mardi 27 novembre 2018

La fin des haricots

Fin du monde, fin du mois. Les contrariétés s’additionnent. Nous sommes coincés entre deux apocalypses. Entre un quotidien récurrent et le grand lendemain qui déchante.
Je voudrais les réconcilier par une expression bien de chez nous qui leur fait écho : « La fin des haricots ».
Ces vies d’exclus, réduites à la portion congrue, ne sont guère saisies par les radars des experts, professeurs et autres pensionnaires à ronds de serviette des comités Théodule.
Le pays des ploucs ne figure plus sur aucune carte. Aucun GPS ne conduit aux ornières de la détresse. La technocratie à souliers vernis n’y met pas plus les pieds que la police ne patrouille dans les cités interdites des caïds.
Bref, il y a des trous dans la raquette de la République. La partie est déséquilibrée. C’est pourquoi ces nationaux de seconde zone n’en touche pas une. Un peuple en lambeaux crie dans un désert sans écho.
Bibi, le magistrat suprême, est un fort en thème. C’est un habile commentateur de la misère. Bibi n’est pas un fumiste : il est économiste. Il raisonne segmentation du marché et cibles socio-démographiques. Il n’échafaude pas une politique, il confectionne des stratégies visant des catégories d’audience.
Bibi décompose le sentiment national en rondelles. Il analyse le pays comme un boucher tranche une carcasse. Bibi, encore stagiaire à l’Elysée, oublie que la politique est un art de la synthèse et non pas une campagne de marketing. A opposer « les classes laborieuses » aux doudounes grises, ces retraités insoucieux, fainéants et rentiers, à opposer les beaufs des bagnoles pourries aux bobos écolos à bicyclettes satinées, Bibi se fourvoie dans les grandes largeurs. C’est un mauvais démon qui divise la nation.
Bibi se pousse du col dans le fauteuil de De Gaulle. Bibi donne du souci à son peuple trahi. La fin des haricots, c’est aussi le sentiment donné par la palanquée de marcheurs en godillots dont la flagrante impéritie s’apparente à la cour du roi Pétaud.

dimanche 25 novembre 2018

La confusion d'esprit

A Louise Colet, le 8 août 1846, Gustave Flaubert écrivait : « De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute ».
Le petit élève de Ricoeur, premier de la classe, est loin de « l’idiot de la famille » magistralement dépeint par Sartre. Le jeune auteur de Révolution, expert en radicalité, est interrogé par le spontanéisme de la révolte. On dirait une poule devant un couteau. Cadre pas avec la retape des start-up. L’ancien khâgneux se cogne aux ruades de la rue. Il n’a pas lu Camus, « le philosophe pour classes terminales ». Ou en diagonale. L’axiome de L’Homme Révolté ne l’a guère ému : « Je me révolte donc nous sommes ».  Pas assez jargonneux pour un révolutionnaire à lendemain radieux.
Or les gilets jaunes accomplissent une solidarité éruptive, réunissent de manière instantanée tous les damnés de la précarité, vidés d’office des banquets de l’Elysée. La belle allée triomphale de Paris est devenue le théâtre ouvert des exclus, le lieu des barricades et du tohu-bohu.  
Le disciple de Ricoeur, spinoziste à ses heures, a réveillé « les passions tristes » du peuple, ses rancœurs et son ressentiment. L’injustice, qui se revendique tête haute, sécrète l’émeute jusqu’au sacrifice. Il y a du rouge sur les gilets.
Les marcheurs du pouvoir, virtuoses des marchepieds, clament urbi et orbi qu’ils entendent la longue plainte des miséreux. Ils se précipitent dans l’empathie. La détresse attendrit ses pathétiques dames patronnesses. « Assez d’écoute, des technocrates ! ». « Assez d’actes, des paroles ! ». L’impéritie se traite par l’ironie.
Au départ du grand ratage présidentiel, il y a la confusion d’esprit érigée en modèle d’habileté. La stratégie du méli-mélo prétendait se substituer à la logique  d’Aristote et à son principe du tiers exclu : A et non A ne sont pas compatibles. Rien de moins.
Le désordre de la pensée se répand sur les chaussées. A désorienter un peuple, on s’expose au tumulte. L’exemplarité est d’un terrible effet.
Depuis peu, le fringant politicien se recommande du populisme, use sans vergogne du vocabulaire le plus publicitaire, plébiscité par l’opinion en colère. Bibi le populiste change de pied au gré de ses fantaisies les plus opportunistes. Il se plaît aux conversations de coin de foule comme un bourgeois aime s’encanailler au plus près de la pauvreté. On appelle cela : « le terrain ».
« En prison pour cause de médiocrité !" (Le roi Ferrante dans La Reine Morte). La tirade de Montherlant lui va comme un gant.

