jeudi 29 mai 2014

Bovary et la Nubie

J'empoigne le bouquin bleu de Pierre-Marc de Biasi. Il sent l'écurie. Je me retrouve en terre amie. "Gustave Flaubert - Une manière spéciale de vivre". J'avais claqué la porte de Croisset de manière précipitée. Biasi m'a rattrapé par le collet. Il me désigne "Voyage en Orient". J'obéis à Biasi.
Flaubert a le diable au corps. Il fiche le camp avec Maxime. Rouen, l'Orient. Les petites fiancées du Caire instruisent son corps.
Dans les sables de Nubie, il est démangé d'une songerie, taraudé par la Bovary. Flaubert trentenaire galope dans le désert. Il cède à sa nature, se penche sur l'encolure, se jette dans les ratures, prête serment  au roman, à l'enfermement de Rouen.
Il conte à Bouilhet l'embouteillage de sujets: "J'en ai trois: Une Nuit de Don Juan, l'histoire d'Anubis, mon romand flamand". (Lettre du 14 novembre 1850).
La Bovary grille la priorité aux almées d'Egypte, à cette grande fille d'Azizeh, à la petite Hadély. Il répudie Don Juan, s'accorde cinq ans d'adultère normand.

mercredi 28 mai 2014

J'aime mon pays

"J'aime mon pays". C'est un cri de rancoeur, de dégoulinante affection. Les vaincus d'élections confessent à tire-larigot leur amour du drapeau. Les désavoués du peuple multiplient les signes d'attachement passionnel à la nation. L'incantation patriotique masque l'échec économique.
Hollande, Ayrault, Valls ne cessent de déclarer leur flamme à Marianne. Les bons sentiments font les braves gens. Faute de résultats probants. A court d'arguments, le chef politique se réfugie dans une géographie dévote de la patrie. "J'aime mon pays". Encore heureux.
Copé, débarqué comme un roitelet du Zimbabwe, coincé dans les cordes du ring, n'échappe pas à la petite musique chauvine. "J'aime mon pays". J'abhorre cette phrase superfétatoire de détestable confort. Elle jette la suspicion sur ceux qui la prononcent comme une assurance de pardon. Elle ajoute au discrédit des insincères repentis. On dévisage l'habileté. Elle révèle une terrifiante médiocrité.


mardi 27 mai 2014

La facture

Nikki de Saint-Phalle épaule. Elle colle sa joue contre la crosse. Elle presse la gâchette. La couleur gicle sur la toile. Nikki de Saint-Phalle peint ses figurines à la carabine. Elle maîtrise l'art de la pétoire.
Jackson Pollock penche son pot de couleur sur le parquet, pas vraiment en vrac. Il use de la peinture comme d'une coulure. Il enjambe la toile comme jardine un moine. Jackson piétine ce que Nikki dégomme. Il tient son sujet. A la lettre: ce qui est jeté dessous.
Shakespeare. L'art du poignard. "Hume l'épée" se dit du parti à moitié cuit. On observe les "politichiens" comme des crabes assassins dans leur panier privilégié. Les hommes de main frottent leurs pinces de paléo-gaulliens.
Fillon est conforme à l'écho rapproché du mot félon. Copé écope. Ils libèrent une nature dont ils ignorent la facture. La politique est une anthropologie, un ramassis de bandits, le champ clos des tueries.


lundi 26 mai 2014

Fin de partie

Quand on peine, on vote Le Pen. On dépouille les bulletins des fripouilles. Holland est lent, Valls catalan. Le peuple goûte moyen le baragouin européen.
La fête des mères n'est pas celle du pépère, retranché dans l'isoloir à Tulle. Il roule en berline. Il nous roule dans la farine. Dix heures au volant en font un exemplaire votant. Il ne conduit pas sport, s'endort et valse dans les décors.
Copé a mangé du BigMac-lion. Copé rigole, sera découpé en rondelles. Valls sort les grosses ficelles, les prunelles exorbitées, les petits yeux fanatisés, un regard furibard. Philippot adopte un style louis-philippard.
Samedi à Cardiff, le bonheur est bref. Je me décoiffe devant Johnny. Dossard numéro dix. J'ai voté à main levée. Wilkinson par impulsion. Sans réfléchir comme on admire. Johnny, c'est le Lawrence d'Arabie du rugby. O'Toole à Toulon. Fin de partie. Merci.


