mercredi 30 mars 2011

Rivages de Syrte

On s'approprie des mots qui ne nous appartiennent pas. On s'étonne à ouvrir la bouche, à parler d'une guerre sur les rivages de Syrte. On ahane les nouvelles en rafale des médias d'en haut. Nos phrases ont pour sujets des termes nouveaux: coalition, rebelles, loyalistes, groupe de contact, frappes aériennes. Nous sommes les perroquets des faits et méfaits guerriers.
On est embringué dans une histoire qui squatte l'imaginaire plat des conversations de bistrot. On commente dans le vide, loin des bombardements du moment. On ne comprend rien à ce qui se passe. On est ballotté au gré des journaux télévisés. Nous errons dans une transparence difficile, sans égard ni regard pour les chairs violentées.

vendredi 18 mars 2011

Transparence

Le mot "transparence" est dévoyé. Il est employé à toutes les sauces par les politiques et les industriels. C'est un mot magique dont les décideurs se servent pour briguer bons points et croix d'honneur. Il semble garantir une vague éthique. Stratagème de communicateurs, un peu menteurs sur les bords.
Bref, la transparence est galvaudée au point de perdre son sens. Dans Le Monde daté du 19 mars, M. Proglio - qui signe "PDG d'EDF" -, achève son plaidoyer pro domo avec solennité : "Les Français...attendent de nous de la responsabilité et encore plus de transparence". On se demande sur quelle échelle de Richter se meut la transparence. A quel niveau de notation elle est soumise. On songe à Coluche qui jadis raillait la publicité des lessiviers : "Plus blanc que blanc: transparent !". Mais M. Proglio, sérieux comme un pape, va plus loin avec son "plus de transparence".
Autrement dit, la transparence est une nostalgie de la vérité. Voire une parade langagière destinée à l'occulter. Ou mieux encore: une parfaite stratégie d'évitement. L'information, comme l'eau vive, est transparente ou pas. Il n'y a pas de demi-transparence ou de super-transparence. Les roueries de la communication n'ont alors d'autre objet que de barrer l'accès à la vérité. Une et nue.

jeudi 17 mars 2011

Bonne maman

Il y a plus de quarante ans, ma grand-mère est morte. C'était hier. Dans sa petite maison, à l'étage, vue sur la verdure. Le curé du village lui avait dit de s'en aller sans s'aimer. J'étais troublé qu'il professât la haine de soi.
Fille du coin, Monique accompagna ses derniers jours. Gouvernante, bonne à tout faire. "Camériste", selon papa. Elle cria sa douleur dans le grand ciel d'août. C'était une sonnerie stridente qui se planta dans nos chairs. J'imaginais le hurlement d'une louve. J'ai su d'instinct l'absolu du chagrin.

Atones cantonales

A Paris où se concentrent les princes qui nous gouvernent, on ne connaît que la figure du conseiller spécial. Il est tapi dans une ombre éblouissante. Hier Jacques Attali. Alain Minc aujourd'hui. Il est vrai qu'à Paris on ne s'intéresse qu'aux gens bien nés et bien nommés. En revanche, le conseiller général est une espèce politique ignoré. Cet élu introuvable dans la capitale est relégué au fin fond des campagnes. On l'imagine vétérinaire, proche des derniers paysans. Il s'attelle à la réfection des chemins vicinaux. A Paris, l'évocation des cantonales provoque un ennui sidéral. Jamais la fracture entre le centre et sa périphérie n'est aussi béante qu'à l'occasion de ces folkloriques votations. A Paris, on regarde de haut ces atones cantonales. Vieilleries d'un autre âge départemental.

Attentisme bavard

Khadafi parade, se pavane, plastronne. Khadafi tient la dragée haute à la civilisation occcidentale. L'Onu, l'Amérique, l'Europe poussent des cris d'orfraie. Ils condamnent les exactions du cruel colonel. La morale est sauve. L'émotion des nobles nations se limite à des mots monotones. Ils pèsent peu face aux actes de l'autocrate de Tripoli. Le ministre français des affaires étrangères échoue à convaincre ses homologues de l'urgence d'une action. Les machineries démocratiques sont grippées. L'Europe manque de volonté. Ses grands prêches humanistes sont des prières de gentils enfants de choeur. L'attentisme bavard est un feu vert au massacre. La liste des morts s'allonge par-delà le rivage des Syrtes. Les bannières étoilées d'Amérique et d'Europe sont maculées d'un sang libyen.

