mardi 26 décembre 2023

Devoir de fin d'année

Que l’année nouvelle soit belle comme une toile d’elle de Nicolas de Staël Que deux mille vingt-quatre soit un numéro chanceux, un billet de loto vainqueur qui octroie la beauté sur la terre ! A mes amis, je souhaite une année généreuse, insoucieuse, peut-être heureuse.

lundi 25 décembre 2023

On trouve ça bien

En ce jour de Noël, j'apprécie le commentaire si obligeant cueilli au bas du sapin dans la prestigieuse rubrique de Service Littéraire: "On trouve ça bien". Ce sont les premiers mots publics écrits sur mon livre: "Fragments d'un sentiment". A François Cérésa, j'exprime ici ma reconnaissance. "Notre ami Christian a une sacrée plume. Dans son ordre foutraque, il fait la peau aux idées reçues. Ici, par le style, il évoque la sacralité du théâtre" (5 Sens Editions, 94 pages, 12 euros). in Service Littéraire, numéro Maurice Barrès, janvier 2024

jeudi 21 décembre 2023

Le camp des intouchables

Des femmes sans célébrité se plaignent des agissements abusifs d’un acteur de renommée mondiale. En dehors des prétendues victimes et du comédien visé, nul ne sait au juste la vérité des faits. Au jeu de la parole échangée, l’institution de la justice n’hérite pas d’une tâche aisée. Pourtant, le président de la république française ramène sa fraise, s’invite à la table du juge. Depardieu l’histrion fait honneur à la nation. Le droit est une chose. La force en est une autre. L’un et l’autre se toisent comme deux pugilistes sur le ring. Dans le rapport de forces de la considération sociale, Macron et Depardieu, dans le métier où ils excellent, occupent le sommet de la pyramide. Or les petites mains supposées violées des tournages des films de Depardieu échappent à la visibilité médiatique, à l’impact publicitaire des commentaires en pleine lumière. Dans le cercle privé des stars autorisés, Fanny Ardant ou Catherine Deneuve, fidèles à l’ami, se rangent du côté du géant de comédie et du président du pays. Cet entre-soi de la célébrité est dérangeant. Fanny Ardant et Catherine Deneuve appartiennent elles aussi au camp des intouchables. Dans le rapport de forces, elles jouissent d’un certain éclat de pouvoir qu’elles font ostensiblement valoir. En revanche, les pâles accusatrices sont des Madames Michu du cinéma, des inconnues absolues au banquet des dieux de l’Olympe. C’est troublant. Je m’interroge sur la nature humaine, ses tentations, sur la pratique éventuelle d’un droit de cuissage exercé dans le secret d’une alcôve.

vendredi 15 décembre 2023

Arras Kiri

Lili, Gérald. Querelle de bornage. Moins d’exilés, le monde sera moins laid. Nos lois datent, sont aussi scélérates que le méchant glyphosate. La bonne terre est viciée par des corps d’origine étrangère. L’exilé, à la place des députés, vote avec ses pieds. L’exilé se reproduit comme un verbe irrégulier. L’exil, nom de nom, recueille les pupilles de toutes les nations. Arras Kiri. « Faire comme à Arras » dit une petite fille. Allah Akbar en guise de carambar. J’ai peur. Allah barre-toi ! Suis-je musulman ? Comment le savoir ? Voir un toubib.

