jeudi 21 août 2014

Meilleurs

Le meilleur d'entre nous s'expose au ressentiment des jaloux. La politique est pleine des passions tristes spinoziennes. Juppé peine à se frayer un passage dans la foule, un pas derrière Chirac.
Giscard affubla le professeur Barre d'une redoutable étiquette: meilleur économiste. Mitterrand voyait en Fabius un double de lui-même, lettré, instruit, bourgeois, dans la meilleure fidélité de Blum.
Ces trois aristocrates du pouvoir, choyés des fées, ont minimisé les chausse-trapes du métier. Leurs têtes bien faites méprisaient trop la défaite.
Nés coiffés, ils bataillèrent moyennement dans la violence frontale de la revanche sociale. L'orgueil les hissait d'emblée au-dessus de la mêlée.
Juppé descend de son cheval, brigue la timbale dont il rêve depuis la petite école. Le prix d'excellence renonce à sa retraite vénitienne, cède à la séduction élyséenne. Il n'est pas entravé pas des scrupules de légitimité.

mardi 19 août 2014

Corps de podium

Tous les corps sont permis. L'échelle des morphologies est infinie. Au bout de sa gaule, le petit Renaud saute le plus haut. Un géant marche en tête trois heures et demie durant.
La blonde Justine balade son corps de gamine sur deux tours de piste. Le meilleur sprinter n'est pas le plus musculaire.
Vitesse et sveltesse valent bien une promesse. Les athlètes évincent les mannequins des podiums. La joie de jouer préfère la beauté de chair.
Dans l'eau, le corps double ses biscotos. Les nageurs font peur avec leurs épaules de déménageurs. Ils trimbalent un quintal de muscles en métal. Du stade au bassin, les corps changent de destin.
Les silhouettes épaississent comme des berlines bourgeoises. Il est loin le temps où le médecin de famille recommandait les longueurs de bassin pour le gracieux équilibre des corps enfantins.

lundi 18 août 2014

Le déménagement, c'est maintenant

Le réenchanteur de septième ciel n'était que chanteur de ritournelles. L'homme à discourir vole un coin de succès aux maîtres artisans du courir. Tout l'été, il a feuilleté l'album du souvenir.
Le piètre athlète est empêtré dans sa dette. Il se distribue le satisfecit de champion des déficits. Dividende de chef de bande. Il pérore, décore, commémore, fanfaronne en matamore.
Au Fort, il dévore, fait du tort à son corps. Il a rangé la table de jardin du tête-à-tête exécutif. Le déménagement, c'est maintenant. Il rentre au palais, content de l'été.
Il godille dans les eaux du zéro médaille. Roi n'était pas son meilleur emploi. Fainéant pas son moindre penchant. Avec ses petits bras, il ne se battra pas. Il commentera avec une mine d'évêque la bonne médication de ses échecs.

L'athlète au torse fier

C'est l'histoire d'un mec d'ici, Mahiedine Mekhissi, qui situe sa joie plus haut que la loi. Il ôte son maillot à la fin de l'assaut. Comme l'acteur tombe le masque au dernier acte d'une cavalcade. Le gredin est dégradé par des généraux de gradins. Le vainqueur est traité en déserteur.
Mahiedine est du genre pas tenable. Il aime la ruade. A la cloche, il brûle la politesse à ses colistiers de cendrée. Il se sauve du troupeau, fuit la promiscuité du mano a mano. Il distance les convenances avec l'aisance de l'orgueil.
L'athlète au torse fier déterre la hache de guerre. Sa foulée bazooka mitraille les hectomètres. Le sublime Mahiedine crée l'abîme. Mahiedine exemplaire instaure la terreur. Il nargue les gnomes, au petit trot du finish. L'athlète qui rit évoque Rilke en poète: "La beauté est le commencement de la terreur supportable".
Le sportif dostoïevskien est possédé par les vertiges du rien, court sur le motif comme on peint d'instinct. Mahiedine Mekhissi a tué le match et les mochetés du stade. Il engrange les résultats, les recueille avec panache. ll se drape de tricolore. Il fait du tort aux médiocres. Il fait la leçon aux politiciens maison.

samedi 16 août 2014

Ferragosto

Ferragosto exhale une clarté de paille, la lueur de rouille d'un verger des Pouilles. Eclate au regard l'ultime écarlate des terres à tomates. On sent l'automne qui s'exécute sans qu'on le sonne.
Ferragosto épate le pinceau. Ferragosto version Assomption. Titien a peint la sienne, Chiesa dei Frari.
La madone s'abandonne à la féerie. Mariale est la montée au ciel.
Je saigne d'une Sardaigne méchante comme une teigne. Je cale une amitié dans l'axe d'un soleil blessé. Le jour se clôt dans l'écho d'une voyelle. La lumière se vide comme un verre.

