mercredi 31 décembre 2008

Richard le kiosquier

Richard est kiosquier au coin de la rue des Mathurins. Il observe la marche du monde. Il guette la course des hommes derrière son étal de papier. Les décennies au grand air ont blanchi sa chevelure en bataille. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il neige, il est posté dans sa minuscule cahute. Il habite une frêle guérite tapissée d'imprimés. De bonne heure, il trie sa cargaison de magazines, enjambe les cartons, compose pour la journée sa masure de lectures. Richard accueille matin, midi et soir, les mêmes mendiants des nouvelles. Il garde les lieux, regarde les cieux, sourit aux gens de peu.

An gnangnan

"Aux tiens et à tes proches". Les miens. Mes mains. Je ne possède rien. A peine un corps précaire, une carcasse fragile. M'appartient-il vraiment ce squelette ambulant ? Quel mépris de malappris que ces injonctions de bonheur postal "aux miens et à mes proches" ? Horreur du sentiment qui ment, bêtement, gentiment. Nouvel an de l'âne. On se fiche de l'an gnangnan comme de l'an quarante.

mardi 30 décembre 2008

L'année d'après

Que l'année d'après soit métissée de félicités, qu'elle soit belle et sans mail, pleine de de joyeux chahuts et de menus bonheurs impromptus, qu'elle recueille dans son compotier les fruits blessés de l'humanité !

lundi 29 décembre 2008

Gaza

La bande de Gaza panse ses blessures, s'étend sur des kilomètres de gaze. Tous les bains de sang sont des humiliations humaines. Les enragés des deux camps font parler les armes. Ils sont les ventriloques des machines de mort. Les uns s'expriment, aboient comme des roquettes. Les autres maîtrisent la langue inutile des missiles. Ces mots-là sont chargés d'un sens explosif qui éclate à la figure, qui fait vraiment mal. Ils déchiquettent les corps, pulvérisent les chairs, mutilent les enfants. C'est une langue étrangère qui fait grimacer les visages. Les peuples d'Israël et de Palestine s'échangent une terrifiante monnaie commune. Cette devise infernale se mesure en violence martiale. Il faut répudier le méchant patois des armes. Il est incompréhensible aux hommes. Il faut se parler avec le vent des mots. Avec le souffle de l'esprit. Avec le courage des seuls sages.

Grandes bestioles fauves

Le talent se taille au couteau de jardinier. Le talent se taille à triple vitesse quand il n'est pas soigné de mille délicatesses. Le désoeuvrement est un lent dépérissement. Le talent s'étiole comme la majesté sauvage des grandes bestioles fauves.

Le don des bidules

La cérémonie des cadeaux s'accomplit comme une expédition punitive, sous les clameurs du papier d'emballage. La violence contenue s'exprime par le truchement des fétiches échangés. L'image de soi circule dans le circuit des marchandises empaquetées. Le don des bidules est l'ébauche entravée d'une gloire personnelle. Le rituel est réglé pour la joie mécanique. Les généreux donateurs comparent leur volonté de puissance dans la bagarre des offrandes. Vite. Il ne faut pas traîner. On calque la cadence sur le tourbillon préalable du shopping effréné. On se regarde sourire dans le papier glacé des paquets. On exécute la figure imposée comme une formalité sociale. La magie des échanges escamote la morsure du ressentiment. Elle jette un grand rire bref sur le brasier des arrière-pensées.

dimanche 28 décembre 2008

La machine alligator

Dans le train qui glisse vers la nuit de Noël, j'observe le visage polygonal de l'étrangère à peau mate. L'image d'elle-même est doublée du son de sa voix. La langue de l'Espagnole évoque le trot des chevaux. Elle s'accorde à la lueur ardente des yeux. La fixité géométrique du regard s'est noyée dans le trou noir de l'ordinateur. Les yeux du désir se sont donnés à la machine alligator. 

mercredi 24 décembre 2008

Jésus

La naissance de Jésus contrarie la raison ordinaire. L'homme se cogne au mystère. La force de la vie se manifeste dans un décor de misère. L'enseignement de Bethléem est simple comme bonjour, affreusement difficile. Il change la nature du regard, le sens de l'horizon. La mort se situe dans notre dos. L'amour de Jésus est le message de bienvenue. La crèche pleine de chair conduit au tombeau vide. Le dimanche de Pâques s'identifie à la nuit de Noël. La joie relie ces deux visages de l'aurore. La raison est hors de ses gonds. Jésus nous invite à la pauvreté du coeur. L'errance de l'homme croise un chemin de terre, un sentier de lumière, un tracé de liberté.

mardi 23 décembre 2008

La chasse aux caténaires

Dans l'Essonne, de braves chasseurs ont épaulé et tiré sur des chevreuils volants. Raté. C'était des caténaires de chemins de fer. La SNCF devient un stand de foire pour amateurs de gros gibier ailé. Mais que fait donc la police verte ? Il faut interdire la chasse aux oiseaux-chevreuils. Dans le même temps, il convient de préserver les lignes aériennes de traction électrique du réseau ferroviaire, une espèce rare en voie de disparition.

lundi 22 décembre 2008

S-Aime-S

On ne distribue plus de tapes amicales, de gentilles bourrades dans le dos. On adresse des s-aime-s. Nadine n'a pas lésiné sur ses témoignages d'amitié à l'égard de Rama. Elle a la gâchette de texto rapide. En revanche, Julien regrette la tactilité pataude de Martine. La dactylo générale du PS s'est inscrite aux s-aime-s absents.