mercredi 13 décembre 2023

202 ans, le vieux Gustave

J’ai l’âge de Flaubert quand il erre loin de l’estuaire, s’assied dans le sable, fourre ses yeux dans la mer. Le Havre est sur ses lèvres. Flaubert va s’endormir là où Céline voudra finir. Culottes courtes et carottes cuites. Flaubert se ranime. Une silhouette l’éveille comme un éclat d’album. Elle ravage le paysage, piétine une vie d’enfant sage. Flaubert est beau. Tard, il songe encore à sa distinction de figure. La vie de Gustave va brûler d’un sang brutal. Elle est trouée, éborgnée par un alcool qui cogne. La baigneuse de Trouville s’approprie la mémoire d’un gosse débile. Elle flèche sa chair sur l’idiot de la famille. Flaubert s’absente de ses genoux. Il re-­‐garde. Il garde deux fois. Il regarde, roi dans ses yeux. Une lumière de grand août interroge le rouge écarlate d’une étoffe à stries noires. Le garçon a l’âge de raison, deux fois dans ses os. La double raison donne une fraîcheur à sa déraison. Flaubert est fou. Il voit flou. Il est halluciné par un surcroît d’images. Gustave écrira ses Mémoires, gravera son désespoir comme on trace ses initiales sur une pierre tombale. Flaubert saisit le fétiche comme une algue sèche. Il traîne la soie sur le sable comme une robe d’épousailles. Il la gare des mouillures de la mer. Ses doigts ont senti le corps sans peau du manteau vide. Il froisse la pelisse. Il s’entiche d’une revenante. Flaubert se terre à l’auberge de l’agneau d’or. Il bouquine Byron, se remémore Cervantès. Il confie au papier l’éblouissement d’une épiphanie. Le collégien de quatrième a croisé le chemin d’une reine. Au repas de midi, les mots sonores perforent l’autiste effervescence de son esprit. Une voix supérieure rompt son colloque intérieur. La tenancière de l’établissement jongle avec les assiettes des bruyants pensionnaires. Gustave est sonné comme un petit valet. Un monsieur cible ses yeux. Dans son dos, la brune figure des flots le gratifie d’une juste reconnaissance comme d’une brusquerie. Je vous remercie de votre galanterie. Flaubert se réveille, rougit comme un soleil. Il fuit, pareil à un malappris. Il baguenaude, maraude de mauvais rêves le long d’une grève. Il habite un trou, une petite ville que la mer secoue. La rue du commerce est faite de bicoques de traviole, délicieusement disjointes, peinturlurées pour une cérémonie de ciel gris. Flaubert se pare d’une majuscule sottise, de la convoitise d’un front de taureau. La femme à chiffon rouge est une fille à lèvre d’orange. Elle bariole l’horizon du poinçon du poison. Gustave dégringole la rue des échoppes. Au port, au spectacle des barques, il toise le labeur des artisans pêcheurs, suffoque aux senteurs de la Touques. Quand la nuit sur la mer soudain bleuit ses plis, il s’étourdit des ultimes coloris. Trouville. Nom sans désir. Trou dans la peau. Trou, bled, patelin. Trou de mémoire. J’en consulte l’album des villas bourgeoises et des ciels d’ardoise. Boudin, en voisin, a peint le terrain de jeu de l’écrivain. Flaubert n’est pas loin. Il est voyeur aux premières heures. Il jette du sable, rôde sur la plage, considère la mer. Il a les sangs fouettés par l’iode et la beauté. Trou dans la correspondance du grand Gustave. Rien d'écrit entre le 24 août 1835 et le 24 mars 1837. Vingt mois d'absence. Temps mort où s'intercale la vision éclair d'Elisa Schlésinger. Flaubert ne sait pas quoi faire de sa peau. Il joue avec les mots. Il a quinze ans, traîne à Trouville son ennui de grand enfant. La féerie d'une image de vitrail interrompt sa rêverie. L'heureuse baigneuse surgit d'une vague affectueuse. Dans "affectueuse", il y a "tueuse". Le sort de Gustave est scellé. Flaubert est ensorcelé. Il sauve le manteau d'Elisa de la montée des eaux. Du coin de l'oeil, il toise Maurice, la moustache lisse de mari sans orgueil. "Il tient le milieu entre l'artiste et