dimanche 25 mai 2014

Payez à la caisse

Coquelicot de bas-côté dans toute sa sainteté. La détonation du rouge inonde le spectacle du monde. Godard consulte les toiles de Nicolas de Staël. Il se remémore un corps, la feuille de route, le chemin de terre de la couleur.
Les enfants démêlent le blanc du bleu du ciel. L'épaisseur de la vague est un bonheur de gouache. Une huile inutile rutile au soleil. Roxy est un cabot, une péripétie d'après les mots. Il est le roi des bois quand il aboie. Roxy traîne dans le temps présent comme un chien errant, ressent les instants comme des coups de sang.
Godard peinturlure d'après nature. Au plus près du corps, dans l'axe exact d'une métaphore. L'autoroute est luisante de lucioles. Les berlines se sauvent comme des illuminés. Le week-end des bagnoles est une somptuosité d'asphalte. On change de vitesse sur un mouvement de Sibelius.
La beauté crisse, coupe le souffle comme le haut de lèvre incisée de la petite actrice. L'eau à vif charrie son plein de cicatrices. Godard soigne au fusain les pubis. Le sexe de Courbet est un bâton de vieillesse. Monet fait la loi: "Ne pas peindre ce qu'on voit, puisqu'on ne voit pas... mais peindre ce qu'on ne voit pas".
La lumière fragmentée des fleurs est le genre de beauté sonore dont on fait les colliers. Godard fignole les reliefs d'un sublime banquet, le film d'une vie terminée, dont Roxy énumère les rendez-vous manqués. A la station-service, près des établissements L'usine à gaz, on lit sur la grande pompe, le pistolet sur la tempe : "Payez à la caisse".  Adieu au langage est un bouquet d'images de mon âge.

L'AtletiKO debout

L'AtletiKO debout. Dans les arrêts de jeu, Ramos égalise d'un coup de tête comme un coup de feu. Courtois est trop court, déplie sa longue carcasse, frôle la balle du bout des doigts. L'Atletico est sonné comme un boxeur groggy par l'uppercut précis.
C'est un taureau blessé, aveuglé par le sang, qui s'expose au châtiment. Bale, Marcello, Ronaldo plantent leurs banderilles avec une insensibilité de joyeux drilles. Le Real des prolongations fait mal, administre une correction à l'animal.
L'AtletiKO debout endure les coups, coincé dans les cordes. Le sang gicle des gants du pugiliste. La proie trop facile fait de l'arbitre un imbécile. Il tarde à siffler la fin de corrida.

jeudi 22 mai 2014

Hauts vertiges

Les gracieuses pivoines de la toubib s'extraient du vase de verre, hissent la collerette de leurs pétales au contact rose d'un soleil tiède.
On dirait des bonnets de bains de poupée dans une éclaboussure de feuilles fripées. Les dos de chaises Mallet-Stevens sont zébrés de réminiscences. Ils grognent d'un regard de canines, avec des yeux de tigres.
Le cerisier de bout de table étire ses rameaux de mouches rouges, dessine ses hauts vertiges sur l'ardoise d'une vitre. La vasque à torse de papillon masque d'une branche orange sa brève décapitation.

mercredi 21 mai 2014

Le gentilhomme du café

A la croisée des deux voies, le garçon d'établissement jette un mégot sur le pavé. Son tablier noir de bougnat le désigne comme le curé d'une paroisse. Il officie au Castellane où il soigne les soifs. Il s'est absenté dix-huit années.
Il s'était égaré au Trocadéro dans un estaminet de beaux quartiers. Il est revenu dans la rue de ses premiers menus.
Il est long de taille, svelte de silhouette, flegmatique et charmeur comme un acteur britannique. Je songe à Jeremy Irons. Jean Baptiste avait six, sept, huit ans. Il s'attablait en habitué, conversait en écolier avec le gentilhomme du café.
On se toise sous un ciel ardoise. Ses yeux s'illuminent. On bavarde dans une paix de cigarette. On s'octroie un bref bonheur de gauloise.
- Je me souviens de vos parents. Je les aimais bien.
- Les gens de métier ne courent pas les rues sur le marché.
L'élégant barman plisse doucement les pommettes. Il sourit comme pour s'excuser. Un client le sollicite. Je surveille son maintien. Je l'observe courber son corps de grand pingouin, causer à l'oreille d'un impérieux soiffard.

