vendredi 29 juin 2012

Hors journal

Au coin de la rue, j'ai su que l'heure était venue. J'ai contourné le kiosque. J'ai dédaigné la pile de papier. Je ne tournerai plus la page. Ce recueil d'expressions, sans soin de rédaction, ne m'est pas plus aimable qu'une porte de prison.
Je quitte une geôle. Je laisse les journaux à leurs moraux éditoriaux. Le plaisir a fui des mots comme d'une roue de vélo. L'actualité s'écrit de plus en plus mal. Désormais j'errerai dans les volumes d'une littérature à la beauté durable, je lirai hors journal.
J'en ai fini avec les petits récits d'écrits de fantaisie. J'ai l'âge des pleines pages de corpus travaillés, nés des seules nécessités.

Détraqué

Le corps ne souffre pas l'inconfort. Il est réglé, à la virgule près, pour l'éternité brève d'une sensation. Il est caréné pour la joie brusque qui empourpre ses peaux.
Une chair sans gloire, chassée du paradis de ses étés, mime une méchanceté de déclassé. Ne reste qu'un bec d'oiseau désailé. Le corps songe au temps de paix de son torse bombé. Il est détraqué. Il est embringuée sur la voie patraque d'une destination terraquée.

mercredi 27 juin 2012

De Sarkozy à Nasri

Les footballeurs sont mal éduqués et peu instruits. Les journalistes qui les interrogent aussi. L'incivilité se propage, de proche en proche, de corporation en corporation, comme la résultante de nos manquements. La société est gangrénée de l'intérieur.
Faute de vocabulaire, à court de richesse lexicale, on emprunte à la force son laconisme de "coup de boule".
Samir Nasri, star millionnaire du sport, parle comme un charretier. Nicolas Sarkozy, président tapageur, s'exprimait comme le chef de bande d'un film d'Audiard. On s'éloigne d'une société policée pour les rivages de terres sans politesse.
Autour des mots "polis" en grec et "urbs" en latin, les langues de notre civilisation ont associé à l'idée de cité un sentiment d'urbanité. Notre époque sans délicatesse a tourné la page de pareille sagesse.

lundi 25 juin 2012

Brune aux yeux noirs

Les présidents n'ont jamais les yeux bleus. Les premiers ministres non plus. Hormis Jospin, à l'exception d'Ayrault.
La parité blonds/bruns n'est pas respectée. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont nécessairement le cheveu foncé. Sauf Villepin. Sauf Ayrault, qui pousse le vice à gouverner d'un regard bleu.
La cinquième république pratique un racisme anti-viking. Un président blond aux yeux bleus n'est pas politiquement correct. Le délit de faciès perdure au sommet de l'Etat depuis plus d'un demi-siècle.
Tout candidat à l'Elysée, de type nordique, doit masquer la photo de son CV pour avoir une chance. La République est brune aux yeux noirs.

dimanche 24 juin 2012

La peur bleue

Le fiasco d'Ukraine illustre un malaise récurrent où les rodomontades masquent la peur nationale d'en découdre. Blanc et ses Bleus se sont sauvés, ont fui devant l'ennemi. Nos matamores du sport ont visé la nullité du score. Il se sont serrés autour de Lloris dans la sotte observance d'une stratégie du pire.
A se recroqueviller devant l'ange gardien, ils exprimaient leur désarroi, appréhendaient leur destin de proie. La couardise est mauvaise conseillère. La reculade érigée en doctrine mérita l'impitoyable châtiment.
Ce jeu contre-nature fit d'un rude arrière un misérable ailier. On envoya Debuchy à la boucherie. Il s'égaya parmi les Rouges le long de la touche. On réveilla Réveillère du banc des "coiffeurs".
Nos fanfarons du ballon rond se tassèrent en pack d'austérité dans un jeu à croissance nulle. Nos filets tremblèrent deux fois. On aurait dit la même peur bleue. La pâle équipe du "Président" claquait des dents. Dans les vestiaires, ils étaient fiers et contents d'eux. On se remémorait le spectre Domenech.

