mercredi 28 janvier 2009

Pensée du mercredi

Avant d'envisager de travailler le dimanche, on pourrait essayer de s'y mettre le jeudi. Avant d'expérimenter le service maximum, on pourrait tester le service minimum. Avant de refonder le capitalisme, on pourrait tenter de faire fonctionner les trains, les métros et les avions.

mardi 27 janvier 2009

Météo sociale

L'avis de coup de vent dans les Landes est passé quasi inaperçu. D'où la surprise de la dévastation. En revanche, l'annonce d'un jeudi noir a été claironnée à l'avance. L'avertissement du grand soir syndical a été largement répercuté. La météo sociale semble plus fiable que les oracles des prévisionnistes du climat. Il faudrait que les experts patentés des caprices de la nature se renseignent auprès des meneurs de manifs. Il leur appartient de les interroger sur leur sens de l'anticipation et la qualité de leur communication.

lundi 26 janvier 2009

Boire, lire et fumer

Faire boire un âne qui n'a pas soif. Travail herculéen des états généraux de la presse. A ce titre, l'Etat fera don d'un journal aux jeunes gens de dix-huit ans. Libre à eux d'en faire un "business", de le revendre à quart de prix. Ainsi, à dix-huit ans, on aura le droit de se noircir les doigts pour pas un rond, d'emballer le poisson avec du papier gratuit. Pour être tout à fait complète, cette fête de la citoyenneté devrait prévoir une tournée générale des cafetiers avec gratuité du ballon de rouge pour les nouveaux lecteurs de presse - plan de relance de la filière viticole oblige -, assorti d'un paquet de cigarettes - plan de soutien à la nicotine dans le cadre de la prévention contre la maladie d'Alzheimer. 
Figaro, Bordeaux, Gauloise, ou bien Le Monde, Bourgogne, Gitane, ou bien encore La Croix, Beaujolais, Marlboro, ou même Libération, Côtes du Rhône, Camel. A chaque nouveau lecteur de choisir son tiercé citoyen. Dare-dare, il faut inscrire le boire, lire et fumer gratis dans la Constitution.

Moutonnaille

"Le monde n'est que franche moutonnaille". Jean de la Fontaine sait la grégarité des opinions et le mimétisme des comportements. La crise bancaire illustre cette irresponsabilité de troupeau. L'emballement planétaire pour Barack Obama fait craindre pareil aveuglement. En un clin d'oeil, les mêmes économistes, hier libéraux à la Hayek, se convertissent au keynésianisme le plus étatique. Les attitudes se calquent les unes sur les autres. La contagion d'une pensée unique touche les esprits de proche en proche. Les acteurs de la société se marquent à la culotte au point de foncer ensemble dans le mur ou de se jeter en choeur dans le ravin. L'époque est loin d'avoir éradiqué le mouton de Panurge. Ce surpeuplement bêlant est de nature à paralyser l'innovation, à étouffer la nouveauté. Il faut réhabiliter le loup solitaire, réfractaire aux embrigadements faussement sécuritaires.

vendredi 23 janvier 2009

Repaires de buveurs

Je feuillette un livre rouge, très rouge désir. Je tombe sur ces mots de Mandiargues: "J'entrai dans des repaires de buveurs...La phrase continue à sa cadence, longue et lente, majestueusement timbrée. Il suffit d'une poignée de syllabes pour enfiévrer la chair et empourprer l'esprit. Il est question d'une ville bâtie sur l'eau. La nouvelle s'appelle Miroir Morne. Il y a du péril à franchir un seuil. La littérature est une confrérie d'ivrognes.

Il pleut ciel

Vendredi d'un Paris au ventre gris. La pluie se sauve, s'enfuit du paradis. Le spectacle de la rue, du ciel embué, est code-barré. Les gouttes d'eau miment l'exode des autos. La pluie oblique noircit les idées. Il pleut ciel. 

jeudi 22 janvier 2009

Comme l'oiseau

L'oiseau n'a jamais apprécié l'avion. L'original méprise nécessairement la copie. L'aéronef imite mal la mouette. C'est pourquoi la gent ailée se rebelle. En bande kamikaze, les oiseaux harcèlent les Airbus, foncent dans les réacteurs, expédient des coups de bec dans les tibias. La piraterie des airs demeure impunie. Or l'oiseau exige réparation, revendique des émoluments d'auteur, demande le respect du droit moral. La révolte des volatiles s'étend dans un ciel sans limite. 