le commis voyageur" (Mémoires d'un fou). Flaubert possède l'art d'épingler le boutiquier défroqué. Flaubert pose son épaule dans sa geôle. Il abandonne sa propre histoire à l'écritoire. Il est nié, prisonnier, prison-niais. De la beauté d'une phrase. De la fatalité d'une femme dont les pas s'impriment sur le sable. Vingt ans plus tard, Gustave observe une torpeur intacte. Il s'est muré dans l'immobilité. Il confesse un fiasco. Il cause à l'oreille d'Elisa. "Je me suis usé sur place, comme les chevaux qu'on dresse à l'écurie; ce qui leur casse les reins" (lettre du 20 octobre 1856). Elisa est l’anagramme d’ailes. Elle est une parure dont Flaubert revêt son écriture. Tous ses volumes sont l’ambition d’un vol. Tous ses volumes y laissent des plumes. Elle a jailli comme une trouvaille. Elle élude une solitude. Dans Schlésinger, il y a schleu, il y a les chanteurs de Wagner. Flaubert vieillit. Elisa devient Eulalie. Elisa Foucault se grime en Eulalie Foucaud. Le même nom évoque Volk, ruse avec l’idiome de Prusse. Flaubert n’aime du peuple que ses filles. Ce diable d'automne tarde à révéler sa vergogne. La nature voile ses joues rouges. L'avenir se cache pour mourir. Une loi gouverne l'écorce des doigts. Les feuilles luisent d'un sang vermeil. Gustave se glisse dans le lit d'Eulalie. Il n'a pas vingt ans, mais envie d'embrasement. Flaubert a fui la Normandie. Il tente une escapade, se dérobe aux ciels gris. Le bleu Midi l'éblouit. Hôtel Richelieu, rue de la Darse à Marseille. Il cogne à la porte des dames Foucaud, échange quelques mots. Eulalie fixe le souvenir d'Elisa. S'appellent pareil. Elisa Foucault, Schlésinger par raccroc. Gustave est la proie de maîtresses entêtantes. Flaubert confie sa chair comme un secret de presbytère. A vingt-cinq, trente et quarante ans, Flaubert revient sur les lieux, toise les murs de l'hôtel Richelieu. Les foucades de Gustave sont inflammables comme une ruade, ou des incartades de style dès la première syllabe. Flaubert s'instruit comme Godard. Il n'apprend que des éléments. A la Chantepie qui gémit de mélancolie, il écrit: "Votre médecin a raison, il faut voyager, voir beaucoup de ciel et beaucoup de mer". Touché Flaubert, sexe fléché, vecteur de mort. L’écrivain diamantaire succombera à la morsure venimeuse d’une danseuse égyptienne. A la grisette sans piété, il préfère la prostituée qui sait. Cet amour-là griffe comme une phrase indomptée, taillade un corps, l’écorne, puis tourne la page. Le désir de l’almée s’aiguise aux carreaux du cahier. Et Flaubert gueule dans sa geôle, de chaude-pisse en haut style. Cette cicatrice du brave, que nomme en toute beauté Gustave, brûle au visage comme la balafre d’une phrase. Le loustic est calciné jusqu’à la plume d’une sainte syphilis. Ses brouillons scarifiés sont atelier d’artiste, barbouillés d’ébauches et de beau provisoire. La tuerie règne sur la page, avant qu’on y voie clair, le bleu du ciel entre les lignes. Aux abords de l’œuvre, les fosses communes sont pleines : la fille de mauvaise vie et la phrase de petite vertu s’y décomposent entrelacées. Mais qu’il écrive ou meurtrisse d’un même style, l’artiste finit toujours en beauté, donne la vie sans la mort, ressuscite la charogne. C’est pourquoi Flaubert n’a que faire d’être père, de jeter des marmots dans ses mots, d’aiguiller ce petit monde vers la pelletée terminus des cimetières. Car la mort, derrière l’amour, ne dort que d’un œil. Aux yeux de l’enfant, d’un Gustave en culottes courtes qui sait les carottes cuites, l’assassin, le fauteur de destin, c’est lui, le père inconséquent. Ce texte est extrait de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, pages 31/35) L’ouvrage est disponible chez l’éditeur : https://catalogue.5senseditions.ch/qc/poesiereflexionpamphlet-10/90-la-cicatrice-du-brave.html On peut le commander à la Fnac ou sur Amazon.

