jeudi 30 août 2012

Là où tu m'emmèneras

"Là où je t'emmènerai". De Gaulle nous a sans doute menés par le bout du nez. Grand dans l'Histoire, il voyait loin dans l'avenir. Se souvenir de la reconnaissance de la Chine en 1964. Seul au monde. De Gaulle visait l'indépendance nationale. Il décolonisa, industrialisa, installa la République sur des bases stables.
Après lui, Pompidou paracheva l'oeuvre. Il cala la nation sur l'exigence de production. Queue leu leu, avec une myopie de taupes, Giscard, Mitterrand, Chirac et Sarkozy ont raté la marche du grand dessein.
Pas trace chez eux d'un savoir-faire visionnaire. Aucun d'eux ne sut galvaniser les foules vers un vivre-ensemble qui soit une aventure collective.
Hollande emboite le pas de leur modération, de leur déficit d'ambition. Il ne précise pas la destination de la nation. "Où va-t-on ?" s'interroge un pays grognon. Les récents pilotes ont multiplié les tours de périphériques pour mieux masquer l'absence de direction stratégique.
La France roule pépère, pas vraiment tombeau ouvert, sans ressort visionnaire. Qui va se coller à la question du sens, au travail de vision, au labeur présidentiel de la définition d'un horizon ? Le primat de l'économie frappe le pays d'anémie existentielle. De lilliputiennes chicanes d'intendance scandent la vie politique de leaders du dimanche. Au ras des paquerettes, la petite démocratie sécrète l'ennui.
La fin des guerres fratricides d'Occident a démotivé les ardeurs à bâtir, a découragé les esprits à regarder l'avenir. Les joutes franco-allemandes récurrentes et la grande chamaille soviético-américaine ont disparu du champ des compétitions patriotiques. Dans le sillage d'un de Gaulle aujourd'hui sans âge, le cadre d'un nouveau cap exige la paix comme consentement des peuples à vivre en bonne intelligence.
La construction de l'Europe figure en haut de la "short list" des projets générateurs de paix. C'est un exercice malaisé confié à des gratte-papier. L'ouvrage se tricote au ralenti, sans doute à l'envers, les longues soirées d'hiver. Toutes les intendances du "petit cap asiatique" (Valéry) se sont liguées pour tordre le cou au désir de transcendance. La technocratie verrouille l'épicerie.
L'ébauche d'Europe est née de la peur. Staline et Hitler sont les petits pères de notre aire de loisir communautaire. Or la frousse n'est pas nécessairement bonne conseillère. L'entame du siècle réclame un élargissement d'échelle. L'Europe, nain démographique durable, est un format mondial petit bras. "L'Hexagone s'inscrit dans une sphère" (Morand, je crois). On raisonne planète, on travaille internet.
La petite politique de la France est subordonnée aux mouvements erratiques d'un monde unitaire, par-delà ses déclinaisons identitaires. La seule vision du monde qui vaille, c'est le cliché d'un corps céleste bleuté, la Terre, vue du belvédère lunaire. Coup de gong d'Armstrong.
Avec le monde pour seul horizon, la nation tient bien son guidon. Avec en corollaire l'extinction de la misère, l'éradication des guerres, l'abandon d'une dévastation industrielle totalitaire. On rêve, bien sûr. On veut rêver. Car on sort de l'Europe complètement dégrisé. La gueule de bois fait loi. Le besoin d'avenir se fait sentir. Pressante actualité d'un grand dessein, impérieuse nécessité d'un songe de substitution.
La paix dans le monde est un projet révolutionnaire qui a gardé sa fraîcheur. Elle ne se fragmente pas en continents rivaux. La paix, c'est le cap de bonne espérance. "C'est là où tu m'emmèneras". Dignité et prospérité viendront par surcroît.

