jeudi 27 mai 2010

Dépendance

Ils naissent sur la terre, coiffés d'un bonnet de centenaire. Ils feront le siècle en bradant leur liberté. Car une dépendance tous azimuts les guette, dès le premier âge, au sortir de l'enfance, en pleine maturité, au seuil de la vieillesse. Le petit corps s'agrippe au lien social de la peau maternelle, s'agrège à la communauté des mortels. Avec le temps, il se grégarise à griller une cigarette, succombe à la beuverie du samedi, s'abandonne à l'apéro géant, mixte de beaufitude et de solitude.
La tentation de la dépendance séduit comme la beauté du diable. La pression du groupe exacerbe le désir d'appartenance, de conformité à la référence. Vient l'âge du travail. On gagne sa vie à la sueur des ses neurones, selon le bon plaisir d'un patron, à la merci lui-même d'un bienveillant client. En route, on peut s'adonner au jeu suicidaire du dernier verre, foncer dans l'alcool comme on se jette dans la gueule du loup.
Vers le grand âge, la biologie s'en mêle, prépare à la cérémonie du ci-gît. Les maladies neurovégétatives répandent un venin d'oubli et de paralysie. On végète à la remorque d'un conjoint ou d'un professionnel du soin. La vie est un long fleuve velléitaire, strié de courants tourbillonnaires. C'est un toboggan: on y glisse en pente douce, d'une dépendance à l'autre.

mardi 25 mai 2010

L'art d'être cumulard

Dans son ouvrage "La prospérité du vice", l'économiste Daniel Cohen cite "L'Enfer" de Dante : "Orgueil, envie et cupidité sont les trois étincelles qui enflamment le coeur de l'homme".
A entendre les cris d'orfraie poussés par les sénateurs socialistes à l'évocation d'un éventuel renoncement au cumul de leurs mandats électoraux, on ne se lasse pas de méditer la sentence du poète florentin.
L'homme politique pèche par orgueil. Il se considère unique en son fief, incomparable dans une démocratie qui prône l'égalité, encourage l'éducation du peuple, promeut la diversité des talents.
L'homme politique s'abandonne à l'envie. Il jalouse en cachette le succès de son voisin de travée, lorgne sur la réussite de son voisin de clocher. Il calque ses désirs sur ceux de ses pairs, dans un tourbillon mimétique à la René Girard.
L'homme politique cède à la cupidité. Il cumule les mandats comme on accumule des revenus. Il vante la sobriété des besoins mais s'oublie dans la modération des convoitises. L'idéal politicien masque un vulgaire appât du gain;
Bref, l'homme politique est un homme comme les autres. Il aime le pouvoir, il goûte le prestige, il apprécie l'argent. L'art d'être cumulard est exercé sans grand effort par une majorité d'élus de France et de Navarre.

Journée oubliable

On sait que le temps est compté, que la splendeur d'été est acceptée. Eternité d'un corps froissé, cabossé. Visage de parchemin, en première ligne, à bout portant. Seconde après seconde, le chiffon de l'oubli volatilise la craie du regard. On grave sur l'ardoise les non-dits du récit. La lumière désigne la morsure pourpre des arbres. Le ciel stocke du bleu, par pans entiers, sur la largeur du front.
La vieille femme marche à pas millimétrés. Tête haute malgré les cahots. Elle se cramponne aux choses, à la présence d'un chien, à la mémoire des siens, lointains ou défunts. La journée dégringole, à l'angle des vitres, dans un sillage de carriole. Le moindre bruit provoque le qui-vive. La journée claudique, bascule dans l'impasse. Demain, à l'heure des songes, l'oubli passe l'éponge.

vendredi 21 mai 2010

Garache

Il y a la chair qui rayonne de lumière. Aussi dense et douce qu'un jaune de Bonnard. C'est un corps de femme, impromptu, vêtu de nu. Rouge de face, d'évidence, de prégnance. Flanqué dans l'espace, intimement incendiaire. Toile plantée devant soi pendant des heures, attentive au feu intérieur. Garache peint des taches. Il figure un corps en torche.
L'homme lit l'ouvrage, ses propres mots, d'une voix détimbrée. On dirait un oiseau sans ses ailes au pays des brindilles. Il est assis dans une librairie saturée d'écrits. Il a quitté l'atelier, scié la branche sous les ciels. Garache, entre garance et gouache, tatoue des images.

mercredi 19 mai 2010

Tu parles, Charles !

