mardi 31 mars 2015

J'en connaissais les regards

La vieille étudiante du bout du banc a jeté sa chevelure de biais, lâché ses yeux de côté, égaré sa joue dans le vide, confié sa nature à l'inquiétude.
J'en connaissais les regards, la gamme de ses éclats. Je mets un nom sur une apparition. Je recueille une lumière comme un pan de revolver, une douceur de la terre, la radieuse ferveur d'une mère.
J'en connaissais les ruades, les brèves incartades de visage. Je lisais dans sa tête. J'entends César Franck, le silence et la tristesse qui mordaient une jeunesse.
Derrière le violon, je vois violet dans ma maison. Dans ses yeux je me noyais à qui mieux mieux. J'en connaissais la volonté, la royauté d'un pardon.

Hollande + Sarkozy

Hollande calme le jeu. Il se démarque de l'ancien monarque, temporise quand l'autre hystérise. Hollande ne se presse pas davantage que la croissance. Il laisse du temps à l'entretemps. Il se promène dans le pays, l'abdomen arrondi.
La rondeur ne fait pas le bonheur. Les synthèses ne suscitent pas d'extase. A ne pas avancer, Hollande est engoncé. Il fait un saut à Tunis, marche un peu, solidaire, sans céder pour autant à la frénésie du jogger.
Il se fiche des cantons comme de son premier mandat. Il est dans sa nature de sourire en pleine déconfiture. Le peuple murmure. Il a nommé Valls à la gesticulation des dossiers. A défaut d'un Sarkozy en boutique, il réactive un imitateur aux mêmes tics.
Avec pareil artiste, le président normal réenchante la chorale socialiste. Hollande a de l'appétit. Il avale Valls. Le cobra a de l'estomac. Avec Valls le matamore, c'est Sarkozy qu'il s'incorpore. Il élargit son ventral et sa base électorale. Il endosse l'habit élyséen de deux présidents en un.
Hollande reste Corrézien d'honneur, président Queuille d'instinct. Il se dédouble à la télévision en petit bouledogue de foire qui impressionne les rédactions. Hollande = Hollande+Sarkozy. C'est la venimeuse équation du petit père de la nation.

lundi 30 mars 2015

Piqué sur les cantons

La cécité guettait le copilote. La surdité entravait déjà son travail de cabine. Un avion ne tourne pas rond quand un pilote se fait bûcheron.
Valls, qu'un philosophe taxe de crétin des Pyrénées, pique sur les cantons, mâchoires serrées, épaulettes guillerettes d'officier de Messerschmidt.
Hollande s'est absenté rue du Cirque. Il veut regagner son fauteuil vacant de pédalo volant. Hollande veut s'asseoir dans le cockpit pour voir la nation déconfite. Le Drian lui prête sa hache de Mohican.
" Manuel, ouvre-moi !". Valls n'entend que les communicants d'Havas. Manuel manie les manettes. Dans l'avion, la cargaison de chefs de cantons crie à la trahison. Valls fonce tombeau ouvert sur le Massif des Trois-Evêchés, relief sans laïcité. Hollande songe à Placé pour le remplacer.

On dirait de deux bénédictins

Jusqu'en juillet, je sais que je vais jouir d'un été perpétuel, vêtir mes yeux d'une lumière sensuelle, me taire devant la couleur de Bonnard.
J'ai déterré un petit bout d'ouvrage sur une étagère qui croule sous les pages. C'est une fenêtre qui donne sur des joies modestes.
Matisse et Bonnard ont besoin des mots pour dire une complicité de pinceaux. Ils s'écrivent, presque en cachette, à la dérobée, sans autre théorie qu'un bonheur de coloris. Bonnard prie le destinataire de croire en sa "bonne amitié". Matisse met les points sur les i: "Oui ! Je certifie que Pierre Bonnard est un grand peintre pour aujourd'hui et supérieurement pour l'avenir".
Car à peine mort, le peintre du Cannet était encore moqué par l'illettré d'une revue renommée. Picasso raillait l'indécision de son pinceau.
La somptueuse correspondance des deux artistes est précédée d'une lumineuse épigraphe, griffée Gracq: "...On dirait de deux bénédictins qui se renseignent l'un l'autre avec urbanité sur l'avancement de leurs travaux jumeaux, et s'entraident sans égoïsme et sans petitesse à serrer de plus près la vérité".