Touche pas

Le bel idéalisme de la jeunesse trotskyste de Julien Dray s'est égaré avec l'âge. "Touche pas à mon pote" était un slogan précurseur des temps de la diversité. Depuis lors, l'embourgeoisement d'éléphanteau de la rue de Solférino a fait son travail de sape. Le "Juju" des manifs lycéennes a changé de mot d'ordre: "Touche pas à mon pote-feuille".

vendredi 19 décembre 2008

Furieux

Je lis dans le journal ce bout de phrase de Maupassant: "l'éblouissement furieux de la lumière". L'écrivain désigne l'attraction du Sud, le magnétisme de la Méditerranée. L'adjectif  choisi s'accorde à la démesure des terres volcaniques. Le mot est juste au point de trouer la représentation. Le soleil imprime sur la page ses couleurs de violence. Le talent de Maupassant est cousu de lumière blanche. Ce petit mot sauvage est un geste d'autorité. Il suffit à imposer  la souveraine nécessité du vrai. L'artiste voit les choses en italiques. Au fond, je n'ai jamais demandé qu'on me tienne informé. Je n'ai envie que de beauté.

Bonefaites !

Le verbe "bonefaire" ne s'emploie qu'à l'impératif, uniquement à la deuxième personne du pluriel. Il est usité en fin d'année. A pareille époque, les gens de connaissance se quittent en prononçant les deux syllabes sonores: "Bonefaites !". A vrai dire, nul n'en sait l'exacte signification. Certains prétendent qu'elles exhortent à bien faire. Ils se fondent sur une étymologie discutable. Je penche plutôt pour une origine laborieuse. "Bonefaites !" serait la forme contractée de l'expression: "C'est une bonne chose de faite !".

mercredi 17 décembre 2008

Le dos des hommes

Le dos des hommes est un mur de ghetto. Dans les rues d'hiver, il pèse des tonnes, multiplié à l'infini dans les files ambulantes. Il dissuade toute communication. Carré dans un cuir épais, il dresse la largeur de son veto en guise d'expression. Le dos des hommes est un front du refus. Sa géométrie sommaire fait écran, interdit l'accès au visage. C'est un écriteau de propriété privée, engoncé dans sa chair. Seul le poignard du traître pénètre la dure carapace de l'espèce. 

mardi 16 décembre 2008

Hommes et klaxons

Il est loin le temps où le général de Gaulle refusait d'être sonné comme un domestique par le cri strident du téléphone. Aujourd'hui, les hurlements machiniques nous rappellent à l'ordre, les miaulements d'ustensiles nous exhortent à l'obéissance. La dissonance des objets scande les heures de labeur. La cloche de la récréation des enfances d'autrefois s'est répandue dans les travaux journaliers les plus menus. Elle s'est métallisée, numérisée, intériorisée. Ces sirènes d'incendie nous réquisitionnent dans l'urgence. Les criailleries d'outils réclament une bienveillante attention, une disponibilité de laquais. Nous parlons couramment la langue des objets braillards. Notre corps se plie aux exigences de mille et une sonneries. La docilité au bruit définit le mode d'accès à la société désenchantée des hommes et des klaxons.   

Il pleut des milliards

Au Monoprix de la carambouille, on ne trouve rien à moins du milliard de dollars. Ces affairistes à la décontraction nonchalante cassent le moral des besogneux du bas peuple. Ils tuent le match, ridiculisent la foi démocratique. Les braves gens sont assommés par ces sommes astronomiques dilapidés. Ils restent interdits devant la gabegie et l'escroquerie. Il pleut des milliards dans des économies à climat réputé désertique. Les banques accumulent des pertes abyssales comme des erreurs d'étourderie. L'argent repousse comme du chiendent sur les terrains vagues du capitalisme. De telles exactions sont des provocations, pareilles à des cris de haine, des appels à l'émeute, des exhortations au déferlement des foules.

Claire

Les premières lignes de Claire ont la netteté du cristal. Elles font l'effet d'un seul jet. On s'en veut de progresser trop vite, de dilapider pareil flacon d'eau fraîche. On referme le livre comme on bande ses yeux pour garder intacte l'acuité du plaisir. S'interdire l'accès d'un livre pour mieux y succomber ensuite, à l'heure dite, à l'instant du désir impérieux. La paume est posée sur la page cartonnée comme sur la joue rouge d'une fiancée. 

lundi 15 décembre 2008

Oumpapah

Je fais mes emplettes de Noël dans une librairie qui ignore l'alphabet des lettres. Nulle trace de Drieu au voisinage de Duras. Les rayons éclairent mal le client. Il y manquent des bougies. Mais j'ai envie de la phrase de Chardonne. Sur le champ. Comme de la saveur du caramel cône explosion, ce délice des glaces de jadis. Je tombe sur un mince volume des "Cahiers Rouges", le roman Claire. Je cherche Oumpapah. Je ne trouve que Gaston. Papa sera privé du majestueux Peau-Rouge.

Fric-frac

La cupidité des hommes n'a de limites que l'infini du ciel. L'escroquerie d'un col très blanc, l'ancien patron du Nasdaq, illustre les ravages de pareille maladie. La soif inextinguible d'argent témoigne de l'état de dépendance d'un nanti de Wall Street. Le commun des mortels est toujours surpris par l'âpreté au gain des nababs, aussi tremblants à palper des billets qu'un modeste ouvrier touchant son premier salaire. Bref, l'argent est une drogue dure qui affecte les privilégiés de la terre. Il convient de mettre en oeuvre un plan sanitaire visant à les désintoxiquer, à les débarrasser de leurs violentes pulsions de fric-frac. On n'est même pas sûr que la prison, mille fois légitimes, soit une bonne thérapie. L'intempérance financière nécessite une diététique appropriée. L'obésité en milliards de dollars est une affection contagieuse, assez malaisée à soigner.

jeudi 11 décembre 2008

Le dieu Pan

La Grèce est en feu. Les flammes dans la cité se substituent aux incendies de l'été. Athènes s'embrase. Les émeutes répondent au meurtre. Pan. Alexis est mort d'une balle de police. Les forces de l'ordre provoquent la pandémie du désordre. Le peuple grec exprime sa colère dans la rue. La violence bégaie. La panique est reine au pays du dieu Pan. Alexis est le "subprime" qui fait déborder le vase.  

