samedi 30 mars 2024

Aujourd'hui, Van Gogh

Je me tais devant la télé. J'y dérobe les bribes d'un secret. Il est séminariste avant d'être artiste, puis peintre tout court, à ses risques. Il évangélise ou dessine, écrit des mots. Les toiles de Jules Breton incendient son imagination. Un jour d'air pur, il s'aventure hors de la nature jusqu'à l'atelier de peinture. Courrières est au diable, au bout du désert. Le petit curé colle son nez à la vitrine, n'ose entrer à cause d'un artifice de briques. Il sent les apparences. Il est glacé par l'absence de simplicité. Il renonce au renom. Sa virée s'achève en ratage souhaité. Il arpente la bourgade, garde sa solitude. De Breton, il voit le portrait du photographe, à deux, trois maisons de l'atelier. A son frère, Van Gogh écrit téméraire: "L'art, c'est l'homme ajouté à la nature". L'homme, il en est sûr, c'est lui, pas un autre. Il a dix ans à vivre. Il n'a jamais vraiment peint. Il n'est bon à rien, peut-être au dessin. Sa mort volontaire indique un millier de toiles au compteur. Je me tais devant la télé. « Dancing de la marquise » (5 Sens éditions, 2020, page 149)

mercredi 20 mars 2024

Je n'ai violé personne

Je confesse une négligence au soir de mon existence : personne, ni femme, ni homme, ni transsexuel, n’ont abusé de moi ; bizarrement, je n’ai violé ni jolie jeune fille, ni séduisante beauté mûre. Oui, à l’occasion, je choque un verre d’alcool avec Carole, sans pour autant l’étourdir d’un médicament qui l’endort. Je me repens un peu de pareille désinvolture. J’irais bien consulter le toubib, à côté de la boutique de kebabs, pour qu’il interroge ma normalité défaillante, questionne une conduite contre-nature. Oui, je lui dirais que j’en suis resté à Brassens, à sa chansonnette, en toute innocence. « Quand je pense à Fernande, je bande, je bande ». Mais j’ai bien conscience que ce n’est pas suffisant pour jouir de la pleine santé des gens de mon temps, que je suis loin du compte pour appartenir au cercle bien-pensant de la raison déviante.

jeudi 14 mars 2024

Osez Bashung !

Bashung a ôté son chapeau, salué sous son chapiteau, n’a pas sauvé sa peau. Ce métis, à profil d’oiseau de race, était un écorché fils. Il a sculpté les mots, saccadé les sons, fracassé les rythmes. Il chantait des splendeurs dans son for intérieur, confiait sa déchirure à des volutes de volupté. C‘est comment qu’on freine l’élégant énergumène ? Avec des Victoires de dernier soir, Bashung a noyé son désespoir. Il est mort sur les rails, trente ans d’allers, trente ans de retours. Gaby le Kabyle n’a rien échappé belle. La rougissure des yeux est le pourboire des endeuillés. A la droite du rocker. Autour d'albums, faute de Bashung. Il s'est cassé. Pas que la corde vocale. Le rocker impose la prière. Bashung Achtung ! Attention aux yeux - l'élégant dandy. Attention musique - féline fêlure et mots précieux. Prince en exil intérieur, Bashung nous débarrasse du bastringue. C'est une musique entêtante comme un vin mauve, aux sensuelles arabesques et fins interstices. "Finale", comme dit Céline de La Fontaine. Aristocrate de son art, meilleur que le tapageur Gainsbourg, Bashung émeut par ses mots bleus transfigurés. Vaguement christique, à la Bowie, il meurt à son zénith, vit dans la parole de Miossec et Chedid. Chefs de rayon télévision: osez Bashung !

mercredi 13 mars 2024

De la Constitution

La France, nation universelle, dispose d’une voiture-balai grandiose, providentielle: la Constitution du général de Gaulle. Sa vocation est de recueillir à l’arrière du fourgon les mal en point, les éclopés, les droits fragilisés, les libertés malmenées. Après la loi Veil en péril, il convient de secourir la loi Forni qui nous débarrassa du délit d’inverti. La Constitution est l’infirmerie qui requinque une santé au progrès. Elle protège les meilleurs coureurs de la Grande Boucle, les plus généreux dans l’effort, les avancées à grand braquet de l’humanité, mais aussi les plus vulnérables aux défaillances dans les lacets du Tourmalet. C’est notre projet ! C’est notre fierté ! Foi de foutriquet.