vendredi 27 mars 2015

Souffle du désert

Le buffet dégrafé de Vincent Dubourg est une tignasse en bataille, une bourrasque de tôle ébouriffée. Le souffle du désert déglingue une desserte. Il barre son oeil de sable ensoleillé. Ses feuillets disloqués sont en métal d'automne. L'art se frotte au blizzard. Il décoiffe une armoire à soif. Le designer de Felletin éborgne un quadrangle, dépèce un bronze, fouaille ses carreaux d'entrailles.
Le meuble d'or est une bête rapiécée, tatouée de chair et de lumière. Il jette ses tiroirs comme des regards. Il est aveugle au murmure d'un peuple. Il se cramponne aux dorures déchiquetées comme aux sciures d'une écorce éclatée.

jeudi 26 mars 2015

Le chemin d'une chair

Ni jazz, ni rock, ni rap ne bougeront d'un pouce une carcasse d'homme. Un corps ne tournoie qu'intérieurement. La ballerine danse en son silence le plus intime. J'écoute Saint-Saëns, bouche bée, fesses vissées.
La musique est endiablée, possédée du démon de la mobilité. Je préserve un corps de sa qualité de tronc, de sa figure d'extase.
Mon corps ne se meut qu'au plus fort de nous deux. C'est quand il fait des étincelles que le corps zèbre le ciel. Je pratique un transport de haut niveau. Je délie les gestes de ma liturgie. Je sais d'instinct le chemin d'une chair. J'accomplis une pieuse chorégraphie. Je tourbillonne sans qu'on me carillonne. J'ai chassé le bruit. Je jouis de la nuit.
Les mots du moine sont comme l'écho d'un patrimoine: "L'effort finit toujours par sentir mauvais".

mercredi 25 mars 2015

Les strophes de la catastrophe

Le bus des airs n'a pas troué le massif marmoréen comme deux tours siamoises. La montagne n'est pas un building de Manhattan. Elle a stoppé le gros oiseau, broyé la bête opiniâtre, dépecé ses chairs.
Les perroquets s'agitent dans leur cage en fer. Ils sortent des ministères. Nos Jacquot ont des micros. Ils ajoutent des strophes à la catastrophe. Ils ne savent pas se taire, prennent l'hélicoptère. Ils commentent plus qu'ils ne mentent.
Les mouches du coche brûlent un cierge. Les autorités chagrinées invoquent Sainte Solidarité, patronne des indices de popularité.

Le musée du soleil

J'échappe à la bruine. J'ai fui le gris. Jadis, durant des années d'hiver, je me précipitais chez Rosita Missoni, la couturière.
Les couleurs me requinquent. J'aime la luxueuse échoppe, ses coloris de confettis, le bariolé de fête d'un musée du soleil.
Pierre Bonnard m'accueille pareil. Il fait de la peinture comme le soleil des morsures, la mer des éclaboussures. Il pratique un art sans ressentiment, sans autre référent que le réel ambiant. Bonnard aime la chair dans sa pleine lumière. Bonnard, c'est Balthus, revu par Renoir.
Je regarde la petite Marthe dans sa vasque fastueuse. J'observe son dos jaune comme une torche, son reflet comme un sexe orangé. Bonnard exalte un corps qu'il enrubanne de gloire.
Une petite fille en feu ramasse des coquillages bleus. Bonnard a rayé le malheur de son monde en couleurs. Il traverse deux guerres sans une ecchymose sur la toile. Il peint le plaisir. Il fixe les points de suspension de l'exacte attention.
La petite Marthe, assez vilaine de tête, est magnifiée par l'esthète. La vieillesse n'altère pas un corps de déesse.
Je sors d'Orsay. Sans le regard de Bonnard, on n'y verrait qu'une gare. La Méditerranée est notre Mésopotamie, un jardin ébloui. Je l'oublie sous la pluie. J'endosse une grisaille. Je retrouve une lucidité d'emmitouflé. On s'est tassé. Le monde nous a dépassés. On n'a pas vu le temps passer. On s'est tassé comme s'il nous avait tabassés.

