vendredi 20 novembre 2020

Les yeux bandés

Postulat premier : la politique de la santé n’est pas du ressort de l’Europe. Pas de budget pour les corps souffrants. Postulat deuxième : Les miraculeux vaccins sont commandés à l’initiative de l’Union européenne. Pas de budget mais achat groupé. Postulat troisième : La santé transcende les valeurs de la République française. Elle prime sur l’économie. Postulat quatrième : L’économie se situe au cœur de la construction européenne. Elle est privilégiée au détriment de la politique. Les quatre postulats font désordre dans ma tête. Je peine à les articuler. Si l’on ajoute l’esprit de confusion théorisé par Macron (le célèbre « en même temps », un apport majeur à la pensée politique), qui tord le cou au principe de non-contradiction, au tiers exclu, hérité de la logique d’Aristote, on se retrouve complètement égaré, les yeux bandés, comme des enfants dans un jeu de colin-maillard. A vrai dire, je voudrais ôter le masque de mes yeux.

mardi 10 novembre 2020

Un mal essentiel

Quand j’étais petit, j’allais à l’école de ski où la monitrice nous enseignait des rudiments de glisse. Dans mon oreille aujourd’hui, retentit l’énoncé en trois parties d’une vérité à appliquer pour vivre en sécurité : tester, tracer, isoler. J’y vois une continuité avec le lancinant « planté, flexion, extension » des instructeurs de christania. Le virus ressuscite mes souvenirs de poudreuse. Sauf que si j’ai appris à virer sans dommage dans la neige, j’hésite à croire que du virus je suis désormais protégé. Quand j’étais petit, l’institutrice m’apprit à lire des livres essentiels pour ma survie intellectuelle. Or, j’observe tous les jours des gens glorieux ou des gens de peu que la télévision interroge chez eux dans un décor semblable où trônent les mêmes compagnons de vie intérieure. Une figure de parleur est entourée d’étagères bien visibles, bourrées à crac de maux (mots) essentiels, c’est-à-dire de biens non essentiels. L’interrogé se plaît à portée de main de ses livres reliés. Il ne parle son blabla qu’en présence de ses avocats. Pourquoi diable, dans une république si belle, cherche-t-il un ciel dans des biens non essentiels ?

mercredi 4 novembre 2020

C'est encore loin de Gaulle ?

Nos rois s'estompent dans nos mémoires. Au premier coup de froid, leur gloire se mue en terminus dérisoire. De Gaulle échappe aux attentats. Je me souviens d'une photographie de De Gaulle, à son bureau, les yeux dans le vide. De Gaulle voisine avec les vertiges. A l'heure des nouvelles du soir, de Gaulle s'extrait de son travail, ferme l'électricité, laisse craquer dans son sillage le parquet de l'Elysée. Il observe l'humanité dans les yeux d'un vulgaire téléviseur. Il connaît la loi du pouvoir sur le bout des doigts. Il contemple la France. Il songe à La Prisonnière, le cinquième des sept volumes du grand oeuvre de Proust. Charles courbe sa longue carcasse: "La regarder dormir". Le culte de la nation se nourrit de pieuses conversations. Elle coudoie les passions ravageuses. Charles de Gaulle cause à la France. Marcel Proust bavarde avec Albertine. L'un et l'autre embastillent leurs désirables proies. De Gaulle fixe un cap. Il balade au grand air la nation millénaire. Proust se recueille au chevet d'une morte. Le poète et le soldat scandent une même prière pour plus tard. De Gaulle lit Jouve. Correspond avec Le Clézio. Ses pommettes s'empourprent à la lecture de Paulina. L'artiste est de son temps, pressent les suivants. L'homme du dix-huit juin parle "des gouvernants de rencontre". De Gaulle arrête le regard du hasard. Proust et le grand Charles ont tué le match. Le juif asthmatique et le catholique gothique ont inscrit la France, ses paysages et sa phrase, au milieu du monde, à son zénith universel. De Gaulle est un nom issu d'une forme germanique : "De Walle" qui signifie le mur d'enceinte, le rempart. Un jour d'automne, De Gaulle s'est effondré sur sa table de bridge où il alignait des cartes à jouer. Malraux écrira un petit livre sublime à la mémoire du glorieux défunt: Les Chênes qu'on abat. De Gaulle est mort un 9 novembre. Cet homme à grand destin a cédé le même jour que le Mur de Berlin, un peu moins de 20 ans auparavant. De Gaulle voit l'abîme comme une Chine. Il s'accoude à l'Histoire, rafistole une mémoire, résiste au désespoir. De Gaulle est une bonne connaissance, une grande musique, un roi sans format, ordinaire dans sa joie. On déboulonne De Gaulle, il rigole, on dégringole. C’est encore loin de Gaulle ? Au bout du monde. La grande politique est une vaste querelle pour le partage du ciel, l'amour mystique de l'essentiel. La présence gaullienne est une résurrection, l'insurrection d'une nation assez moyenne. De Gaulle est intouchable. Noli me tangere. Il est le fugitif dont on garde la soif. "Dans la société des hommes, l'activisme voisine étrangement avec l'inertie. L'activisme pour l'accessoire avec l'inertie pour l'essentiel. Il semble que celle-ci soit proportionnelle à celle-là". De Gaulle n'est pas tenable. Il s'éclipse. C'est un roi d'éternité qui se nourrit d'instantanés. "L'instant est un mets de roi, mais ordinaire, car un roi véritable l'est ordinairement". Ce texte est extrait de « Dancing de la marquise » (5 sens Editions, mars 2020)

dimanche 1 novembre 2020

Le blasphème du cru

Les droits sont des libertés imposées, un volume d’oxygène octroyé à qui veut respirer le bon air en société. Le système de croyances est l’arbitre des élégances en matière de décence. Les fidèles d’Islam répugnent au blasphème. Les nations musulmanes s’en défient comme de toute apostasie. Dans nos contrées jadis chrétiennes, c’est un droit, une tolérance d’esprit critique, une mansuétude à l’endroit des arts et lettres. Mais aucunement des sciences. Les travailleurs de la preuve ne mangent pas de ce pain-là, n’admettent qu’une seule vérité, ne se soumettent qu’à l’autorité de la démonstration. Dans nos cités d’exemplaire laïcité, l’émoi des doctes, le tourment des élites touche une variété d’opinions bien précises, la fake news, la nouvelle falsifiée, le mensonge éhonté. A vrai dire, la fake news est le blasphème du cru, l’inacceptable fantaisie locale, une piteuse facétie de nos pieuses démocraties. La gamme des menteries ordinaires est vaste, élargie, en nos sociétés libertaires, arc-boutées à la vénérable publicité. On y vend comme on ment, sans trop de règlements, le boniment qui fait de l’argent. Les marcheurs d’un Etat libéral ne marchandent pas la morale. Mais la fake news, c’est aussi odieux que de rire de Dieu, sous d’autres cieux. Aussi songent-ils, ont-ils songé de bonne foi à une loi qui dicterait la vertu à la rue, qui interdirait aux enfants d’affabuler, qui même empêcheraient leurs parents de mentir. Etonnant ! Non ?