C'est une figure d'allure gothique, une silhouette sans norme ni proportion, hors format, une sorte de grand corps du temps des dinosaures, rebelle aux bluettes, réfractaire au terre à terre.
C'est un général singulier qui s'est octroyé la légitimité d'un roi.
On fête aujourd'hui l'anniversaire d'un coup de gueule. S'appelle L'Appel. Le gaillard, petit secrétaire d'Etat, prend l'avion pour quelque part. Londres n'est qu'un leurre, un prête-nom. De Gaulle n'imagine qu'une seule destination: un pays littéraire, multiséculaire, sans frontières, un pays libre de sa géographie. Il est à Londres. Non, il est la France. Debout, demain dans la cour des grands.
Ce jour de juin 40, l'homme monte au créneau, monte au micro. La débandade a assez duré. Le pays n'est pas une plaisanterie. L'homme d'Angleterre est rouge de honte. Ce jour de juin 40, il monte sur ses grands chevaux, il s'approprie la responsabilité du sursaut. Il se décerne le profil de héros, se confie la maîtrise d'un destin, s'admoneste en tête à tête: "Tu parles, Charles !".
C'est un homme de style qui révère la parure des mots. C'est un homme de style qui pratique les ratures de stylo. Il soigne sa phrase. Il peaufine sa petite phrase avant de pénétrer dans l'Histoire. Il entre dans le studio d'Highgate et déconne grave. Il fait sien le pouvoir hertzien. C'est un fou qui se prend pour de Gaulle, un furieux qui rejette l'injurieux sauve-qui-peut.
Il a taillé ses flèches. Il bande son arc. Les petits javelots de mots sifflent dans l'air, se fichent dans le sable du désert.
Ce speaker gothique agrège, un à un, les déserteurs du déshonneur. Il s'adresse à la colonie des fêlés. Aux petits gars de l'île de Sein. Qui n'ont pas besoin d'un dessin mais d'un grand dessein. Il y a du christique dans la mystique gaullienne. De Gaulle appelle un père, en Christ militaire, sur la croix de la défaite. Il y a aussi la nostalgie proustienne de l'enfance. De Gaulle appelle. Aussi seul qu'un enfant dans le noir, en plein cauchemar, qui crie le nom de sa mère. C'est la France, peut-être la Berthe, la Mireille ou la Louise.
Cette scène primitive du gaullisme excède tous les "cliffhangers" de l'histoire des deux derniers siècles. Notre génération blasée du temps de la consommation a connu le chahut de Mai, la Chute du Mur, l'aura de Wojtyla, le 11 septembre et le défi de l'Asie. Ces événements ont modelé nos consciences. Ils sont décortiqués dans les manuels d'école.
Or l'Appel de ce général dégingandé constitue un moment d'égarement supérieur. C'est le cri d'un soldat perdu qui erre loin de sa terre, à l'écart du champ de guerre, qui ajuste sa colère à hauteur de l'espoir.
Obama snobe les capitales d'Europe. Bruxelles est dans les choux, ringardise chaque jour davantage le Vieux Continent. Aujourd'hui, la séquence de Gaulle est ressentie comme le plat de résistance de l'histoire récente de la France. Elle nourrit l'imaginaire d'une nation coincée dans ses peurs, dépossédée de sa lointaine grandeur.





Une morte

Ce sont des années noires. Les morts sont épinglés au revers des saisons. Ils sont enterrés dans ma tête. Ils vivent comme des lucioles dans un ciel provisoire. Ils brillent d'amour.
Les morts séjournent en plein front, derrière la porte, face au mur et ses deux yeux. Dans la chair la plus vivante est gravée la joie du visage, le dernier petit sourire d'une morte.