mardi 24 mars 2015

Jour d'argenterie

Décrassage de mot. Décrasser les mots d'une certaine satiété, d'une certaine suffisance de sens. Les lettres, blanches d'émail, se tiennent par la taille. Elles rient comme une fière argenterie. Elles pétillent quand on les encaustique.
On frotte un mot, on fait luire l'écuelle, briller la fourchette. On joue avec une parole muette. On joue avec des allumettes. On vêt la phrase d'une clarté.
Les mots sont polis, disent bonjour à n'importe qui. Ils ornent une peau comme un collier sonore. Ils embellissent la nudité d'un corps lisse.

lundi 23 mars 2015

Le manteau rouge

La solitude vient des morts. J'avais mes habitudes. Nous parlions des heures d'un même bonheur. La solitude vient du mur en face de ma figure.
La montagne tape sur la trogne comme un soleil qui cogne. La fraternité des pins s'agglomère en pubis étoilé. Le ciel est incisé comme une vitre édentée. A la Saint Joseph, une lumière d'empire stoppe une soif, fixe l'inégale splendeur.
Je patiente devant des cimes qui luisent. Les pins arolles, telles des carottes, formes isocèles, désignent le ciel comme une foule d'émeute accuse un despote.
La neige ôtée des reliefs hasarde des motifs historiés sur le flanc des massifs. Fermer les yeux. Fermer la parenthèse bleue. La parenthèse des yeux n'est qu'une brève anamnèse entre deux sommeils.
Je sors du néant le vieil ouvrage jauni de Gérard-Gailly, poète d'avant-guerre, fêlé somptuaire du grand amour de Flaubert. Août trente-six. Trouville. Flaubert n'a pas quinze ans. Il regarde le sable comme la couleur du désert. La plissure des eaux menace le manteau rouge d'Elisa Schlesinger.
Le patron des Crêtes me sert un bon verre qui tourne la tête. "L'attente, toute espèce d'attente donne pourtant du corps à l'homme, comme au vin le vieillissement" (François Cassingena-Trévedy, Etincelles IV, Editions Ad Solem, page 66).

vendredi 13 mars 2015

Le publicitaire et l'inventeur

Au commencement de l'Evangile de Luc, il y a la stérilité et la virginité de deux femmes, l'une vieille, l'autre jeune, cousines de surcroît.
Jean et et Jésus sont de conception divine. Leurs pères d'adoption, Zacharie et Joseph, endossent une posture de figuration.
Marie, la vierge, est douée de sainteté. Sa salutation à Elisabeth, la stérile, provoque en elle le tressaillement d'une vie. Jean, dit le Baptiste, est le précurseur du Christ. Il fraie un passage. Jésus le Galiléen emprunte le chemin, deuxième de cordée.
Le texte sacré s'affranchit des lois du sang, se libère des nécessités de la biologie. L'adoption est un choix d'amour supérieur.
Jésus, fils adoptif, n'accorde à la famille qu'un statut domestique, un rôle ustensilaire, une fonction véhiculaire, au service du grand dessein divin. Aux pauvres bougres émerveillés, il ordonne pour le suivre de tout abandonner, en premier lieu leur maisonnée. La liberté exige de se dépouiller.
Le texte de Luc souligne le travail de déblai, la tâche de sherpa, l'humilité de Jean. Jean ne débroussaille pas en vain le chemin du Galiléen.
Si j'étais sacrilège, je comparerais le Baptiste à Steve Wozniak, l'ombre de Steve Jobs, malhabile à orienter la gloire sur son visage. Le publicitaire masque l'inventeur.
Au demeurant, les pères jouent durablement les utilités. Seuls les fils, d'essence divine, cassent le primat des mères. La jeunesse commande à la vieillesse. Marie, la vierge, communique une vie à sa cousine chenue, Elisabeth la stérile.

jeudi 12 mars 2015

La fronde et le front

Je ceignais alors mon front d'un bandeau multicolore. Je me couronnais de plumes pour prétendre à visage d'homme. Je disposais d'un arc et d'une fronde. Je jetais flèches et cailloux. Je m'appropriais l'audace d'Apache et la ruse de Sioux.
Je répondais quand on me chahutait. Vertement. J'usais de la liberté comme d'une souveraineté. Je suis effronté.
Les frondeurs de gradins pactisent, trinquent au pastis avec un chef pingouin. Les frontistes de département s'apparentent aux communistes d'antan, la francisque entre les dents.
Ni frondeur, ni frontiste, je suis effronté. Pas fier d'un pays - le mérite ne peut se réclamer d'un fait d'état civil -, mais d'une panoplie, d'une coquetterie, d'un immémorial défi d'Indien du Kentucky.

