux tués, hors portique. Deux tués, exécutés de près. Deux tués d'Afrique. Perron de l'Elysée. Foulé de ministres et valets. L'heure est grave du ballet des graviers.
Jacquerie au pays. Tuerie au Mali. Le président est sur les dents. On rapatrie deux corps. Un dimanche de tiré. Cinq portiques de cramés.