mercredi 21 janvier 2009

Oba-marre

Le métis Obama défile à la télévision comme un mannequin L'Oréal. Le monde est un podium où parade le grand homme. Les speakers se sont reconvertis en bateleurs de quinzaine commerciale. Le plaisant président alterne les postures graves de docte professeur et les gestes déliés de joueur de base-ball. Quand il montre ses dents, l'Amérique s'ensoleille. La lumière blanche de l'émail rayonne sur son costume du dimanche. Cet homme sans tache, sorti d'un conte de fée, s'est taillé un trop beau rôle pour ne pas être suspect. J'en ai déjà ma claque. J'en ai Oba-marre.

Le besoin de croire

Obama veut "réinventer l'Amérique". Sarkozy souhaite "reconstruire le capitalisme". Rien de moins. Les nouveaux chefs d'Etat n'ont pas froid aux yeux. Ces hommes jeunes retroussent leurs manches, endossent les mêmes tuniques d'ambitieux bâtisseurs. Ils s'approprient "l'optimisme de la volonté", cher au philosophe marxiste Antonio Gramsci. Or, dans le même temps, ils font une croix sur "le pessimisme de l'intelligence". Après la liesse populaire et les rodomontades verbales, sonnera l'heure de la raison d'Etat. Le besoin de croire des foules a déserté le champ religieux pour investir la sphère politique. A vrai dire, les deux ne sont guère dissociables, malgré la piété des discours de laïcité. La foi règne sans partage sur les opinions publiques. Au royaume des sciences politiques, les croyances sont tenaces. L'espérance en un monde meilleur voile tout regard critique.

mardi 20 janvier 2009

Yes Aïe Cannes

Dans ses carnets - je ne sais plus dans quel tome des Lettrines -, Julien Gracq écrit : "Entre le quelconque et l'excellent, la distance est stellaire". Sur la croisetteItalique, les palaces sont bondés. Gray d'Albion, Carlton, Martinez sont des noms d'établissements pénitentiaires. L'art hôtelier y est enseigné à l'accéléré. On en franchit le seuil comme on accède à son compte bancaire. Identifiant, mot de passe, log-in.  J'ai le souvenir d'un bouquet d'arômes chocolatés. Je reviens sur les lieux d'une sensation forte, d'une émotion de palais. On m'éconduit dans un galimatias d'adjudant. Par grisaille de janvier, il faut se sauver, fuir, rayer la ville de Cannes de la carte littorale.
A Nice, le Negresco impose son tempo suranné. Il est planté au beau milieu de la Promenade des Anglais. Son mauvais goût est éclatant de générosité. On y entre comme dans un moulin. On s'y parle en convives. Au premier mot, on s'approprie l'endroit. On vagabonde dans les couloirs à la recherche du meilleur recoin, au gré de l'humeur, aux bons soins de sa fantaisie. On trouve sa place sans bagarre de rue. La majesté du Negresco est une vieillerie de la civilisation des paquebots. On navigue dans un large fauteuil, au rythme assez lent du fleuve, dans la beauté alambiquée des boiseries, aussi libre qu'un roi dans ses songeries, aussi grave qu'un homme au voisinage de la volupté. 

Vieux village

On marche sur des pavés disjoints. On chemine dans des ruelles cabossées. On longe des murs à pierres rapiécées. L'ocre des maisons accueille la lumière en plein front. Un chat sommeille sur les dalles. Le temps se mesure dans sa brièveté sonore. L'homme engrange la beauté au pas du montagnard. Il converse avec les citrons, rebrousse chemin, bifurque d'instinct, s'assied sur un banc sculpté. Au loin, la neige luit comme une blessure. Le village est trop vieux pour ne pas baisser les yeux et regarder les cieux.

jeudi 15 janvier 2009

Le jour et la nuit

La nuit, dorment les hommes. Au réveil, ils s'échappent vers les rêves. Songes et sommeil départagent les frontières du jour. L'homme n'ouvre un oeil que pour suivre une songerie, s'étourdir d'une chimère. Faute de pareilles fantaisies, il s'ennuie vite, s'abandonne à la mélancolie, se jette dans un lit. Il fluctue entre le rêve et l'oubli.