vendredi 22 juin 2012

Arrêté antimendicité

L'incurie des pays d'Europe du sud indispose les contrées du nord. L'endettement massif déferle en zone euro comme une horde d'indigents roumains dans les rues de Paris. L'Allemagne vertueuse s'attribue le rôle du préfet de police. Elle pratique la politique de l'arrêté antimendicité. Les pays du soleil, en bordure méditerranéenne, lui font la manche avec insistance.
Mendiants ou Européens, il faut choisir entre les deux, nous avertit l'intraitable Chancelière. S'interdire "la médiocrité", c'est chasser les vagabonds de la zone euro.

Sans grand sachem

Le temps des chefs charismatiques est révolu. Cette grâce du commandement ne court plus les rues. Le peuple s'habitue à des leaders ternes. La gauche se range comme un seul homme derrière Hollande, président en contre sans faire beaucoup de je(u). La droite s'éparpille au gré des mornes guichets Fillon, Copé, Juppé.
Ces meneurs de petite bande s'époumonent à dissuader la naturelle débandade de leurs ouailles. L'échec favorise l'indiscipline. Les ambitions se dévoilent. La piétaille politique songe à sa carrière.
Sans grand sachem rimbaldien pour "fixer des vertiges", le peuple s'emballe peu pour l'improbable destin national. Les clans s'épient. Les zélés élus sont tapis derrière leurs arrière-pensées. On bataille pour un perchoir. On brigue un statut de chef de groupe comme on solliciterait une considération de chef de rayon.
Le peuple républicain n'a plus la foi du charbonnier. Il ne vibre point à l'incantation du président normal. Il n'attend rien, hors la crise. Il s'abstient.

mercredi 20 juin 2012

Lire et délire

Sortir de Proust ? Pour quoi faire ? S'assommer la tête avec de brumeuses sornettes ? J'ai peur que Proust ne m'abandonne. C'est pourquoi je me garde bien de lâcher La Recherche. Je me cramponne à ses mots comme au bastingage d'un bateau.
J'ai mon rond de serviette, j'ai l'habitude de sa phrase sur la nappe. Je vis dans sa clarté aux frais de la princesse. Je parasite une oeuvre composite. C'est une brocante où les bibelots sont des mots, où l'auteur des splendeurs jamais ne s'absente.
A quoi rimerait-il de changer de crémerie ? Jusqu'à nouvel ordre, je demeure chez Marcel Proust. J'y séjournerai jusqu'à épuisement de ses charmes. Le lire m'interdit le délire d'un autre.

lundi 18 juin 2012

Tombés du perchoir

La demi-lune de l'Hémicycle est garnie de députés. L'habit rose domine dans les travées. Un socialisme modéré tient lieu de centre fédéré. Le pays, en choisissant un chef normal, s'est interdit la griserie, s'est affranchi de la rêverie.
Le hollandisme pousse dans les départements comme du chiendent. C'est une herbe sans folie qui ne prétend pas au soleil intérieur du coquelicot. Un proverbe veut que la droite rate et que la gauche gâche. L'heure n'est pas à chinoiser. La droite s'est plantée dans les grandes largeurs. La gauche redoute d'être économe.
La crise a grisé l'horizon des passions. Le futur est un luxe qu'on remet à plus tard. Les lendemains ne chanteront plus. L'Histoire retiendra que Jack Lang et Ségolène Royal sont tombés du perchoir.

