lundi 30 décembre 2019

Chardonne 20/20

C’était un 29 mai un peu particulier. Les enragés de Mai 68 tenaient le haut du pavé. Dans l’anonymat le plus absolu, un grand écrivain français, fils métissé de la porcelaine et du cognac, mourait à La Frette, à un jet de pierres des barricades parisiennes. Jacques Chardonne était né quatre-vingt-quatre ans plus tôt, un 2 janvier, un mauvais jour encore, dans la clandestinité d’un lendemain de festivités.
J’ai voulu me souvenir du maître des lettres françaises. Deux de mes livres évoquent sa mémoire, son écriture libre et pure, le cristal d’un style de très haute couture.

« On est lyrique quand on a rien à dire ; la moindre idée bien mûrie, cela vous coupe le souffle ». Chardonne vend la mèche » 

« Je lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est un maître à vieillir disait Morand. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée : « On ose à peine lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée ». Je veux jouir d’une fraicheur de neige, je veux lire Chardonne sans me dépêcher. Lentement, illico presto ».

« Léon Blum, l’esthète rouge, encense Jacques Chardonne à la parution de « L’Epithalame » : « Je place très haut, pour ma part, l’écrivain qui a su débuter par cette œuvre d’élite ». (L’amitié de mes genoux, page 40)

Jacques Chardonne révérait l’élégance d’Eugène Fromentin, peintre et écrivain. Ses derniers petits livres, au soir de sa vie, sont pour moi les plus beaux : « Femmes », « Détachements », « Demi-Jour ». Textes hors sujet, dentelés de somptuosité.

L’année nouvelle commence avec Chardonne, temps d’excellence : 20/20.


dimanche 29 décembre 2019

Ainsi soit Staël

Il est né le 23 décembre 1913. Il a cent ans et davantage. Sa peinture, mille ans, préservée du néant. Nicolas de Staël von Holstein s’est échappé par la grande porte. Il s’est sauvé par la lumière.

« Vent boudeur. Bourru s’il dure. La Provence me glace. Je me sauve. Je me fourre dans une peinture entre quatre murs.
Anne et Gustave se tiennent la main, honorent un père, un peintre byzantin qui sacralise la couleur.
Le musée d’Aix nous cale dans l’axe exact du luxe. Une lumière irradie la paupière.
Soixante-et-onze toiles. On chemine comme dans un album d’homme, un livre d’images saintes, pleines de pages peintes. Le soleil est sa dernière demeure. Il va mourir, se risque à sourire en grand coloriste.
Staël flanque des flaques d’éblouissement, fige un vertige d’ensoleillement, peint sa loi, une toile qu’il aime, plusieurs fois. Rien ne ment dans le dénuement. Les nus sont des nuages. Raconte rien, la peinture. Seulement la couleur, un rouge, peut-être une lumière qui bouge.
La cérémonie d’Aix est un sacre, le couronnement du peintre en sa maison vermillon. Les toiles cognent dans l’œil, tapent une nuque, commotionnent une trogne d’homme. C’est le bouquet final, d’une petite fille, d’un fils, sans artifice, les signes d’une piété au père émeutier, roi fulgurant, général de beauté.
Jeanne est une damnation, l’apparition d’une passion, le soubresaut du coquelicot, le début d’un nuage, le nu encore bleu, merveilleusement venimeux. Le destin est une main d’homme qui se donne d’instinct. Il est un âge où la vérité est une dernière solitude, une sorte d’assuétude à l’authentique manière. »

(Fred, 5 Sens Editions, 2019, pages 18/19)

L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html

Je dirais, Mandiargues

André Pieyre de Mandiargues est mort le 13 décembre 1991.Vers la vieillesse, les bonheurs se dénombrent sur les doigts apeurés d’une main. Interrogé le 11 décembre 1962 sur l’avenir de la littérature, Paul Morand n’hésita pas une seconde : « Je dirais, Mandiargues ». Oui : Mandiargues s’avance solitaire dans le siècle.

« La littérature est un territoire noir, une contrée sauvage. N’y séjournent que des forcenés de la phrase, des fous furieux de la féerie textuelle, des bêtes féroces qui dépècent les songes, déchirent la viande des mots. André Pieyre de Mandiargues est un artiste rare, un écrivain de fier lignage. Son centenaire officiel oblige à considérer l’éclat chatoyant d’une œuvre fulgurante. Gracq l’admirait au point d’envier l’excellence de ses récits courts, sa maîtrise des textes majestueux. Mandiargues n’écrit pas vite : il tâche d’écrire faste. Mandiargues ne se donne pas à lire sans d’emblée se raidir. On entre un jour par la bonne porte. J’ai lu La Marge à Barcelone. J’y découvrais la nuit, ses ruelles odorantes, au rythme de l’errance narrative, à la cadence enivrante d’un cheminement fatal. C’est un roman sublime, exquis, raffiné d’un grand poète, primé en 1967 par l’académie des Goncourt. Ce trésor n’est pas plus épais qu’une boîte de cartouches. J’envie, d’une jalousie féroce, le lecteur qui découvrira ces pages magnétiques, déambulant au hasard dans les travées entortillées de Barcelone.
L’écriture de Mandiargues joue avec la lumière, les couleurs, les humeurs et les sons. L’artiste fait luire sa griffe au soleil. La joie méditerranéenne jaillit des sortilèges de l’écrivain huguenot, irradie les pages de Rodogune, somptueuse nouvelle, plante un couteau dans la cruauté du bonheur. Se lit à haute voix. Amour fou. On n’en sort pas indemne.
Sur ma paume, la lumière de Sardaigne saigne. Nous sommes loin du crincrin des machines à compter. A mille lieux de la stridence incivile des sirènes. J’étais fait pour elle, Rodogune, comme l’oiseau d’un seul ciel. Le "aigne" de Sardaigne, méchant comme une teigne, me rentre dans la peau, lentement, comme une morsure de soleil.
Rodogune est la jeune inconnue à la courbure de hyène. Je lis les mots du peintre, souffle sur les grains de sable du phénoménal Staël : "Il avait vu quelque chose comme le bonheur".
L’invincibilité du ciel, son évidence absolue, me cloue sur le banc d’un quai de gare. Rien à faire. J’écris avec le bout des griffes. Je songe aux citronniers de Pula, à Pierrot le fou, au dancing de la Marquise. Je revois la maison de joie de Sinistria. Nous enfourchions le dos tiède d’une vague affectueuse. Je relis, je revois son chignon noir dans l’ovale d’un fichu de paysanne. Elle repose sur ma joue, le derrière en bataille.
Dans la continuité ou par contiguïté, il faut lire le merveilleux Lis de mer. S’abandonner au charme vénéneux de Tout disparaîtra, l’ultime récit d’un quotidien où le métropolitain n’a jamais été aussi bien dépeint. Au petit bonheur, au vent du caprice, il convient d’égrener les cinq tomes de Belvédère, qui sont des recueils de prière, des textes de ferveur, des communiqués lapidaires en forme de dernier salut sur la terre. Reste à aimer La Motocyclette, récit inspiré d’une Bardot chanteuse chevauchant une Harley-Davidson, et tant de merveilles littéraires délicieusement érotiques.»