mercredi 10 décembre 2008

Fer rouge

Werner Herzog est à Beaubourg. On voit ses films. Je me souviens d'un dimanche glacial à Düsseldorf. Dans ma chambre d'étudiant, je regarde la télévision. Je suis ébloui par le spectacle. Werner Herzog, alors sauteur à skis, filme les gestes de son métier à risques. Ces grands oiseaux humains qui planent sur la neige n'ont pas quitté ma mémoire. Le cinéaste communique par l'image l'étourdissant vertige, fait ressentir au plus près cette plongée vers l'abîme des grands brûlés de la spatule. Ces aventuriers sont des forcenés inguérissables qui gravissent l'échelle du monde, recommencent la genèse du vol, redécouvrent l'aurore du premier bond, s'élancent dans le vide comme des fous de Dieu. Ce sont des anges en combinaison de cosmonautes. Werner Herzog percute en pleine figure la sauvage beauté d'un monde grandeur nature. Il ne recolle pas les morceaux, les fragments de poésie. Sa pellicule est une sorte de fer rouge. 

Une santé sans péché

L'interdiction de fumer dans les estaminets, bars et salles de café, suscite des vocations de sheriffs, de justiciers roquets, de redresseurs de torts au triomphe trop sonore. Cette mesure punitive invite à la délation ordinaire, à la bonne action citoyenne. Au fond, tout se passe comme si la chimère du "tabagisme passif" était assez bonne fille pour doter les grands prescripteurs d'hygiène morale d'un argument en or massif. C'est une fable cousue de fil blanc. Car l'enjeu ultime de pareil matraquage liberticide est de recruter des petits caporaux anti-Marlboro, bardés de vérités d'almanach, d'enrôler des censeurs au grand coeur, drogués d'ordre moral, de fabriquer de sobres menteurs, apôtres d'une santé sans péché. La pudibonderie sanitaire dégage un arrière-goût de moisi. L'actuel nettoyage éthique se débarrasse des derniers restes d'humanité.

mardi 9 décembre 2008

Buren que j'aime

Les colonnes zébrées du plasticien Daniel Buren animent joyeusement le site majestueux du Palais-Royal. Les enfants sautillent d'un cylindre à l'autre comme une nuée d'oiseaux voltigent dans les branchages. L'artiste iconoclaste a cassé la solennité du lieu. Ces volumes que l'esprit d'enfance s'approprie comme un terrain de jeu évoquent la fraîcheur d'une pluie de confettis blanc et noir. La beauté classique s'est enrichie d'un voisinage de troncs coupés, de crayons taillés, à striures de code-barres. Daniel Buren donne au jardin une hospitalité nouvelle, une allure de jeu de marelle, le pépiement allègre des insouciances juvéniles. 
J'ignore si l'oeuvre de Buren est en péril, faute des soins nécessaires à sa riante pérennité. Je sais par contre qu'elle enchante les promeneurs aux abords de la place Colette, qu'elle fait pétiller l'air du temps, qu'elle agrémente la dérive vagabonde des marcheurs du dimanche. A côté de la réussite de Buren, la lourdingue pyramide de Pei fichée dans la cour du Louvre est une griffure inutile sur le visage de Paris. On dirait une soucoupe volante atterrie en catastrophe sur le parvis d'une civilisation ennemie.

lundi 8 décembre 2008

Mandiargues

Mandiargues va avoir cent ans au milieu des petites bêtes. Je le lis pour de vrai de manière si rare. Mandiargues m'a saisi par le coude dans les ruelles de Barcelone. J'ai senti que La Marge était écrit au plus près des bruits, lumières, odeurs de la ville. La nuit catalane se dévoilait à la cadence des pages. Il faut s'aider de la voix pour mesurer la juste couleur d'une phrase, apprécier le timbrage exact des voyelles. Mandiargues enivre comme un vin à morsures mauves. La nouvelle est un sprint au soleil où les mots se déplient comme des foulées de prince. Rodogune est une fille du front de mer qui repose en guerrière au voisinage des sauvageries les plus rouges. Rodogune est une songerie mal éteinte, une sorte de beauté intacte qui cogne au visage. Le lecteur est un boxeur dans les cordes qui se rassasie de splendeur.

Miss PS

On le savait depuis des lustres que les filles étaient les premières de la classe, que les garçons chahutaient ou souffraient d'un poil dans la main. Presque le même jour, on a tressé des lauriers, décerné des couronnes à des femmes méritantes. Miss PS et Miss France ont squatté notre imaginaire. La belle Chloé s'est débarrassée de ses dauphines pendant que Martine distançait Ségolène d'un cheveu. Bref, les femmes trustent les bons points. Les voix des hommes les départagent. Ces braves garçons un peu lourdauds regardent le match, arbitrent la querelle des filles. Martine est émue par le sort de la vaincue. Elle lui tend la main comme à une noyée. Ségolène gare sa joue, craint le baiser empoisonné. Les filles parodient les vieux sketches des garçons -  la chamaillerie Jospin/Fabius en terminale quand elles découvraient toutes deux  le latin en sixième, les crasses Villepin/Sarkozy du bahut d'en face, les escarmouches préparatoires Copé/Bertrand, la guignolade Chirac/Balladur, les guéguerres Giscard/Chirac et Mitterrand/Rocard du siècle dernier. Martine et Ségolène veulent être premières toutes seules. Et dans toutes les disciplines, du parti et du pays. Elles font juste l'impasse sur le prix de bonne camaraderie, matière à faible coefficient, voire facultative comme à l'Ena. 

jeudi 4 décembre 2008

Manivelle

Mon automobile peine à conserver son emploi. Sa carlingue grisonnante la destine à la retraite. On me fait miroiter de l'or pour que que je me débarrasse d'un tas de tôles irréprochables. Misérable époque. Ma douce auto n'a pas besoin de se refaire la peau. Je refuse qu'on la dégraisse. L'Etat voyou pratique un chantage sans vergogne en brandissant une prime à la casse au motif de dépanner la crise. Une voiture s'apprivoise. Il convient de lui parler correctement. Il est même parfaitement indélicat de lui rappeler son âge. Le premier vandale qui s'ingénierait à vouloir la démolir s'expose à des retours de manivelle.

