mercredi 27 février 2019

Une provocation de faciès

C’est le contentement rayonnant de l’intelligence, une figure alerte et satisfaite de soi, une insolence sans complexe à se suffire, l’impossibilité à savoir masquer les bienfaits d’être bien né.
La détestation Macron résulte d’une provocation de faciès, d’un sentiment de dame patronnesse. Notre jeune homme caracole sans état d’âme. Quatre à quatre, il monte les marches, il grimpe les étages d’une dégringolade de sondage.
Il est le meilleur. C’est son bonheur. Dans son petit costume cravate académique, il est parfaitement aérodynamique. Il fend l’air, s’arrête devant la misère, anonyme sur un trottoir. Il est extraordinaire.
A la Jacques Anquetil jadis, il bat le record de l’heure quand il veut, fait des prouesses qui dépriment les malheureux. Le peuple des périphéries se sent diminué par les défis mécaniques d’un prince du QI. Il vote Poulidor. Il sait la beauté de l’échec. Il est esthète.
A défaut du maillot de vainqueur, il endosse un gilet, une tunique de rancœur. Il est épatant, le président. C’est bien cela qui attise le ressentiment.

mardi 19 février 2019

C'est comment qu'on freine ?

Libérer la parole. Débattre de tout sans tabou. Laisser les totems aux vestiaires. On exhorte la nation à se débarrasser de ses inhibitions, à se dépouiller de ses conventions.
Le pouvoir, bon prince, enjoint ses ouailles à se déboutonner, à se décoincer sans complexe. Le vieux « parler vrai » rocardien ne suffit plus : il faut parler cru, cracher cash.
Manu l’a voulu. Le grand débat institutionnel inaugure le temps des expressions rebelles. Il convient de forcer sa nature, d’en dire des vertes et des pas mûres. La lâcheté serait de ne pas « se lâcher » ou de ne pas « balancer » comme le préconisent les princes actuels des élégances verbales, les champions adulés d’une psychologie déballonnée.
Résultat des courses : on s’attaque au patrimoine. Notre Finkielkraut national, à bougonnerie proverbiale, est agressé au seul motif d’être juif. L’injure est une nouvelle écriture pour les nuls. La parole se libère. Parallèlement, l’orthographe se perd, s’est perdue dans la foule. Réfléchir prend du temps, la tête, un coup de vieux inexorable. En bon boxeur, le pouvoir esquive la France d’en bas. En douce, il la camoufle en France Débats. Moi, j’ai la nostalgie d’Alain Bashung : « C’est comment qu’on freine ? »

lundi 18 février 2019

Le Saint-Suaire de Jupiter

La dureté économique frappe au visage comme un uppercut. L’élégant pugiliste du Pont des Arts mime une violence, tabasse une police sous la dictée d’une détresse.
Aucune parole  ne calme sa colère frontale. Il est le jouet d’une force, la marionnette d’une vitalité de torse. Il cogne comme s’il voulait illustrer une culture de la gagne. Le combattant d’un samedi est un battant de l’économie. Il boxe à l’instar d’un créat(u)eur de start-up. A bout portant, il est de son temps.
C’est pourquoi, en haut lieu, on stocke des caisses de paroles à répandre dans les chefs-lieux. Elles sont destinées à apaiser les grandes gueules à banderoles. C’est une stratégie d’évitement. Pas de mort dans les manifs, pas d’actes dans les meetings. On étiquète « grand débat ».
Le patron de Benalla mouille le maillot, réquisitionne les mots, les brandit comme des effigies, emballe la dissension nationale dans une réalité lexicale.
Emmanuel joue d’un effet de réel : une chemise virginale, Saint-Suaire de Jupiter, d’un pasteur littéraire qui rétorque à la colère par le dictionnaire. Emmanuel s’effeuille, ôte sa veste réglementaire : il est vêtu de blanc, il est candide, candidat, il sature toutes les couleurs  du blabla.
Il est à mi-parcours de l’errance itinérante de ses bavardages. Dans l’intervalle, au palais national, le scribe et le stratège se font la malle, connaissent trop bien la musique. Les conseillers ont tout essayé.
Le gars du Touquet est très entêté. Il adore s’écouter parler. D’ailleurs, à force de s’écouter, il est sûr d’une chose, et ça tombe bien. Les gilets jaunes veulent des paroles. Rien d’autre.

samedi 9 février 2019

Proust et les gilets jaunes

« … à l’hôtel, les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait  comme un immense et merveilleux  aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles des petits bourgeois, invisibles dans l’ombre, s’écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancés dans les remous d’or, la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres que celle de poissons et de mollusques étranges (une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger) ». 
(Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Bibliothèque de la Pléiade, page 681)
Je sens le petit Marcel, à un siècle de distance, plus à l’écoute de notre réalité sociale que le jeune Emmanuel, animateur décomplexé d’un débat national comme d’une quinzaine commerciale.  

lundi 4 février 2019

Besoin d'une demeure

Je relis Proust comme un curé ressasse un texte saint, marmonne un bréviaire. J’ai besoin d’une demeure où règne un soin supérieur. Je laisse en rade le papier bible, je referme le Pléiade. J’ai deux fois l’âge du Christ, l’expérience hésitante d’un routier de l’existence. Je réfléchis à l’Italie. Je feuillette l’ouvrage de Louis Poirier.
« J’ai visité Rome à soixante-six ans ce qui ne témoigne pas d’un sentiment fébrile » (Autour des sept collines, page 8, José Corti, 1988). A trente ans de distance de l’escapade bougonne de Gracq, je trimbale une curiosité maussade dans une ville saturée d’histoire et de colonies de Chinois venus pour voir.
En hiver, le Tibre est gris vert, sale et grognon. La Chapelle Sixtine est une broyeuse de sensations intimes. La foule s’y presse par tunnels et corridors comme un torrent se jette dans un fleuve bruissant. On dirait des forçats qui regagnent les ciels hauts d’un cachot.
Les peintres font de la bande dessinée sur la pierre sacrée, se font les imagiers d’un peuple illettré. Sixte l’a voulu. Notre Manu, qui sera pape un jour, devrait s’inspirer de sa manière de communiquer la vérité vraie, sans fèqueniouzzes, aux braves ignares des terroirs.
A Rome, les ciels sont kyrielles. A San Luigi dei Francesi, la Vierge s’est extraite de la terre, lévite comme un hélicoptère, coudoie déjà les nuages. Admirable Assomption de Francesco Bassano. Je suis seul à partager pareil mystère. J’ai semé les gaillards à Routard.
Dans les bistrots, je rassemble mes effets, j’exhume de souvenirs imprécis un italien d’usage exquis. J’ai retrouvé « stuzzicadenti » qui désigne le bâtonnet qui veille à l’hygiène des dents et « canucia », la paille que j’exige pour apprécier en toute quiétude le Perfect Twelve de l’hôtel de Russie, à deux pas de la piazza del Popolo.