(L’amitié de mes genoux, 5 Sens Editions,  pages 34/35)

L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :

https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

Julien le Gaullien

Louis Poirier est mort un 22 décembre. C’était il y a douze ans. Julien Gracq avait quatre-vingt-dix-sept ans. Depuis, j’ai l’impression que la langue française est moins aimée.


 « Les livres à pensées dispersées de Julien Gracq - une demi-douzaine - consentent à cette politesse de vous laisser errer parmi l’éventail des pages. On ouvre le volume au petit bonheur. La main sent le grain cartonné comme l’écho lointain d’une paume. L’auteur nous invite au libre désordre de la lecture, nous convie au délicieux plaisir du vagabondage littéraire. Chaque phrase est vêtue d’une parure absolue, d’un habit définitif. Elle est une œuvre sculptée, en plein présent, sans avant ni lendemain. La phrase qui suit est un autre roman. Le livre entier est un chapelet égrené, phrase après phrase, où se récite l’artisanale prière. On range les précieux opuscules par couleur d'arc-en-ciel. On saisit l'ouvrage par la tranche ocre, entre l'olive et l'azur. On touche du doigt la jolie facture de la maison Corti.
Je suis gracquien, livre deuxième. Car l’histoire d’Allan et de Christel est écrite juste après Au Château d’Argol, l’œuvre inaugurale, saluée d’entrée de jeu par Breton, le maître de Gracq. A toute fiancée d’alors, j’abandonnais le précieux livre, le récit intouché d’une arrière-saison balnéaire, d’une attente et d’un secret, troués par la magie d’Allan, scandés par l’altier désœuvrement de jeunes gens hors du temps.
Gracq exécuta cette luxueuse nouvelle, ce petit roman à couverture d’azur, dans l’inconfort de la guerre et la promiscuité de chambrée. C’est un livre, venu de Silésie, qui ne lâche plus son lecteur, immobilise un cri. Il faut le lire haut, extraire les mots du silence, risquer l’aventure de la voix, donner aux voyelles leur couleur originelle. J’ai récité le texte de Gracq dans ma retraite à Highgate, en pleine lumière de Méditerranée, sous les toits de Paris, dans un grenier de Normandie. Je confiais à la phrase de Gracq le soin de réveiller le monde, d’imprimer sa marque sur les saisons, d’établir son style sur les choses de la géographie.
L’homme impose à l’époque sa stature d’artiste. Il a cent ans, mille ans, tout le temps devant lui. A l’heure où les regards se perdent, comme tant de métiers d’artisanat, où l’écriture n’est plus qu’un rictus de convention, une gênante réminiscence de la jouissance des sens, Julien Gracq est planté devant les eaux étroites du fleuve, simple et loin, dans la splendeur du travail fait.
L’écrivain Poirier domine la littérature du dernier demi-siècle, de la tête et des épaules. Il s’est tu, s’est retranché dans un silence fracassant, s’est consacré seulement à ses impérieux tourments. Bref, il s’est appliqué à polir sa manière de dire. S’il a parlé, c’est pour refuser net le trophée des lettrés. Il était dans ses livres comme l’ermite dans ses psaumes. Vers le grand âge, la ronde des admirateurs a raccourci ses cercles, a réduit ses manœuvres d’approche. Le déjeuner littéraire au bistrot du coin est devenu matière à publication rapide. Mais Gracq ne décernait pas de bons points à la cohorte des compagnons de l’hypothétique tour de France. Il remuait des souvenirs sans importance devant la Loire de son enfance.
Julien Gracq est le Charles de Gaulle de notre littérature. Les deux hommes ne s’accommodaient pas d’imprécision. Ils n’ont pas cédé sur l’essentiel : la grande querelle d’une France et de sa langue. Ils ont donc joui d’une infinie liberté dans leur discipline. De Gaulle appelle. Gracq attend. De Gaulle appelle de Londres. Gracq attend Irmgard à la gare de Brévenay. Le général provoque l’événement. L’écrivain guette l’instant plein.
De Gaulle a d’emblée recherché « un normalien qui sache écrire ». L’oiseau rare se dénomma Pompidou, camarade de Poirier. Julien le Gaullien, voisina dans les parages, voyagea dans les songes de « la princesse des contes », femme fatale des Mémoires de Guerre.
Il n’appartenait à aucune académie. A personne. Aux seules voyelles et consonnes. La mort du vieil écrivain est une plaie vive sans cicatrice possible. Un homme au long règne nous abandonne en rase campagne. Je me recueille à l’écoute des premiers accents de Parsifal. Je prie le dieu majestueux des beautés inexorables. Sans défense, nous sommes tirés comme des lapins, jetés dans l’errance d’une lointaine enfance.  
Tout va vite sous la dictée du souvenir. Escalier, rue de Grenelle. Destination Louis Poirier. Sonnerie timide et doux toc, toc. Personne. Je me sauve car j’ai peur. Je me réchauffe d’un rugueux florentin au chocolatier du coin. Ma jeunesse faiblissait. Je projetais un « Cinématogracq », festival imaginaire des films muets cités dans ses carnets non massicotés. Reste l’attente, le risque d’attentat, le désir et l’amour, les trois mots du Christ : « Noli me tangere ». J’ai aimé sans mesure le rituel somptueux d’Un Beau Ténébreux. L’irréalité d’Allan s’est plantée dans ma chair à pleines canines. Morsure d’une vie. J’étais peiné que Gracq  répudie ce livre de jeunesse. Il avait bouleversé la mienne et fléché sa sortie. Le marcheur d’après-guerre, professeur au lycée Malherbe de Caen, arpente la route qui chemine vers Villedieu-les-Bailleul. Au loin, à main gauche, Gracq désigne les bois ébouriffés. C’est la forêt de Gouffern : j’y suis né. Je suis né, pour la deuxième fois, d’une page des Lettrines. C’est un signe de la main, un bonjour de pèlerin. Nuit noire de décembre deux mille sept, nuit d’ardoise sur la splendeur des phrases. Rien de nouveau sous le soleil des voyelles. A ceci près, que la beauté est en péril. C’était de petits livres ouvragés, à peine cartonnés, de la taille d’une boîte de cartouches, qu’on s’échangeait comme des talismans. C’était une certaine idée de la dignité d’ouvrier.»