mercredi 16 mars 2011

Lire Céline

Aragon ne tournait pas autour du pot. "Devant le génie, il convient que l'on se décoiffât". Pas besoin de kermesse républicaine. Juste un petit geste du béret.
M. Kéchichian s'attarde sur les écrits ignominieux de Céline. Il a raison. Pas facile de lui pardonner. Le docteur Louis Destouches est un salaud de la pire espèce, raciste pour deux, antisémite pour trois. Reste que la minuscule ordure est un géant de la littérature. Louis-Ferdinand Céline est un génie poétique. Il est "final" comme La Fontaine.
Inutile de célébrer l'homme ignoble, pas commémorable pour un sou. Inutile de bâcler des petites phrases sur l'immense styliste. Il faut passer à autre chose: il faut lire Céline. C'est un bonheur que nous réserve la vie. "Voyage au bout de la nuit", "Mort à crédit", "D'un château l'autre" sont trois somptueux chefs d'oeuvre. On n'en sort pas indemne. On en sort grandi. La beauté du texte exige un pieux respect.
Alors quand la République se mêle d'honorer ses artistes, il faut lui interdire l'accès à l'homme mauvais cloîtré derrière son oeuvre. Ne vaut la peine que d'aimer. Or avec Céline - et plus précisément ses grands livres - , on est récompensé au-delà de toute espérance. La littérature française rayonne en majesté. On déclame les phrases d'un magnifique écrivain. La voix s'étrangle. On est submergé par l'émotion.
Je lis "Mort à crédit". Céline raconte son enfance. Il fonce dans la langue, la défonce, tisse une dentelle délicate. Les mots sont des vitraux de poésie. Je suis accueilli en seigneur à bord du Folio. Céline s'admire écrire, s'émeut à ses souvenirs, se noie violemment, à pleine voix, dans "un sortilège de douceur". On ne quitte pas "Mort à crédit" comme ça. On est boxé dans les cordes. Le bouquin reste entre les mains. Il colle à la mémoire, s'imprime dans la chair, squatte le corps. On songe à Nora, la sublime noyée des mois de pensionnat. Nora règne sur une centaine de pages comme la plus éperdue des beautés égarées. On revoit Courtial à l'aube, troué dans la tête. "Non, mon oncle" sont les derniers trois mots de l'ébouriffant poème. Céline est expert en pudeur. Il y est question de la mort. En face. De la vie aussi.
Bref, on peut renvoyer la célébration de Céline aux calendes grecques, l'ajourner sine die. Pareilles péripéties importent peu. Il faut lire Céline illico presto.

Diagonale de l'avant-bras

Virée voiture. Diagonale de l'avant-bras. Volant d'une main et coude à la vitre. Papa est le chauffeur des années de splendeur. C'était le temps des heures sans peur. Il va droit, sourit dans le soleil pâle. Chemine vers la neige, les cimes et l'énigme. Papa conduit vers un avenir aux yeux bandés. On barbouille de souvenirs la blancheur des rêves.
Je le vois sur le balcon de l'Arbina, sentinelle à jumelles des variations du ciel. Papa interroge les augures. Je le revois à la boutique de Mélusine, la marchande de pierreries. Il s'aventurait dans les jours, au petit bonheur, ne demandant au présent qu'un simple bonjour.

mardi 15 mars 2011

Même pas peur

Ils vaquaient à leurs besognes. Ils ont péri au petit bonheur. Broyés, noyés, étouffés. Les survivants ont peur. Peur des répliques sismiques. Peur de la grande vague. Peur de l'atome. Ils ont peur du noir. Ils ont peur de la nature. Ils ont peur de leur culture. Peur de l'inconnu, peur de l'avenir.
"N'ayez pas peur !" nous enjoint la religion du Christ, nous exhortent les princes du monde. La peur ne se commande pas. C'est une secousse incontrôlable qui traverse un corps de chair. Elle paralyse le libre arbitre. Vaincre la peur est un travail de Romain.
"Même pas peur !" disent les petits garçons guerriers des cours de récréation. La peur animale ne se domestique que par la foi en soi et la confiance en l'autre. On sort de la peur par le rêve, par la fable des jours meilleurs, par un imaginaire d'espoir. On retrousse alors ses manches. On rassemble ses effets de roseau pensant, ses grigris de frêle parasite ici-bas. On se donne du coeur à l'ouvrage. La condition humaine s'exprime dans les yeux terrifiés du peuple japonais. Elle se lit, de proche en proche, dans le voyeurisme hébété de la communauté des hommes épargnés.

