jeudi 22 février 2024

Tir à l'arc républicain

Le tir à l’arc républicain est une discipline olympique dans nos cordes. La nation peut nourrir de légitimes prétentions. Nos hommes peuvent même prétendre au podium. C’est un sport de JO que Macron apprécie hautement, un peu comme Chirac en son temps le sumo. Jadis un chef de parti droitier, en plein meeting, avait été fléché au visage. Il perdit un œil qu’il masqua d’un bandeau. A vouloir trop bander l’arc de la République, on s’expose à des bavures, on se hasarde à des pratiques contre nature, on flirte avec l’arbitraire. L’erreur de tir révèle le fond de l’arc en question : une manière de mentir.

dimanche 18 février 2024

Laids JO

Les bouquinistes s’enkystent, résistent aux nihilistes qui méprisent Proust, qui leur disent ouste. Les bouquinistes sont donc invités au raout, seront sur les listes au mois d’août. Mais j’aime moyennement que la Tour Eiffel fasse pareil. Elle s’incruste dans le ciel, défigure le champ de vision des foules de bord de Seine. On dirait une girafe échappée d’un zoo. Notre-Dame a été rafistolée in extremis. Au grand dam des promeneurs de macadam. On avait commencé à l’incendier. C’était trop voyant. On l’aurait déplacée que ça ne m’aurait pas gêné. On verra ainsi la Seine couler avec cérémonie, dans une scénographie d’artistes accomplis. Laids JO sont un hymne à la sueur, une stance à l’argent sans odeur, un psaume à la volonté des vainqueurs, une ode aux jolis ronds dans l’eau.

jeudi 15 février 2024

Annie Le Brun

Soudain, un bloc d’abîme, un paquet de lignes, un ouvrage qui fait passionnément événement. Annie Le Brun est une artiste cabocharde, effrontée, qui ne cède rien à la crétinerie d’ambiance, à l’idiotie de marché. Elle va droit à Sade, au marquis qui écrit, se soucie du génie de Jarry, voisine avec les mystères de Roussel. Sa littérature, sa poésie, sont intensément, fiévreusement, de libre écriture. « Ce qui n’a pas de prix » définit ici une œuvre de splendide étrangeté. Si vous croisez Annie Le Brun dans la rue, sachez qu’elle est un écrivain absolu. C’est une figure d’ombre aux angles d’éternité. « Je n’ai rien à dire et encore moins quelque chose ». Au philosophe Ignaz Paul Vital Drexler, elle fauche une remarque finale : « Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci ». Annie Le Brun ne se classe nulle part, se situe hors format, en marge des maisons de tolérance de l’édition.

vendredi 9 février 2024

Après les tracteurs, les acteurs

« N’avoir rien accompli et mourir en surmené ». L’aphorisme de Cioran colle bien à la laborieuse fabrication du gouvernement Attal. Sa formation accélérée à l’empathie a payé. Fatal Gaby slalome à l’aise dans la boue des crues et des culs-terreux, tapote l’épaule des gueux malheureux. Mais la production tarde à boucler le casting. Le film se fera sans son Bayrou de secours qui joue la diva. Bercy a l’argent pour le tournage. Il pioche les sous magiques dans une caisse enchanteresse. Mais les acteurs sont passés après les tracteurs. Manu, sorti premier du conservatoire, n’aime pas les comédiens. Sauf Amélie Mélo, camarade de promotion. Il s’attribue le premier, le seul rôle. Le reste de la distribution fait de la figuration, joue les utilités. Belloubet est un beau loupé ! Eh bien, il s’en fiche comme de sa première barboteuse. Comme Bresson, le maître cinéaste, il ne travaille qu’avec des inconnus. Il déteste le métier. Il récuse le professionnalisme.