(L’amitié de mes genoux, 5 Sens Editions, 2018, pages 49, 50 et 51)

L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/192-l-amitie-de-mes-genoux.html


mardi 17 décembre 2019

Un gin à la mandarine

Seul un palace sait dessiner les vides du temps qui passe. Avant, derrière Golfe Juan, il y a un vent à décorner les bœufs. Je cale mes yeux dans l’axe d’une rafale. Il y a l’hideuse bordure de béton, les platanes du macadam aux branches amputées comme des plaies écorcées. Au musée vidé de ses toiles russes, la bourrasque laisse insensible la figure de Germaine Richier, sa marcheuse adossée, sur fond de Méditerranée.
Au bout du chemin des sables, s’est apaisée la vague écarlate. La voile de régate est plantée dans la mer comme un crayon de couleur. Je me regarde vieillir au bar du serveur noir.
Je grignote un rectangle de saveur, piquetée de cerises griottes. La guimauve de Steve s’accorde au thé noir en qui croire. J’élis une confiserie à ciselé d’orfèvrerie. Fitzgerald squatte la villa, Modiano, sur la photo, trouve ses mots derrière le piano. Je songe à Courbet, à la toile effarante qui danse dans ma tête. « La toilette de la mariée » est au coffre à Northampton. L’Estérel est orangé à l’heure des peurs et des soleils qui meurent.
Au-delà du périphérique, les grèves sont graves. Les marcheurs progressent de République à Nation. Je commande un gin à la mandarine.

jeudi 28 novembre 2019

Cent soixante-trois centimètres

On s’entasse dans l’échoppe, les tibias heurtent les chaises, les genoux signalent un embarras. J’accède à mon rang.
La librairie recueille mendiants et paroissiens du texte proustien. Le curé agite un bouquin d’exégète saisonnier. Il s’assied en bout de nef, face à nos visages.
L’homme est émacié, d’allure aronienne, tiré à quatre épingles, fragile et cassable, peu malheureux d’être vieux.
De Proust, il parle sans hâte, souligne sa drôlerie. Jean-Yves Tadié rayonne d’une gourmandise bienveillante. Boulevard Raspail, il accueille les maraboutés de l’admirable jeune homme, les ensorcelés du grand Marcel.
Au vol, je happe trois choses de la causerie. Cent soixante-trois centimètres. Proust est de taille courte. Je ne soupçonnais pas son admiration pour Dostoïevski. Je suis frappé par l’ascendant naturel exercé par Marcel : Morand, Cocteau ne lui arrivent pas à la cheville, il le sait, il ne les lit même pas. Proust boxe avec Racine, Baudelaire, Balzac et Saint-Simon.
Gallimard se vide. C’est fini. Un jour, j’écrirai une vie d’Albertine. Albertine Simonet.

mardi 26 novembre 2019

Bardot suffit

Godard a l’âge du Christ. Il filme la lumière, le récit d’Homère, le dos, le joli derrière de Bardot, l’enturbanne comme s’il était Vermeer.
Quand je regarde Bacon, c’est l’orange la couleur des hommes. Quand je vois Godard, c’est le rouge d’Italie qui fait le prix du Mépris. On va de l’appart à la maison de Malaparte. Le corps de Bardot exige l’éternité, un coloris d’été, la sainteté d’un coquelicot. L’Alfa de Cinecitta est du même rouge farouche que la robe de la sublime ragazza, que l’incarnat des meubles Ikéa. Le rouge lipstick indique le retour à Ithaque. La Méditerranée est un sourire innombrable, l’Odyssée un désir d’en finir.
A l’époque, Piccoli était potable. Bardot fait la moue quand elle se tait, la mouette quand elle s’entête. Godard lui consacre un art. « Ecoutez-moi, ce con ! », chantonne la femme vermillon.
Frederic Prokosch était un poète du Wisconsin, établi sur les hauteurs de Cannes. Godard lui fauche son nom parce qu’il aime le tennis et les papillons, lui chipe l’histoire (« Ulysse brûlé par le soleil »), fourgue les deux à l’affreux Jack Palance qui nasillarde la bande-son d’un bout à l’autre de la toile.
Bref, Godard se fiche de Moravia, d’Ulysse et de Pénélope. Il fait gaffe à Bardot. Il l’habille de somptueux oripeaux. Ses yeux s’écarquillent quand il pense à Camille. Il la vêt d’un peignoir jaune, l’accorde à l’ocre des pierres. Fait d’une blonde une brune, alterne les heures, varie la lumière. C’est un film sur elle.
On s’émeut d’une machine à écrire, l’Olivetti à capot gris. Le même vert drape l’épaule de Bardot, colore le cinéma où se joue Viaggio in Italia.
Godard ne s’est pas remis du manuscrit refusé. Gallimard est un malappris. Depuis il s’amuse avec la lumière, se contente des yeux, faute de mieux. Bardot est la plus belle pour aller danser, dégringoler les escaliers de Capri. La mer dans sa splendeur. Le Mépris s’achève comme Pierrot le Fou. Pas besoin de Rimbaud, Bardot suffit.

samedi 23 novembre 2019

"Nous les arbres"/Fondation Cartier

Il était une forêt. Francis Hallé est le botaniste d'un monde de verticalité, l'ardent croisé des canopées. La forêt tropicale est une énigme langagière, un palimpseste végétal entre ciel et terre. Je ressens l'ivresse des cimes. L'homme premier est d'habitat forestier. Le déchiffreur des vies arboricoles entame le récit collectif de seigneurs millénaires.
Il jette mille informations, dévoile les secrets d'une société, révèle l'organisation des hauts végétaux. Nos mots percent mal le mystère d'une langue d'arômes, d'une communication odorante, d'un dialecte d'écorce.
L'arbre lève ses branches vers le soleil, témoigne sa ferveur à la lumière. Il sous-traite la mobilité au règne animal pour se reproduire à distance, à l'écart des fatales concurrences. L'arbre est désir de connaissance.
Au fil des ans, Francis Hallé a rédigé un gros bouquin savant. C'est un manuel de joie, un mémoire à sa gloire, qu'il faut lire le doigt sur chaque mot (Plaidoyer pour l’Arbre, Actes Sud, 2005). L'arbre jouit d'une majesté. Il dispose d'une sorte d'éternité qui assied sa souveraineté. Hallé est le Champollion désigné des modes d'expression de la canopée. Le vieil homme est au commencement d'un savoir, applique la raison à de nouveaux territoires.

(Fred, pages 40/41, 5 Sens Editions, 2019)
 https://catalogue.5senseditions.ch/fr/19_christian-de-maussion

dimanche 17 novembre 2019

L'art des apparitions

Bacon est un peintre d’instinct, qui colore la toile de contours humains, dont l’obsession est la sensation. Les pinceaux nous rentrent dans la peau, perforent un corps, trouent la figure. « Dès qu’une histoire s’élabore, l’ennui s’installe, l’histoire parle plus haut que la peinture ». Francis vend la mèche. C’est pareil en littérature.
Je suis revenu à Beaubourg, un beau jour, aimanté par la peinture du sixième étage. A la remorque d’un art brutal, éperonné par une beauté qui s’interdit le paysage, les joliesses de la pire espèce, la fausse piste d’une histoire.
Bacon ne raconte rien. Ne ramène pas sa fraise : il orne les cimaises. Il vise une fraîcheur de coup de poing. C’est un sentiment véhément qui se recueille en pleine gueule.
Je me sens bien parmi les toiles, une peinture exécutée entre deux bitures, ses figures charnelles en diable, jamais conceptuelles, soumises au vent de l’éventuel, au seul verdict de l’accidentel.
Rien n’est peint d’avance. La couleur est à peine sèche. La peinture de Bacon est l’art des apparitions, loin des sottes narrations. « Illuminations ». Rimbaud accole à la poésie un  autre mot. Ils fabriquent un même risque.
Si Bacon n’a rien à dire, il s’attache à ne pas mentir. Noblesse oblige. La chair est une terre, flagrante de vérité, une évidente réalité bouchère, une sorte de pornographie groggy. La couleur sonne, un corps frissonne. J’ignore au juste ce qu’on appelle un homme, mais si je reviens voir les selfies cabossés de l’Irlandais, c’est que précisément je n’ai pas le choix : je suis chez moi, face à la terreur d’un corps.