lundi 14 mars 2011

Carton gris

Rugby d'ennui, rugby puni. Les lignes arrière ressemblent au pack de devant. Le muscle dicte sa loi de plomb. Les trois-quart jouent arrêtés un rugby de tranchée. On dirait du jeu à treize. Ce rugby formaté, corseté, sans idée, assomme le public, enquiquine les joueurs eux-mêmes. Ils labourent la pelouse comme des percherons, des tâcherons d'usine. On rêve d'éclat, de générosité, de vivacité, de fantaisie, de jonglerie, d'espièglerie. Liévremont tourne en rond. Villepreux reviens ! Réinvente le beau jeu. Gros, lourds et maladroits, nos malabars d'opérette s'égaient sans joie sur le terrain. Après la débâcle australienne, le rugby tricolore est mort une deuxième fois à Flaminio. Samedi sur France 2, l'Italie - qui joue pourtant si peu au rugby - nous a infligé un mémorable camouflet. L'équipe qui, de bon coeur, se prive d'Imanol Harinordoquy, mérite son carton gris.

Le Japon au balcon

On remplace leurs prénoms par les éléments du monde. On débarrasse de notre mémoire Marine, Nicolas, Dominique ou Martine. On réordonne les priorités: terre, mer, air.
Au Japon, la terre sort de ses gonds. Au Japon, la mer déborde de l'horizon. Au Japon, l'air a un drôle de goût d'atome.
Nous sommes au spectacle, aux premières loges, à la télévision, au cinéma. Nous photographions l'horreur. Nous ne perdons pas une miette du déchaînement des éléments. Il y a les morts de la superproduction et les autres au balcon. Les voyeurs mesurent la petitesse des hommes à l'aune du fracas tellurique. Ils s'interrogent sur l'état des forces en présence. La tyrannie de la nature se rappelle au souvenir des oublieux productivistes. Pas d'échappatoire. Pas d'exil saoudien pour les dictateurs du monde, pour les ogres terrifiants de la réalité physique.

jeudi 10 mars 2011

Long courrier

Le passager de long courrier s'assied avec docilité. A droite les nuages, à gauche la ligne d'un voisinage. Avant d'embarquer, on farfouille dans le grenier des livres, on zigzague dans l'alphabet du rayon. On cherche le récit qui isole de la frénésie. On s'interroge sur la teneur en texte. On hésite entre la phrase vive du mémorialiste, le chant final du poète et le message de penseur.
L'humeur des hauteurs fixe l'orientation du vertige. J'extrais de l'étagère la cible d'un caprice. Ma main se porte sur l'écriture à la diable.

mercredi 9 mars 2011

Alors heureuse ?

Grands-mères à la fête. Journée de la femme. La semaine est exemplaire. La moitié du monde est honorée dans le calendrier. Spectacle, commerce. Tocsin, barouf, tintamarre. Les médias orchestrent la vacuité de l'ostentation. Alors heureuse ? La femme est parquée dans sa journée. Assignée à y résider. La société émiette les identités, exalte la différence, flatte les communautés. Tout se passe comme si le destin du monde fuyait l'unité du genre humain. Les corporatismes scarifient le temps, entaillent la chair des agendas. Les saints du jour sont remplacés par de grandes causes nationales. Les femmes sont considérées comme telles. Dégradante journée.

lundi 7 mars 2011

La veillée du quarteron

Rond de la discussion. Commence la veillée du quarteron. Autour du chef de camp, François Busnel, jeune Pivot du commentaire littéraire, les invités à bavarder sont de mèche avec l'honoré de la télé. Ils aiment la viande rouge de la littérature, la fine poésie de Céline. Il l'aiment passionnément, à la folie. Marguerite, "cause de moi" dit Céline, est le prénom de sa langue maternelle. A la folie. Oui à la folie. Car s'effeuillent ainsi les fleurs précieuses de Louis Destouches.
Les amants de la somptueuse crapule hésitent à ramener leur fraise. Peur du grotesque. Inutile de faire des petites phrases bâclées sur l'immense styliste. Il suffit de mimer Luchini. Prier, scander, lire Céline. Sans abîmer la cadence, la couleur et la sonorité. Ils étaient sobres les compagnons du grand mort incommémorable. La télévision s'interrogeait sur le génie poétique, sur la puissance de feu de Louis-Ferdinand Céline. Silence dans le rond. Gibault, le plus discret, évoqua les mille identités de Céline. Ce qu'on sait, c'est qu'il se voulait "final" comme La Fontaine. Qu'il était fier de ses pages d'artisanat, fixées à des pinces à linge, qu'il s'enorgueillissait de distinguer la batiste de la dentelle de Valenciennes. Aragon - qui ne figurait pas dans le rond de la télévision - nous sauve. Il répond à la question du talent incommensurable: "Devant le génie, il convient que l'on se décoiffât". La bande des quatre de France 5 s'est naturellement exécutée.

