lundi 26 septembre 2011

Patatras !

On pensait ne jamais voir ça de son vivant. La haute assemblée rimait d'éternité avec marais modéré. Et puis patatras ! D'obscurs élus ruraux du Morbihan ont fait le boulot. Le vieux Sénat a vacillé. La droite s'est faite doubler par la gauche. Le tabou est levé. La démocratie se libère un peu. Pour une poignée de sièges.
Mais le club de notables ne change pas pour autant ses traditions. La cuisine politique garde ses droits. La semaine est consacrée aux tractations d'usage. La tambouille partisane se touille dans les recoins feutrés. L'élection d'un président socialiste s'organise sur fond de guéguerre Aubry/Hollande. Larcher le sortant veut croire au père Noël plus qu'au sénateur Bel.

Les Bonnes

Au balcon, nous ne sommes qu'une poignée. Les Bonnes. Elles ne sont ni jeunes, ni vieilles, ni laides, ni belles. Au balcon, nous sommes de front avec la langue française.
Genet dit "qu'elles n'ont pas pourri". Il précise: "jeu des actrices un peu titubant". Elles sont ivres de Madame. La domesticité colle aux doigts comme un alcool. Les soeurs siamoises rivalisent sur la scène du mal.
"Incendiaire est un titre admirable". Le texte est tissé dans le pieux souci du classicisme. L'amitié des syllabes impose la splendeur d'un voisinage sonore. Les comédiennes importent peu.
Genet se calque sur Racine, ne donne la réplique qu'à sa propre musique. Raideur de nuque. Griffe d'aristocrate. Une incorruptible préciosité.
Les robes à falbalas de Madame évoquent l'écriture de Genet, son drapé de majesté. L'auteur des Bonnes sauve l'honneur de son métier, restitue le dernier caprice d'une fantaisie: l'art de la broderie.

jeudi 22 septembre 2011

Le Mongol

L'écrivain Greg McGee évoque ses souvenirs d'enfant de la balle ovale. L'apprenti All Black engrangeait alors des rêves de rugby pour la vie. C'était hier, un demi-siècle derrière. Au fil de sa chronique (Le Monde du 23 septembre), il mentionne la figure mémorable du capitaine tricolore d'alors, Michel Crauste, troisième ligne de légende.
Il le baptise par erreur Attila le Hun. Michel Crauste était surnommé "le Mongol". Sa moustache noire, plus gauloise que mexicaine, tranchait sur un visage pâle à devenir jaune. Il commandait un pack magnifique où s'illustrait le pilier briviste, Amédée Domenech, dit "le Duc".
Temps lointain où l'essai valait trois points, le drop un de moins. Temps du carambar à cinq centimes. Depuis, l'inflation a touché le rugby tout autant que l'épicerie.

Le Sénat au rebut

Sénat est un mot qui hésite entre seniors et cénacle. La haute assemblée, auto-proclamée comme telle, se régénère par moitié. Le scrutin n'admet pas de "petits électeurs". La démocratie sénatoriale se méfie du peuple comme de la peste. C'est une cuisine sans peuple qui se touille entre gens de bonne compagnie. Pareille tambouille électorale interroge sur notre santé républicaine.
Les élus et les nommés de nos belles provinces désignent les meilleurs sages de l'ancien royaume. Aristocratie charmante. Les grands électeurs sont courtisés, leurs bulletins convoités. La France d'en haut, héritière des hobereaux et châteaux, organise un grand marchandage, opère un vaste chantage au suffrage.
Le Sénat est un club de vieux. L'étymologie le dit. Il suffit d'un peu de latin pour s'en convaincre. De Gaulle a tenté de se débarrasser du poids mort. Il destinait le Sénat au rebut. Quarante-deux ans après, on cherche toujours quelqu'un pour prendre le relais.

mardi 20 septembre 2011

Carnet scolaire

Les notes traumatisent les écoliers, les entreprises et les pays. Fine psychologue, la génération de mai 68 les avait supprimées. Le temps de la dolce vita est révolu. Les agences de notation terrifient les nations comme d'intraitables maîtres d'école.
L'Italie n'a plus la moyenne. Berlusconi est au coin. Il faut que l'Italie apprenne mieux ses leçons, travaille ses perspectives de croissance. La Grèce, bonne dernière, est coiffée du bonnet d'âne. Elle ne fiche rien. C'est une vilaine tricheuse qui copie sur son voisin.
L'Allemagne, nation de philosophes, joue l'intello de la classe. Elle truste les bons points en solo. La France tend le dos. Elle redoute le prochain carnet scolaire.