Une fraîcheur d'aurore

Les chiffres me distraient comme une musique. Ils me sortent des épithètes, me lavent la tête. Je coche les carreaux vides. Je sacrifie au rite du sudoku satanique.
J'arrondis le point du dernier i. J'ouvre une parenthèse. Je me dépouille des mots, toujours lourds sur la peau.
Scarlatti, les jeux d'esprit avec six et huit, sont des fraîcheurs d'aurore. Le piano de Scarlatti est une arithmétique insoucieuse des causes. Le ratage des mots vient de l'embonpoint des choses.
Or la musique et les chiffres sont des épiphanies, des fortunes, oui, des événements fortuits. Ils délestent l'esprit de l'asphyxie d'un texte.

mercredi 11 mars 2015

Le dancing du souvenir

Les chairs n'ont pas durci. Les corps ont failli. Les abdomens nulle part ne mènent. Les abdomens ont gonflé. Une même morsure d'automne touche la ceinture des hommes. La figure s'est creusée comme un déficit de nature. Les gestes ont rationné leur rayon d'évasion.
Les volontés ont aiguisé une dureté de mâchoire, terni la gloire d'un sourire. Le dos s'affaisse comme un éboulement de falaise. La vieillesse a mauvaise mine. Elle se grime. Se tasse.
Les morts sonores dont les corps se tordent se précipitent au bar, se pressent au dancing du souvenir. Les chipies à cliquetis se coiffent de fantaisies hippies. Le marketing est un sparadrap qui colle au blabla. Il expose au bruit de trottoir sympa.
On dansote comme des ombres, on toussote comme des oncles. Dans la famille guenilles, je choisis Ramon, le lanceur de couteaux, l'Argentin des aventures de Tintin.

mardi 10 mars 2015

Une écriture

Je réponds à mes mails. Je veille à l'ordre des mots. Je soigne une qualité d'écho. Laurent m'enchante. Il manie l'outil avec une fausse paresse de fauve ensommeillé. J'envie sa virtuosité. Au moment de cliquer, je suis dans mes petits souliers.
Laurent commence une phrase, chemin faisant s'interroge, en abandonne l'idée - il n'y croit qu'à moitié -, pour autant ne rebrousse pas chemin, tient une ligne contrariée jusqu'au point d'arrivée.
Laurent sait modeler, à l'instant de ponctuer, le plus banal et gai des souhaits. L'ironie donne de la vie, des joues pleines, une enfance à sa douce fantaisie. Elle pèse une plume. L'écriture apprivoise une rature, jette un charme rieur sur la page brute d'ordinateur.

lundi 9 mars 2015

La grande politique

La grande politique se construit sans l'éloge d'un peuple, au large du Pacifique, sous la dictée d'une ténacité, sous une flambée d'intérêts, dans une diversité d'adversités.
De Gaulle voit l'abîme comme une Chine. Il s'accoude à l'Histoire, rafistole une mémoire, résiste au désespoir.
De Gaulle est une bonne connaissance, une grande musique, un roi sans format, ordinaire dans sa joie. On déboulonne De Gaulle, il rigole, on dégringole.
Le bouquin de François, moine à Ligugé, est un travail de bénédictin, de foi en la splendeur du rien. La pauvreté libère de la propriété. Elle préserve d'une impropriété. "De toutes les industries de l'homme, l'insensible transformation du rêve en ambition est sans doute la plus sale".
La grande politique est une vaste querelle pour le partage du ciel, l'amour mystique de l'essentiel. La présence gaullienne est une résurrection, l'insurrection d'une nation assez moyenne. De Gaulle est intouchable. Noli me tangere. Il est le fugitif dont on garde la soif.
"Dans la société des hommes, l'activisme voisine étrangement avec l'inertie. L'activisme pour l'accessoire avec l'inertie pour l'essentiel. Il semble que celle-ci soit proportionnelle à celle-là".
De Gaulle n'est pas tenable. Il s'éclipse. De Roux, autre roi, dit sa loi: "Il est l'homme qui est là". Il lave les pieds de ses administrés. C'est un roi d'éternité qui se nourrit d'instantanés. "L'instant est un mets de roi, mais ordinaire, car un roi véritable l'est ordinairement".

dimanche 8 mars 2015

Bon sang !