mercredi 13 novembre 2019

Poulidor est mort

« J’abhorre Anquetil et ses rondes victorieuses. Poulidor est battu comme d’habitude. Je lui accorderai, contre vents et marées, toujours la même mansuétude, le salut d’un enfant à l’endroit du poète artisan de la petite reine » (Fred, page 66, 5 Sens Editions, 2019).
Poulidor pédalait sans effort, sans étoffe de leader, sans rage de vaincre ni rictus de terreur. Il aimait la bicyclette, lui avait consacré une vie d’athlète. Il musardait dans le peloton sans autre ambition qu’un bonheur de roue libre. A quarante ans passés, Raymond n’était pas usé comme tant d’autres grimaciers de l’asphalte. Il tenait la dragée haute à l’imbattable Merkx. Il guerroya avec Anquetil, lui donna du fil à retordre. Mais les cérémonials d’étape étaient réglés d’avance. Poulidor s’attribuait le panache, Anquetil se contentait de la figure de stratège.
L’ère pompidolienne s’accorda à merveille à la poésie champêtre d’un champion sans urgence. Raymond, l’homme du Limousin, était une sorte de dieu païen, la coqueluche des clochers. Le peuple des terroirs adora son bon sourire de paysan, ses échecs, ses malchances de coureur. Saint Léonard de Noblat était un lieu de culte.
La nation s’identifiait à Raymond, gilet fluo avant l’heure et la manie des ronds-points. Poulidor n’endossa jamais le mythique, l’élyséen maillot jaune. Poulidor était unique en son genre. Malgré sa rusticité d’origine, Raymond était d’une délicatesse de jeune fille. Antonin Magne, son entraîneur sportif  chez Mercier, vouvoyait Poulidor. C’était le seul du peloton. Question de pudeur. Poulidor est mort. Silence. On se décoiffe devant la dépouille exemplaire.

mardi 5 novembre 2019

Tous les hommes s'appellent Bacon

La toile est un ring. Le boxeur est une viande d’abattoir, une chair incarcérée, un corps tordu de douleur. Bacon peint la contorsion. C’est son mode d’émotion. Ses autoportraits sont des selfies de bête traquée,  des bouts de visage tuméfié, des moitiés de trogne scarifiée.
Le boxeur est déganté, premier de saignée dans la tranchée, cogné de l’intérieur par d’indicibles démons. Manque à Bacon Jésus le guérisseur pour éradiquer le diable,  chasser Belzébuth, souffler sur sa gueule pétrifiée, ventiler ses narines de sordide miséreux.
La vitesse de la douleur est étourdissante, invite la bête à la danse, lui assigne une humilité d’homme, joue du fouet de palefrenier, du lasso de dompteur de chapiteau.
S’il y a la viande pantelante, son destin de charogne, il y a mêmement le cri primal d’homme qui longuement ressent le mal d’un flagellement dément.
La gymnastique du loustic est sans acoustique, murée dans une figure sans murmures. On dirait la haine d’une finitude, la rage d’une solitude.
Les anamorphoses de Bacon ne sont pas roses, mais couleur chair, teintée de vilaine terre. Le peintre saisit l’effraction, la torsion brute. Dans  ses courbures de hyène, le boxeur sans adversaire se retranche en ses entrailles, calcine une déréliction dans un soleil intérieur, pervers, d’hiver. Le pugiliste est un artiste. Un monstre.
De là jaillit la couleur impeccable, sans péché, rutilante, luxueuse luxure de peinture aux grands aplats satinés d’orange et de jaune, arrière-plans à vif comme des brûlures de glace.
Le boxeur est entortillé dans ses nœuds d’humanité musculeuse.  Il est coincé à perpétuité dans un cérémonial de cruauté. Le corps se distord, s’accroupit, se nourrit d’élans coupés, s’envenime de lents mouvements reptiliens. Bacon hurle une chiennerie, en farde la féerie. Tous les hommes s’appellent Bacon.

mardi 29 octobre 2019

Fred, l'interview




Pourquoi écrire Fred ?

Parce que c’était une nécessité, une exhortation intérieure, un diktat de mémoire. Fred, c’est en quelque sorte l’homme de ma vie. Je lui dois d’être né. Je lui dois surtout d’avoir continué l’aventure.
J’ai écrit Fred presque d’une traite, dans un bonheur presque irréel. J’ai rédigé sous sa dictée, exprimé presque sereinement, ses abîmes et ses vertiges. J’ai fait le portrait d’un artiste, non pas méconnu, mais introuvable, d’un artiste insituable, sans autre vocation que l’émerveillement, la contemplation des splendeurs du monde.
Fred, l’artiste sans œuvre, est un modèle, non seulement pour moi, mais pour tout poète authentique, tout créateur de beauté.
Le livre écrit, je me sens dépossédé. J’ai l’impression d’avoir abandonné Fred, de l’avoir évacué de moi, de l’avoir chassé à jamais. Mon corps s’est rabougri. Fred s’est extrait de ma chair. Il est devenu un objet nu, un petit bouquin, un modèle réduit comme un scalp d’Indien ou une photographie jaunie.
Moi, le criminel de ma sœur jumelle, je me sens désormais l’assassin de mon père, le tueur de mon ange gardien. D’une certaine manière, j’ai tué Fred en moi. Pour revivre en lui, il me faudrait le réécrire, sans jamais en achever le récit.
C’est pourquoi je suis triste, j’ai la sensation d’être vide. Ecrire Fred, c’était finalement une folie, un acte irréparable. Les injonctions de la mémoire sont toujours à manier avec des pincettes. On ne joue pas impunément avec des allumettes. Mais il est trop tard, un peu comme dans Pierrot le Fou, quand Ferdinand se peinturlure le visage en bleu, allume la mèche. Pas moyen de revenir en arrière, d’arrêter l’incendie. Avec Fred, j’ai touché à de la dynamite, je me suis amputé pareillement d’une partie de ma cervelle.
En attendant d’y voir plus clair, j’ai foncé, tête baissée, dans l’histoire de Tita. Il s’agit cette fois de la femme de ma vie. C’est important. Mais c’est une parenthèse avant de retrouver Fred, de le réintégrer à mon bord, de le réincorporer. Car il me manque. C’est un fragment de moi-même. Fred, c’est un livre sans fin. Plusieurs volumes n’y suffiront pas.
Drieu La Rochelle cite Nietzsche, en exergue des Notes pour un roman sur la sexualité : « On n’aime plus assez sa connaissance aussitôt qu’on la communique aux autres » (Par-delà le bien et le mal, 160). A vrai dire, j’ai le sentiment d’une pareille dépossession.
Mais au fond, l’enjeu de cet ouvrage, c’est de tenter d’accomplir un travail  qui n’a pas d’autre exigence que la beauté – je dis bien tenter, avec sa résonance d’échec – sur une œuvre d’art, elle bien réelle,  ancrée dans une chair,  déroulée sur une vie, évoquée ici par bribes, flashs, épiphanies, la vie d’un artiste secret, sans papiers, vierge de toute justification. Pour finir, je dirais de Fred ce que Nicolas de Staël ambitionnait d’être : « Mieux qu’un monsieur ». C’est en quelque sorte un sous-titre.