mercredi 3 décembre 2008

Vie et mort du senior

Reste à régler, en ce début de vingt-et-unième siècle, la question sociale, quasi humanitaire, de ces troupeaux de vieux sans avenir. Ces pauvres hères n'ont vraiment plus rien pour plaire. Leur pathétique mémoire récite un vieux disque, tourne en rond entre deux roupillons. Elle les adosse au passé. Avant les prouesses de la médecine, les vieux tromblons survivants des fléaux étaient considérés comme des dieux peu nombreux. On les honorait comme des guerriers intouchables. Or le succès des nouveaux rebouteux a multiplié les stocks de vieux au point d'en déprécier la valeur. On a découvert le pot aux roses: le grand sorcier ridé n'était qu'un imposteur. Depuis lors, on se débarrasse du senior comme d'un poids mort.

mardi 2 décembre 2008

Dimanche

Le travail communique son ennui à vouloir se situer au centre des conversations. Le dimanche est un jour comme les autres. Tous les jours sont d'un même gris comme les chats dans la nuit. Seules les saisons varient. L'été exhibe une identité que l'hiver serait en mal de revendiquer. Le partage des saisons établit la diversité. En revanche, n'importe quel dimanche de novembre ressemble comme deux gouttes d'eau à un lundi de Toussaint. Les dimanches sont des lundis qui s'ignorent. La différenciation des jours est une facilité d'agenda. A vouloir s'arc-bouter sur la prétendue singularité du dimanche, on croirait presque qu'elle résulte d'une invention de la nature. Car l'idéal est de travailler de bon coeur, à bon escient, au bon moment. Faute de quoi, on s'expose au labeur qui enquiquine, on se risque à la tâche assommante. Il est des bonheurs au travail qui se goûtent dès l'aurore, un dimanche de juillet, allez savoir pourquoi. 

Aguerri

Un président yankee confesse son ignorance guerrière. Il n'était pas très aguerri à l'instant de meurtrir la Mésopotamie. Harvard est loin d'être une école de guerre. Les universités forment des tueurs de temps de paix, notamment des traders. Bref, le président sortant ne disposait que d'un bagage militaire rudimentaire. A vrai dire, le fier Texan peut se consoler en songeant aux braves civils irakiens qui partageaient en la matière un même amateurisme. Les foules bombardées de Bagdad étaient aussi peu préparées à la guerre que l'homme fort de la Maison Blanche. Est ce bien raisonnable de jouer aux gendarmes et aux voleurs sans en connaître les règles ? Aucun garnement de cour de récréation ne s'y risquerait.

Face à face

Boulevard Haussmann, une foule rieuse écarquille les yeux devant les vitrines de Noël. Les enfants sont juchés sur les épaules des pères. Les mères serrent fort les menottes. La joie pétille d'un éclat neuf. De l'autre côté de la chaussée, sur le macadam rival, les lumières des riches boutiques sont éteintes. La nuit estompe les formes visibles de l'indigence. Les hommes sont couchés dans des pelisses incertaines et des constructions de carton. Le quartier ombre boude la fête. Visages du dimanche et trognes à faire la manche croisent leurs regards absents. Face à face improbable. Frontière infranchissable entre le sourire de contentement et le rictus de dénuement. 

lundi 1 décembre 2008

Picotement d'ortie

Le corps absorbe la totalité de la conscience. Il est ressenti comme un picotement d'ortie. Le malade est divisé, fourchu comme un diable. L'enveloppe charnelle n'est plus ajustée aux mesures de la quiétude biologique. La vie des organes est ballottée comme sous l'effet d'une roue voilée. La fièvre sensibilise au soi. Elle creuse la demeure du for intérieur. Le corps se carre dans un retrait instinctif du monde. C'est un adieu aux paillettes du dehors, à l'étrangeté de l'autre, à l'ivresse des choses. Le corps se recroqueville de la nuque aux chevilles. Il attend que le temps du mal s'en aille, s'épuise dans sa durée. Il est la proie désignée d'un prédateur masqué. L'espace du corps se contracte à mesure que le temps se déploie. La prégnance du mal cogne à la porte du corps, réveille la conscience, uniformise la déplaisante sensation. La vie subit la loi d'un temps qui vibre dans les tempes. La route du malade est pavée de gravillons brûlants, d'interminables instants qui sont chauffés au soleil de la solitude. L'homme est couché comme un mot dessiné, immobilisé sur le sable. Aucun lointain, aucune songerie ne brillent dans ses yeux. Il est ligoté aux minutes circulaires du présent.

jeudi 27 novembre 2008

Terreur ordinaire

Nous nous battons contre des démons invisibles. Nous nous heurtons à des causes intouchables. Nous moulinons nos épées dans un air sans raison. La peur de l'ennemi grandit à proportion. Ils ont nom Ben Laden, "la main invisible" d'Adam Smith, les tsunamis et autres cyclones Gustav, les mouvements telluriques, le réchauffement climatique, les virus biologiques et les pandémies informatiques. Bref, nous vivons sous l'empire de la terreur ordinaire. On ne sait plus à quel saint se vouer. Dans l'urgence, on pare au plus pressé. Dans le cas de la tourmente financière, si les Bourses s'affolent, si les foules épargnantes perdent le nord, le mimétisme de la panique ravive et accélère les effets du mal. René Girard et Michel Serres ont récemment publié des ouvrages aux échos d'apocalypse: "Achever Clausewitz", "La Guerre Mondiale". Tous deux y parlent du temps nouveau de l'après-guerre, du terrorisme ambiant qui s'introduit partout, hors champ de bataille, hors la loi, impénétrable au droit. On peut se demander si les titres infectieux d'une finance malade ne sont pas les sauvages attentats kamikazes d'un capitalisme de la table rase.

