jeudi 28 mai 2009

Merci Messi

Le football se danse à onze. Les maîtres du ballet s'échangent des caresses de cuir. Iniesta, Messi, Xavi sont des athlètes de poche qui jettent des sortilèges. Les Catalans s'approprient le bonheur du jeu, font luire leur griffe d'auteurs. Ils forcent la chance au gré des circonstances. Ils nous éblouissent au point de faire oublier l'impératif du but. Ils déploient leur talent sur toute la largeur du terrain. A l'occasion, ils expédient le ballon au fond des filets. On se passionne pour ce spectacle vivant, l'oeuvre commune qui se fait au présent, indépendamment du score. La beauté du geste agrippe le regard. Elle dessine une géométrie des corps. Elle rassasie l'oeil comme la contemplation d'une merveille. Merci Messi.   

mercredi 27 mai 2009

Fragments

L'anecdote prolifère sur Internet. Les petits bouts de vidéo sont consommés sur le pouce. Le fast food numérique rassasie les fragiles attentions. 
L'imprimé privilégie les fragments, les courts récits discontinus, la brièveté d'énoncé. La société se cale sur le pas d'Héraclite. Le travail est cisaillé, décousu, n'est plus éperdu. Les hommes sont hachés menu. Ils errent au bureau de séquence en séquence. L'entreprise se satisfait des miettes. Elle ramasse les éclats du labeur. Le temps des longs enchaînements de signes est révolu. Les rites signalétiques prévalent désormais.
On lit, on écrit, comme on clique. Les yeux clignent comme les lignes. La vitesse s'accommode de petitesse.

mardi 26 mai 2009

Prière

Les arts sont des prières insatisfaites. On peint sur ses plaies. On écrit, on se recueille pour se délivrer du mal. On compose une musique intérieure. Les grottes de Lascaux sont tatouées de terreurs spirituelles. On griffe la matière, on scarifie la peau, on grise le silicium à la recherche d'une communion. 

dimanche 24 mai 2009

Mandarinat

On dirait des footballeurs encore en survêtement, alignés sur la pelouse, au moment des hymnes nationaux. Ils sourient comme des invités d'émissions de télévision. Ils sourient, contents de leur contentement, tout à la joie de leur visibilité sociale. L'expression du visage vient de la dentition. Ils sont nombreux à décrocher des timbales. Un vieil Autrichien est sorti du rang: il a raflé la plus grosse mise. Un grand chauve a bafouillé son plaisir. Il porte le nom de son père, fin lecteur de Céline. Charlotte, l'effrontée, est devenue plus délurée. Les enfants de la balle ont pris le relais de la palme. Le monde du spectacle est aussi fermé que le mandarinat médical.

vendredi 22 mai 2009

La musique des peuples

Dans ses "Lettres à Albert Paraz", Louis-Ferdinand Céline fait l'inventaire de ses peurs et de ses détestations. Il craint la malice du Diable qui "s'attaque à la musique des peuples". Aujourd'hui, l'Europe est ligotée entre l'Amérique et l'Asie. Trop vieille pour l'une, trop jeune pour l'autre. La Chine immémoriale douche ses prétentions culturelles. Les Etats-Unis se moquent des longues civilisations. Ils fabriquent leurs récits sur le mode fictionnel: Hollywood tient lieu de manuel d'histoire. Bref, l'Europe est assise entre deux continents. Elle tarde à trouver sa place au banquet des grands fauves politiques. Elle ramasse les miettes des G20. Ses nains nationaux s'agitent sur la photo finale: Sarkozy et Berlusconi rivalisent de courtisanerie, jouent dans les jambes d'Obama. La bourrade amicale ne trompe personne. L'Europe est coincée, gênée aux entournures, entravée par ses divisions. Elle parle à plusieurs voix, elle se tait devant l'Histoire qui se fait. 
Ses chefs politiques se désintéressent de son sort au point de dépêcher au Parlement ses plus braves anonymes en tête de liste électorale. L'Europe décline une identité passe-muraille. Or la machine administrative bruxello-strasbourgeoise s'exprime en volapück, rédige en sabir, sans jamais causer à l'oreille des peuples. L'ermite de Meudon, le même Céline, précise sa prophétie: "Ils n'auront plus de chanson, ils périront". L'Europe s'étiole, rapetisse en longueur, se dilue dans l'espace. Sa voix ne porte que de bureau à bureau.  A quel imaginaire le jeu de cubes communautaires renvoie-t-il ?. A quel grand récit Bruxelles exhorte-t-il ?. Faute de grandeur, l'Europe se prive de la ferveur. Elle dissuadera les électeurs à s'extraire - tradition pétainiste oblige - du cercle familial de la fête des mères. Le pensum électoral du 7 juin est une corvée démocratique, une sorte de scrutin punitif, qui se soucie de l'opinion publique comme d'une guigne. Pareille inertie politique relève de la malignité diabolique. Elle brouille la communication avec les peuples. Aucune musique, aucun refrain européen à fredonner. L'Europe a perdu le chemin des coeurs, "le lieu et la formule" rimbaldiens, qui enracinent les mythes. Elle ne va pas bien du tout.

