vendredi 31 octobre 2008

Olga, je t'aime

J'ai ressorti de mes papiers ce recueil de textes brefs que j'appelle "Olga, je t'aime", après l'avoir longtemps laissé vieillir sous l'étiquette "La plus belle fille du monde". Suivant les saisons, je penche un jour pour la sublime Olga Georges-Picot, je me range un autre jour à la splendide Lucia Bose. Je ne sais pas. J'ai composé sans hâte un bouquet de textes disparates. C'est ce que j'écris à la maison Corti. Je lui confie mes petites écritures, mes pots de confiture de mots. J'attends un accusé d'émotion.  

jeudi 30 octobre 2008

Le chancelier Cowl

C'était au temps lointain des cinémas de quartier. Les dimanches de pluie enseignaient l'ennui aux enfants des cités. Un pianiste dans la salle accordait sa musique aux images animées. Sur la scène à l'entracte, un prestidigitateur escamotait une tourterelle avec un entrain de mousquetaire. En pleine guerre d'Algérie, Darry Cowl osait la loufoquerie. Dans les cours de récréation, on s'essayait à zézayer. La fraîcheur et la grâce de Darry Cowl ensoleillaient nos hivers obéissants. On se souvient du triporteur comme d'une blague de side-car. A la fin du voyage, les académies l'honorèrent. On était ému par sa maigreur, son visage émacié aux grands yeux écarquillés. Avant-hier Francis Blanche, hier Jean Poiret. Aujourd'hui Darry Cowl. Les rois du rire sont des oiseaux rares. Ils bafouillent une fragile poésie. Darry Cowl en était le dévoué serviteur, le ministre lunaire, le chancelier fou à lier. C'était le chancelier Cowl.

mercredi 29 octobre 2008

Le styliste charentais

Avant de mourir, Paul Morand avait donné son feu vert pour la publication, dès l'an 2000, de sa correspondance avec Jacques Chardonne. Les années passent et les amateurs de friandises sont toujours de la revue. Les lecteurs s'impatientent. Ils ruent dans les brancards. Ils vivent mal la privation. Ils ont les mots à la bouche. Ces lettres échangées entre l'ambassadeur pressé et le styliste charentais appartiennent au patrimoine littéraire. La maison d'édition, titulaire des droits, attend quoi au juste ?

L'Europe

On connaît la célèbre formule du psychanalyste Jacques Lacan: "L'amour, c'est offrir à quelqu'un qui n'en veut pas quelque chose que l'on n'a pas". On ne peut s'empêcher de songer à l'Europe. En effet, l'Europe est proposée à des peuples qui souvent la rejettent d'instinct. Or ce bout de continent que nous offrons à l'envi - jusqu'à la Turquie d'Asie mineure -, nous n'en possédons pas la moindre définition. Ses frontières se moquent de la géographie. Ses racines chrétiennes sont évacuées des textes communautaires. Bref, l'actuel malentendu évoque le brillant paradoxe lacanien du sentiment amoureux.

mardi 28 octobre 2008

Le compte y est

C'est l'expression favorite des princes qui nous gouvernent. "Le compte n'y est pas", son contraire, peut aussi bien faire l'affaire. Les râleurs d'opposition se l'approprient volontiers. On oublie parfois de quel compte il s'agit, mais on sait d'autorité qu'il y est ou qu'il n'y est pas. 
La vogue de l'incontournable sentence doit beaucoup au travail de prédication de politiciens vedettes. Xavier Bertrand et Jean-François Copé ont excellé dans l'art épicier d'exalter les totaux victorieux. Eux-mêmes relayés par la voix contestataire de syndicalistes en colère: "Non, le compte n'y est pas !"
On songe à la brillante carrière de la "feuille de route". Elle a commencé par brûler les lèvres de Georges Bush à l'amorce de son expédition punitive à Bagdad. De là, elle a rayonné un peu partout dans le monde. Les patrons d'entreprise ont adopté la "roadmap" avec zèle et naturel. La pensée était du même coup régénérée, les idées clarifiées. A vrai dire, on se demande comment on a pu vivre sans feuille de route ni souci du compte juste. Tant de frivolité confond.