mercredi 26 novembre 2008

Hunger

On se retrouve dans une salle obscure. Mondaine inanité. Avant-première d'Hunger, film fêté par les voyeurs de Croisette. Une oeuvre d'art choisit son heure. Le samedi soir, je ne suis pas réveillé. J'ai raté le début sans déplaisir. Assis en bout de strapontin, j'ai vu l'image et entendu le métal. Le cinéma exhibe sa force monstre. La violence nue scande la danse des corps. L'homme y souffre d'un mal animal. La terreur se terre dans l'erreur. Une spiritualité de la brutalité imprègne les silhouettes hallucinées. Il pleut des coups dans les cellules. Les torses faméliques des révoltés d'Irlande sont exposés comme des banderoles de chair. Le cri donne à la viande sa stridence déchiquetée. Le renoncement à la faim libère du fracas des instincts. Je voile mes yeux. J'ai peur des jeux de lumière. Hunger fait courir un danger. Ma volonté rebrousse chemin. Je sors cabossé.

Eclats d'obus

Les morts dehors ne se signalent pas à l'attention des regards distraits. Le bois de Vincennes est une banlieue végétale où de pauvres hères se mêlent aux fougères. On marche sur des éclats d'obus, des corps au rebut datant de la dernière horreur économique. Les distances sont incommensurables dans les cités de proximité. Les maraudeurs sont de braves gens qui balancent des mots et dispensent des soins. Les hommes gisent à côté de leurs technologies. Au pays de la fracture humaine, les pauvres diables sont numériquement supérieurs. Ils crèvent à la belle étoile dans un silence de statistique. La mort ne fait pas son âge dans un monde où règnent les puissances du mail.  

mardi 25 novembre 2008

Retenue

Avec la faillite de l'enseignement, les petits maîtres du parti de Jaurès ne savent plus très bien compter. Ils font des fautes d'addition et des erreurs de division. On n'est pas sûr non plus qu'ils sachent lire couramment. Même écrites dans un charabia de circonstances, les doctrines des uns et des autres se distinguent mal entre elles. Sans les fondamentaux de l'école primaire - la lecture et le calcul -, ces nouveaux ignares de la République trouvent désormais leur légitimité à l'heure de la récréation. La franche rigolade est émaillée de féroces pugilats. On s'en donne à coeur joie. Les filles se tirent les cheveux. Oeil pour oeil, dent pour dent. La loi du talion tient lieu de code d'honneur. Le peuple proviseur songe à distribuer des retenues.

lundi 24 novembre 2008

Le courage de Gracq

Gracq veille une morte, soigne une soeur gâteuse. A parcourir l'étonnant journal de Jean de Malestroit, se dessine la figure d'un Gracq pleinement aristocrate. Cet homme fait face à la misère des jours, aux chagrins du destin, sans se départir du juste mépris des artifices. L'ami des volumes non massicotés se réjouit du visage de noblesse brute dévoilée au fil des pages. Julien Gracq sait qu'il n'a pas laissé dépérir la fleur de son talent. Certes, l'homme est un pieux travailleur, mais sans faiblesse pour l'au-delà des songeurs. "Il a le courage d'être heureux". A Nora, la maîtresse inconnue, il manifeste un admirable amour. Sur son lit d'agonisante, il recueille le cri christique, presse ses lèvres sur sa bouche purulente. Gracq se donne entier au corps défait, comme il s'est livré à la littérature, à l'étrangère de Liberté Grande. Le courage de Gracq impose le respect qui sied à l'exemplaire unique. 

La chair de Franca

J'aime et je n'aime pas. Ma détestation du cinéma de François Truffaut vient de sa quotidienneté petite bourgeoise, d'une psychologie surannée, d'une mièvrerie à l'image de la fade Claude Jade.
Et pourtant ! La Peau Douce est une pure merveille, un chef d'oeuvre absolu. Mal endormi dans un palace de Carthage, le coup de feu final de Franca m'a réveillé dans la nuit. Ces images de télévision ont hanté mon sommeil. J'ai vu des bribes d'un vieux film sans couleur. Elles ne m'ont pas quitté durant des années.
Hier, l'oisiveté du dimanche m'a conduit au geste machinal du cinéma volontaire. J'assiste au même tragique marivaudage sans perdre une parcelle de pellicule. Françoise Dorléac est rehaussée dans mon souvenir. Fraîcheur des premières caravelles, simplicité des balbutiements yéyé. La volcanique Italienne est sublime. La chair de Franca est pantelante d'une passion inexorable. Les sentiments ne se négocient qu'au fusil. Pierre et Nicole s'entortillent dans une pâle escapade à Reims. La symphonie des jouets est une musique d'enfant unique. Elle plante un poignard dans la gaieté de petite fille. Ratures est un nom de revue sur mesure. La vie ne tolère pas de biffure, aucun repentir de destin, se contente d'une seule prise. Le romancier est dans ses petits souliers. Le visage de Pierre est d'une blancheur de craie, conforme à son piètre désarroi. La femme trahie empoigne la crosse du superposé. Elle endosse sa tunique de tragédienne grecque. Au Val d'Isère, ce restaurant de l'Etoile, tristement disparu, sous la dictée du noir ressentiment, Franca surgit comme un cri. Touche au coeur à la première cartouche. 

jeudi 20 novembre 2008

Zéro zéro

Pas de but. Pas de danse non plus. Pas de but ultime. Ni grand dessein, ni visée supérieure. Objectif indéfini. Finalité confuse. Pas de but. Zéro d'inconduite. Pas foutus de jouer au foot. Henry est rayé comme un vieux disque gondolé. Ribéry rit bleu. Le lutin balafré erre sur la pelouse. Il a perdu le secret des trajectoires qui pétaradent. Toulalan joue sans tralala. L'Uruguay se rue sans excès. La Marseillaise n'est pas sifflée. Les joueurs sont conspués. Le zéro zéro est arrivé avec un grand lasso. On zappe de soulagement.

