vendredi 29 octobre 2010

Rire

Rire est une défaite du sens, des mots, du discours raide. Le rire éclate là où la phrase échoue. Louis Noguez parle de "grommellement de plaisir amplifié" (Le Monde du 30 octobre 2010). Nous sommes dans l'inarticulé, dans le primal radical. Comme le cri, le rire manifeste une surprise dans un éventail de registres qui va de l'horreur au bonheur.
Sa réactivité est instantanée. Le rire répond du tac au tac à l'événement risible. Il calque son immédiateté sur l'objet d'allégresse, jailli de nulle part, étonnamment imprévisible. Le rire invente sur le champ sa parade éclatante. D'où cette bouffée d'oxygène, la fraîcheur baptismale du rire. Le rire est une respiration de haute montagne, une sorte de joie sonore, libre comme l'air.

mercredi 27 octobre 2010

Moncorgé l'écorché

Gabin massif, récif des vieilles valeurs, marmoréen, tanné par le grand air, tassé sur sa légende. Taiseux dans la vie, grogne rentrée et bouche cousue, volcanique au cinéma. Gabin, le Depardieu des Trente Glorieuses, jette sur la vie son regard bleu de vieux bandit. La rudesse de l'homme voile une délicatesse de danseuse. L'amant de Dietrich, l'ami de Ventura, joue la comédie sans tricherie. La grande gueule est pacifiée par un rêve paysan qui lui tape dans l'oeil, inaccessible étoile.
Matthias le fils raconte bien les coups de sang du patriarche, à deux doigts de la gâchette, devant les casseurs d'imaginaire. Il meurt en vieux con, magnifique, sanglé dans ses silences. Moncorgé l'écorché ne crachera pas le morceau. Mardi soir sur France 2, on s'est décoiffé devant le patron d'une génération.

Repas

Repas. Repasse pas les plats. Dans la salle à manger, carrelage blanc, liseré noir, j'étais assis face à papa. Mon regard s'échappait derrière l'ovale de son visage vers la fenêtre quadrillée, l'horizon vaste et gris, toiture de tuiles et gros nuages, collines du pays d'auge. J'aimais les rideaux couleur d'orange qu'un rare soleil illuminait.
A côté, maman mastiquait machinalement les aliments. Ce claquement de mâchoires m'agaçait comme tout mouvement mécanique des hommes. Le noir devoir dictait sa volonté au venimeux plaisir.
Papa, au doux sourire, mangeait soigneusement, calfeutré dans son for intérieur. Son silence, troué parfois d'une fulgurance sauvage, s'accordait à merveille aux voyages immédiats de mon imagination. Il n'y a plus de repas, il n'y a plus de papa. Reste la prière cramponnée à la terre. Ressuscitent les images d'hier.

lundi 25 octobre 2010

Déchetterie vivante

Métaphore de notre temps, l'amoncellement des ordures à Marseille illustre le sort des seniors, mis au rebut du monde du travail. Cette déchetterie vivante hante les trottoirs à la recherche d'une force de travail perdue, négociable sur le marché.
Les poubelles phocéennes font courir le risque d'une épidémie. A l'instar des seniors, sans ressort, interdits d'entreprise, contaminés par la pauvreté.

Fichue espérance de vie

Fichue espérance de vie. Sa croissance insolente grippe le bon fonctionnement de la société. Elle entrave la gestion des régimes sociaux. Elle provoque l'odieuse réforme des retraites. Elle agite le spectre de la pénurie d'essence. Le vivre vieux réduit le vivre mieux, à l'aise sur ses quatre pneus. Bref, l'espérance de vie mène à la désespérance des raffineries. Sacrilège !

Photo manquante

Je suis happé par le Cahier de l'Herne Michel Serres. "Ses yeux font lentement le tour de la table. Est-il en train de nous saluer ou simplement de se concentrer avant de prendre la parole ?"(Ada Giusti). "Bienvenue Michel ! dans le récit de toi, dans la parole sur toi, bienvenue les affres de tes douleurs non encore racontées autant qu'elles l'implorent" (Florence Erhuel).
Je regarde la photo de noce du "cousin Roland". Je lis la brève légende. J'observe le cliché de la drague, écrite avec une majuscule: "Notre mère, ma mère...".
La femme qui enfanta Michel, ce jour de crue du fleuve, s'est absentée du tableau, s'est exilée du festin du destin. Son invisible sourire rayonne sur la splendeur de l'oeuvre. Chaque livre est une photo manquante.

jeudi 21 octobre 2010

Journée d'inaction

Pouce ! On a besoin de souffler un peu. Vivement le retour aux journées d'inaction ! La débauche d'action des dernières semaines a vidé les organismes de leur énergie et les pompes à essence de leur carburant. Une bonne journée d'inaction ne ferait pas de mal. Jour de repos, comme sur le Tour de France, entre deux étapes de montagne. On range la caravane des suiveurs et les banderoles.