mardi 28 août 2012

Avoir une vision

Le quinquennat démarre à bout de souffle. Il se traîne. La caravane du changement s'ébranle sans élan. Reviennent aux oreilles les vieux sarcasmes. On dirait des ronds dans l'eau. On songe au pédalo.
Ayrault a conservé sa pâleur d'avant l'été. Il chevrote à la télévision. Sa main tremble comme une feuille. Une feuille de route un peu frêle.
Hollande consulte. Il parcourt des kilomètres d'amabilités, accueille et raccompagne ses visiteurs. Montebourg mime le Chevènement d'antan. Valls jette des yeux noirs. Valls gronde les pauvres. Pas de Valls-hésitation.
Aubry, la mère supérieure d'un socialisme incantatoire, ne lâche pas le magot de la rue de Solferino comme cela. Marie-Ségolène se verrait bien en vert, cheftaine du parti des éoliennes. Bref, rien d'emballant dans le déballage d'egos et la croisière du pédalo.
Le bateau d'Ayrault est encalminé, faute d'activités. Mer d'huile. Les tsunamis sont de l'autre côté de l'horizon.
L'opposition ne se tourne pas les pouces: elle se chamaille. Elle se délecte des querelles de famille. Copé copie Sarko. Il revendique un héritage: l'atavisme de l'activisme. Fillon devise dans les champs, en bordure d'hospice. Il pratique la politique sur une jambe, peut-être même par dessus la jambe. Fillon temporise. Il adopte le même train de sénateur que le président Hollande. La droite, qui a tant raté, n'échappera pas à l'étripage de ses grands sachems. A défaut de faire la planche, Sarko s'emploiera à attiser les braises, s'il le faut.
L'épisode de la viande halal avait scandé l'insipide campagne présidentielle. Le tour de chauffe du quinquennat Hollande s'enlise dans le prix de l'essence à la pompe. A vrai dire, on sent qu'Ayrault n'est pas cap et qu'Hollande n'a pas de cap. Car le cap, c'est bien le problème du capitaine.
On se gargarise souvent d'un mot creux pour définir l'authentique chef d'Etat: la vision. Or nos hommes politiques ont des visières, rarement des visions. A aucun d'eux, de Gaulle n'a transmis son secret du grand dessein. La question de la vision appartient à la mystique du chef. C'est un signe extérieur de sagesse du leader providentiel. Mais c'est aussi un attribut chiche du pouvoir: n'avoir qu'une vision, une seule, quand l'ermite halluciné en perçoit à foison.
Le capitaine de pédalo n'endosse pas nécessairement les mots de son ophtalmo. Il se refuse à chausser des lunettes de sept lieues. Libre à lui. Car le grand homme prévaut par sa vision, un peu comme Jeanne d'Arc s'impose par les voix qu'elle entend. Déjà lassés par l'ennui, nous voulons un chef qui, à défaut d'être visionnaire, entende des voix. Celles des intérêts de la France, par exemple.

lundi 27 août 2012

Le développement friable

Le souvenir fait durer, peut-être pas le plaisir, mais son empreinte éphémère dans la chair. Car la vie est une étourdie qui passe son tour. Elle est sotte à mourir, gaspille son temps à des feux de paille. Ne la sauve qu'une mémoire incertaine qui s'applique à réciter des fables.
La vie échoue dans les grandes largeurs, ne pénètre pas les cathédrales, pyramides et autres bidules des hommes fouettés par la terreur. La vie tourne le dos au développement durable. Elle est venue, elle a vu, elle n'a rien vaincu.
Le souvenir est son meilleur outil. Ce couteau de poche tente le pari insensé de la durée, réconcilie les géographies du présent et du passé, hachure la région comme un seul continent. Il travaille dans le développement friable. Il meurt avec le dépositaire de son mystère.
La mémoire est une nanotechnologie, située au coeur du for intérieur. Elle y stocke nos petites économies de fourmi. C'est le meilleur artifice connu pour prolonger le cours fugitif d'une vie.
Plus performant que toutes les médecines réunies: les bavardages de l'art ou les échafaudages de pierre. Ces thérapeutes de toile et de sable, de sac et de corde, font semblant de nous faire signe. On n'a jamais compris le cri de la pyramide d'Egypte.

jeudi 23 août 2012

L'artiste sans oeuvre

A vrai dire, il est une phrase de Cioran qui définit l'air du temps, les gens qui le respire. "N'avoir rien accompli, mourir en surmené."
Nous avons besogné tout l'été sans rien chanter de très achevé. Oui, l'industrieuse énergie se disperse en confettis. Nous sommes possédés par le démon des serviettes et la diablesse des chiffons. L'épuisement est le juste châtiment du désoeuvrement. Car la gesticulation laborieuse est une grimace du corps, la parodie bouffonne du travail de l'oeuvre.
"N'avoir rien accompli, mourir apaisé". Il est des hommes sans oeuvre dont la copie blanche éclate de splendeur. L'art est fiché dans leur regard. Ils trimbalent leur maîtrise comme des cicatrices. Ils ont dessiné leur vie, stylisé leurs envies.
L'artiste sans oeuvre est concis jusqu'au mutisme. C'est un dandy sans ébauche de rien de précis. Si jamais vous le croisez sur les sentiers, il convient de se décoiffer comme il sied au passage d'une radieuse beauté.

mercredi 22 août 2012

Rouge

Savoir la couleur comme pressentir un malheur. Savoir la couleur pour vaincre la peur. Savoir la couleur. L'Italie sait le rouge. Elle rit du rire sonore des Ferrari. Un peuple aussi savant confie sa chance, mendie son espérance à la beauté.
Savoir le rouge, comme lire, écrire ou compter. Rouge définitif. Rouge coups de griffes. Le crayon vagabonde dans les bas-fonds vermillon. Tous les ciels bleus d'Italie sont rouges de fièvre panique.