mercredi 19 novembre 2008

Un homme

Ils appartiennent à l'espèce humaine. Certains sont désignés par leur nom de famille. D'autres sont évoqués par un sobriquet. "Bob de Bellecour" ou "La Comtesse" font partie de ceux-là. La Croix de ce matin publie sur trois colonnes les noms de cent vingt neuf morts de la rue. Parmi eux, il y a des hommes sans identité. Ils figurent sur la liste sous l'appellation "un homme". On meurt dans la rue avec son seul visage, inconnu de l'entourage. La rue, jonchée de corps, est un champ de déshonneur.

mardi 18 novembre 2008

Le tombeau vide

Tôt ce matin, je lis quelque part ce nom depuis longtemps imprimé dans ma peau. Skiba. Henri Skiba, abandonné dans un trou de cervelle, s'est sauvé d'une mort mémorielle. Il est vivant dans ma tête comme il y a près d'un demi-siècle. Je suis plongé dans L'Equipe sur la banquette arrière de la voiture de papa. Je grignote les miettes orange du gros pain de quatre de la boulangère. Skiba, comme Savidan demain soir contre l'Uruguay, fut sélectionné sur le tard en équipe de France. Il est rare de figurer pour la première fois, à plus de trente ans, sur la liste des Bleus. Au foot comme ailleurs, la dernière chance de survie, de saisie d'un rab éphémère, réside dans l'aiguillon d'un neurone, résulte d'une improbable étincelle de magique analogie. Le tombeau vide de Skiba squatte ma mémoire. Merveilleuse anamnèse qui, sans crier gare, procède à sa résurrection.

Essaimesses

Les essaimesses ruent dans les brancards, contestent le droit d'aînesse de la vieille langue française. Les mots des jeunes gens s'écrivent au plus vite. La restitution brute des sons est privilégiée au détriment des conventions de l'orthographe. C'est une langue déliée. On assemble les syllabes comme on le sent. Je peine à croire que les correcteurs du baccalauréat pratiquent la langue essaimesse avec autant de délicatesse que les candidats. C'est un nouveau métier de déchiffreur, de nouvelles vocations à la Champollion qu'il convient de susciter.

lundi 17 novembre 2008

Je dangereux

Les mains se serrent, les joues se tendent, les yeux s'évitent. A Reims, vieille ville de foot, les socialistes n'ont pas pratiqué un rugby champagne. Les baisers de papabile étaient empoisonnés, les placages à retardement. La vertu éculée de solidarité est un thème d'homélie enflammée, jamais un exemple à montrer. Fâchée avec les actes, la gauche qui gâche s'en donne à coeur joie avec les mots. Dans "socialiste", il y a liste. Liste préférentielle d'egos, liste de présidentiables, liste de vieilles lunes et de lieux communs, liste d'accrédités et d'infréquentables, liste d'anathèmes et d'incantations, liste de mariages avortés. 
En revanche, dans le même vocable, on peine à trouver la société. L'étiquette sociale a détourné l'ivresse du flacon. "Social" est une marque, un emblème de gens qui s'aiment, un caprice de dame patronnesse qui ne tient pas ses promesses. Le "nous" est évacué au profit d'un pluriel de "je". Nouvel ego de majesté. Je dangereux.

jeudi 13 novembre 2008

Corps échoués

La nuit est jaune d'une lumière épaisse. Les premiers sons du jour éveillent les vagabonds. Ils jonchent le luisant macadam comme des feuilles d'automne. Sans ramdam, les pauvres se déplument en novembre. Un lent ballet s'ébauche entre cartons et bêtes ébouriffées. Les estafettes foncent dans l'aurore. Les hommes couchés du trottoir, emmitouflés dans une couverture, se sont rangés des voitures. Aux yeux des passants propulsés, les corps échoués sont des sacs de pommes de terre. La disette des regards marque la défaite des premiers phares.

mercredi 12 novembre 2008

Josef et Louis

Par bien des côtés, l'allure digne et réservée de Josef Radzinger évoque la noble simplicité d'un écrivain, entièrement dévoué à son art, comme Louis Poirier. L'un et l'autre ont su se préserver du tumulte des vanités. Ils ont fendu les foules d'un pas précautionneux. Le destin les a couronnés au point d'éblouir leur visage. Le premier s'est désigné pour conduire l'Eglise. Le second s'est forgé un nom antique qui sonne comme une marque de fabrique. Gracq. 
Josef et Louis ont cheminé dans le siècle sans concéder quoi que ce soit à l'authenticité de leur vocation. Avec espièglerie, ils se sont déguisés en pape des fidèles et pontife des poètes. Ils ont endossé la bure de comédie sans jamais se départir d'une bienveillante solennité. La littérature voisinait avec Dieu sur cette terre, et on ne le savait pas.  

Sardaigne

Je songe aux citronniers de Pula et au dancing de la Marquise. En vain, comme un écrivain. Je revois la maison de joie de Sinistria. Nous enfourchons le dos tiède d'une vague affectueuse. Je revois ton chignon noir dans l'ovale d'un fichu de paysanne. Tu reposes sur ma joue, le derrière en bataille.

mardi 11 novembre 2008

Les vandales de Vendée

L'infini des mers échauffe l'imagination du poète solitaire. La vaste beauté des sables exalte les songeries du voyant à semelles de vent. Aujourd'hui, le colloque intime entre un corps et l'abîme est contrarié par des populations d'insectes batailleurs. Les compétiteurs de ramdam impriment leurs initiales sur les eaux et les terres jaunes. Vendée Globe et Paris/Dakar sont des banderoles de quinzaine commerciale, de dérisoires mouchoirs qui s'agitent sur les mers et les déserts. Ces jeunes chiens lâchés sur les flots, encagés dans des autos, se mesurent entre eux. Tout à leurs jeux de crocs, ils manquent la majesté des choses. Les vandales de Vendée font des tours de périphérique en pleine nature féérique.