jeudi 3 mars 2011

Nostalgie du bouclier

Nostalgie de la fin. Quand la pellicule du film cède l'image au lent générique. Quand le dernier mot d'une page ponctue le cours d'un récit. Retour au réel. Nostalgie du bouclier et de sa stratégie anti-fisc. Fini le temps des cerises, des gâteries sur le gâteau, des sucettes sur les millions. Fini le temps du premier sou sanctuarisé quand le deuxième est confisqué.
Le bouclier était en plastoc, tout droit sorti d'une panoplie d'enfant d'après-guerre. Aucune carapace ne peut protéger de la fantaisie politique. L'Etat imposteur - je veux dire, l'Etat percepteur - baisse aujourd'hui la garde des riches assujettis. Bouclier passoire. Bouclier d'opportunité. Rupture de la rupture. Statu quo ante. La boucle du bouclier est bouclée. Parenthèse d'un vouloir de président.

Renégat

Faire un pas de côté. S'extraire de la fureur ordinaire. L'isolat de la prière mène à la figure du père.
Visage de terre qui abreuve au désert. Je dégringole en moi vers la parole chuchotée. J'ai quitté la mêlée, bivouaqué dans les sables, contemplé le silence bleu. Je recueille les fruits de la causerie. J'y puise la juste énergie, la douce lueur de bougie. Je parle à papa avec des mots de renégat.

mercredi 2 mars 2011

M'entendre

"On va m'entendre". Sous entendu: on va voir ce qu'on va voir. Chantage de la raide Pyrénéenne. Mam lâche ses cordes vocales. Retour au local. Elle est plus à son aise qu'avec la voix de la France.
Elle va s'appliquer à remplir son devoir de parlementaire. La rogne lui dicte sa besogne. Le ressentiment est sa motivation du moment. L'entendre : traduisons, un oral de rattrapage. On l'avait déjà beaucoup vue, la championne de la bévue.

Non, mon oncle

On ne quitte pas "Mort à crédit". On est boxé dans les cordes. Le bouquin reste entre vos mains. Il colle à la mémoire, s'imprime dans la chair, squatte le corps. Céline parasite la réalité. "Non, mon oncle". Derniers trois mots. Point final de l'ébouriffant poème. Ferdinand est fixé sur sa folie. Cap sur la Légion. Ferdinand se fiche des préventions de l'oncle. Il est rectiligne sur la tribulation.
Il suit l'exhortation de sa dure caboche. Il songe à Nora, la sublime noyée des mois de pensionnat. Nora s'est échappée de la nuit. Elle fend la mer d'Angleterre. Elle s'abîme dans une vague éperdue. Ferdinand se souvient de ses fièvres romantiques. Il revoit Courtial à l'aube, troué dans la tête. Il n'a pas bronché, empoigné son fusil. Il voit du rouge qui dégouline entre les lignes. La mort se donne comme une carte de mauvaise pioche. Ferdinand est expert en pudeur. "Non, mon oncle".

mardi 1 mars 2011

Juppé président

Il traîne un air ennuyé, arbore un mince sourire désillusionné, va vite à l'essentiel. Il se consacre aux choses de la cité de manière distanciée, faussement désintéressée, avec facilité. Il laisse s'agiter l'homme de l'Elysée, brouillon, en proie à la peur d'échouer. Il vient lui prêter main forte, recadrer une politique erratique. Il s'est fait désirer au Quai d'Orsay. Il s'y installe avec une valise diplomatique bourrée d'arrière-pensées. Nicolas Sarkozy, emmêlé dans ses velléités, lui donne les clés.
Juppé est un animal froid. Juppé apprécie d'être courtisé. Il cache son extrême sensibilité. A l'instar de Fabius, il vise l'Elysée depuis son premier prix d'excellence.
Méritocratie, aristocratie. Alain Juppé se situe à la croisée de deux légitimités: le brio intellectuel, une élégance de style. Il arrive à son heure. L'actuel président a rayé toute esthétique du pouvoir. Il méprise la manière au point de ne plus savoir quelle posture adopter. A l'approximation érigée en dogme, Alain Juppé oppose la synthèse claire, le raccourci limpide, la pédagogie sèche. Bref, il domine, de la tête et des épaules, ses compagnons de la fin de mandat. Il sourit moins qu'un candidat déclaré, exhibe peu ses canines féroces. Alain Juppé joue sa partition pour la prochaine élection. "Juppé président" a toujours sonné à ses oreilles comme un slogan évident.