Un étrange rébus

Je longe de grands panneaux électoraux, vides de tout visage, aussi niaisement dégingandés qu'un champ d'éoliennes désaffectées. L'Europe est une page blanche. Morne comme un dimanche.
Le Vieux Continent manque de vent. Les girouettes de Bruxelles n'indiquent la direction d'aucun ciel.
L'Europe va à l'abattoir, faute de thuriféraires un peu gaillards, faute de bateleurs sachant raconter les histoires.
Certes, les vieux politicards sortent du placard, mentionnent Airbus ou Erasmus au rang de ses us et coutumes. Reste que le grand machin communautaire demeure un étrange rébus.
Les leaders autochtones ont décampé, débarrassé le plancher du plus lointain des scrutins. L'Europe confie son sort à des charismes d'experts-comptables. Le sourire jovial de M. Schulz et la grimace gênée de M. Juncker n'exaltent personne. Ils enquiquinent plus qu'ils ne galvanisent. Les télévisions soucieuses de publicité relèguent leurs gentilles causeries tout au bout de la nuit.

mardi 20 mai 2014

Kerviel et Messier

Derrière la tunique rouge du rebelle Kerviel, une foule de disciples cheminait entre ciel et Vintimille. Le marathon christique du courtier en fric s'est achevé à Menton. Au bout des citrons, il y a la zonzon. Le trader est à terre. Le voyou est un numéro d'écrou.
Messier, replet petit monsieur, a ruiné Vivendi, jeté des milliards par la fenêtre, pour satisfaire sa déplaisante vanité. On le condamne du bout des lèvres à verser un petit pourboire au taulier. Au casino des grosses ficelles, il lance une pièce au personnel.
Messier est homme honorable. Sa respectabilité est blindée. L'inspecteur des finances est protégé par sa puissance. Un corps d'origine - mafia en calabrais - le préserve des embarras du crime. Il n'est pas question de zonzon pour si peu de pognon évaporé dans la nature. Je suis contrarié par les inégalités de ma charmante petite contrée.

dimanche 18 mai 2014

Cette forme durable de la fatigue

La fête d'une Morte. C'est dimanche. On offre une fiole de parfum à l'Europe. La vieille dame fait cliqueter ses bracelets. Elle est pomponnée, fait sa publicité à la télé.
Elle est assise dans l'indécision, sert le thé dans son salon à ses vingt-huit nations, perd la mémoire de leurs noms.
L'ennui suinte de sa conversation. L'ennui prodigue une fatigue. L'Europe des langueurs est percluse de douleurs. L'Europe est lente à mourir. Elle est lente en tout. Ses meilleurs partisans peinent à rafraîchir ses souvenirs. Elle soliloque un argumentaire de plus jamais la guerre.
La vieille dame nous assomme. Elle provoque aujourd'hui "cette forme durable de la fatigue qu'on appelle le mépris" (Roger Nimier, "Histoire d'un amour", page 9, collection Folio).
Décerner ou non la palme à Monsieur Schulz. That is the question. Voilà une pâle et piètre motivation.
Dépêcher à Strasbourg les refusés du musée Bourbon. Encore une bonne raison de passer son tour. A chacune de ses rares sorties, l'Europe se fait siffler par la foule. On se lasse de ses castings de patronage.
Vivement qu'on passe à autre chose ! L'Europe, on l'envoie sur les roses. On fleurira sa tombe à la Saint-Glinglin, au lendemain de la Toussaint.

samedi 17 mai 2014

Trois pommes

Maman a treize ans, mais elle ne possède que du vent, du temps qui lui échappe. Elle est le doigt du fusain, le crayon du dessin. Maman a treize ans, peut-être douze. Elle ébauche une cruche, trois grosses pommes.
A droite, une date: six mars mille neuf cent trente et un. Je naquis d'un croquis. Vingt-deux ans après, Maman donne la vie pour de vrai.
Maman a treize ans, fait son âge ou davantage. Maman crayonne avec son sang une nature pas très morte. L'homme n'est pas plus haut que trois pommes. Il s'abreuve à l'eau noire. Se désaltère à la figure trinitaire. Je reste en carafe.

jeudi 15 mai 2014

Cher Gabriel

Les agissements de l'agessa sont d'odieux tourments. L'insécurité sociale règne en toute iniquité. L'anonyme Etat mime le grondement d'une grosse Bertha. Il tire dans le tas, coupe le gaz, débranche les petits gars, active la fin de moi.
Je veux vous dire mon amitié, ma révolte. Vos écrits sont des coups de griffe sur la joue des académies. Jusqu'à ma dernière cécité, je me décoifferai devant la beauté. Ex imo.