vendredi 15 août 2014

Lauren Bacall

Je longe les docks. Il pleut des cordes. Je frôle des silhouettes muettes. Je ruse avec les rues. J'encapuchonne l'automne. Je courbe ma nuque dans un Londres lugubre. J'obéis à la nuit.
Je réponds à une dame étrangère. Je suis prisonnier d'un Bacall center.
Je vois ses films. Je lis les sous-titres. J'écris des bribes de phrases. J'imagine la couleur des regards. Je suis chez moi dans sa voix.
Les soirs sans Lauren Bacall, je me cale devant Renoir. Je patiente devant La nuit du Carrefour.
Elle est à moitié roumaine, la grande bringue de Key Largo. Elle ensorcelle ma petite cervelle. Elle me sauve des abîmes de la Tamise.
Je piétine depuis des heures devant la librairie du bonheur. L'actrice dédicace un récit de fausses cicatrices. Elle m'interroge sur mon prénom. Elle entaille la page blanche d'un petit baiser d'encre noire.



jeudi 14 août 2014

Où qu'ils se trouvent

J'adore La Colle, la Place du Général. J'aime sa mairie pastel, trouée de petits yeux, cernée de volets bleus. A l'heure de boire un coup, le soleil chauffe le genou à La Colle sur Loup.
La rue Clémenceau dégringole jusqu'à de Gaulle. Le chemin du Tigre s'arrête au lit du Loup. Les Collois n'ont d'autre roi qu'un grand gars renégat. A droite, sur le mur de guingois, on lit l'Appel hors la loi. Le coup de gueule côtoie l'affiche de jazz. Mes yeux pétillent de rien. Je me sens bien en pays gaullien. Au bistrot, je bois sans mots l'Americano.
La pizza croustille d'éclats d'olives. Les filles sont taggées comme des couloirs de métro. Aucun été n'a jamais calmé le goût d'épopée des grands fêlés.
Elle était couchée sur son flanc droit. Elle ouvrait de grands yeux blancs d'aveugle. La mort proche délave le regard, nettoie la couleur pure. Elle palpe mes doigts. Je sais qu'elle s'est cramponnée. Je sais, je ne sais que ça, qu'elle va mourir sans un sourire.
Il est un âge où le souvenir n'imprime plus. Il tourne les pages, agite un éventail. Je voyage dans des paysages sans mémoire, dans une géographie d'amnésie. Les arbres miment une mort debout. C'est écrit dans la pierre du village, la parole du petit colonel, le cri pêle-mêle de l'Appel. L'idiot du micro exhorte au sursaut."Où qu'ils se trouvent".
La Colle, deux tourterelles squattent la nappe du ciel. Je songe à ces corps miniatures, ces beautés de poupée, palpitantes de vie au soleil qui finit. Je revois mes doigts sur la plume, la chaleur de soie dans ma paume, l'odeur de poudre encore neuve.



dimanche 3 août 2014

L'arbre et l'oiseau

Ponge observe que l'animal c'est l'oral, que le végétal c'est l'écrit. L'un se planque, l'autre se plante.
L'un fuit sur la terre comme une parole éphémère. L'autre dort comme une souche. A la bougie de ce qui bouge.
L'arbre est muré dans sa durée. La bête se sauve dans l'urgence d'être sauvage. Le chien aboie sa défaite, mime l'émoi d'un maître.
L'oiseau jette au ciel un battement d'ailes frivole. L'arbre est marbré de verticalité, balafré d'immobilité, entaillé des cicatrices de mille solstices.

La croissance de l'univers

On déboulonne la statue. La croissance est le dernier visage du progrès. Faute d'elle, l'histoire s'enraye comme une vieille pétoire.
On s'agenouille insincère devant l'idole de pierre. On pensait que l'histoire poussait comme du chiendent, s'allait chercher avec les dents. L'illusion est marque de fabrique de la maison.
La linéarité se froisse comme du papier. Le temps a ses coups de sang. L'histoire se fracture, abandonne ses points voisins aux horizons lointains.
La matière noire est la mafia de l'univers. Elle structure la nature comme la pègre noyaute la culture. La physique est à lire comme le récit du grand banditisme.

vendredi 1 août 2014

Voir Meurisse et mourir

La couleur n'était pas inventée. Les images étaient grises. Les histoires étaient noires. Les robes étaient blanches. Le cinéma était un divertissement de temps couvert. Il reproduisait le terroir granitique.
Paul Meurisse est un fils de Dunkerque. Il rêve d'Albuquerque. Il se terre clerc de notaire au pays des houillères. Sa vie est encastrée dans un cadastre.
Paul Meurisse est le plus grand acteur du siècle. A revoir "Quand passent les faisans", on se pince. Meurisse se hisse au plus haut. Aux autres laisse les os. Il rapetisse Serrault, fait oublier Blier. Il ringardise les plus sublimes. Robert Dalban est le lieutenant d'un monument. Yvonne Clech est "une sorcière aux dents vertes".
Audiard chaparde les mots du bistrot, vole dans les plumes de Céline. Il retouche Destouches.
Sur la nappe, il y a les acteurs, en vraie grandeur. Le film est un champ de menhirs à perte de rire. Audiard est cerné de phénomènes. Audiard fait parler les dolmens. Alexandre, Hyacinthe et Arsène.
Paul est pâle. Paul Meurisse a la délicatesse de la prestesse. Serrault est traité de "pithécanthrope de Rodez", Blier de "petit jouisseur". Les escrocs s'échangent des mots d'archanges.
Deauville.  Il pleut des hallebardes. On ne voit pas Le Havre. Papa lit San Antonio dans son Wigwam. Le cinéma du Casino affiche "Le monocle rit jaune". Impossible qu'il périsse. Voir Meurisse et mourir.