samedi 17 novembre 2018

Guérilla civile

Le pays est une poudrière jaune fluo, un quartier difficile élargi, une sorte de banlieue parisienne de non-droit, inflammable à la première étincelle.
La guérilla civile, prédite par Collomb, bivouaque sur l’asphalte, s’installe dans les régions en révolte.
Face au peuple enraciné dans un terroir, le président est hors sol.
Un mort, des blessés graves. Monde de brut, univers de brutes. Un gilet jaune est fauché. Des flaques de rouge résultent des hausses de taxes. Le sacrifice d’une pauvre femme est le prix d’un sentiment d’injustice généralisé.
Macron fait le dos rond.  Arrête les selfies, Manu ! C’est la vie du pays, la paix d’une nation, où l’on s’entretue, qu’il faut rétablir illico presto.

lundi 12 novembre 2018

Le requiem des poilus

Temps pourri de 11 novembre. On s’alanguit devant la télévision. Je regarde l’arrivée du Tour de l’itinérance mémorielle, course à étapes de fin de saison. Final majestueux sur les Champs-Elysées. Sprint massif des dignitaires du peloton. Trump et Poutine, les leaders du classement général, n’ont pas pris part à l’emballage terminal. C’est Macron, le régional de l’étape, qui rafle la victoire. Il a soulevé le trophée de l’Armistice devant le public en liesse.
C’était un jour de crachin, un dimanche de chagrin. J’ai observé la cargaison de dignitaires fourrés dans des autocars. J’ai zappé le grand raout de la paix. Car les sermons à répétition pèsent une tonne d’ennuyeuse communication. On pérore plus qu’on ne commémore. Le petit marquis a déambulé au centre de Paris, exhibé ses dents de requin, arboré son sourire de trader patricien. Macron achevait sa tribulation territoriale, son micro-trottoir mémoriel. Il ralluma la flamme du soldat inconnu, premier de cordée, lié aux cache-cols jaunes, illustrant sa brillante théorie du ruissellement.
Sous le coup de cinq heures, la musique de Wolfgang Amadeus Mozart a tué le match, a ressuscité les morts dans la cathédrale de Verdun. On s’est décoiffé devant la beauté comme devant les gueules cassées. La splendeur sonore, hors les mots, était seule à hauteur des héros des tranchées. Arte, la chaîne franco-allemande, a fait le job quand d’autres soignaient leur pub. On s’est tu devant le requiem des poilus.

jeudi 8 novembre 2018

9 novembre 1970

Au kiosque, boulevard Malesherbes, la marchande aux yeux rouges souffrait dans sa chair qu’une bande de galopins parlât si librement du grand Charles et qu’une feuille satirique titrât « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». 
Par les métros, les nez piquaient plus qu’à l’accoutumée dans les journaux déployés. Inentamable dans sa grandeur désuète, de Gaulle intéresse davantage et autrement.
Artiste monstre comme peut l’être Céline en littérature, de Gaulle nous émeut de la même manière.
Pour faire l’histoire, de Gaulle travaille comme un nègre. Ce général dégingandé et l’ermite de Meudon sont deux fous furieux du style.


(« C’est encore loin de Gaulle ? », Editions du Bon Albert, page 9)

mardi 6 novembre 2018

Ecrivain pour mulots

Dominique de Roux nous manque cruellement. L’écrivain fulgurant s’en serait donné à cœur joie. Le pétillant pamphlétaire, qui s’était délecté du Servan-Schreiber de L’Express (« Contre Servan-Schreiber », Balland, 1970), se serait régalé avec le petit président des selfies ahuris. Macron, l’ami des chasseurs, a trouvé un terrier de braconnier pour un scribouilleur de terroir : le Panthéon, la pantalonnade du Panthéon.
Macron aime s’écouter discourir, rue Soufflot. Il s’imagine bonimenteur hybride, à la fois de Gaulle et Malraux. Au Panthéon, il flanque l’auteur de « Raboliot » et sa cargaison de récits solognauds. Dans « Immédiatement » (Bourgois, 1972), recueil de pensées sauvages, le grand écrivain exécute en trois mots le brave chroniqueur des tranchées : « Maurice Genevoix, écrivain pour mulots ». Dans les belles lettres, Dominique de Roux est notre meilleur fusil. Ce genre d’artiste exerçait son métier avec une virtuosité de premier ouvrier. Il tuait sans blesser. Genevoix n’a pas souffert.