Bernard est ponctuel. Je vois sa tête clandestine dans le judas. Son visage biaise, au bord d'un malaise. La porte pivote. Les joues s'interrogent, se joignent les doigts. La grandeur de Bernard est de tailler dans le large. Bien que courtaud, il est haut comme l'oiseau.
La lumière ricoche comme une torche. Le cerisier capte l'émoi d'anorak, sa fragilité d'homme exact. Bernard s'affranchit du noir. Il adosse sa pelisse. Midi pétille comme mille points sur les i. Je souffre d'un vide. En moi cogne un cri: "J'en suis bleue !". Un ciel hors réel l'imite sans limite.
Tous les mots qui s'entassent pèsent peu devant nos yeux. Bernard s'assied sur la crête, casse un corps de géométrie comme un fusil d'après-midi. De la banquette, il toise la bibliothèque.
- Bon sang !
La pièce fait place au temps qui passe. Hélène a raccroché. Nous sommes quatre. Il se penche vers le tapis, pose son calice, tient droite sa figure, regarde la façade couleur de plâtre. Il n'a pas de masque. L'élastique d'une peau s'étire, s'interdit un sanglot. Nos verres se choquent. L'éternité claque.
- C'est beau !

vendredi 6 mars 2015

"Toujours quelque chose de brisé"

Je feuillette un petit ouvrage de chevet, les fragments posthumes de Roland Barthes, les billets griffonnés d'un fils à jamais endeuillé.
Il est des visages qui répugnent au masque. Dans les mondanités ostentatoires ou autres assemblées d'usage, l'ennui s'imprimait à livre ouvert sur la figure du docte sémiologue.
L'oeil de Roland Barthes ne cache pas son deuil. Il erre dans le blanc d'une misère. Il se tasse contre l'épaule de Proust. Roland Barthes trouve un bâton de détresse.
Juillet s'achève. Il ne lui reste que deux saisons. Il est courbé sur la correspondance de Marcel Proust, parue chez Nizet. La Bibliothèque Nationale lui prodigue assistance, un soutien minimal d'urgence.
Proust, qu'il sollicite, dont il cogne à la porte, écrivait à Georges de Lauris, autre fils éprouvé. Il sait que la délicatesse est un fruit de civilisation, une sensibilité qui hésite, entre deux tentations, entre deux précipices. La beauté jette à la volée sa bonté. Elles sont les deux paumes indivises d'une même prière.
Les mots de Proust, je les restitue in extenso, tellement leur écho fait défaut, secoue le reste d'humanité où s'encorde un chagrin:
"Maintenant, je peux vous dire une chose: vous aurez des douceurs que vous ne pouvez pas croire encore. Quand vous aviez votre mère vous pensiez beaucoup aux jours de maintenant où vous ne l'auriez plus. Maintenant vous penserez beaucoup aux jours d'autrefois où vous l'aviez. Quand vous serez habitué à cette chose affreuse que c'est à jamais rejeté dans l'autrefois, alors vous la sentirez tout doucement revivre, revenir prendre sa place, toute sa place près de vous. En ce moment ce n'est pas encore possible. Soyez inerte, attendez que la force incompréhensible qui vous a brisé, vous relève un peu, je dis un peu car vous garderez toujours quelque chose de brisé. Dites-vous cela aussi car c'est une douceur de savoir qu'on n'aimera jamais moins, qu'on ne se consolera jamais, qu'on se souviendra de plus en plus".
Barthes sort du manuel d'art, prêt pour le centenaire de son aurore. Il est mort pour de bon. Il fait face au square aux allégories de fleuves. Il ne lui reste que deux saisons.