mercredi 20 mai 2009

Sienne

Il suffit de cheminer parmi la brique et la pierre, de regarder le linge en drapeau sur les balcons. Je m'arrête à hauteur du soleil. Je dessine sans savoir, sans vouloir. Je crayonne le bonheur. Je griffonne trois mots. C'est l'heure où Sienne s'habille en reine, l'heure heureuse où la lumière étoile les ruelles, colorie les vastes murs, dégringole sur les ombres, fignole une géométrie de l'homme. Je me souviens des toiles d'Ugolino di Nerio, du vieux puits Palazzo Chigi Saracini, de la vive éboueuse du Campo. Je ne me souviens de rien. Je me réveille dans une réalité qui n'est pas la mienne. A mille lieues de Sienne.

jeudi 14 mai 2009

Pierrot

Revu "Pierrot le fou". A la nième fois, je remarque que le film est bicolore, rouge et bleu. Ferdinand est ivre d'azur au point de se colorier le visage des reflets de la mer. Anna Karina est rouge de désir. Elle s'empourpre au dancing de la marquise. Juste à l'instant où Belmondo se vêt d'une chemise couleur de garance. Il y a du sang quelque part. La poésie éclate à la figure de Ferdinand. Rimbaud est un paradis perdu. Avant le dernier verre, avant les lointains soirs au Harrar. Au bout de toutes les couleurs, en toute fin d'arc en ciel, il y a le blanc de l'oeil de Pierrot, il y a le matin blême des vieux clowns.

mercredi 13 mai 2009

Ectoplasme

On fonce vers l'élection en regardant ailleurs. L'Europe est le cadet de nos soucis. Les peuples savent bien que l'Europe pèse peu, passe à côté de la vie des gens de peu. Ils n'ont d'horizon que la proximité de leur destin, le paysage local d'un labeur quotidien. Pour nous autres Français, Bruxelles est une cité désincarnée, un magma de bureaux en vase clos, une sorte de super-capitale administrative et punitive, une doublure de Paris sans autre légitimité qu'un pareil mépris des terroirs.
On fonce vers l'élection, tombeau ouvert, les yeux bandés, les urnes vides. L'Europe redoute la grandeur. Hitler et Napoléon - un autre couple franco-allemand - ont traumatisé les chairs, intimidé les mémoires. Avec l'apaisement, l'Europe s'est cantonnée à l'insignifiant, s'est choisie un profil d'ectoplasme politique. Elle s'expose à la routine d'un droit de voter dont l'usage précautionneux renvoie à l'ennui des vieilles démocraties.  

lundi 11 mai 2009

Lire, relire

S'approprier un livre, c'est le lire, le relire jusqu'à la lie, jusqu'à plus soif. Scarifier les pages. Solliciter les ressources de sa tête. Eprouver son corps au contact du texte. Car "Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde" chemine en soi comme un feu de joie. Il célèbre les noces de l'homme et de la nature, les accordailles du monde et des civilisations. 
Il n'est pas facile de s'extraire du séduisant ouvrage, de quitter Flaubert, les arpenteurs de la Terre et autres inventeurs de savoirs. A Philippe Descola, Michel Serres emprunte la typologie des quatre visions du monde qui peuplent l'imaginaire des hommes, qui saturent leur conscience. Il croise le dissocié avec la dextérité du geste jardinier. Il rafistole un homme que ses frustes idées mutilent. En nous, meurtris du découpage naturaliste, prisonniers du dualisme sujet/objet, subsistent les prestiges du vitalisme animiste, les vertiges du totémisme animal et les miracles de l'analogisme, d'un réel cousu de relationnel. De fait, nous sommes frères. Avec bêtes et plantes. Avec la Terre entière. Inutile, entre nous, de revendiquer le truchement d'une morale. Nous sommes frères, par delà le droit.

mardi 5 mai 2009

Sauver le savoir

Les enseignants n'enseignent plus. Les étudiants n'étudient plus. La jeunesse perd son temps, leurs parents leur argent, la nation son rang. Si d'aventure, le mot "rupture" revendique un sens, alors il est urgent de rompre avec le dévoiement accéléré de l'université. Nous ne sommes plus dans la séquence "travailler plus pour gagner plus", mais bien en deçà. Il faut repartir de zéro. Sauver le savoir. Il faut étudier sans tarder, "étudier d'arrache-pied pour travailler un jour".