Comment définir Fred, en trois lignes ?

Fred, c’est un précis d’éthologie humaine. Je reproduis avec minutie les menus gestes et les élans naturels d’un corps singulier, les manières de se mouvoir, de s’émouvoir d’un homme secret, fastueusement sauvage, fulgurant.

Mais Fred, a-t-il vraiment existé ?

Fred a existé, de manière flagrante. Il a existé dans mon regard sans jamais le fuir. C’est seulement quand on me fermera les yeux qu’il fera ses adieux. Mais le livre, s’il est un récit vrai, s’autorise la liberté d’inventer, ou plutôt la possibilité de raffiner, de polir la réalité, de la rendre plus aimable. Car il en va de la santé de la phrase. Je me souviens du tournage de Deserto Rosso, le chef-d’œuvre de Michelangelo Antonioni. Il repeignait la nature, coloriait la géographie des lieux pour que le réel ne soit pas tel quel mais appartienne à son film. Toutes proportions gardées, j’ai peut-être procédé un peu comme cela. Dans un livre, c’est la sonorité du mot qui commande et le style qui gouverne.  Les fantaisies d’écriture ne sont qu’obéissance à cette loi.

On sent l’importance des signes, du regard des choses qui semblent décider de vos deux destins, qui déterminent la relation entre Fred et vous, l’auteur du récit. Pouvez-vous préciser le sens de cette communion ?

Fred est un forestier. Il plante des arbres. Il procède à des éclaircies, opère des dépressages, sélectionne les meilleures tiges. De mon côté, j’utilise le bois de trituration quand je confectionne un ouvrage. J’écris sur du papier qui fait écho à la forêt.
C’est un tandem, Fred et moi, qui n’aimons que les livres, qui sont notre trait d’union. Mais cela ne suffit pas. Fred lit les volumes de sa bibliothèque avec ferveur, avec une piété d’autodidacte. Il alterne Proust et Achille Talon, mêle Balzac et San Antonio. Il est possédé par les livres, tous les livres, les révèrent en silence.
Mais dans sa quête impossible, Fred veut davantage, non pas les écrire – il y a des scribes pour cela -, mais les polir, leur choisir les plus belles parures, peaufiner les reliures, les draper d’une royale majesté. Comme s’il voulait défier le temps de la décomposition, guerroyer avec la poussière, en découdre avec le néant. Fred pratiquait l’ironie comme personne. Jusqu’au dernier jour, me manquera son humour. Fred séjournait dans la dérision, sa véritable nation.

 Un dernier mot que vous aimeriez chuchoter à l’oreille du lecteur ?

Je continue l’histoire. Fred et moi, nous avions des complicités, aussi bien ancrées dans le passé que projetées vers l’avenir. A la fin de sa vie,  avant sa maladie,  nous avons évoqué l’idée d’ouvrir une librairie. Malheureusement, la belle intention est restée lettre morte. Alors faute de librairie, nous avons écrit un livre. C’est Fred, le petit récit d’aujourd’hui. Et au fond de moi-même,  je voulais qu’il appartienne au temps long, « qu’il survive à une mémoire vive ». C’est la dernière phrase de l’ouvrage.

Fred

Je publie mon cinquième ouvrage, le troisième chez 5 Sens Editions. C’est le portrait d’un père, le récit de l’homme de ma vie. J’éprouve une joie à regarder derrière moi, à dessiner une sorte de roi, un artiste sans œuvre. Sans doute, le plus sauvage, le plus secret. J’ai rédigé  Fred, sous sa dictée, exprimé dans ce livre ses abîmes et ses vertiges.

Il est en vente sur 5 Sens Editions à l’adresse suivante :
https://catalogue.5sens editions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html

Les bons libraires peuvent le commander sur la plate-forme interprofessionnelle DILICOM.
Le livre sera référencé sur les sites de la Fnac et de Décitre.


L’adresse mail de contact est : anne-lise.wittwer@5sens editions.ch

mardi 15 octobre 2019

La folie du flou

Il est une théorie algébrique dite des sous-ensembles flous qui introduit une gradation dans le concept d’appartenance. Elle modélise l’incertitude. La géopolitique moderne emprunte à pareille logique l’idée de frontières floues. A cet égard, l’exemple de la Turquie illustre l’embarras des esprits.  La vieille puissance ottomane est orientale et occidentale, en même temps, dans le même espace.
L’indécision est au cœur de l’habileté élyséenne. La stratégie de l’imbroglio  tord le cou à la logique d’Aristote et à son principe du tiers exclu : A et non A ne sont pas compatibles.
Macron gomme les contours de la contradiction : et de droite et de gauche. D’une certaine manière, il discrédite Descartes, il disqualifie la primauté de l’analyse. La pensée cartésienne procède au découpage, à la décomposition méthodique du réel.  A s’interdire le charcutage des choses, l’espace n’est plus nommable. Sans bord, il est indistinct. Le réel devient magma, le cosmos s’apparente au chaos. Il surgit d’un bloc, sans couture ni lisière, synthèse indifférenciée, objet d’étrangeté, monolithe indéchiffrable.
Cette torsion de la raison mène à la confusion des genres. La vie politique s’en ressent. Ainsi nos alliés Kurdes sont abandonnés à leur sort comme de vulgaires ennemis de guerre. Voici venu « l’heure, entre chien et loup, où l’on se méfie même de l’ami » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Qu’est-ce que la philosophie ? »).
Il est vrai que le réel n’est pas rationnel, que le discours de la méthode réduit la complexité du monde. Mais, a contrario, l’exaltation des espaces sans bornes et des visages sans cernes conduit à un embrouillamini conceptuel. La pensée est engluée dans l’indémêlable. S’interdire la limite plonge l’entendement dans une longue errance.
Une certaine folie du flou contamine nos pratiques. La Turquie de l’Otan bombarde nos amis. L’Europe des droits de l’homme gesticule, s’abreuve de paroles, se drape dans l’indignité morale. Plus que jamais, nous sommes des nains dans la main du continent américain. On se prosternera devant Poutine, notre absurde ennemi.
Le ministre de l’éducation ne souhaite pas le port du voile que la loi pourtant autorise dans l’espace public. J’en déduis, transitivité oblige, qu’il n’aime pas la loi de la République. Au voisinage d’explosives dissonances, la dérive des esprits progresse, les nations s’égarent dans la violence. 