lundi 11 décembre 2023

L'acteur du dernier Truffaut

« AA, BB, FF : C’est le début d’un alphabet dédoublé, les initiales bégayées de ses films. Anouk Aimée, Brigitte Bardot, Françoise Fabian. A comme Amour, B comme Beauté, F comme Folie. Trintignant est un joli gosse d’Uzès. La lettre T de timidité, il la trace sur une figure de jeune premier, un visage rentré, une moue renfrognée. L’alphabet de l’acteur se poursuit, mais sans lettre miroir qui répète une silhouette, un regard : Romy Schneider, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Emmanuelle Riva, Irène Jacob. Derrière une actrice, il cache une cicatrice. Les actrices de son pays ne seront jamais aussi belles qu’en sa compagnie. Toutes les comédiennes qu’il tient par la taille, qu’il serre dans ses bras expriment au cinéma une sorte de volupté particulière, une manière de se plaire, d’être heureuse. Bardot confesse sa tendresse pour le petit amant du port de Saint-Tropez. Mieux qu’une boudeuse aventure, c’est une passion, une préférence. Trintignant n’est pas Gary Cooper, ni même Delon. Il est joli, fait virevolter les robes Vichy. Sa réserve frise l’orgueil. Il lasse à trop d’audace quand il s’écoute parler. À vrai dire, c’est peut-être la qualité de sa diction, un doux chuchotement des lèvres qui donne à son jeu quelque chose de sentencieux. Trintignant ne réalise qu’un film, un autoportrait raté, la diabolique histoire d’un collectionneur de meurtres, la routine criminelle d’un type ordinaire. Jacques Dufilho est lunaire, sardonique, drolatique, poétique. Quand il se regarde faire l’acteur, Trintignant voit Dufilho dans le viseur. L’homme est démangé par la folie. La timidité ne se décalque pas sur la naïveté. L’innocence lui fait défaut. Aucun écho d’Idiot, rien de dostoïevskien. L’acteur est calculateur. Je le croise sur les Grands Boulevards. Je l’observe avec insistance. Il me fusille des yeux. Méchant comme une teigne. L’homme est démangé par la mort de Marie. De la génération d’après, en beaucoup plus musculaire, je ne vois que Pascal Greggory pour afficher de mêmes visages groggy, tuméfiés, abîmés, cabossés par la violence des coups, des uppercuts d’une intérieure retenue. « Je voudrais pas crever avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver… » Trintignant récite le poème de Vian. C’est une somptueuse, magistrale, majestueuse lecture, une affectueuse reconnaissance de la littérature. Les mots. Ma nuit chez Maud. Françoise Fabian est un envoûtement, une ferveur dans un ciel d’hiver, l’ennui traînant de Clermont-Ferrand. Elle s’apparente à une impossible, inexorable attente. FF est une beauté de feu, la déesse inégalée du noir et blanc finissant, retardée. Vitez est un seigneurial causeur de Pascal, métallique, ironique. Trintignant joue de son charme comme d’une gourmandise, d’une hésitation narquoise. Tous trois virtuoses d’un métier de pure extase. Quand j’avais six ans, je lisais L’Équipe, j’imaginais les exploits de Maurice Trintignant. « Pétoulet », son sobriquet, était un as de la vitesse, un fêlé des circuits. Il tutoya Jim Clark et Graham Hill. Jean-Louis Trintignant appartient à une même ligne de risque. Il n’est pas l’homme du Dernier Métro. Il est l’acteur du dernier Truffaut. » Ce texte est extrait de « Fragments d’un sentiment » (5 Sens Editions, pages 76/77) L’ouvrage est paru le 15 novembre 2023. Il est mis en vente chez l’éditeur, 5 Sens Editions, à l’adresse suivante :https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/536-fragments-d-un-sentiment.html Il est disponible sur toutes les plateformes dématérialisés sauf Amazon (Fnac, Decitre) ainsi que sur commande dans toutes les librairies : ISBN 978-2-88949-627-3 Il suffit aux librairies de contacter l’éditeur à l’adresse suivante : servicedistribution@5senseditions

Le hic laïc

La laïcité est un état d’ébriété qui brouille le regard des cités. La république choque un verre à sa propre santé et ses valeurs de vin mauve. Si d’aventure une couleur musulmane s’introduit dans un paysage de clochers, habille ses filles des plus noirs fichus, s’interdit même l’état d’âme à flanquer un couteau dans ce qu’on aime un peu trop. L’addiction d’une nation à la laïcité s’apparente à la passion d’un peuple d’Haddock pour la divine bouteille. Le hic laïc, c’est un besoin d’ivrogne, une démangeaison morale de bons colons à vouloir s’exporter comme une démocratie américaine, comme une vieillerie grecque de Maison Blanche jadis embringuée dans des déserts et des silences de sable, dans l’infinie revanche d’un long ressentiment.