Journal de Gide

"En ce temps ma parole tenait du chant, ma marche de la danse. Un rythme emportait ma pensée, réglait mon être. J'étais jeune."
André Gide écrit cela le 12 avril 1941. Il séjourne à Nice. Il a 71 ans. Il lui reste dix ans à vivre. En trois phrases, il restitue l'insoucieuse allégresse d'une jeunesse. L'auteur de "Paludes" racle le fond de l'encrier d'où jaillit la nostalgie. L'austère parpaillot sait l'heure brève.

mardi 21 août 2012

Le monsieur écarlate

Retour à la vie matérielle après les plages et les songes sous les ciels. C'est la rentrée, maintenant, nous murmure au creux de l'oreille le monsieur écarlate, habillé d'une cravate.
L'exercice du pouvoir impose une stricte apparence. Une photo volée dévoile le visage apaisé du monsieur d'avant, l'agité, désormais buriné par l'été, tapissé d'un semblant de barbe négligée.
Le monsieur écarlate recommence ses allers et retours de perron. Il tapote la manche de ses invités. Les pneus crissent sur le gravier de l'Elysée. Le monsieur écarlate est descendu du train, sans valise, les yeux seuls fixés sur la crise.
Il reprend son travail normal d'écriture. Il rédige ses discours au porte-plume, biffe un adjectif, supprime une virgule. Il trouve les mots sur les plans sociaux, convoque le ministre du redressement illico presto.
Le monsieur écarlate s'offense des dérèglements du prix de l'essence. Il a relu Rimbaud. A rêvé d'Abyssinie à l'heure de la Syrie. Il se sait cerner par "l'horreur économique".

dimanche 19 août 2012

Les jeunes Chinoises

La volonté ne se regarde en face qu'à condition d'en gommer la grimace. Dans la moiteur du petit jour, j'observe l'immobilité de l'été. Je cours sur les trottoirs.
Révolution de palais à La Madeleine. La Marquise de Sévigné, dans sa fierté chocolatière, ne jouxte plus la roturière épicerie Fauchon. Elle coudoie désormais l'altière Maison du Caviar.
Place de la Concorde, les drapeaux tricolores se dessinent dans le ciel comme des linges morts. Un soleil téméraire dore la pointe triangulaire de l'Obélisque. Le corps de l'édifice est tatoué de vieux graffitis d'Egypte. Il s'applique à écrire la chronique du temps qui passe. Il crayonne le bleu du ciel.
C'est une grande classe dont les maîtres sont juchés sur des trônes. La verticalité de la Tour Eiffel voisine la coupole du Grand Palais, mime au loin le fuselage immédiat de l'exotique trophée. En revanche, l'hôtel de Crillon et le ministère de la marine ont modelé leur bâti, étendu leur maison sur le seul horizon.
La place est piquetée de colonnes muettes qui lèvent le doigt à la question des mêmes professeurs de pierre. Le jardin déverrouille ses grilles. Les jets d'eau brunissent le sable, couleur de craie, de la grande allée. Les jeunes Chinoises trottinent.
Le soleil rougeoie dans l'axe de la grande roue des Tuileries, au raz des toits de la rue de Rivoli. Les baraquements forains rouillent à l'ombre du silence. Le soleil étincelle dans les vitres du Louvre. Ce sont des meurtrières aux yeux d'armes blanches. Miroirs qui réfléchissent une odeur de cadavre, qui renvoient la lumière pâle d'un ciel jaune. Ils clignotent comme un signal de cruauté d'une absolue beauté.
L'eau verdâtre a déteint sur les chaises emmêlées du bassin déserté. Un Nègre, vêtu de kaki, brandit l'une d'entre elles, s'initie à l'haltérophilie. Les mouettes toisent le ciel d'un même battement d'aile.
Je zigzague dans l'allée arrosée. L'Obélisque perce l'entrecuisse de l'Arc de Triomphe. Je gagne l'asphalte en toute hâte.

vendredi 17 août 2012

Clélia

Elle n'a jamais vécu que dans mon imagination. Elle devait s'appeler Clélia. Son sort est subordonné à ma propre mort. Les créatures de rêve sont par nature dispensées de sépulture.
Cette fille des vents n'a émergé du néant que pour fixer mes tourments. Les deux syllabes de son identité définissent son exacte féminité. Avec Clelia Trotti, Bassani m'a chipé ma chipie.