lundi 19 septembre 2011

France/Canada

Rugby sans champagne. Canada dry de match. Trop d'eau sur la pelouse. Peu de passes et pourtant des espaces. Le rugby est interdit de pétiller.
Ironie du sort. Traille, la calamiteuse passoire du quinze tricolore, se taille un chemin dans la défense canadienne. Traille errait à l'arrière. Lent, pataud, emprunté. Traille était une sorte de treuil inutile. Piètre bilan: plus d'erreurs que d'essais. Traille est une mitraillette enrayée.
Fini les bévues: Traille en met plein la vue. Il déborde en ailier, repique vers l'intérieur et marque entre les perches. Essai de trois-quart, de "furia francese". Ouf !"Try" se rappelle au bon souvenir de son patronyme.

Domino Blanc

Dominique Blanc. Domino blanc. Toutes les couleurs, toutes les valeurs, toutes les douleurs.
La comédienne est chez elle dans son atelier. Elle forge du théâtre. Elle fabrique du Duras. C'est un texte clinique, sans beauté ni musique. Obsessionnel comme le fiel.
Dominique Blanc récite les mots comme on écosse des haricots. Le théâtre gît dans son tablier.
Elle sait la dignité du simple. L'actrice administre sa leçon de diction. Elle maîtrise l'émotion, sait la garer des flammes. Elle éraille sa voix d'une juste sobriété. Dominique Blanc stoppe la dégoulinade, évacue la fausse morale. L'hémorragie durassienne n'est pas la sienne. Elle évoque "La Douleur", en dissipe la lourdeur.
Elle va d'une table à l'autre, se recroqueville sur un banc de hall. Elle se meut sur scène avec une élégance de bête souveraine. Son métier d'artiste, texte et geste, vient des chevilles.

La Tour Eiffel dans le dos

Parler. Trier dans ses idées. Identifier le mot qu'il faut. Pas faiblesse, ni manquement, mais faute. "Faute morale". Moment d'égarement éthique. Pas rien. Les chrétiens disent péché.
L'homme qui parle à Claire Chazal, avec la Tour Eiffel dans le dos, s'auto-flagelle. Il tente le tout pour le tout, la contrition rédemptrice. Il use d'une communication millimétrée pour recueillir un pardon.
Fausse modestie d'un homme "pas fier". Surjeu du masque glabre, lèvres pincées, dans le droit fil du visage las du prévenu new-yorkais menotté. Il faut gommer des consciences le sourire de champion, place des Vosges.
Mue progressive d'une figure qui s'anime et se cale derrière l'autorité du procureur américain. Métamorphose finale du regard à l'évocation de la crise internationale. L'homme est requinqué, redevient doctoral, professe ses convictions avec aisance et persuasion. Le tempo des mots s'accélère.
La stratégie de l'aveu a déblayé le terrain. L'expert de la nation exécute sa partition. Il est consulté. Il est relégitimé. Il fait étalage de sa proverbiale compétence.
Reste que l'homme incarne plus que jamais un socialisme patricien. Version cosmopolite du radicalisme à la Baylet, à l'ancienne, sans l'accent et le cassoulet.

vendredi 16 septembre 2011

Vent debout

Ils sont debout. Vent debout. Car les mots prononcés ne sont jamais que des sons jetés dans un souffle. "Paroles, paroles" à la Dalida. "Words, words, always words", à la Shakespeare.
Ils sont debout. Questionnés par le maître sourcilleux, à sourcil broussailleux. A leur pupitre, faute de tableau, ils récitent la leçon de morale. Ou de politique, allez savoir.
Ils sont debout. Nous sommes assis. On les accuse de quoi au juste ? Ils sont debout. Baylet, Aubry, Hollande jouent les notables de province avec un naturel suspect. Valls revendique, montre ses crocs de jeune chiot, fait teigneux, se situe dans le registre du sportif motivé.
Montebourg s'écoute parler, s'exprime avec une condescendance de hobereau, familier du barreau. Royal sourit, du rouge sur les pommettes, s'égare dans le décousu de ses réparties.
Ils sont debout. Vent debout comme des gouvernants. Comme Sarkozy à Benghazi. "Vive la Libye libre !". On songe à de Gaulle au Québec, à de Gaulle dans ses conférences de presse. Manque à nos petits généraux le talent théâtral du grand Charles.