samedi 3 février 2024

Tous les Macron du monde

Il serre les poings, veille à prononcer les mots qui recueillent les bons points. Sa tête tournoie comme une girouette, profil droit, profil gauche, s’arrête à l’image qui taille une médaille. Il est intelligent, davantage que la moyenne des gens de son temps. Dans « Conversations dans le Loir-et-Cher », Claudel trouve les mots pour qualifier l’oiseau : « Il n’y a qu’une classe dangereuse, c’est celle des intellectuels, c’est à dire des gens qui possèdent un instrument pour lequel il n’y a pas d’emploi vacant. » Bref, il n’y a pas d’emploi pour notre petit roi, roquet du Touquet. Tout métier requiert la netteté d’une honnêteté, l’humilité qui sied à la vérité. Pour l’heure, l’homme est casé à l’Elysée où il peut encore casser pas mal de jouets. Après quoi, il sera propulsé à la tête d’un espace sans peuple, la terre promise des cabris, le faux pays de la technocratie: l’Europe. A mesure qu’il s’égosillait sans ciller, qu’il s’émerveillait de ses jongleries de nombril, m’étaient révélés les ravages d’une intelligence fébrile. L’intelligence distord la flagrance du réel, escamote les faits bruts, sophistique l’art de dire et mentir. Elle se complaît dans l’art d’entortiller, d’embobiner les opinions, d’emmêler et barioler une connaissance de première intuition. L’intelligence de palmarès, de premier de classe, excelle à la menterie ordinaire. Elle fait du mensonge l’arme d’un grand songe : gouverner à l’insu d’un peuple. Les racontars de « narratif » nourrissent une confusion des esprits, alimentent un dérèglement de la raison. Le désordre logique est la vitesse de croisière idéologique du navire oligarchique. L’intelligence use du mensonge à l’envi. Mille fois mieux que la bêtise. Elle joue de ses ruses pour semer la confusion. Un troisième attribut la définit, gourmandise, cerise sur le gâteau : la couardise. Courage et intelligence font chambre à part. La pleutrerie a besoin de la menterie, s’y cache même derrière. Le courage vient des entrailles des âges, jaillit d’une innocence, troue les faux masques de sa fulgurance. Il appartient à l’esprit d’enfance. Il est le génie rare du premier regard. Il s’incarna dans la poésie d’un de Gaulle, dans la peau d’un Beltrame. Il déserte aujourd’hui les coups de menton de tous les Macron du monde.

vendredi 2 février 2024

Comme un paradis perdu

Oui, Antonioni. Le Pontormo du cinéma. Un luxe maniériste, une posture d’artiste qui peint les ciels dans leur perfection formelle, échafaude une parure, imagine une griffe, la fait luire au jour comme une deuxième nature. Quelque chose de flou, un bastringue que rien ne distingue, un cri qui troue l’apparence, colorie l’indifférence. Antonioni s’approprie le rouge, le désir qui surligne une lèvre, le désert qui dissuade un rêve. D’instinct je me suis jeté sur le trottoir, l’ai foulé vers la salle destinée. Je voulais guérir d’une nostalgie, stopper une maladie, réserver l’après-midi. J’ai fendu la file du Champollion, rue des Écoles. Ai dégringolé les marches, me suis glissé dans le noir. Veni, Vitti, Vici. Vaincu, convaincu, je le suis depuis l’incolore éblouissement d’une île de Sicile, le choc incantatoire de L’Avventura, le regard égaré de Claudia. Deserto Rosso. Giuliana est une soeur siamoise de Claudia, le sosie, le portrait craché d’une sublime actrice de cinéma. Monica Vitti déambule dans une rue pâle, erre dans le vestibule, dérive dans un ciel industriel. Elle observe l’horreur des couleurs. J’ai couru, suis entré bon dernier, attentif à écrabouiller l’orteil d’une rangée entière. Je voulais revoir le manteau de laine de Giuliana, la pelisse verte d’une bourgeoise désœuvrée d’Emilie-Romagne. Revoir une manière de s’emmitoufler, de se carrer dans un corps, de se camoufler pour manger le pain de l’ouvrier. C’est cette couleur froide qui enlumine un visage diaphane. Mais le rouge ici désigne la déchetterie d’usine qui bariole, peinturlure la nature. J’aime le rouge artificiel d’Italie, la joie écarlate qui jaillit des veines, des volcans, des voyelles. J’aime le rouge incendiaire de la baraque d’une partie de plage d’hiver. Le goût d’Italie me vient de cette couleur de feu joyeux. Antonioni peint l’intériorité des figures dans l’espace et ses géométries. On lit dehors les sentiments des hommes comme dans un album d’images luxueuses. Le monde est une poubelle que l’artiste filme et fignole au pinceau. Monica Vitti s’extrait des brumes qui indifférencient le temps des cinémas qui passe. Un regard voilé, qui s’abandonne, sans domicile, comme un paradis perdu, outrageusement oublié. L’artiste anticipe l’avenir. Pollution, blabla, mal de vivre. Inutile de s’appesantir.