Tour de chauffe du Renaudot

A quand un prix littéraire décerné par des jurés auto-désignés ? Car si les membres éminents du Renaudot font figurer dans leur liste de "papabili" un auteur auto-édité, on peut creuser l'idée jusqu'à imaginer l'éclosion de jurys spontanés sans légitimité de notoriété. Prix Machin attribué par une bande de clampins.
Or cela tombe bien. Marc-Edouard Nabe, divine surprise des héritiers du grand Théophraste, est un écrivain. Un vrai, doté d'un style. Cela ne court ni les rues, ni les échoppes de livres. Tour de chauffe du Renaudot: Nabe est calé dans son bolide. Il écrivit jadis un somptueux portrait de Django Reinhardt. "Nuage" invalide aujourd'hui tous les permis de chasse aux romanichels. Cela tombe vraiment très bien.

Le pouvoir et la rue

La rue, jadis malfamée, la voie publique, terrain de jeu des voyous, la rue disais-je est réquisitionnée pour la colère. Les cortèges des chaussées se déploient, scandent des slogans contre la loi. Au plus profond des terroirs, les vieillards craignent le grand soir. Les retraités, mal recyclés, moins fringants que sur les publicités, vont claudiquant vers un soleil couchant.
Pas d'essence: ils sont déjà rangés des voitures.
La piétaille, en âge de cortège, s'organise en ordre de bataille. Elle veut en finir au plus vite avec la grisaille du travail. La rue chemine vers des échappées de lumière. La rue regarde vers le temps libre. Le pouvoir s'arc-boute, soliloque, parle gros sous. Le pouvoir ne partage pas la même définition de l'espérance de vie.

mardi 19 octobre 2010

Illisible

Kiosque sans feuilles. Kiosque d'hiver déplumé. Kiosque à journaux caduques. Kiosque sans nouvelles d'elle. L'actualité est empêchée.
Mardi manif, sans noir au bout des doigts, dans l'ignorance de la cause du peuple. Je regarde les arbres. J'y vois l'étrangeté d'un monde. Illisible dans son mystère d'écorce. Domestiqué dans sa chair de papier.

lundi 18 octobre 2010

Merci Michel

On ne se battra pas pour un dernier mot. Seulement tu me remercies, mais de quoi au juste ? Tu m'as instruit, tu m'as ouvert les yeux sur le monde et sa beauté. Rien de moins. Tu n'imagines pas combien je me suis senti honoré, flatté, vaniteusement considéré à me savoir désigné par toi pour collaborer à ton Cahier (j'ai hâte de le lire !). "Le roi n'était pas mon cousin". On disait cela quand j'étais petit. Reste que je n'étais pas de taille. J'ai écrit ce qui était dans mes cordes.
Je ne te remercierai jamais mieux que tu ne l'as fait dans les magnifiques pages des "Cinq Sens" ("Merci à qui ?"). Tes livres que j'attend comme les beaux jours, tes cours éblouissants, ta confiante bienveillance accompagnent ma vie depuis trente-cinq ans.
Je viens de lire "Biogée". C'est un grand livre, Michel. L'un de tes plus beaux. J'ai griffonné deux, trois mots dessus, pas grand chose, témoignage d'une ferveur sans ratures, d'un vrai bonheur de lecture. Ton oeuvre rayonne sur tes amis. Resplendit sur ta page la joie de ta philosophie.

mercredi 13 octobre 2010

Le sénateur et le député

L'invective fleurit ici et là comme un réflexe de métier, une seconde nature. L'insulte arbitre les débats. Les hommes politiques, gens des villes par étymologie, ne sont - par les temps qui courent - ni très policés ni très urbains. Ils giflent la démocratie en toute impunité.
Jean-Luc Mélenchon traite les journalistes par dessus la jambe, taxe l'un d'entre eux de "salaud", de "larbin". Arnaud Montebourg qualifie un grand média de "chaîne délinquante".
Le sénateur et le député, orfèvres en mouvements de menton, donnent une bien piètre image de la représentation nationale. Ils confondent "faire peuple" et "faire vulgaire". La démocratie parlementaire n'est pas une criée de braillardes poissonnières.