La burqa et le bouclier

Entaille dans la burqa fiscale. Loi sur le bouclier islamiste. Fendiller la burqa fiscale de meurtrières, à coups de cimeterre, déverser l'huile bouillante salvatrice sur les retraités. Interdire l'armure de tissu des femmes, le voile de métal à la Paco Rabanne, réhabiliter la minijupe et le monokini.
Régler la question des exceptions. Faire des exceptions dans les règles. Ajouter à la liste des lieux communs, le bouclier en carton et la burqa à trous.

lundi 17 mai 2010

Peuple intouchable

On voit des peuples partout. Sur la Canebière, le sacre national de l'Olympique de Marseille a jeté la cité phocéenne hors de ses frontières. La grande rigolade s'est fédérée autour d'une large banderole placardée sur les murs de l'hôtel de ville: "La victoire de tout un peuple". On pensait que la nation était indivisible et que son peuple s'identifiait d'un seul bloc. Or la furie du foot frappe d'obsolescence pareille réminiscence républicaine. A l'heure des entités géopolitiques de taille continentale, la deuxième métropole de France revendique haut et fort l'expression de "son peuple", privilégie l'appartenance à la tribu du cru au détriment de la République.
L'époque est au questionnement de la notion de peuple. Elle se situe au coeur de l'actuelle crise européenne. Par définition, le peuple est paré de vertus indiscutables. C'est la face embellie du collectif, le bon profil de la foule ou de l'opinion. Son verdict implacable manifeste le primat de la parole démocratique. Le grand récit de la démocratie est fondé sur l'axiome du peuple intouchable.
Or aujourd'hui, en pleine tempête financière, les démocraties de la zone euro font figure de paniers percés. La réalité des comptes publics révèle que la démagogie des élus ne se limite pas aux seules promesses. Car les gouvernants exécutent leurs chimères de campagne. D'où la pratique invétérée de budgets à trous. Jamais en démocratie la tyrannie du peuple ne s'est autant exercée. Ses représentants cèdent aux tourbillons contraires de l'opinion. Ils endossent une conscience de dames patronnesses, distribuent des brioches au peuple qui mendie, se prévalent d'une générosité d'emprunt.
Bref, la faiblesse des puissants consacre la spirale démagogique qui gangrène la démocratie. Elle jette un voile mortuaire sur la vérité économique la plus élémentaire. Elle cache le cadavre de la liberté. Sans le sou, nous sommes endettés jusqu'au cou. Nous sommes prisonniers du crédit comme d'une burqa. Les gouvernements des songes, élus sur des mensonges, bradent l'indépendance, brident aujourd'hui la croissance.
Car le peuple fait peur. Sa colère terrifie. Les princes de démocratie apaisent ses furies par l'oublieux sommeil du crédit. Mais la main d'emprunt ne peut secourir d'instinct, glisse entre les doigts du noyé. Nous boirons la tasse jusqu'à la lie de l'euro.

vendredi 14 mai 2010

L'introuvable rigueur

La rigueur, c'est autre chose. La rigueur, c'est beaucoup moins rose. C'est un mot à ne pas galvauder. La rigueur, c'est la vertu scientifique par excellence. Or chacun sait que la politique n'a rien d'une science. C'est pourquoi, libéré de la rigueur, on peut vaquer de bon coeur à ses occupations.
A Cannes, on affiche la couleur. Bling bling de rigueur. La montée des marches en burqa est autorisée. A Paris et ailleurs, on affiche son humeur. Pas vraiment vagabonde. Morose. Après les maudits saints de glace, on craint la douche froide des taxes. A tort. Faudrait qu'on ait la rigueur pour ça. L'hiver traîne en longueur, transmet sa rigueur au printemps: ça oui !
A Nantes, on se réchauffe comme on peut, on invente l'apéritif collectif. A la crise de l'euro, on répond par la prise d'apéro. Car l'euro boit la tasse. Les mécaniciens de notre destin serrent les boulons. On serre les dents. Mais pas la ceinture. Toujours pareil: à cause de l'introuvable rigueur. Il n'y a pas de rigueur en France, sacré bonsoir ! Il faudrait le copier cent fois dans nos cahiers numériques.

mercredi 12 mai 2010

Courir derrière

Vaut mieux courir derrière un ballon que derrière la croissance. Garantie du rebond oblige. Raymond a dévoilé les noms de nos champions. Trente joueurs à trente jours du début des hostilités. Notre gouvernement du foot sera resserré à vingt-trois. C'est la loi. On réduit le nombre de secrétaires d'Etat sur le banc de touche. C'est la rigueur. L'été sera foot. C'est la saison idéale pour que l'autre gouvernement, celui des sous, fasse diversion avec la fête du ballon rond. On ne se demandera plus si Henry doit jouer dans l'axe mais si Sarkozy invente de nouvelles taxes. Manquerait plus que l'Allemagne, toujours compétitive, gagne la coupe.