Thierry râlant

Thierry Roland pouvait s'attabler. Il avait son rond de serviette au domicile d'une France cocardière. Les jolies consciences "je m'en footeuses" raillaient son patriotisme de plein air. Les contempteurs du "bâillons rond" fustigeaient ses errements amoureux, dénonçaient ses élans généreux. Thierry râlant, en rogne contre l'arbitre, était attendu à chaque coin de commentaire.
Il pestait, fulminait, s'exclamait avec une ferveur de gosse émerveillé. Il était injuste par manque de tiédeur. La passion l'égarait dans une joyeuse approximation. On l'aimait pour sa gouaille et sa mauvaise foi. Il était l'héritier du grand Roger Couderc, le chantre légendaire du rugby.
Il mouillait une larme devant l'hymne national, faisait du sport une affaire de drapeau tricolore. Il n'était pas seulement le douzième homme de l'équipe de France. Il était son barde fidèle, à demeure dans la sélection, le plus capé des hommes en sueur.

jeudi 14 juin 2012

Nouvel "en"

La préposition "en" fleurit à tout bout de phrase. Elle se ahane comme un cri de tennisman. Pas un jour sans qu'un homme politique ne se targue d'être "en responsabilité" ou n'exprime sa fierté d'être "en capacité".
Dans le même temps, l'élu des scrutins ne désigne plus le peuple que comme une communauté "en souffrance". Il jure même ses grands dieux qu'il ne sollicitera ses suffrages que s'il est "en situation".  Ces assauts de nouvel "en" témoignent d'un engagement total.
On entre "en politique" comme "en religion". On fait ses délices des anglicismes. On prend ses aises avec la langue française.

mercredi 13 juin 2012

Compagne en campagne

La compagne du président est en campagne. Elle tweete à la hâte, tweete à tire-larigot, tweete à contre-courant. Elle fait la courte échelle au rebelle socialiste de La Rochelle. Au grand dam de Marie-Ségolène. N'en déplaise à François, l'homme écartelé, à double fidélité.
La jalousie de Valérie s'exprime en moins de 140 signes. Pareille transparence de First Lady fait progresser la démocratie. On se fiche des dindons de la farce: on apprécie l'audace.

mardi 12 juin 2012

Le doigt sur la bouche

Chut ! Samir Nasri scelle ses lèvres d'un doigt vengeur. Chut ! Samir Nasri joue à chat avec une balle. Chut ! Samir Nasri se rit des critiques mécaniques. Marcel Proust les qualifie de "célibataires de l'art". Gustave Flaubert précise: "Ils sont pions faute de pouvoir être soldats".
Chut ! Samir Nasri marque un but. Samir Nasri, le malappris, sauve la patrie. Le doigt sur la bouche, il fustige les commentateurs de gradins. A l'Euro, le petit homme un peu rond, qui trimbale un fessier haut perché, rend la monnaie de sa pièce.

lundi 11 juin 2012

Les gnons de l'opinion

La géométrie de l'opinion varie dans l'espace. C'est pourquoi les arpenteurs de métier s'emmêlent les pinceaux. Ils se fourvoient dans leurs mesures avec une régularité de métronome. A Hénin-Beaumont, ils ont décroché le pompon. Ces maîtres géomètres ont taillé au plus juste la tunique de l'ardente Marine. En revanche, ils ont confectionné un costume beaucoup trop large à l'ombrageux Jean-Luc.
Les zélés sondeurs accumulent les camouflets. Ils drapent leurs infortunes derrière une science de pacotille. A trop triturer l'opinion, on la crible de gnons. Le peuple des suffrages se rit des piètres harpédonaptes de l'opinion politique.

dimanche 10 juin 2012

La terre battue

Ils s'observent dans la diagonale d'une écorchure. Ils bondissent derrière une balle de tennis. L'ocre de Roland-Garros tapisse l'espace, élance un cri comme une épiphanie.
La terre est mêlée d'un sang victimaire. Dans une lueur de cirque, Nadal est machinal. Une grande bringue de Russe fait des siennes, s'emballe, vocalise le tennis. La géante infernale geint dans l'arène animale. La renommée séquestre les forçats de la tache orangée.
Ils cognent, expédient une besogne. Ils trouent de coups une terre mille fois battue, profanent une beauté - flagrante et nue -  de coquelicot des rues.