samedi 28 septembre 2019

L'introuvable Chirac

Une sauvage végétation camoufle l’institution. J’ai gravi le raidillon d’accès, tapissé du miroitement d’un fleuve de signes. Le ressac des traces mène à Chirac. C’est un vaste musée, habité d’une poignée d’enthousiastes. L’exposition finissante ne passionne guère la population. Chirac achève une longue traque, un itinéraire sur la terre, à La Pitié-Salpêtrière.
Chirac est embaumé vivant, à son soleil couchant. Il s’est décanté, dépiauté d’une chair, s’est dépouillé, dépositaire de ses mystères. Le grand os du squelette s’effile jusqu’à la tête modelée, burinée, balafrée d’estafilades. L’échassier sculpté, voûté, courbé sous les intempéries, c’est l’homme qui marche de Giacometti. Chirac en sa Corrèze ultime, la planète, ressemble à Beckett, esquissé dans la glaise. C’est un gosse de onze ans, un chef de bande turbulent, qui des lumières du Rayol, barbouille une lettre d’amour à Marette - un sac avec son père pour son anniversaire -, scarifiée d’une bande de dessins de guerre: beurre, fromage, bifteck, vin, cigarettes.
Le grand Jacques rêve de victuailles, annonce la couleur de son légendaire coup de fourchette. Chirac a de l’appétit, de la sympathie pour les péripéties de la vie. Il sait sa finitude dans la connaissance des vieilles civilisations, dégringolées d’une splendeur vers la décrépitude.

   Chirac est conservateur. Il est le gardien de la maison. Il garde le secret sur ses tuteurs d’aventure : Vadime Elisseeff, son chef d’école buissonnière, au Musée Guimet, et Vladimir Belanovitch, son instructeur de russe. Car Chirac apprécie le souffle des grandes largeurs, le vertige des dimensions continentales, la beauté des horizons planétaires : la Russie, l’Afrique, la Chine. Il cause à Poutine, trinque avec Eltsine dans la langue de Pouchkine. L’inculte Chirac, Facho-Chirac, Supermenteur, sait la vérité des œuvres d’art, connaît Kandinsky comme peu d’érudits.
J’aime revoir Chirac, impatient, volcanique, nuque sous le capot, le nez dans sa quatre cent trois Peugeot, trifouiller dans le cambouis anonyme d’un moteur réfractaire.
Je découvre ici, en son mausolée désolé, abandonnés à de rares regards, deux figures Vili, d’artistes congolais, qui m’agrippent par les yeux et me cognent d’une bourrade dans le dos : une statuette magique, un chien d’errance tragique. De Pompidou, il a appris qu’on ne se couche qu’une fois.
Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Chirac est grand par son refus téméraire des « malheurs de la guerre ». Le veto de Chirac au simplisme de Bush est sublime de panache. Cet homme, fêlé de l’intérieur, - qui ne s’aime pas -, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires.

   L’immobilité du terminus l’a réveillé. Chirac est descendu du train de l’Histoire de France pour prendre le chemin de ses tribunaux. Le vieux président multiplie les petites enjambées en tous sens sans jamais beaucoup s’appesantir sur leur finalité. Les couches de secrets sont épaisses. Le Chirac reposé des palaces marocains fait oublier l’ancien baroudeur des palais républicains.
Car il n’a pas toujours chaussé ses babouches d’amical grand père de la nation. Il est couturé de partout. Il trimbale une longue histoire derrière lui. Un jour, dans une autre France, il y a très longtemps, il s’est extrait du noir anonymat pour s’imposer à Pompidou l’Auvergnat.
Ce Corrézien à grand destin a fait des pieds et des mains, s’est donné un mal de chien pour décrocher la timbale élyséenne. Parvenu à demeure, propriétaire de la maison, Chirac tourne en rond. Il est embastillé dans les papiers. L’homme a besoin d’extérieur, d’exercices, de politique étrangère. Sans quoi, il s’enquiquine, maugrée, se tire une balle dans le pied. Trêve de blabla, il dissoudra l’assemblée. Sa gaucherie défraîchira la gauche. A long terme, l’idiot coup de poker devient un formidable trait de génie. Chirac scrute l’horizon. Il faut qu’il sorte, qu’il s’aère, qu’il serre des mains et remercie la famille de province. Il aime toucher la peau de paysan, la joue de jeune fille fraîche, la prendre par la taille et boire un coup de cidre.
Avec toujours ce sot sourire sans joie, ce meurtrier regard d’insatisfaction de soi. Chirac trimbale sa grande carcasse comme un gregario à l’ouvrage dans l’Izoard. C’est à l’énergie, malgré les quolibets, qu’il va la hisser au sommet. Cet homme, aussi lent qu’expéditif, hésitant qu’impétueux, revient du diable vauvert, d’une sorte de mort politique clinique. Il travaille comme un nègre, se prépare d’arrache-pied. Chirac a collectionné les trophées. Il s’est forgé manu militari le plus fleuri des palmarès de la République. De Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand ont tous les quatre mesuré du coin de l’œil ce fougueux secrétaire d’Etat, ministre et premier ministre. Chirac se regarde sourire sur le mur des mairies.
C’est un homme sans qualités, à la Musil, qui fuit l’étiquette et les effets de style. A l’histoire des manuels, Chirac préfère l’anthropologie des rebelles. Lisse de visage mais de culture irrégulière. Car il s’est interdit le faux nez de la puissance et les postures de la vanité. La volonté de cet homme seul saute aux yeux, agrippe le regard comme un phénomène atmosphérique. Cette rudesse au mal, cette ardeur à la tâche, cette furieuse envie d’en découdre masquent un souverain désarroi. C’est un homme d’habitudes que rassure la ronde des saisons. Il fait attention à l’ordre du monde, à la seule loi des émotions. Il leur obéit en soldat, charmé par ces choses de la terre qu’il relativise jusqu’au vertige. Cet escogriffe d’allure saccadée déplie sa haute silhouette de bipède précaire. Il figure l’homme à la mallette des cités grises.