Le vieux d'aujourd'hui

Ils sont vieux comme leur continent d'origine. Ils sont vieux comme l'Europe vue d'Amérique. Leur nombre croissant pèse sur les statistiques. Ils alourdissent les comptes sociaux. Ils embarrassent la société. Il est loin le temps où la sagesse des anciens régnait sur les mentalités. Le vieux d'aujourd'hui est distancé par la vitesse de civilisation. 
Le vieux d'aujourd'hui vit très vieux. Il est parqué dans des zoos vaguement médicaux. Il y est traité, retraité, maltraité. Les générations fringantes se détournent des visages fripés: elles y lisent le terminus des stress et détresses. Derrière la rieuse statistique, derrière la sérieuse paperasserie administrative, il est un regard troué de deux yeux infinis. Le vieux d'aujourd'hui est un gardien de musée où repose l'humanité.

lundi 27 octobre 2008

Nos années Matulu

Il est parti il y a un an, jour pour jour. Il a faussé compagnie à ses amis. Il avait écrit un très beau livre dans la lignée spirituelle de Drieu: "La jeunesse est lente à mourir". Titre majestueux. Grégoire Dubreuil était habité, taraudé, rongé par la littérature. Au milieu des années 1980, il avait relancé Matulu, journal d'écrivains. Avec des bouts de ficelle, il publia une dizaine de numéros à la gloire du style et des textes oubliés.
Grégoire Dubreuil était un ami fougueux, un franc-tireur des arts, un homme courageux jeté à la poursuite des magies de l'écriture. Le journal accueillit Dupré, Mandiargues, de Roux, Matzneff, Sollers, Hallier, Serres, Girard. Grégoire Dubreuil aimait la terre rouge d'Ibiza et la couleur du vin. Un beau jour, il quitta le vacarme de Paris. Il se retira dans l'amitié des livres, dans une vieille librairie de Dinan.
Je me souviens de son oeil goguenard, un peu canaille, qui brillait comme la flammèche d'un feu de bois. Grand brûlé des lettres, il rêvait d'une autre époque, moins confortable dans les têtes. Dans son grenier de la Montagne Sainte Geneviève, nous causions de nos trouvailles, des plaisirs et des jours, de la séduisante esthétique du traître. Grégoire Dubreuil était blessé par les mensonges de la matière. 

Malherbe, le peintre

La luciole des chevilles éblouit la toile sans éveiller la crainte, le visage enlisé dans un si long songe. La dormeuse se meut, s'abîme comme une souche, prieuse fervente, qui sait le paradis gardé par les anges. La dormeuse habite le sommeil, se sent des ailes et chez elle.
Elle dort sans art: d'après nature, sans un mot, comme une enfant. Elle est morte au regard.
Elle pose en paix. Elle vit dans l'aise de ses cils ajustés. Tache d'or qui fait torche. 

vendredi 24 octobre 2008

Un bon souverain

L'argent est dépouillé de sa liquidité. Il est gelé, pétrifié. L'argent est suspecté. Son crédit est écorné. Les valeurs se déprécient. On s'appauvrit dans son lit. La paresse du sommeil n'est pas bonne conseillère. 
On cherche un bon souverain pour sauver nos chefs d'oeuvre industriels en péril. Quelqu'un du cru, respectueux de la nation. On fait roi les fonds d'Etat. Le krach conduit au sacre de l'Etat.
On se jette dans les bras du monstre froid, on s'agenouille au pied du démon de la Bible, on caresse la cheville du Léviathan de l'Apocalypse. La liberté est ajournée.

jeudi 23 octobre 2008

Nicolas, l'as de la cavale

Il dépense des fortunes, se dépense sans compter. A défaut de bouger les lignes, il déplace de l'air, saute d'un perron, d'un avion, d'une réunion, d'un sermon à l'autre. Il accumule les "miles", multiplie les "smiles", valide sa carte d'habitué, s'abandonne aux flashes des photographes. 
Le président réside peu. Il se jette dans les jets, rabroue l'ouvrier, menace le banquier. Il se délecte au banquet des élites. Il consulte sa Rolex. Il se sauve. Il est en cavale. Il fuit la meute de ses souvenirs. S'il se retourne, il est mort. Le premier des Français calque son jeu sur l'ennemi public numéro un.