vendredi 8 juin 2012

Portrait d'Ayrault

Il séjourne rue de Varenne. Il gouverne une contrée batailleuse, lassée de politique tapageuse. Il est blanc comme un linge, pâle comme une ombre spectrale. Visage diaphane qui témoigne de l'origine latine du mot candidat.
Ayrault est candide sur toute la ligne. Vierge de toute expérience ministérielle. C'est un bloc de blancheur atlantique. Mièvrerie d'un corps sans fantaisie qui hésite entre la pierre marmoréenne et la chair flasque.
Carrure de clergyman faussement sportif, verbe sermonneur de vrai pasteur. Révérend père, ce Ayrault.
L'homme ne prend pas bien la lumière. Ce fils de Bretagne exhibe une trogne sans relief. Le soleil rosit à peine un épiderme sensible à la flatterie. Au pouvoir, c'est la seule couleur, sorte de bleu de travail, que le géographe de Matignon accepte de bonne grâce. Il est à sa place, normalement normal, pathologiquement aimable. Il applique à la lettre les consignes de banalité.

mercredi 6 juin 2012

La conversation du pouvoir

Le culte de la nation se nourrit de pieuse conversation. Elle coudoie les passions ravageuses. Charles de Gaulle cause à la France. Marcel Proust bavarde avec Albertine. L'un et l'autre embastillent leurs désirables proies. De Gaulle fixe un cap. Il balade au grand air la nation millénaire. Proust se recueille au chevet d'une morte. Le poète et le soldat scandent une même prière pour plus tard.
De Gaulle lit Jouve. Correspond avec Le Clézio. Ses pommettes s'empourprent à la lecture de "Paulina". L'artiste est de son temps, pressent les suivants. L'homme du dix-huit juin parle "des gouvernants de rencontre". De Gaulle arrête le regard du hasard.
Proust et le grand Charles ont tué le match. Le juif asthmatique et le catholique gothique ont inscrit la France, ses paysages et sa phrase, au milieu du monde, à son zénith universel.
Aujourd'hui, la politique s'est affranchie des belles lettres. Sarkozy invente l'épilepsie du pouvoir. Il se rue dans le décousu. Il est possédé d'envie, tiraillé des pires désirs. Il soliloque, et du monde se moque.
Giscard prétend écrire avant de lire. Sarkozy tord le cou à "la princesse des contes" et à "la madone aux fresques des murs" (Mémoires de Guerre, L'Appel, page 1). Il s'épargne la corvée des écritures. La sotte vanité de Giscard introduit à l'enfantine brutalité d'un Sarkozy, futile monarque.
Je me souviens d'une photographie de De Gaulle, à son bureau, les yeux dans le vide. De Gaulle voisine avec les vertiges. A l'heure des nouvelles du soir, de Gaulle s'extrait de son travail, ferme l'électricité, laisse craquer dans son sillage le parquet de l'Elysée. Il observe l'humanité dans les yeux d'un vulgaire téléviseur. Il connaît la loi du pouvoir sur le bout des doigts. Il contemple la France. Il songe à "La Prisonnière", le cinquième des sept volumes du grand oeuvre de Proust. Charles courbe sa longue carcasse: "La regarder dormir".

mardi 5 juin 2012

Candeur d'expert

L'analyse politique de M. Jaffré (Le Monde du 5 juin) s'achève sur un sentiment de perplexité. Le spécialiste de l'opinion publique s'interroge sur la minimisation par François Hollande du vote de François Bayrou en sa faveur, au second tour de l'élection présidentielle.
Pareille réflexion d'expert ne manque pas d'étonner. Elle témoigne en effet d'une désarmante candeur. A vrai dire, la quasi indifférence du Parti Socialiste à l'endroit du leader centriste s'explique par la volonté farouche de ne pas blesser inutilement ses alliés privilégiés, les Verts et le Front de Gauche.