Ni Giscard, ni Mitterrand, aucun de ceux-là, n’arrivent à la cheville de Chirac. Il n’ignore pas la petite vérité d’humus, le dernier secret du terminus, l’humilité humaine, terreuse sous l’ultime pelletée, la mort, cette main qui rompt la poignée de l’autre. Chirac sait l’histoire tragique. Il ne cherche rien, pas même la trace de l’ancêtre sapiens. Dans les conseils d’administration, où chaque président se conforme à l’attirail et charabia du pontife, joue violemment au chef pour intimider sa secrétaire, on raille à l’excès l’homme aux grands pieds.
Or l’homme aux grands pieds se fiche précisément des semelles, mais pas du vent. La poésie, il faut la taire, la terrer dans son sang, et vivre avec. Un soir de télévision, les yeux se perdent, son regard s’égare du sujet, dérive sans attaches. Une arrière-voix, comme on dit d’une fugitive saveur un arrière-goût, colore tout à coup les mots de sa gorge, rend ce phrasé rauque d’un père exemplaire, évoque l’âpre sonorité de tabac de Georges Pompidou. Chirac n’est propriétaire que d’un corps et d’une meute de souvenirs. Avec cela et rien d’autre, il a bricolé à peu près sa vie. C’est un candidat, un postulant à toute épreuve. Il s’efface du paysage à l’âge d’un cardinal à la retraite. Il ne sera pas du prochain conclave. Chirac voit de travers et n’entend plus guère. Il se voûte et même s’arc-boute. Il reste impénétrable comme un fragment d’Héraclite. C’est un bloc d’étrangeté, cuirassé d’un excès de familiarité. On le croit creux : il est rare. Chirac va débarrasser le plancher. Pas de trace. Pas de mémoires. On ne saura jamais rien de Jacques Chirac. On ne lira jamais les arrière-pensées du prompteur.
On ne déchiffrera pas son bouleversant regard d’égaré. Chirac trimbale un visage de vieil histrion d’Hollywood. Chirac va déposer les statuts de sa boutique d’antiquités. Il va discourir sur l’Asie, bonimenter sur la Chine, fourguer des bibelots japonais. Pas du tout. Il va faire la planche dans l’océan indien, se noyer dans l’anonymat du luxe bourgeois. Chirac va s’estomper dans nos souvenirs. A moins qu’il ne squatte définitivement notre tête. On risque en effet de succomber au charme entêtant d’un Chirac encombrant.

L’homme des foucades au Stade de France et des ruades en Israël ne lâchera rien sur son mystère. Il somme toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : il est blanc, candide, candidat. Chirac est un Poulidor vainqueur, sans stratégie voyante, sans intelligence criarde. On n’est pas près de comprendre ce savoir-faire d’improbable homme de la terre, de paysan ministériel à patois mécanique, de technocrate à mallette au know how de péquenot. On ne trouve pas ce genre d’énergumène sous le sabot d’un cheval. Son vieux peuple va devoir cravacher pour rattraper sa bévue.
Chirac est un fils unique dont la seule boussole est un père magnifié. Il n’arrivera jamais à sa cheville. Aucune preuve ne suffit à ses yeux. L’introuvable Chirac loge sans doute quelque part, dans les parages d’un père inatteignable.


mercredi 4 septembre 2019

Passage Bavestrello

Sergio Larrain est né le 5 septembre 1931 à Santiago du Chili. A quarante ans, il se clochardise à cause des marchandises.
« Photographe, il s’est sauvé du monde bref. Il s’est retiré des hommes et de Magnum. L’homme qui regarde ne mâche pas un chewing-gum. Il goûte une joie. Il fuit le spectacle, il guette un miracle. Il n’imagine rien, pas même une histoire, ne trace aucun chemin, ne cède à nul espoir. Larrain va au vent, derrière les paravents. Il ne décolle pas sa joue du soleil, des conseils des grands ciels. La splendeur est au bout d’une lenteur » (L’amitié de mes genoux, 5 sens Editions, page 76).
Moi j’ai besoin des petites filles du passage Bavestrello à Valparaiso. Sergio a vingt ans. La photo m’obsède, presque cérémonieuse. Je me décoiffe devant l’image pieuse.

dimanche 4 août 2019

Splendide Monzon

Bouttier est mort. Mais c’est à Monzon qu’on songe. C’est une gueule d’Indien basané, échappé des taudis de Santa Fé. Un pugiliste artiste. Il est beau, presque lent, majestueux sur le ring. Il procède par coups de boutoir. Il est violent. Ne pas l’être aurait été une faute professionnelle. Il défenestre Alicia. Onze ans de prison.
Soixante-douze kilos, un mètre quatre-vingt-un, c’est un poids moyen, la catégorie royale,  le cercle des plus beaux corps du noble art. L’athlète à mauvaise tête, pommettes hautes et méplats osseux, est une bête analphabète, une boxeur aux poings fatals. Son style est un rêve de chorégraphe, une merveille de félinité. Il guette l’adversaire, l’ensorcèle, l’esquive, le touche. Fait mal, très mal.
Le divin Argentin a gagné tous ses combats de championnats du monde : quinze sur quinze, carton plein. Il est invaincu sur le ring, n’a jamais mis un genou à terre. Il a battu de sérieux clients, les plus grands pugilistes de son temps : Nino Benvenuti, Emile Griffith. Lors d’une permission de prison, « El Macho », son nom de scène, se tue au volant de sa guimbarde, la Renault fait sept tonneaux.
Encore aujourd’hui, Carlos Monzon fait de l’ombre au pauvre Bouttier dont Delon s’était entiché. Dans mon lit, un transistor collé à l’oreille, je suis leur combat, je prie pour l’Argentin.

mardi 28 mai 2019

Chardonne

C’était un 29 mai un peu particulier. Les enragés de Mai 68 tenaient le haut du pavé. Dans l’anonymat le plus absolu, un grand écrivain français, fils métissé de la porcelaine et du cognac, mourait à La Frette, à un jet de pierres des barricades parisiennes. 
J’ai voulu me souvenir du maître des lettres françaises. Deux de mes livres évoquent sa mémoire, son écriture libre et pure, le cristal d’un style de très haute couture.

 « On est lyrique quand on a rien à dire ; la moindre idée bien mûrie, cela vous coupe le souffle ». Chardonne vend la mèche »  (La cicatrice du brave, page 28)
 « Je lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est un maître à vieillir disait Morand. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée : « On ose à peine lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée ». Je veux jouir d’une fraicheur de neige, je veux lire Chardonne sans me dépêcher. Lentement, illico presto » (L’amitié de mes genoux, page 89).
 « Léon Blum, l’esthète rouge, encense Jacques Chardonne à la parution de « L’Epithalame » : « Je place très haut, pour ma part, l’écrivain qui a su débuter par cette œuvre d’élite » (idem, page 40).
 «  Chardonne, qui s’illusionne sur Proust, ne ment pas sur ce qu’il affectionne : « Ce que nous aurons appris dans notre vie, c’est la valeur du présent, l’instant présent, avec sa lumière et son secret » (Citation d’une lettre du 1er novembre 1957 à Paul Morand in La cicatrice du brave, page 65)

 Jacques Chardonne révérait l’élégance d’Eugène Fromentin, peintre et écrivain. Ses derniers petits livres, au soir de sa vie, sont pour moi les plus beaux. Hors sujet, rien que de la beauté : « Femmes », « Détachements » et surtout  « Demi-Jour ».