mardi 13 septembre 2011

Porteur de valises

J'ai décidé d'ôter le masque, d'écrire à visage découvert. Je suis porteur de valises de profession. J'exerce depuis quatre décennies. C'est un métier usant. Chaque année, plusieurs fois dans l'année, je remets une mallette pleine à la Direction Générale des Impôts. Elle est bourrée d'euros. Sous le manteau, je finance la campagne de Bercy. Pas le temps de chômer: leurs élections sont annuelles.
Si jamais j'ai la mémoire qui flanche, si d'aventure je regimbe, si j'oublie les liasses, je suis un homme mort, je suis dans la ligne de mire d'une justice impitoyable.

Grotte Chauvet

Dans la pierre gît le merveilleux. Falaise d'Ardèche à mille crocs brandis. Les entrailles sont noires d'entailles. Parois peintes comme des corps. La torche anime l'animal mural.
Hennissement du dernier des quatre chevaux. Guernica, toile de faussaire.
Bigarrures de paumes rouges. Traces de peur. Herzog n'a plus vingt ans. La grotte conserve sa longue fraîcheur. Herzog a remisé ses skis, renoncé à sa première folie. Il rate la ferveur endiablée de la communion pariétale.
L'homme est trop distinct au voisinage des règnes indissociés. L'ours ou le loup, la panthère ou le rhinocéros n'ont d'autre identité qu'une frayeur floue. Ils dansent sous la dictée du feu.
Au commencement était le corps scarifié. Ballet de chair sculpté. Avec des voix, des cris, des psaumes qui rythment le temps des rouges visions nocturnes. L'odeur de grotte saisit l'esprit et brouille les pistes.

lundi 12 septembre 2011

En manque de pouvoir

Le pouvoir est une drogue dure qui embastille les chefs d'Etat. Dans le temps où ils prônent l'indépendance nationale, ils sont eux-mêmes emprisonnés dans une geôle.
Le pouvoir est un pompon, une illusion. A l'instant de le quitter commence l'enfer du manque.
Le pouvoir est l'antichambre de la mort. De Gaulle meurt un an après son majestueux départ.
Mitterrand, suiviste en tout du général abhorré, ne survit pas plus longtemps aux adieux élyséens. Dans l'intervalle, l'exercice du pouvoir aura neutralisé les ravages d'un mal fatal.
Chirac est en plein naufrage. En bout de course, il avait confié qu'il y aurait "un après, et puis la mort ". Il pressentait le pire. Sa mémoire s'est aujourd'hui dérobée.
Pompidou a souffert le martyre. Il est mort en scène, dévoré par le pouvoir. Reste le cas Giscard. Le fringant vieillard exhibe trois décennies d'exil au compteur. L'homme se porte comme un charme: toujours intelligent, brillant, méchant. Ce président dur à cuire, si différent de son peuple, est préservé par la vanité. Le pouvoir lui appartient d'autorité: il y habite à demeure.

vendredi 9 septembre 2011

Prêcheur et percheron

Méfions-nous du charisme, de l'aura, du magnétisme du chef politique. Barack Obama, digne et docte, parle à merveille. C'est un lauréat idéal des concours d'éloquence. "Il éblouit mais n'éclaire pas". Le mot de Sacha Guitry lui va comme un gant.
Or la magie du verbe s'enlise dans les ornières du réel. S'il galvanise les foules, le prêcheur passe mal à l'acte.
Méfions-nous du terne, du banal, du "normal", du profil bas de Monsieur Toulemonde. François Hollande laboure le pays, sillon après sillon, comme sa terre de Corrèze. C'est un solide travailleur, un peu blagueur, pas fier pour deux sous, qui discute le coup sur les marchés.
Nul ne peut imaginer une psychologie de tueur dans une carapace de tortue. S'il prend mal la lumière, le percheron n'en suit que mieux sa route studieuse vers l'élection.

mardi 6 septembre 2011

Joie d'autrefois

Jeter une feuille de papier devant soi. S'armer d'un stylo à encre. Situer le lieu, dater l'exercice. Rédiger au fil de sa pensée. Ecrire d'un seul jet sans interrompre le cheminement de plume.
Plaisir d'esthète. A la diable. Joie d'autrefois d'une boxe à mains nues.