mardi 12 octobre 2010

La grive

Catalogue de livres rares. La librairie Privat m'a adressé deux grands feuillets en papier glacé. Y figurent des ouvrages de chasse. J'ai coché d'une croix un vieux numéro de la revue trimestrielle La Grive. C'est un oiseau que j'affectionne, que j'ai observé avec piété dans les ciels d'automne. Fusils cassés avec mon père, en lisière de La Papillonnière, nous nous postions derrière les hêtres, sans autre mot que des regards. A petits cris, les grives surgissaient de l'horizon. Nous tirions deux cartouches, l'un et l'autre. L'oiseau chutait dans l'allée. Nous saisissions ses plumes fines dans notre paume assassine.
Je vais, boulevard Haussmann, droit vers mon père, son sourire de bonté, les années d'innocence et de déchirante complicité. La librairie m'attend au tournant, au tourment de mes souvenirs.

lundi 11 octobre 2010

Bête de télé

Après "Face aux Français" sur France 2 et "Le Grand Jury" sur LCI, Jean-Luc Mélenchon passe à la vitesse supérieure: "Vivement dimanche", l'émission dominicale de Michel Drucker, brevet de la légitimité people. Il joue désormais dans la cour des grands. Promotion de bouquin aux petits oignons. Plan média d'homme de métier. Mélenchon est un bon client, grognon juste ce qu'il faut.
Ce Pialat de la politique crache dans la soupe avec un art consommé. Mélenchon ronchonne avec talent. Mélenchon rabroue les journalistes, fustige les connivences de corporation, houspille les questionneurs complaisants. Il croise le fer avec la terre entière. Il s'exprime dans un parler fleuri, mélange de Jean-Marie Le Pen et de Georges Marchais. Sa verve littéraire et son brio tribunicien éclipsent l'extravagance du message délivré. Il crève l'écran, émeut l'opinion, réveille la torpeur des toquechauds bienséants. A force de distribuer les noms d'oiseau à la volée, Mélenchon est désormais une vraie bête de télé.

jeudi 7 octobre 2010

Lié et humilié

Le ministre a expédié sa lettre de démission à une publication de presse. Il se trompe d'employeur. Il se ravise. Il s'empresse de rappeler sa loyauté au président qui l'a fait roi, majesté du Quai d'Orsay. Il est lié et humilié. Le ministre humanitaire s'enferre. Kouchner est au bord de la crise de nerfs. Son profil de médaille s'écaille. La belle âme a le vague à l'âme.

mercredi 6 octobre 2010

Criailleries de foire

Evangiles selon Luc et Jean-Luc. Bonne parole de people. Ferry ferraille, secoué de tics réprobateurs, maugrée, opine du chef, pince ses lèvres l'oeil noir. Mélenchon ronchonne, s'emballe tout à trac, s'exalte, sourit d'aise, désarçonne le questionneur, s'octroie la posture du raisonneur récalcitrant.
"Face aux Français", ces deux gladiateurs de plateaux s'en sont donnés à coeur joie. Leurs criailleries de foire, cols déboutonnés, n'ont enchanté qu'eux-mêmes. L'émission de France 2 n'offusqua que Guillaume Durand, son premier officiant. Ferry cala l'art moderne dans sa ligne de mire. D'un mot, il déboulonna la statue du vénérable Picasso. L'animateur, groggy, était KO debout.

Serres-tête

Biogée consacre la souveraineté de pensée de Michel Serres. Ce livre iconoclaste bouscule les genres, chahute les règnes, balaie les règles de bienséance intellectuelle. Il est tissé, phrase à phrase, au plus près des vifs du bas-monde, d'après motif au grand air de la mer et des ciels.
Il brouille les pistes, mélange péripéties de la vie, racontars de bonne femme, rigueur mythique et philosophie d'amour. C'est une oeuvre pleine à craquer, gorgée de suc et de miel, fraîche et neuve, qui remue les entrailles et agite le cortex.
Chef d'oeuvre par la manière et la matière, Biogée nécessite patience de lecture, impatience de relecture. Il ne se donne qu'à l'authentique travailleur de la raison. Ce délectable ouvrage souffle un grand vent d'aventure sur l'énigme à déchiffrer de nos vies. On peine à quitter pareille facture d'excellence artisanale. On veut préserver le précieux bouquin des contraintes du quotidien, le cantonner à portée de main. On revendique sa compagnie comme un luxe.

mardi 5 octobre 2010

Négresco

Elle claudique sous la verrière d'Eiffel, jette un oeil vers le ciel. Jeanne Augier déambule parmi ses bibelots, trimbale sa vieillesse dans ses meubles. Elle demeure en plein coup de coeur, habite un gîte de folie.
Les six étages du Négresco dévoilent son genre de beauté, toiles des couloirs pêle-mêle, mobilier de collection, chambres fastueuses sur la mer de tous les bleus. On séjourne au palais dans un luxe attentionné. La glorieuse Nana, peinturlurée comme un perroquet, esquisse un pas de patineuse. Elle gravite autour des yeux écarquillés. L'emblématique sculpture veille à la démesure du lieu.