lundi 10 mai 2010

Dominique et Christine

Les grands argentiers bombent le torse. La crise de l'euro les propulse à la une des journaux. Dominique Strauss-Kahn cède à la pression amicale de ses fans, organise une sorte de club "Désirs de Revenir" destiné à exprimer sa lassitude du grand large. L'économiste du monde ne demande pas mieux que de se faire ainsi tirer l'oreille pour un retour triomphal au bercail, orchestré par ses ouailles.
Christine Lagarde, au port impeccable de championne de sport, se joue des malheurs de l'heure avec autant d'aisance que d'élégance. Sa crinière blanche et son doux sourire illuminent les tristes tablées d'hommes gris. La classe naturelle de la dame de Bercy tranche avec la démarche de camionneur du président Sarkozy.
Le prurit élyséen de DSK, dans la lignée charmeuse - et dans le fond, doctrinale - d'un JJSS, est un secret de Polichinelle. En revanche, l'ancienne avocate d'affaires ne semble pas démanger par un tel destin national. Dommage. Car on imagine sa stature et son allure à la magistrature suprême. On rêve d'une sorte d'Obama au féminin pour l'Europe. A fortiori pour la France.

jeudi 6 mai 2010

Une puissance moyenne

La France peine à accepter la réalité. Elle ne se voit pas bien dans la glace. Elle refuse d'endosser son statut de puissance moyenne. De Gaulle n'a pas facilité le travail du bon sens. Le grand récit gaullien a hissé le pays au dessus de lui-même. Il a fait rêver son peuple au dessus de ses moyens. D'où la nostalgie récurrente, exprimée d'avance par François Mauriac: "Regardez bien, car vous ne verrez plus jamais ça". Grâce aux archives, les conférences de presse du fondateur de l'actuelle république donnent cependant une idée de la grandeur déboulonnée.
Giscard au pouvoir, "à la barre", s'est vécu en skipper, en plaisancier du dimanche. Chiffres à l'appui, il s'est résolu à briser le tabou. Il a quantifié la dimension réelle du pays: 1% de la population du monde. A ajuster à son rayonnement. Mitterrand et Chirac ont emboîté le pas de l'Auvergnat, avec ici ou là, des traces infinitésimales de l'ancien panache.
Aujourd'hui Sarkozy colle à merveille à la réalité statistique d'un pays rentré dans le rang. Il a liquidé l'inutile apparat pour les futiles caméras. Il s'est débarrassé du style. Il se soucie des manières comme d'une guigne. Son refus de la prestance l'apparente à un acteur comique, à un sportif vantant la gagne à tout prix, à un boutiquier ricanant des choses de l'esprit.
La France de 2010 - démographie, économie, culture - est en phase avec son président et réciproquement. Elle ne fait pas d'étincelles, navigue en milieu de classe. Loin des sommets où se joue le destin du monde. Sans beaucoup d'égards pour les fins, elle se concentre sur les seuls moyens. Or en temps de crise, ils s'amenuisent. Faute de grand dessein, la puissance moyenne est coincée dans son costume étriqué.

Pouah !

On se presse devant des bouteilles couleur de groseille. On se serre la main, un verre dans l'autre. Les vignerons endimanchés récitent le bénédicité de leur métier. On boit érudit, deux gouttes de vin, remuées avec simagrées et respect poli. On boit du Bourgogne, sans vergogne, avec des pincettes. Dégustation rime avec compétition. Tous ces crus sont destinés à être bus, un peu de chaque, au pas de charge.
On s'imagine lire à la suite un paragraphe de Proust, quatre lignes de Céline, quelques fragments de Cioran, une demi-page de Gracq, un bout de confession de Rousseau. Pouah ! On recracherait pareille bouillie comme des cendres volcaniques.
C'est une fête de gens de presse chez un boutiquier en vins de qualité. Ces mondaines fredaines ignorent le goût mesuré, la lenteur de la simplicité, le plaisir de l'unicité.

mercredi 5 mai 2010

En arrière du front

Ce qu'il y a de miraculeux dans le souvenir qui s'imprime en arrière du front, dans ces images voilées mais dessinées et colorées, c'est le surgissement impromptu d'un sensation qui électrise la peau, c'est le foudroiement d'une impression qui pince le coeur, c'est la résurgence d'un sentiment, intact par delà le temps.
La vie des sens se réactualise. On communique à distance avec soi-même. On revient sur les traces d'un passé jamais révolu. La mémoire est une sorte de magie noire.