Bleu

Soudain, le bleu. Le ciel est alors une main tendue. Les yeux se déploient comme des doigts.

Place des Vosges

Va parler. Va pas parler. Indécidable. Nous sommes suspendus au bon vouloir de l'oracle de la place des Vosges.
Cet homme aime les domiciles: Washington, New York, Paris, Marrakech. Il s'est muré dans le silence. Le mutisme est la demeure de son coeur. L'économiste est économe de ses mots. Il communique par le sourire.
Nous sommes tous des Jack Lang. Devant notre lucarne, nous l'accueillons en voisin. Il nous a vus. Il nous montre du doigt. Cet homme qui ne parle pas, voit l'invisible. Nos gouvernants manquent de vision. Pas lui. Il reste le candidat idéal.

lundi 5 septembre 2011

Privilège d'un roi-soleil

Homme de culture au talent indiscutable, Jean-Jacques Aillagon n'accepte pas de bon coeur son remplacement à la tête du Domaine de Versailles. Sa présidence s'achève de manière réglementaire, la limite d'âge franchie.
Or la rancoeur du haut fonctionnaire me stupéfie. L'autocratie du roi-soleil a déteint sur le serviteur de l'Etat. En guise de médiocres représailles, il déverse sa bile sur François Fillon et Frédéric Mitterrand. Il n'épargne sans grand courage que Nicolas Sarkozy.
Le Domaine de Versailles n'appartient à personne, pas même à Jean-Jacques Aillagon. Son amour de la beauté ne suffit pas à l'exonérer des règles de la République. Nul ne peut s'approprier une parcelle de l'Etat. Il est extravagant de rappeler aujourd'hui pareille évidence.
Au lieu de crier sa colère sur tous les toits, Jean-Jacques Aillagon devrait exprimer sa reconnaissance d'avoir joui d'un privilège exorbitant: servir l'intérêt général.

jeudi 1 septembre 2011

Terroriser les bavards

L'infirmière de Liliane Bettencourt se rétracte. Elle infirme son témoignage fracassant de l'ouvrage "Sarko m'a tuer". Autrement dit, les deux journalistes du Monde auraient inventé de toutes pièces ses propos. "La remise d'enveloppes à Nicolas Sarkozy" relèverait de la plus haute fantaisie. Balivernes et billevesées.
La conviction du pouvoir est que MM. Davet et Lhomme ont écrit un roman. Au sommet de l'Etat, on calque sa stratégie sur les ressorts des plus mauvais polars, on recourt aux vieilles ficelles: terroriser les bavards.
"On allait retrouver mon corps dans la Seine". Virage sur l'aile: l'infirmière a démenti la prophétie morbide du livre. La vérité semble à géométrie variable. Il faut dire que même en démocratie, dans un pays fier de son triple A, l'Etat dispose de moyens apparemment illégaux qui sont de nature à dissuader les propos les plus libres. A son commencement, cette troublante histoire tient sa Nafissatou Diallo dans le rôle principal: la pauvre infirmière est isolée, murée dans ses dénégations.
Dans cet imbroglio, on s'explique mal qu'un grand journal ait fait l'économie de l'interroger. Le Monde est-il désormais sous surveillance, craint-il des représailles du pouvoir ?

Les méduses de l'été

On est distrait des grands sujets de l'humanité. On est abreuvé d'historiettes frivoles. Ce sont des leurres qui voilent les grands malheurs de la terre.
Le feuilleton DSK étiré ou la série Bettencourt réactivée comblent un désert d'imaginaire. On est englué dans ces récits d'été, à mille rebondissements. On se fout de Nafissatou, on se moque des frasques de Dominique, on se fiche des liasses de Liliane comme d'une guigne. On s'en tamponne le coquillard.
Ces chroniques poisseuses collent à l'opinion comme des chewing-gums. On se baigne dans une mer huileuse d'informations bidons, pleine de méduses visqueuses. Au large, le monde est à feu et à sang.