Le parti d'en sourire

Les conclaves socialistes sont très embrouillés. Les papabile manquent de charité chrétienne. Ils cachent leur détestation derrière des textes abscons. La tyrannie des motions anime l'interne démocratie. La fumée du verdict tarde à sortir. Cela signifie qu'on hésite à brûler le vieux parti.
Marie-Ségolène manque de formation théologique mais pas d'aplomb politique. Les couleurs vives de ses parures la distinguent de la grisaille d'appareil. PS ou le Parti d'en Sourire. 

lundi 10 novembre 2008

Mémoire courte

La mémoire des tranchées et le souvenir de la saignée de 14/18 justifient le doux repos du bobo.
La der des der est finie depuis belle lurette. Les derniers témoins - une poignée - hurlent encore leur horreur de la guerre. Le maussade 11 novembre est un prétexte à week-end prolongé. Cet absurde jour de relâche n'évoque en rien la bravoure de la bleusaille. Il autorise la kermesse commerciale, la ruée sur les routes et la veulerie hédoniste. Notre mémoire traîne en longueur. Les tueries de l'histoire sont monnaie courante. Il convient d'abréger nos souvenirs. Une mémoire courte suffit. Le spectacle des charniers continue en temps réel sur la terre.

dimanche 9 novembre 2008

Sénat noir

A deux jours du souvenir des tranchées, le calendrier nous rappelle la mort de de Gaulle. La victoire d'Obama produit des effets d'opinion tout à fait détestables. A commencer par une attitude de dénigrement - c'est le mot juste, sans jeu de vocabulaire - et d'auto-flagellation destinée à fustiger une prétendue arriération nationale en matière raciale. Or il y a cinquante ans, et pendant près d'une décennie (1959-1968), Gaston Monnerville - qui ne partageait pas la même couleur de peau que Gérard Larcher - occupa le fauteuil de président de la Haute Assemblée. A ce titre, la constitution lui attribuait le rang de deuxième magistrat de France, juste derrière le chef de l'Etat, mais devant le premier ministre. A se demander si la brillante période gaullienne - Monnerville était alors violemment anti-gaulliste - ne se situe pas résolument devant nous. Sénat noir d'avant la Maison blanche.

vendredi 7 novembre 2008

La popote socialiste

Les zélés socialistes français noircissent du papier avec de vieilles idées. 
A la rivalité des laborieuses "motions", Ségolène Royal ajoute l'éclat du concours de beauté. Elle privilégie le visible au détriment du lisible.  
Comme la fleur emblématique de son gentil parti, elle s'épanouit à la lumière. Nouvelle cantinière en chef, il lui appartient d'épicer la popote socialiste. Pour ce faire, il lui faut multiplier les tractations d'arrière-cuisine. Tambouille familiale, plats traditionnels: l'enseigne PS affiche sa carte habituelle de produits du terroir. Pas de fantaisie Obama au menu,  mais la permanence en plat du jour du cassoulet républicain.

jeudi 6 novembre 2008

Les loups

Le peintre Lanskoy travaillait en dévorant des sandwiches. Nicolas de Staël, concentré sur sa tâche, n'aurait pu imaginer pareille trivialité. Les fulgurances picturales des deux amis nécessitaient un type d'autorité très dissemblable. Les deux hommes se comprenaient à mi-mot. Les mêmes rêves de Russie circulaient dans leur corps. Très proches l'un de l'autre, quasi siamois dans leur for intérieur, la commune véhémence des deux artistes s'exprimait sous des jours différents. 
L'éthologie humaine, fondée sur l'intimité des gestes et la géométrie des postures, ne renseigne pas sur les derniers ressorts d'un esprit volcanique. La peinture est une fuite recommencée, hors de portée, une tentative de ruse destinée à contrarier les loups.  

Tête de gondole

L'Amérique exporte sa joie comme jadis ses westerns. Le triomphe d'Obama déplace les lignes, fait bouger les frontières. Le monde entier consomme la nouvelle star en amateur de blockbusters hollywoodiens. 
Bien distribué sur les étagères, à portée de regard de la ménagère planétaire, Obama est une tête de gondole en or. Derrière le bonheur mécanique des foules, au-delà du rêve américain retapé aux couleurs de la diversité, perce la dureté des temps, se devine la mélancolie des jours. L'Amérique a besoin de croire à un meilleur destin, d'évacuer le quotidien, de penser à autre chose qu'au lendemain. Elle veut croire avec l'énergie du désespoir.
L'Amérique matérialiste tourne le dos au réalisme. Elle s'entiche d'un gendre idéal universel. Un vent de romantisme s'est égaré dans un monde de brutes. Or il n'est pas sûr que le brillant sujet d'Harvard s'y reconnaisse tout à fait. Barack Obama sait les limites de sa seule bonne mine. Il sait que le désarroi l'a fait roi.

mercredi 5 novembre 2008

Yannick Obama

La politique devient une affaire de peau. Dans la confusion des idées, le corps électoral se fie à la couleur du corps. Ce sentiment d'appartenance est détestable. Il défigure la liberté. La connivence des apparences est un péché contre l'esprit. Les goûts et les couleurs ne s'embrigadent pas. La raison doit tordre le cou au caprice d'une fausse identité, à la préférence des yeux bleus ou des cheveux crépus. 
En France, on dénonce volontiers l'absence d'un Obama tricolore sur la scène politique. C'est négligé la popularité de Yannick Noah, métis médiatique, successeur de l'abbé Pierre au palmarès des personnalités les plus appréciées. Ses mots aigres à l'endroit de Sarkozy indiquent qu'il situe son avenir sur le terrain politique.  