mercredi 15 août 2012

Mi-août

Assunta. Ferragosto. Le choc rouge de Titien, chiesa dei Frari. Vitrail jaune acide qui coiffe l'abside de Saint-Sulpice. Journée de tirée. Jour férié. On marche sur des os. Les premières feuilles mortes craquent comme des chips.
Des cambrioleurs s'introduisent dans les églises, photographient les frises, se signent au nom du père et du fils. Ciel voyou, terre étale. Tournicotent dans ma tête les mêmes histoires de mi-août. Les étés se fêlent comme les vaisselles.

Ferrare en tête

J'ai du mal à m'extraire de l'infinie rêverie d'Italie. Envie de rien. Envie de me rendormir au petit matin. De revivre en songe la joie d'être soi, l'émoi d'être un roi parmi les ciels sensuels de Ravello. M'attabler sans projet dans la paix de Colle di Val d'Elsa. M'étourdir de prosecco devant les eaux de Mattimata.
Mièvrerie de Parigi. Asiatisé par l'été. Vite je veux repartir comme je veux relire Proust. A défaut de cela, une même fadeur de chewing-gum pèse sur des heures sans foi.
J'ai Ferrare en tête. J'ai foncé chez le gros libraire, farfouillé dans les hautes étagères. "Le Roman de Ferrare". Giorgio Bassani est le régional de l'étape romagnole. Je lui confie la tâche impossible d'en restituer la féerie.  

lundi 13 août 2012

Cent secondes

Dans les courses de fond et de demi-fond, l'athlète faisait jadis ses classes en sa qualité de "lièvre". Le "lièvre", c'est le "gregario" en vélo ou le "nègre" en littérature. Il fait le travail, le sale boulot, laisse la gloire au champion.
David Rudisha, sublime vainqueur d'un huit cent mètres d'anthologie, a périmé l'emploi des coureurs sacrificiels. Il a tué le "lièvre" avec son fusil à deux tours de piste. Il a accompli la double boucle, sans voir la meute à ses trousses. Rudisha a déployé sa majestueuse foulée durant cent secondes. Nous étions bouche bée: il y avait une beauté infinie dans ce genre de folie. Le Kényan a pulvérisé le record du monde. Il a réinventé le demi-fond comme Fossbury a révolutionné le saut en hauteur.
"C'est de la poésie pure !" s'est exclamé un commentateur de télévision. Je suis d'accord. Plus que Bolt, Rudisha a imprimé sa marque sur la piste de Londres.

jeudi 9 août 2012

Jouer avec le feu

Ils agitent des fanions. Ils se peinturlurent la figure aux couleurs de leurs étendards. La peau est le support du drapeau. Ils sont galvanisés par la fièvre partisane et la ferveur chauvine. Les Jeux autorisent sans modération le fanatisme des nations.
La comptabilité des hochets est destinée à échauffer les guerriers. On se rétracte sur ses réflexes, on cède à ses instincts. L'olympisme génère l'autarcie de terroir. La bien-pensance élitaire tolère ce bestial embrasement planétaire. Elle ferme les yeux sur le nationalisme festif et braillard. Les Jeux sont une parenthèse populiste de temps de crise.

mardi 7 août 2012

L'indécision des sexes

"Masculin/Féminin". On a lu le livre de Françoise Héritier. On a vu et revu le film de Jean-Luc Godard.  On a regardé la télé. Les Jeux nous abreuvent de corps des deux sexes. Ils s'expriment dans la gloire d'une jeunesse. En gros plan, au ralenti, sous toutes les coutures, on observe des silhouettes d'un troisième genre. De loin, vue de haut, la femme ressemble à l'homme comme deux gouttes d'eau. Sa puissance musculaire l'apparente au modèle masculin. A Londres, tout se passe comme si l'athlétisme illustrait ladite "théorie du genre".
L'indécision des sexes brouille les cartes du regard. Le flou des usuelles démarcations crève l'écran.
A examiner de près la compétition, on réalise combien l'idéal d'un corps-type par discipline relève de la fantasmagorie biologique. Sur 3000 mètres steeple, un tout petit Kenyan rivalise avec un grand échalas de Français. En sprint, on observe des corps à morphologie contrastée, avec des échelles différenciées dans le sculptural. Dans les postures de course, la crispation d'un visage côtoie la quiète sérénité d'un autre. Certes, les corps des deux sexes se rapprochent. Mais, dans le même temps, prévaut le beau paradoxe de la diversité.