mercredi 14 mai 2014

Rayé de Rio

Nous, gens de peu, courons derrière une croissance, dernière croyance des gueux. Nous remuons notre postérieur derrière une chimère. Le footballeur court derrière un bonheur, une balle, la voix d'un speaker.
Deschamps, pluriel de Marcel Duchamp, compose une équipe ready-made, de barbouilleurs à crampons, d'artistes d'usine, au détriment de Picasso sublimes.
Nasri récidive ses niaiseries. Il est rayé de Rio pour son sourire jaune. Nasri et Ben Arfa rejoignent le banc des peintres maudits, le musée des refusés de Jacquet, Cantona et Ginola, dans le plan social du groupe tricolore, du collectif académique.
L'Histoire repasse la même séquence de pieds plats. La jalousie du travailleur exige de sacrifier la fantaisie du créateur. Le ressentiment fabrique les pires bons sentiments. La beauté de geste n'appartient qu'au cercle vilipendé des esthètes.

mardi 13 mai 2014

Péché de gourmandise

Inutile de persévérer. Montaigne est illisible. Son vieil idiome est impénétrable. Trop d'herbes folles à enjamber. Je n'ai pas l'équipement pour m'aventurer dans le roman de ses errements.
Céleste m'a recueilli. Dans sa maison de Proust, j'ai séjourné sans hâte. J'ai patienté de quoi voir venir.
Dans la bibliothèque, sans bruit, j'ai consulté la Correspondance de Madame de Sévigné. J'ai chapardé le premier tome des Mémoires de Saint-Simon.
J'ai résolu de me fourrer dans les cancans du méchant duc. Huit volumes de Pléiade à dépoussiérer des étagères. Les feuillets de l'incipit exigent que je m'y précipite. J'ai besoin de me vautrer dans une longue nuit de style. Péché de gourmandise.

lundi 12 mai 2014

Malaise et Marseillaise

Les couplets de La Marseillaise ne sont plus chantables en l'état. On a besoin d'un coup de main d'académicien, d'un poète estampillé parolier pour rénover l'hymne guerrier. Il est temps de substituer Jean-Loup Dabadie à Claude Rouget de Lisle. Même si "Les loups sont entrés dans Paris" prêtent à contentieux éthique.
Plus de "sang impur" dans un refrain contre-nature. Carton rouge. Il faut en finir avec cette "horde d'esclaves, de traîtres, de rois conjurés" (couplet II) qui grésille dans nos oreilles gonflées de haine. Le général Dumas en pleurerait dans sa tombe.
Il faut tordre le cou à "nos bras vengeurs" (couplet VI), si détestables de nationalisme et d'esprit revanchard. Il faut faire taire la xénophobie hystérique qui suinte des "cohortes étrangères qui feraient la loi dans nos foyers" (couplet III).
On garde la musique de fanfare qui motive le footballeur. Mais on supprime toutes ces vilaines rimes de chanson nauséabonde. En attendant que Jean-Loup Dabadie se colle à l'établi, qu'il soigne La Marseillaise de son malaise, je préconise un silence recueilli des ministres de la patrie.

Un petit chef de bataille

La cravate politique est bleue comme la colère du peuple. Bleue roi comme un désarroi. Valls exhibe son accessoire textile, bleu de Prusse, comme un message codé de média de masse.
Il est taillé dans le marbre du musée Grévin. Sa statue est équidistante de la Tour Eiffel et de Claire Chazal. Valls valsifie les chiffres, versifie l'économie. Il a le ton volontaire d'un menton de militaire.
Il grogne qu'il est patriote. Il crie très haut son amour du pays, son amour du drapeau. Il fait sa prière avant de se coucher devant la chancelière.
Il fronce la tête, raccord avec les nuages de la dette. La solennité conforte son statut de sommité. Il se hausse du col à mesure que sa cote dégringole. Il est de droite dans ses bottes. C'est la politique de la volte-Valls. Il se momifie sous les sunlights, surjoue l'autorité d'un petit chef de bataille.    