Supprimer

Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? "Supprimer" est évidemment la traduction littérale de "subprimes". On supprime aujourd'hui à cause des subprimes d'hier. La machine à supprimer fonctionne à plein régime. On bazarde à tour de bras. Pas seulement les invendus. On supprime la publicité à la télévision publique, les juges d'instruction, les amendements au Parlement, le repos du dimanche. On supprime les emplois dans l'industrie. On supprime des vies d'enfants, d'hommes et de femmes. Subprimes rime avec Palestine.

mercredi 14 janvier 2009

Rocard

Michel Rocard jette l'éponge. Il abandonne la vie politique avec tous ses points de retraite. Avec deux cent quarante trimestres à faire valoir, il dépasse largement le minimum requis. L'ancien leader du PSU s'était distingué, il y a près de trente ans, par sa discourtoisie à l'égard de François Mitterrand, candidat à la magistrature suprême. Avec un sens aigu de l'anticipation, le chef de la "deuxième gauche" avait taxé d'"archaïque" le politicien charentais, alors premier secrétaire du parti socialiste. Mitterrand aura régné quatorze ans. Rocard aura raté la dernière marche. Premier ministre, il ne gouverna qu'à peine, sans grande liberté, sous l'oeil mauvais du lecteur de Chardonne. Finalement, Rocard se sera situé à égale distance de Mendès-France et de Mitterrand. A la différence du fondateur du PSU, il se sera sali les mains à l'épreuve du pouvoir sans pour autant céder à l'opportunisme électoral du marcheur de Solutré. A vrai dire, Michel Rocard manqua de la vertu de Mendès-France tout en s'interdisant les vices de Mitterrand. Ce type de centrisme le destina au rôle d'un Barre moyennement de gauche.

mardi 13 janvier 2009

Travailler le dimanche

La guerre continue à Gaza. La grève continue gare Saint-Lazare. Les soldes, Sarkozy, la crise continuent. Moi, je continue à noircir l'écran. Tous les rois du monde sont nus. Un producteur mal rasé à trogne de va-nu-pieds est resté sur le carreau. Berri est sorti du champ. On continue avec un homme en moins. On continue. Les événements des journaux sont à feuilles persistantes. La mort travaille le dimanche.

lundi 12 janvier 2009

Merci Gilles Bernheim

L'entretien du Figaro avec le Grand Rabbin de France honore la presse. Il est rare, en effet, de lire in extenso un texte aussi riche de spiritualité, aussi concis dans sa forme, aussi pénétrant dans ses analyses. Gilles Bernheim figure parmi les hommes justes de notre temps. Sa hauteur de vue - pour ne pas dire son élévation d'âme - tranche net dans un monde tiède. Sa pensée exprime une sagesse de l'éveil, une main tendue à l'intelligence, un signe de paix. Avec une autorité sereine, un souffle intellectuel revigorant, une attention précise à la vie pratique. Loin des postures de circonstances, Gilles Bernheim revendique le beau mot d'exemplarité. Dans son sillage exigeant, il invite au recueillement intérieur. Merci Gilles Bernheim.

Villeret

Jacques Villeret s'en est allé sur la pointe des pieds. Dimanche soir, il est passé en voisin sur la télévision publique. Il s'est rappelé à notre bon souvenir. On lui demande pardon pour pareil oubli. Jacques Villeret est un comédien de génie. Ses grands yeux purs se posent sur l'image comme sur un ciel d'azur. Ils contemplent la beauté muette des bêtes. Jacques Villeret nous émeut comme seul un homme taiseux, un homme de peu sait faire. Sa trogne rougie évoque l'infini au premier regard. Ses doigts manient la délicate dentelure des timbres poste d'Ifni. Jacques Villeret n'a jamais accompli que des one man shows. Il n'est entouré que de comparses. Ses amis acteurs ne sont pas à la hauteur. Impossible. Dans Villeret, il y a vérité, plus deux ailes. A la fin du film, cette homme sorti d'un portrait paysan à la Depardon s'est retranché dans un mutisme de pierre. Pour le voir, le revoir, rire et pleurer à la fois, il faut sonner au paradis.

jeudi 8 janvier 2009

Près de chez vous

La crise justifie les moyens. C'est pourquoi l'Etat prête main forte aux banquiers. On n'épargne pas les épargnants. Ils font crédit aux établissements financiers. Cet argent est confisqué puis revendu à ses propriétaires, si jamais la lubie d'emprunter leur traverse l'esprit. Ils renflouent les caisses des banques, deux fois. D'abord, par générosité d'Etat. Ensuite, par nécessité de se refaire. Agricole ou pas, le crédit vous dépouille comme au coin d'un bois. L'escroquerie se pratique au guichet, près de chez vous. Pas loin à aller. 