Monsieur Bassaque

La littérature est une figure de la félicité. J'ai aimé le chant de la langue française dans le regard de Monsieur Bassaque. Visage creusé, mal rasé. Onze ans, cinquième. L'image du doux instituteur ne s'est pas défraîchie au fil des décennies. Sans crier gare, elle surgit aujourd'hui. 

mercredi 22 octobre 2008

Pouvoir de rachat

La société des épargnés s'émeut peu des prisonniers. A la maison d'arrêt de Loos, on peut laisser sa peau, ne pas faire de vieux os. Au pénitencier, les incarcérés sont serrés dans des geôles. Les cellules sont des îles. Pas moyen d'échapper au temps. La mort volontaire d'un homme nous saisit comme un frisson d'automne. Les détenus se pendent en toute saison. Ils s'évadent du dedans. Ils trouent la muraille intérieure. L'incarcéré veille à son pouvoir de rachat. Il reprend sa liberté. Au prix chair. 

Ravel fait la planche

C'est un livre de poche - disons de grande poche -, un livre blanc écrit avec une vraie plume d'oiseau rare, pas du tout le memorandum d'un homme égaré dans les fougères de papier.
C'est un livre blanc caréné comme un voilier, poncé à l'eau de Ravel, un bouquin polaire à main gauche, qui ne se referme pas pareil après les traces de doigt. A cause du bandeau bleu, glissé page trente-six, qui disjoint les lèvres du récit. Non, "on ne peut pas couper, inévitablement à la table du commandant, à l'immanquable brève barbe blanche et vêtu de son uniforme blanc d'apparat".
Echenoz est habillé en Minuit. Avec du froid sur la couverture, et dans le dos. Le texte se dévide d'une traite, se prend dès le rebord de la baignoire, s'empoigne par les cheveux dès les premiers mots. On traîne Ravel sur son genou, sans le quitter des yeux une seconde, jusqu'à son gilet livide, jusqu'à ses linges de trépané. Ravel fait de la musique flaubertienne. La sienne, il lui tord précisément le cou. Il gueule sa ritournelle d'usine, il bolérise jusqu'à plus soif, il peaufine sa répétitive colonne sans fin, il invente comme Brancusi la vie invincible, l'art d'exode du canard sans tête.Il échappe à son art. Ravel ôte la musique comme Flaubert se départ de l'histoire. Restent le rythme, l'élan, la cadence du corps au travail, la machine qui marche toute seule.
Echenoz s'échine un peu. C'est l'impression qu'il donne au petit roman-fleuve qui coule d'une même, longue et brève saccade. Le secret est inviolable, impossible à éventer. Ravel est touché dans ses retranchements, dans ses frivolités les plus intimes, sans pour autant céder un pouce de quotidienneté, sans dévoiler son éventuel mystère qui, au contraire, ne cesse de grandir d'un fragment de vie à l'autre.
Page cent-sept: "On part à sa recherche, on le trouve à faire la planche et se laissant dériver en attendant les secours". Echenoz n'est pas de ceux-là. Il laisse aller. Ravel n'est pas soignable.
Ravel fait la planche comme moi, ce dimanche, à le lire au vent des pages. Echenoz a même osé des ratages absolus. Page vingt-sept: "La canne est à la main ce que le sourire est aux lèvres".
Non. Ravel, le dimanche. Ritournelle entêtante.

mardi 21 octobre 2008

Courrier d'un lecteur

Il y a quarante-cinq ans, Charles de Gaulle s'emballe tout à trac pour le premier roman d'un étudiant niçois. D'une plume enfiévrée, il répond à l'auteur qui lui a adressé son ouvrage par la poste. "Votre livre Le Procès Verbal m'a entraîné dans un autre monde, le vrai très probablement, et j'ai pu, avec Adam, le parcourir en zigzag. Comme tout commence pour vous, cette promenade aura des suites". Au premier coup d'oeil, de Gaulle reconnaît l'artiste à son travail. Près d'un demi-siècle avant la gloire du prix Nobel, le génial général se décoiffe, ôte son képi devant le jeune poète inconnu. Il termine sa lettre comme s'il se confiait au compagnon d'une même rébellion: "A moi qui suis au terme, vous écrivez que "le pouvoir et la foi sont des humilités". A vous, qui passez à peine les premiers ormeaux du chemin, je dis que le talent, lui aussi, en est une".

lundi 20 octobre 2008

Soeur sourire

L'humanité rayonnait dans ses yeux. Derrière la religieuse rieuse se cachait la fêlure d'une inguérissable douleur. Elle témoignait des pauvresses et des miséreux. Elle faisait naturellement le bien, parlait couramment la langue de l'humilité. Elle confessait son horreur de la médiocrité, son radical désintérêt pour la petitesse. Sa vocation l'avait saisie après qu'elle eût comparé le prince charmant terrestre à l'infinie grandeur de Dieu. Soeur Emmanuelle avait choisi Dieu parce que les hommes - petites choses dont elle faisait trop vite le tour - ne tenaient pas le choc. C'est pourquoi elle dirigea l'amour de Dieu, invincible, sur ses innombrables prochains, exclus du banquet, dans le dénuement des bidonvilles.