dimanche 11 mai 2014

La soubrette d'Auxillac

Derrière le texte, au bout du contexte, il y a Céleste. Proust est encabané dans une volonté surannée. Il est possédé par la nuit, le ressenti d'un style. Il n'appartient qu'au petit matin.
Marcel commande. Céleste gouverne. Le prince décati et la fée du logis s'aiment à la folie. La gracieuse domestique trimbale un très sérieux loustic.
Proust se nourrit de peu, de réminiscences et d'adieux répétés, d'essence de café. Il observe de son lit le monde de l'oubli. Une blessure sans imaginaire crée un malade pulmonaire.
Le petit Marcel use d'un charme oriental. Il bâtit une cathédrale avec des violettes de Parme. Il trace les lignes d'un corps comme on jette un sort. La soubrette d'Auxillac s'abandonne au doux maniaque, veille à ses caprices d'esthète.
Monsieur Proust est la bouleversante confession d'une camériste d'artiste. Ce récit d'une passion est splendidement rédigé par le normalien collaborationniste Georges Belmont.

vendredi 9 mai 2014

Admirable

J'ai l'impression que j'ai besoin de relire indéfiniment Proust et Flaubert jusqu'à l'impossible achèvement  de mes éblouissements. Mais Marcel est l'aîné, Gustave le cadet.
Admirable est le seul mot qui convienne pour définir l'art de Proust. Il désigne autant sa vie d'incarcéré que son genre de beauté. Dans le recueil de souvenirs de la gracile Céleste, Proust ne trouve pas d'autres syllabes pour évoquer une mère pleine de grâce.
Je sors de Flaubert comme des Baumettes. Je cherche un toit, un métier, un repère dans la société. Je saigne et je songe à Montaigne. Mais le gentilhomme m'effraie comme n'importe quel inconnu dans la rue.
Je me fourre dans Proust. J'empoigne sa phrase comme la texture d'une jupe. Il apprivoise ma liberté. Il civilise ma sauvagerie. Je suis prisonnier d'un paradis où les pommiers sont des alphabets.

jeudi 8 mai 2014

Un laboureur

Morand se lit dans l'ennui car il agite sa phrase plus qu'il ne fouette une braise. L'Helvétie lui dicte un souci de superficie.
En revanche, j'aime quand il cingle l'écrivain du dimanche. Gifle Malraux d'un mot, rosse Green et Mauriac. Il hausse le ton, le menton. Il cause de bonnes choses. Ose Bernanos, mendie Mandiargues, se toque de Frank.

Céleste ne quitte pas Monsieur des yeux. Madame, il l'appelle comme ça, parce que "Céleste, il ne pourrait pas". Proust n'a pas choisi sa route. Il est suiviste, fataliste, artiste.
Il est difficile comme un fils. Il écoute son corps mais il ignore l'aurore. Il se réveille au crépuscule. Il consulte un docte comme ses notes. Bize en bon toubib se risque au diagnostic d'un prince paysan. "Vous travaillez de force comme un laboureur !".

mercredi 7 mai 2014

L'InContinent

Le Vieux Continent se mue en vieil incontinent. Il ne peut se retenir d'élargir son empire élastique. L'Europe dégringole sur un modèle d'auberge espagnole.
L'Europe est née des horreurs d'un Führer et de la terreur d'un rêve partageur. On se rabiboche avec le Boche. On enterre la hache de guerre, on ouvre les frontières.
Plus jamais la saignée des tranchées. Plus jamais la fureur d'un Kaiser. Sur la table rase de la dernière grande ratonnade mondiale, les esprits déliés inventèrent une fraternité des nationalités. Ne plus faire qu'un en territoire européen. S'interdire la guerre par ambition d'être prospère.
Primat de la Ceca. On resta dans la mentalité canon à vouloir construire l'amitié par l'acier. Nous autres grognards, vieux du Continent, désarmèrent nos arrière-pensées de livres d'histoire. Même si paisiblement, sous pavillon Otan, nous bombardâmes Belgrade, il y a quinze ans.
On ne se querellera pas pour une frontière ou un bornage de terre. On guerroie pour des marchés. Nous heurtons nos nations pour des picaillons. Nous sommes ennemis par l'économie.
Nos nations exercent une guerre de positions sur le champ de bataille d'une mondialisation. L'ego prévaut en zone euro. L'économisme dérive en nationalisme. On ne mitraille plus la bleusaille. Les travailleurs licenciés se substituent aux gueules cassées. Ils tombent sous les balles de la concurrence.
La compétitivité allemande détruit nos emplois comme hier la grosse Bertha nos plus fiers soldats.
L'Amérique et le Qatar s'octroient nos patrimoines ringards. On taxe l'audace. La jeunesse fuit vers l'Asie ou la Californie. L'Europe coince, fait province. Hollande, notre débonnaire pépère, cache un déficit visionnaire derrière ses pactes de petit chef de bande.
La vieille Europe fait son âge, s'agrège par manque de courage. Pas de capitaine, pas de cap pour l'incontinente Europe, faubourg d'Amérique et périphérie de l'Asie. La crise ukrainienne révèle l'impéritie européenne. L'Europe barbote dans une mer morte comme un canard sans tête qui bat des ailes de manière mécanique.
De Gaulle privilégiait un vigilant pragmatisme au détriment du bêlant européisme. A Londres, il parlait d'avenir, d'hier et d'aujourd'hui: "La France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts".