lundi 27 mai 2019

L'humain au centre

Le président Macaron avait fixé les règles de la compétition. Odile Moineau serait la cerise sur le gâteau. Comme dans une course cycliste, c’est le premier qui franchit la banderole d’arrivée qui gagne la timbale.  Notre magistrat suprême ne voulait pas entendre parler d’autre chose que d’une victoire avec un bouquet de roses. Il s’attribuait la responsabilité du triomphe. En cas de fiasco, la tête de liste serait désignée comme la seule coupable du triste désaveu.
Deuxième du concours de beauté européenne,  Odile Moineau devrait être nommée au Conseil d’Etat où elle rejoindrait Michel Delpuech, l’ancien préfet de Paris, qui pareillement et de source sûre n’avait pas démérité. Sous réserve évidemment qu’on élude l’hypothétique promesse de suppression des grands corps. Au final, le président Macaron recueille les suffrages de onze Français sur cent. Cap et capitaine sont reconduits. C’est une élection blanche comme il y en a tous les dimanches.
Le jeune et fringant Kévin Gambardella, tout en puissance, solide sur ses appuis, a réglé au sprint une Odile Moineau qui pédalait en danseuse, qui s’est désunie dans les derniers hectomètres. Pierrick Radeau s’est vaillamment extrait du gruppetto des battus de gauche. Son maillot vert se voyait de loin. Dans les raidillons, il a bénéficié des poussettes d’un électorat juvénile. Paul-Marie Malappris est renvoyé à sa philosophie.
Alain Schmockmann et Marion Briochon finissent ex aequo comme des frères ennemis prêts à en découdre. Dans les choux, on dénombre Aval et Durand-Saignant.
Vue d’avion, l’histoire retiendra qu’on a voté de l’Atlantique à l’Oural pas compris, de Brest à Vladivostock pas inclus, que le Vieux Continent ne s’est pas transformé en Nouveau Monde, que ces médiocres gaudrioles ont définitivement enterré de Gaulle.
Coincée entre deux Chine, l’Europe de la proportionnelle intériorise mal une consigne d’adjudant: « restez groupés ».
Les bons sentiments edouard-philippards ne sont pas de trop pour galvaniser le moral des Gaulois jaunes fluo réfractaires. Humilité d’un presque major de l’Ena, ça fait toujours sourire au milieu du blabla des discours. Humilité d’humus, humilité des pelletées de terre de cimetière. Humilité d’homme. On remet « l’humain au centre », à la place de Bayrou par exemple, comme une balle de football. Et le tour est joué. Pas compliqué.

vendredi 17 mai 2019

Je préfère ne pas

La dernière présidentielle a escamoté le débat de fond au motif d’une judiciarisation de l’élection. Les européennes d’aujourd’hui évacuent les idées, pratiquent la rase campagne.
Tout se passe comme si l’échange intellectuel était interdit de séjour démocratique. L’électorat doit se contenter d’un blabla insipide, du débit syndical d’eau tiède, d’un degré zéro sur la qualité des mots.
On se morfond sans débat de fond. La denrée des idées est en rupture de stock au supermarché du scrutin européen. On assiste à une compétition de canards sans tête. Le rituel électoral fonctionne tout seul, marche à coups de postures frivoles et de tirades minimales. C’est un théâtre pauvre, sans moyens humains, où l’on guette un surgissement,  un sursaut de l’Europe, une parole, des mots, comme on attendrait Godot.
Rien. La campagne est grise comme un mois de mai londonien. Introuvable comme les contours de la future chambre. Absente des radars, étrangère au peuple.
En toute logique, l’abstention résultera du défaut de réflexion des candidats, du manque de matière de la consultation politique. La dissuasion civique est une arme de démoralisation.  Dès lors, le réfractaire majoritaire s’apparente à Bartleby, le héros de Melville, stoppé dans sa conduite, coupé dans son élan,  par un hypnotique veto de vote : « Je préfère ne pas ».


mardi 14 mai 2019

Premiers de cordée

Le bleu du drapeau s'est répandu sur des pans de ciel sans défaut. Il fait beau malgré le surcroît des mots qui dissuadent l'écho. Les frères militaires ont levé les cercueils rectangulaires, marché d'un petit pas ordonné, piétiné sur le pavé qui grince, posé les corps de chêne encordés au soleil. Aux endeuillés figés, première ligne de chagrin, le chef civil serre la main, multiplie les pressions tactilo-compassionnelles. La bourrade des condoléances est un rituel à sa convenance. La cour des Invalides est le théâtre des opérations symboliques. Nos guerriers y sont les comédiens du réel, qui ne composent aucun rôle, n'endossent qu'une chair et des os, les exposent au péril. Le marcheur de la nation se plaît à la parade, soigne ses postures d'histrion. Discourir est une manière de s'embellir. Les vrais premiers cordée gisent à ses pieds.

lundi 13 mai 2019

La noblesse

Comme la flèche d'une cathédrale, les corps de Cédric de C. et d'Alain B. sont tombés devant nos yeux, victimes du feu. La bravoure est taillée à même les splendeurs de la pierre. Ces frères sans armes sont les meilleurs parmi les hommes de la terre. Dans la nuit du désert, au devant des bruits mats de casemates, au devant des culasses de kalachnikovs, se dresse la chair gothique de deux soldats d'Afrique, qui ne seront pas saufs. Ces corps "à bout portant" sont les arcs-boutants de la plus haute valeur de notre temps. A la nation toute entière, les deux jeunes hommes missionnaires enseignent le sens originaire d'une vertu militaire d'excellence: la noblesse.

vendredi 10 mai 2019

Ma tête de Turc

Je suis insensible à l’humour scout, à l’esprit besogneux des cheftaines. Je m’autorise la poésie comme on s’octroie un luxe, comme on s’accorde une fantaisie, l’étincelle d’une folie. C’est pourquoi j’adore Valérie Lemercier. Libre, frivole, joueuse en diable, déjantée comme il faut.
En revanche, je n’aime guère Anne Roumanoff, pour les raisons du début. Or Nathalie Loiseau appartient à l’espèce, se situe dans une même filiation de comique de kermesse. C’est une cheftaine macronienne qui fourvoie ses louveteaux dans les bois.
Elle m’ennuie, ce qui signifie qu’elle me nuit. C’est ma tête de Turc plus que ma tête de liste de ce grand truc d’Europe sans débat. Son entrain de patronage casse l’ambiance des sondages.
Si elle n’imprime pas sur l’écran, c’est qu’elle enquiquine les gens. Ses discours sans ferveur sont traduits du bulgare. On la sent coincée dans ses préjugés, un peu bêtasse même, toujours à contretemps, lancée par erreur sur l’estrade comme une bille de flipper, aussi mal à l’aise à aligner des mots qu’une ingrate starlette de Croisette sur un plateau. Je suis injuste ? J’en revendique le droit. Comme de tirer sur Loiseau.

mercredi 1 mai 2019

Anémone

Barrée, fêlée, déjantée, c'est pour cela qu'on l'aimait. Elle était belle, peu académique, comme une brune volcanique. Il y avait du feu dans ses yeux. Zézette, à fond la folie, était une autre et merveilleuse Bernadette Lafont.
L'ardente comédienne, reine et mendiante, était d'une nature généreuse, fiévreuse, impétueuse. Elle était vraie. Vivante. Nous autres, pauvres pirates, nous n'avons plus de fiancées.

jeudi 25 avril 2019

Opéra

Nuit d'hypnose avec " Le livre d'image" de Godard sur Arte. Je feuillette dans ma tête. D'une rose, j'effeuille les pétales.
Il faut se taire à cause des guerres et des couleurs incendiaires de la mer. Archives sur le qui-vive, beautés convulsives. La voix de Vissotsky s'extrait du bruit. Malgré l'heure, "je descends à Opéra" nous dit l'opérateur.