Les mains

La photo est prise à l'intérieur d'une grande maison. Ils sont alignés comme un choeur de chanteurs. Ils arborent le même sourire, dévoilent l'émail éclatant d'une dentition parfaite. Ils sont vêtus à l'identique d'un costume de ville. Ils partagent une taille assez voisine, au-dessus des cent quatre vingt centimètres. Ils ont conservé des cheveux sur la tête. Ces cinq présidents ne diffèrent que sur un point: la position des mains. Carter et Bush junior ont les mains qui pendent, Clinton les dissimule dans son dos, Bush senior les camoufle dans ses poches, Obama croise les doigts. L'homme de la Maison-Blanche exorcise le mauvais oeil.

mercredi 7 janvier 2009

Les soldats des soldes

L'heure de la ruée des rabais a sonné. Au clairon de la Saint Raymond, les soldats des soldes sont tombés du lit, ont foncé dans la nuit vers la griserie des petits prix. Les foules obéissantes se pressent aux caisses. On se regarde en chiens de faïence. La concurrence s'exporte du travail quotidien au shopping frénétique. Les gens courent, un oeil de côté sur le rival d'emplettes. Pas question de se laisser marcher sur les pieds, de rater l'affaire du siècle. Dans un embouteillage de piétons, on ne cède pas la priorité. La cérémonie des soldes établit une lutte impitoyable entre acheteurs, une farouche compétition au royaume des prix sacrifiés. On joue des coudes comme au bureau.

mardi 6 janvier 2009

La Rochefoucauld

"Quand la vanité ne fait point parler, on n'a pas envie de dire grand-chose". La Rochefoucauld nous enseigne la sobriété des mots. L'écrivain se sait prisonnier de la dernière syllabe. Il dit, écrit, sous la dictée du nombril. L'élégante maxime fouette le sang. A l'heure des grandes bouffes langagières, le fin moraliste nous abreuve d'eau fraîche. 

lundi 5 janvier 2009

L'autodafé des autos

A chaque Nouvel An, les casseurs de chrome s'en donnent à coeur joie. La cérémonie des automobiles incendiées tient du rituel festif. Des bandes de gosses sacrifient les voitures que leurs parents ne veulent plus acheter. Dans le même temps, l'auto figure au premier rang des victimes de la récession économique. Déjà singulièrement chahutée par les chantres du développement durable, la bagnole ne roule plus très rond. A se demander si le braillard Paris/Dakar ne constitue pas une survivance anachronique, une arriération ringarde. Au-delà de l'autodafé annuel des autos, on assiste à la noyade emblématique d'une industrie, à l'obsolescence inexorable d'un mode de vie.

vendredi 2 janvier 2009

Le vaneau huppé

A l'angle des labours, j'épingle des yeux l'oiseau de mon enfance, le vaneau huppé qui fuit les rigueurs polaires. Je longe le champ, j'observe l'éparpillement du vol migrateur embourbé dans la terre. Je dois au vaneau mon meilleur souvenir de chasse. A l'époque, j'empoignais mon fusil favori comme on se confie à un ami. A ce même endroit, baptisé La Papillonnière, dans le soleil jaune d'octobre, je m'approchais à pas lents. Sur ces étendues de terre rase, l'homme est vu de loin. Dans un fracas vertical de plumes, les oiseaux se propulsèrent vers le ciel, à la vitesse du vertige. J'épaulais au réflexe. Les vaneaux, aveuglés par la lumière oblique, s'étaient sauvés juste à temps. L'un d'entre eux, isolé de la bande, chuta de manière rectiligne. La huppe de l'oiseau se dessina sur la terre comme un point d'interrogation. Je me souviens de la boîte de cartouches orange. C'était une joie sauvage, plus dure qu'un bonheur d'écriture.