mardi 6 mai 2014

Marcel et Gustave

Début de printemps 1922. Ses doigts exécutent une dernière danse. Dans la nuit, s'achève une frénésie de scribe. Marcel trace trois lettres: consonne, voyelle, consonne. Il a fini sa vie. A Céleste, il confie un sourire: "Maintenant, je peux mourir". Il traînera jusqu'en novembre.
Mai 1880. A Du Camp, son compagnon d'Orient, Gustave griffonne un soulagement: "J'ai à peu près terminé mon livre; ce qui me reste est peu de chose". Il périt le huit dans le travail accompli d'un dernier manuscrit.
L'un et l'autre, à la peine, se cramponnaient à la beauté comme à un ballon d'oxygène.

lundi 5 mai 2014

La parole intérieure

Avenue Rapp, le soleil ruse, séditieux comme un pape, parmi les promeneurs d'Emmaüs. On s'attable, pose les coudes sur la nappe. On se requinque au champagne orangé.
J'observe la parole intérieure d'une liqueur. L'été est d'éternité brève. J'aime mai pour cause d'incivil avril. Une flaque de poivre encercle l'insulaire barbaque.
L'ombre s'allonge comme le linceul d'une tombe. Dieu change de lieu."Reste avec nous; le soir approche". Luc évangélise à pic.

samedi 3 mai 2014

Elisa Schlesinger

J'approche du rivage. Je fais la planche. Je ralentis la cadence. J'ai peur de toucher le plot du dernier mot. Si d'aventure la possibilité m'en était donnée, je rebrousserais chemin volontiers.
Je dérive à une poignée de pages de l'accostage. J'ai parcouru cinq tomes de Pléiade sans jamais violenter la majesté d'une allure gourmande.
J'ai lu l'oeuvre complète en parallèle des miraculeuses lettres. J'ai situé ma connaissance dans l'ordre des naissances. La beauté Flaubert m'est révélée dans sa nécessaire continuité.
Des sublimes écrits de jeunesse à l'ultime bouquin sur la bêtise. Je reviendrai sur Novembre et Mémoires d'un fou. A cause d'un souvenir tabou. Par amour d'Elisa Schlesinger.
Ses manuscrits sont des cadavres, au style planté dans le mille, des proies maculées de traces de doigts. Madame Bovary, Salammbô, L'Education Sentimentale, La Légende de Saint Antoine, Un Coeur Simple, Saint Julien l'Hospitalier, Hérodias, Bouvard et Pécuchet. Marmaille d'un même sang.
Flaubert guerroie contre le bourgeois. Se lasse de sa lancinante bassesse. Il souffre, il souffle. Appareille dare-dare pour les fureurs de l'Antiquité barbare. Flaubert alterne roman de son temps et peplum de dépaysement. Question d'hygiène.
Ce drôle de zèbre écrit dans le marbre. La phrase de Flaubert diffracte une beauté d'apparat qui n'a pas bougé d'un iota.






jeudi 1 mai 2014

Les joues rouges

Inspecteur honoraire des chemins de fer. J'examine la calligraphie de l'enveloppe jaunie. Paul s'adresse à Maurice, mon grand-père. J'ai son âge et la guerre fait rage.
Je le vois, treize ans plus tard, dans son lit d'agonie, rue de Logelbach. Le drap découvre la diagonale de son corps. J'observe les fesses rouges. La lumière colle aux yeux comme l'ardeur d'un feu.
Je revois Maman, chambre trois cent vingt-cinq, les joues empourprées, colorées d'une même fièvre coquelicot. Ma vie s'insère entre deux figures d'enfer.