Blanc comme Obama

Obama lave plus blanc. Plus blanc que blanc. Blanc Harvard. Transparent. Ethique. Citoyen. Obama est le candidat blanc  le plus abouti d'Amérique. Candidus veut dire blanc en latin. Obama est imbattable. Obama est un concept publicitaire absolu. Ni Blanc, ni Noir: Métis. Il  partage sa couleur de peau avec l'humanité bigarrée. Il possède la prestance d'un trader de Manhattan. Il lui reste juste ce qu'il faut de noirceur pour évoquer les révoltes du Sud et réveiller les remords d'Occident. Obama est le meilleur Blanc de toute la planète bleue.

vendredi 17 octobre 2008

Traduit du bulgare

Les chroniqueurs financiers de la télévision s'expriment dans une drôle de langue. Ils dissertent sur les valeurs de Bourse avec des phrases qui semblent traduites du bulgare. On ne sait pas très bien si c'est un genre qu'ils veulent se donner. L'un d'entre eux, sans doute plus imaginatif, parsemait récemment ses doctes prévisions de deux mots bizarres, dont il paraissait fier: "impacter" et "performer". Cela donnait à peu près: "L'action machin performait tandis que le cours de la devise truc impactait - sur le moment, j'ai compris "empaquetait" - sur, mon Dieu, quelque chose dont j'ai bêtement oublié le nom".
Bref, le français des experts décline à la vitesse des cotations de la Bourse de Hong Kong. C'est un sabir insensé, assez vilain à l'oreille, prononcé avec fébrilité, sans autre souci que de marteler des syllabes. Ces gens d'entregent renient la langue de leur mère, pareils à ces gredins de gradin qui sifflent de bon coeur leurs chants patriotiques.

Une histoire de fou

A dormir debout. Au grand soleil d'une vie achevée, l'homme de la croix fait face, attendant la relève. Foudroyé comme un orme centenaire, déchiqueté par ses ouailles. L'abbé Donissan est mort au confessionnal dans la posture du vif. Mordillé dans sa chair, des chevilles à la tête, des mornes peccadilles qui laissent au paroissien ce teint de linge, ces traces de doigt."Le soleil de Satan est un feu d'artifice tiré un soir d'orage, dans la rafale de l'averse". Bernanos parle de son oeuvre première comme d'un phénomène atmosphérique. C'est un bloc d'abîme anonyme:"J'aime ce livre comme s'il n'était pas de moi".
Bernanos, soixante ans de cimetière au compteur, est misérablement absent des mémoires. 

jeudi 16 octobre 2008

Coup de vieux

En deux mois, le monde a vieilli très vite. Le capitalisme a pris cent ans. Il s'est ridé de failles profondes. La crise financière a fait grimacer son visage anti-âge. Les coups de torchon donnent toujours un coup de vieux. Mais chacun sait, en bon désespéré, qu'on n'a a encore rien vu. La récession économique va reléguer nos tourments de pouvoir d'achat aux oubliettes. Le spectre du chômage revient comme un cyclone récurrent. On serre les coudes, le crédit, la ceinture, les dents. 

Mort d'un météore

Guillaume Depardieu avait l'allure d'un gentilhomme taiseux, d'un preux chevalier de l'excès. 
Il illumina Pola X, somptueux ratage de Carax, chef d'oeuvre de grande brûlure. Maître des fulgurances, le comédien rimbaldien traîna sa magnétique présence blonde sur les plateaux de cinéma. Il jouait sur une jambe, marchait sur le fil du rasoir. Il lui manquait le bon sens des salauds. Il est parti vite, en catimini, sans qu'on le voie. Il a tout donné à la beauté. Il est temps d'ouvrir les yeux, de fixer son regard bleu, de contempler la splendeur d'un météore.