Debout l'Europe !

Desserrer l'étau. Sortir de l'euro. Renoncer. Les vieux démons démangent l'Europe. La défaillance grecque exhorte au rebond. Il est temps que ce continent senior retrouve un job à la hauteur de ses ambitions passées. Qu'il serre les rangs dans l'épreuve. Il lui faut à nouveau peser sur le monde, ne pas se reposer, recommencer à inventer l'avenir.
Une Europe requinquée, c'est l'amalgame réussi des grands pays et des petites nations, la voix forte des peuples qui s'accordent sur un même horizon. D'où l'ardente obligation d'allier les contraires, l'eau et le feu, la démocratie et la gouvernance de l'Union. L'Amérique et l'Asie nous regardent de haut. Ils nous snobent: Obama aujourd'hui, Rumsfeld hier. L'heure est venue de nous redresser pour les voir à nouveau, les yeux dans les yeux. Sans arrogance ni complexe. "La vieille Europe" n'a pas dit son dernier mot. Elle doit le prononcer, debout face aux deux empires d'Orient et d'Occident, sans baisser ni sa garde ni son visage. Il y a 70 ans, de Gaulle appelait à résister, à forcer son destin. C'est au tour maintenant de l'Europe de se ressaisir et de choisir elle-même son avenir.

mardi 4 mai 2010

Hadot/Ernaux

Mort de Pierre Hadot. Reconnaissance pour ses livres de philosophie, aussi instruits qu'érudits, qui rassasient comme un fruit, d'une écriture aussi claire que l'eau vive.
Par petits bouts, puis tout haut - la seule manière d'en avoir le coeur net - dans ma chambre d'Helsinki, je m'émerveille de la justesse de mots d'Annie Ernaux. Je lis sans hâte. "Les Années" passent parmi les temps morts de l'ennui. C'est l'ouvrage d'une vie, le récit légendé d'un album de photos. L'auteur se dévisage sur de vieux clichés, témoigne d'une enfance d'après-guerre, des gens sans gloire d'une France d'espoir.
C'est mille fois mieux qu'un traité de sociologie boutonneux, qu'un tissu de gros mots jargonneux. La littérature éclaire l'époque là où la science autoritaire bricole du toc.

lundi 3 mai 2010

Une cordée désaccordée

L'Europe est une équipée à risques, une cordée désaccordée. A la première Grèce venue qui dévisse, les alpinistes de tête s'interrogent sur les vertus du secourisme. Ils apprécient le renfort d'une deuxième cordée lointaine, idéale pour sauver les apparences d'une bonne entente. Le Fmi, très américano-centriste, fera l'essentiel du job. Athènes est désormais jumelée à Washington.
On dit qu'en altitude la raréfaction de l'oxygène conduit les hommes à se désolidariser, à renier tout altruisme, à s'échapper vers un destin solitaire d'individus réfractaires à la main tendue.
On peut se demander si le fléchissement de la prospérité qui sanctionne les politiques d'abandon de nombreux territoires méridionaux du Vieux Continent ne provoque pas un même réflexe immunitaire d'auto-défense des bons élèves du Nord.
L'empathie communautaire ne s'exprime alors que du bout des lèvres. L'attelage brinquebale. Il est fait de bric et de broc, de cracks et de cancres. Il est à craindre que toute la cordée européenne ne chute dans le vide à tirer à hue et à dia.

Le blouson de la compassion

Obama en blouson a inscrit la Louisiane sur son agenda. Il est solennel et fraternel devant la catastrophe industrielle. Il discourt, droit comme un golfeur, sous les bourrasques de pluie. Il est douché par l'événement, trempé jusqu'au cou. Il grimace à peine, cligne des yeux quand même.
Il parle avec calme, regarde à droite, regarde à gauche, de manière pendulaire, doucement endormante, offre son visage au public, sa diction d'exception jusqu'à l'extinction des mots de circonstance.
Il méprise l'hostilité des éléments, rechigne au luxe d'une parapluie. La compassion exige un minimum de bravoure. Elle réclame d'en prendre plein la figure, d'être habillé en tenue de villégiature, d'être vêtu avec retenue. La compassion pour la Louisiane est la B.A. d'Obama, la bonne action du grand sachem des victimes, le boniment d'usage du président impuissant, la posture nécessaire du gouvernant publicitaire.