mardi 4 novembre 2008

Le baisemain de Jacques

Les images d'archives témoignent de la cérémonie des bonjours. Chirac excelle dans l'art du baisemain. Il a beaucoup d'entraînement. Il raffine l'exercice. Il se délecte à l'avance, au son d'une portière, au bruit de gravier, annonciateurs d'une proie, d'une chancelière en fonction ou d'une première dame de tel ou tel royaume. A l'affût sur la marche du perron, il savoure l'instant à venir. Chirac s'appproche avec facilité. Il sait où il va. Il n'improvise pas. Il s'acquitte à merveille de cette fausse prise de judo. Il exécute un geste suranné qui lui sied comme un gant. Pas de bras tordu. Ni grimace, ni gêne maladroite. Chirac accomplit en virtuose le rituel de l'accueil. Il crée d'entrée la sympathie. Il s'invente majordome d'une galanterie incongrue. Chirac hausse ses joues et sort ses dents. Il jubile. Sa longue silhouette un peu cabossée se prête toujours admirablement au jeu. Le grand fauve du palais a gardé sa posture d'hobereau de la République, sa souplesse de vieille noblesse mimée. Il lève la main de sa cavalière comme un verre à sa santé. A sa stupeur d'être là. En habit de président comme au premier jour de septennat. Chirac est ahurissant. Il possède le métier d'un Montand au music-hall. Il tient les doigts de sa visiteuse endimanchée jusqu'à ses lèvres présidentielles. Chirac cueille une marguerite, souffle sur les pétales d'une fleur des champs. Chirac signifie avec son corps d'escogriffe.Il joue de sa carcasse comme d'un instrument de musique. Assez sûr de lui, de ses effets, sans risquer le moindre couac avec ses vieux os. Ce geste intime de sa Chiraquie intérieure est une magistrale esquive. Il envoie promener l'ennuyeux protocole. Il chasse les mouches du cortège officiel. Chirac est alors à son meilleur. Au sommet. Touchant de simplicité. Beau dans son costume comme un vrai président.

lundi 3 novembre 2008

Point de côté

Dimanche ferroviaire. Le train bourdonne, siffle, brinquebale, grésille, hoquette. Je me suis mis sur mon trente-et-un neuronal. C'est un matin d'aventure. Je ressens la fraîcheur du rasage sur la peau. Ouvrage à couverture polaire. Dans Minuit, il y a Inuit. J'ouvre le dernier Echenoz avec cérémonie. Je risque le faux départ avant d'appareiller. Je suis de la génération Jazy. Zatopek est un dieu de la cendrée.
Nostalgie du beau "Ravel", lu d'une traite. Les miles d'Emile me laissent froid. Très vite, j'ai un point de côté. Je stoppe l'athlète tchèque. Je pratique le fractionné. Je me résous à la petite dose. Si Jean Echenoz possède toujours l'art de la ligne svelte, nul enchantement ne se produit. Page après page, je sombre dans une douce somnolence avant de me réveiller au prix d'un laborieux effort. Je lis à l'arraché. Cette histoire de pointes me laisse désappointé. Je finis le maigre volume dans l'amertume. Je songe à la quatrième place de Jazy à Tokyo. Solitude du lecteur à l'instant du récit achevé, d'un pan de rêve écroulé.

vendredi 31 octobre 2008

Olga, je t'aime

J'ai ressorti de mes papiers ce recueil de textes brefs que j'appelle "Olga, je t'aime", après l'avoir longtemps laissé vieillir sous l'étiquette "La plus belle fille du monde". Suivant les saisons, je penche un jour pour la sublime Olga Georges-Picot, je me range un autre jour à la splendide Lucia Bose. Je ne sais pas. J'ai composé sans hâte un bouquet de textes disparates. C'est ce que j'écris à la maison Corti. Je lui confie mes petites écritures, mes pots de confiture de mots. J'attends un accusé d'émotion.  

jeudi 30 octobre 2008

Le chancelier Cowl

C'était au temps lointain des cinémas de quartier. Les dimanches de pluie enseignaient l'ennui aux enfants des cités. Un pianiste dans la salle accordait sa musique aux images animées. Sur la scène à l'entracte, un prestidigitateur escamotait une tourterelle avec un entrain de mousquetaire. En pleine guerre d'Algérie, Darry Cowl osait la loufoquerie. Dans les cours de récréation, on s'essayait à zézayer. La fraîcheur et la grâce de Darry Cowl ensoleillaient nos hivers obéissants. On se souvient du triporteur comme d'une blague de side-car. A la fin du voyage, les académies l'honorèrent. On était ému par sa maigreur, son visage émacié aux grands yeux écarquillés. Avant-hier Francis Blanche, hier Jean Poiret. Aujourd'hui Darry Cowl. Les rois du rire sont des oiseaux rares. Ils bafouillent une fragile poésie. Darry Cowl en était le dévoué serviteur, le ministre lunaire, le chancelier fou à lier. C'était le chancelier Cowl.

mercredi 29 octobre 2008

Le styliste charentais

Avant de mourir, Paul Morand avait donné son feu vert pour la publication, dès l'an 2000, de sa correspondance avec Jacques Chardonne. Les années passent et les amateurs de friandises sont toujours de la revue. Les lecteurs s'impatientent. Ils ruent dans les brancards. Ils vivent mal la privation. Ils ont les mots à la bouche. Ces lettres échangées entre l'ambassadeur pressé et le styliste charentais appartiennent au patrimoine littéraire. La maison d'édition, titulaire des droits, attend quoi au juste ?

L'Europe

On connaît la célèbre formule du psychanalyste Jacques Lacan: "L'amour, c'est offrir à quelqu'un qui n'en veut pas quelque chose que l'on n'a pas". On ne peut s'empêcher de songer à l'Europe. En effet, l'Europe est proposée à des peuples qui souvent la rejettent d'instinct. Or ce bout de continent que nous offrons à l'envi - jusqu'à la Turquie d'Asie mineure -, nous n'en possédons pas la moindre définition. Ses frontières se moquent de la géographie. