mardi 24 février 2009

Loin, et tout près

Il voisine avec la fenêtre à petits carreaux. Il ne voit plus, ni sa plaine, ni sa forêt. Il baisse la tête dans l'acceptation de sa défaite. Il se recueille. Il s'est retranché dans son for intérieur depuis déjà tellement d'heures. Ses yeux sont scellés. Il ne décachète plus son visage. On voudrait découvrir la beauté d'une écriture: un sourire simplement de bonté, le ciel sans ratures d'un regard. Il est loin, et tout près. Des mains féminines impriment à son corps une volonté de médecine.

Tous les autres mentent

4 août 1943, à l'âge du Christ et des poussières, Simone Weil griffonne ses derniers mots, dernières lettres, libres propos de sainte, de Londres à ses parents. Avant d'être quitte, dans l'abîme d'une mort silencieuse, Simone Weil endosse l'habit d'humilité, ultimes instants de terre. Dans sa lumière crue, la parole de Thérèse, "la gloire de n'être rien", drape la sublime intouchée du manteau de Martin. Ces lignes esquissées à la diable disent la joie des beaux jours, la gaieté mozartienne d'un été sans mesure. "Les jours chauds sont revenus, coupés d'ondées torrentielles...Le soir, on danse en plein air dans les parcs".
A pleine joue, la vie exulte, jeunesse de sang: "C'est une petite fille de dix-neuf ans, fraîche, saine, jolie, très gentille, qui vient faire le ménage". Simone regarde intensément, se mêle au monde du mieux qu'elle peut, voit vibrer la beauté dans son élan animal. Libre comme l'air et dans la main de Dieu, humainement tenue au plus proche, au plus pauvre, ruisselant des crachats. D'Artaud, frère de cri: "La faim n'attend pas, courir au plus pressé, donner à manger à tous. Qu'est-ce qu'il reste ? Où gît le problème ?"
De l'homme, cette étoile du néant, la fiancée de Dieu voit la misère, accourt au fou. Simone Weil écoute inlassable les insanités des hommes seuls, entend la vérité de qui mendie la raison: Roi Lear ou regards peints de Velasquez. 
Inclassé, hors-je de société, loin des menteries de trop humaine comédie, le fou fait un grand signe de terre, la vérité au bout des lèvres, rosée blanche de printemps.

lundi 23 février 2009

Les étoiles

La nuit, les autos sont des torches vivantes. Leurs yeux de feu foncent dans l'espace rectiligne, zigzaguent sur le carreau des montagnes. Ce sont des étoiles tombées du ciel. Ou bien des oiseaux épinglés. Ces clignotements de panique signalent la blessure du fusil.  

La prière

Les mots ne se contemplent pas. Il faut l'énigme du monde, le mystère de l'indifférence élementaire, l'infinie déraison des choses, pour satisfaire l'émerveillement des hommes. La nature exemplaire force l'admiration. Où les mots se terrent, commence la prière.

vendredi 20 février 2009

Etats généraux, Etat généreux

Nicolas Sarkozy a la manie des "Grenelle", "sommets" et autres charivaris. Il aime aussi réunir des états généraux. La presse en sait quelque chose. L'Outre-Mer ne languira pas longtemps. En avril, il ne pourra se défiler. L'Etat généreux lui consent de semblables assises. Il y a bien longtemps, le général de Gaulle raillait la politique des "comités Théodule". L'actuel président gère les crises, la grosse comme les petites, avec la même rage enthousiaste qu'un DRH de multinationale animant des séminaires de formation. Il se plaît à asseoir les gens autour d'une table. Il souffre d'une forte addiction aux commissions - Balladur, très sollicité, Copé aussi. Ce penchant naturel pour l'immobilité des conclaves contraste avec sa plaisante gesticulation solitaire. Sous Sarkozy, on fabrique des rapports comme s'il en pleuvait. La production de documents s'emballe. La machine administrative tourne à plein régime. 
Dans ce contexte buraucratique, la révolte des Antilles est invitée à se calmer, à se recycler en états généraux. Si la presse a frayé le chemin en pareille matière, s'encombrant peu du tiers état des lecteurs, on imagine mal que le peuple des Iles ne figurât pas sur les listes et fasse tapisserie. Les Antillais sont un peu durs d'oreille. Etats généraux connaissent pas. Ils entendent de l'Etat qu'il soit généreux.

Le bleu du ciel

Le ciel aime endosser son vieux pardessus gris. Mais hier, il s'est vêtu d'un rutilant bleu de chauffe. Il a retrouvé l'habit de lumière. Le ciel stocke ses couleurs d'été au grenier. Nous avons levé le nez de nos bidules dernier cri, contemplé ce bandeau d'azur qui ceignait Paris. On avait le choix entre cliquer et cligner des yeux. Aujourd'hui, nous avons la grisaille pour menu fixe: soupe à la grimace obligatoire.

lundi 16 février 2009

Cueilleurs de pissenlits

Porte E, bloc 14, rang 51, place 24. Je jette un oeil sur mon billet à cent dix euros. Sur la pelouse du stade de France, les Bleus n'y sont allés qu'à contre-coeur. Ils ont juste accompli le service minimum d'une entreprise publique. A vrai dire, ils étaient pâles, vêtus de blanc comme des premiers communiants. Dans les gradins, on se réchauffait avec les moyens du bord: on applaudissait l'essai écossais, on criait "remboursez", on dédaignait les sinistres "holà". Toujours solide gaillard, le fier Imanol est sorti du lot de joueurs las. Harinordoquy a tenté de remuer sa mêlée. Il faut d'autres gredins, pas des cueilleurs de pissenlits, pour électriser les gradins du rugby. Ils ont gagné: on se demande bien quoi.

lundi 9 février 2009

Le galop d'Olga

J'ai déterré une moitié de pavé, une moitié de visage, "Oui", le recueil des plaisirs, des admirations, des bonheurs de Marc-Edouard Nabe. Je l'ai feuilleté, dos à la morne clarté d'un dimanche de février. J'ai retrouvé la magnifique conférence d'Hammamet sur Bernanos. A chaque fois, je suis très ému par le bouquet de phrases qu'il jette sur la page à l'adresse d'Olga Georges-Picot. L'actrice de Resnais et de Robbe-Grillet justifie à elle seule les fignolages de mémoire de l'artiste. "Je t'aime, je t'aime" est le bégaiement d'un homme, sa passion grave pour une beauté de cinématographe. Jamais d'oubli: Olga revient au galop. Nous sommes au moins deux à nous vêtir de noir.

Rugby de rigolade

Même pas triste. Le Quinze de France a joué sans retenue. Il s'est pris des pénalités et trois essais. Lièvremont a desserré le frein du jeu à la main. Il a rompu définitivement avec le rugby de précaution. On a vu un essai d'anthologie du huit Harinordoquy, au terme d'un fantastique mouvement d'accordéoniste. Le huit d'en face a répliqué, de pareille manière, par un ballon aplati dans l'en-but tricolore. Chabal a rué dans les brancards, s'est échappé comme un percheron de course, a traversé les deux tiers du terrain sans un regard pour la meute à ses basques. Le musculeux Beauxis perça comme une flèche, cadra à la perfection, échoua d'un cheveu. Il passa deux drops, deux feuilles mortes entre les poteaux. On joua décousu dans l'esprit du rugby. On a perdu la partie, on a forcé la sympathie. Nous a manqué un fou furieux de légende, un homme de panache accompli, l'étincelle d'Elissalde. Rugby de rigolade, presque de régalade, qui a souri à la cavalcade irlandaise, aux caracoles du vieil O'Driscoll.

vendredi 6 février 2009

Sous la dent

On est tellement matraqué de bouquins étouffe-chrétiens, de sommes assommantes, de gros écrits creux que le svelte "Vingt-septième livre" de Marc-Edouard Nabe est une bénédiction de l'édition. Moins de cent pages qui roulent à toute berzingue, zigzaguent et dézinguent en chantant. Bref, c'est de la bonne viande, de la chair fraîche. L'auteur du sublime "Nuage" contemple ses propres plaies d'écorché. Il raille les gras à-valoir de son vieux voisin faire-valoir, Houellebecq, le crooner crâneur, le joli coeur des destinées pavillonnaires. Il envie ses liasses de dollars. Nabe dit du mal, écrit bien. Avant de se jeter sur son os, on vivotait dans l'acédie des mots. De la taille d'une boîte de cartouches, le petit livre gris du maudit fils de Zannini est un exercice d'exquise fantaisie. Il ferraille dans les airs, admoneste la bleusaille littéraire. Il tire sur les repus, sur tout ce qui ne bouge plus. Nabe fait le job, exécute un numéro d'artiste. On est fou de joie d'avoir quelque chose à se mettre sous la dent. On inspecte les étagères, on se fourre la tête dans la bibliothèque à la recherche des vingt-six volumes précédents.

jeudi 5 février 2009

Sortie de crise

La crise va durer six mois, un an, deux ans, davantage. Son heure de sortie est mesurable comme le lever du jour ou la tombée de la nuit. Les experts n'ont pas pour métier de se taire. Ils plantent leur compas dans l'oeil du cyclone. Ils voient et visent juste. Ils possèdent notre avenir sur le bout des doigts. Au point de nous gâcher notre plaisir, de nous raconter l'histoire avant qu'on aille nous-mêmes voir le film. Il y a des professeurs de futur de tout acabit. La gamme des spécialistes de la crise s'étale sur les linéaires entiers des journaux, radios et télévisions. On fait son marché au petit bonheur la chance. Les paroles d'expert sont aussi vernies que des pommes vertes. On hésite à croquer dedans.

mercredi 4 février 2009

Salle Gaveau

Il se passe quelque chose qui n'est pas là. La musique est libre comme l'air. Elle s'affranchit du corps fini, des pesanteurs de la chair. Elle vole dans l'espace d'une aile invisible. On ne voit pas la musique. On voit un cercle de violonistes qui besognent un instrument. Les simagrées du virtuose nous égarent, nous divertissent du saisissement sonore. Or la musique se joue de pareil jeu. Elle vient du néant, ne se souvient de rien. Elle ne laisse d'autre trace qu'un marquage de la peau, une griffure de l'esprit. C'est un chant stoppé, qui longtemps après, fait encore danser les ours.

mardi 3 février 2009

Disparition

La mort d'un homme n'est plus ce qu'elle était. A lire les journaux, les rubriques nécrologiques sont squattées par les "disparitions". On ne compte plus les individus échappés de la réalité: pas moyen de mettre la main dessus. Or les rédacteurs de pareille notice s'emballent un peu vite, à moins qu'ils ne cafouillent avec les mots. Car rien n'autorise à dire qu'on ne va pas les retrouver. Le "disparu" d'hier peut surgir demain au coin de la rue. Ni vu, ni connu. Tout "disparu" est un "retrouvé" en puissance. C'est juste un homme à éclipses qui souffre de quelques absences. En revanche, le mort traditionnel, le mort d'antan, ne clignote pas sa présence, à intervalles réguliers, à la manière des égarés. Il s'en va pour de bon, sans espoir de retour. 

Buzz

Le bouche à oreille est une pratique de communication tombée en désuétude. On lui préfère aujourd'hui le très chic buzz qui donne une touche people à l'effet de tam-tam. En toute rigueur, l'anglicisme buzz veut dire "mouche à l'oreille". Le petit insecte vibrionnant qui zigzague sur le carreau fait un buzz d'enfer. Il est à l'origine du téléphone arabe, ce miracle de la technologie humaine. La mouche n'est jamais folle. Elle invente un média souple à vocabulaire simple. Son bzzz initial, pensée unique de son franc parler, s'est assez peu transformé avec l'usage.   

Le démon de la nation

Je suis chauvin, nationaliste et patriote. Xénophobe à l'occasion. Dimanche, je n'aimais pas les Croates. Dimanche soir, j'ai navigué un nombre incalculable de fois entre Zagreb et Besancenot, entre France 2 et France 5. La finale de handball n'était pas regardable. Impossible de la suivre dans sa continuité. Ses égalités lancinantes dissuadaient le téléspectateur de s'installer dans le match. L'émotion, la superstition. On prenait peur au spectacle de ces gaillards bondissants comme des fauves. Je me suis sauvé pour me terrer dans un studio plus routinier, à l'écoute des rituelles incantations du petit facteur de Neuilly. Mais cisaillé par le désir d'y retourner, d'y aller voir, de jeter un oeil par le trou de la serrure, je me fourrais à nouveau dans la fournaise croate. Vers le vingtième but tricolore, un grand type à nom slave a crevé l'écran, troué les filets croates, tué le match.
Je n'en menais pas large. J'ai compris que je pouvais rester, qu'aucun mauvais oeil n'ensorcellerait les champions olympiques. Grand seigneur, j'ai même apprécié les vaincus dans leur défaite. Ma xénophobie du début était soignable. Il suffisait d'une victoire française pour chasser le démon de la nation.