jeudi 5 mars 2015

Le bon pain

Dans la bonne humeur d'une cantine de séminaire, Jean-Luc S. est un scénariste, triste et causeur. Il apprécie que je remplisse bien son calice de vin de Saint-Pourçain. A ses voisins d'appétit, il confesse le secret d'un nombril: "Je voulais être Joyce, punto e basta !".
Aujourd'hui le gaillard pose sa veste de cuir. Le massif plumitif abandonne sa grande gueule de leader syndicaliste. Il écrit une vie d'Arletty qu'il dédie à Laetitia Casta, l'adorable ragazza.
L'actrice s'approprie la gouaille exquise de fille de blanchisseuse. Elle est effrontée comme il sied à sa beauté. Les joues de l'enfance sont ses dents de la chance.
Jean-Luc S. a fait le job sans le coup de main de Joyce. Avec de la bouteille, désormais du métier, il s'est résigné à signer de son nom magnifié. Il s'appelle Seigle comme le bon pain.

mercredi 4 mars 2015

La frugalité et l'émerveillement

Il est moine. La prière d'abbaye est un nécessaire de poésie. Elle est éclatée sur la page comme la blessure d'un visage.
Il est moine à Ligugé. Marin pêcheur à ses heures, contemplateur de splendeur. Il enseigne la théologie de la liturgie. Traduit Ephrem de Nisibe. La patrologie syriaque est un lieu d'étincelles où Dieu fait feu, invente un ciel.
François est un prénom qui va de soi. L'écriture est une mince parure. Son quatrième volume pèse une plume. C'est un bloc de prière, une torche de beauté, un roc de spiritualité.
Dans la masse infernale de papier journal, les mots nous parlent mal. François Cassingena-Trevedy cause à bonne hauteur, offre un toit, hors la loi. Il se rit de la nuit, s'oriente à la clarté des lucioles: "La frugalité et l'émerveillement sont les deux auréoles du plaisir" (Etincelles IV, Editions Ad Solem, page 36).

mardi 3 mars 2015

La voix d'un texte

L'amphithéâtre a fait peau neuve. Les murs ont blanchi, relégué dans une nuit d'amnésie la cinémathèque des origines. La rue d'Ulm exhume les photographies de Jaurès, se réapproprie la mémoire du lieu-dit.
Sur l'estrade, un fervent professeur jongle avec ses volumes de La Pléiade, égare ses notes d'agrégé, retrouve ses papiers comme ses clés.
Il fait tandem avec Denis Podalydès qui classe ses feuillets, l'observe amusé, se concentre sur son thème. Chateaubriand hérite de l'exact patronyme. La voix d'un texte sollicite un émoi, impose un respect, apprivoise une attention.
La salle est comble, comblée du timbre des Mémoires d'outre-tombe. L'hirsute amateur de guillemets  s'enivre de voyelles, scande la phrase du roi René, libère ses doigts dans l'espace, mime la cadence de soleil que l'acteur révèle à l'oreille.
La menotte du chef est une baguette de fée. Le comédien se dresse soudain, exige d'être debout comme s'il réclamait à boire, comme s'il dégrafait la croisée pour mieux admirer la vallée. Podalydès a besoin de tout son corps pour lire en majesté, de hausser le regard pour dire la sobriété sonore de la mort de madame de Beaumont.

lundi 2 mars 2015

Constantin de Roumanie

Durant ma vie, la sculpture de Brancusi ne m'a jamais faussé compagnie. Dominique de Roux, à l'âge d'homme, m'introduisit à la sauvage élégance d'artiste, à la géométrie pure d'un tailleur de grand style.
Depuis, je me suis converti à la splendeur de Roumanie. J'observais la main ronde d'un père comme le dos d'une cuiller, une forme lumineuse de Brancusi.
Du temps du cruel despote, je fus émerveillé par la Colonne sans fin qui troue le ciel de Targu Jiu. J'aime l'autorité, l'évidence de colombe, de la poésie de Brancusi. Elle révèle la matière à sa vocation d'éclair, à sa vérité de lumière, à sa verticalité dernière.
Les mots de Brancusi ont la netteté du cristal, une simplicité de maître ouvrier, un parti pris d'orfèvrerie. "Crée comme Dieu, ordonne comme un roi, travaille comme un esclave". "Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile c'est de nous mettre en état de les faire". Constantin de Roumanie s'est épanoui à l'écart du grand Rodin de Paris.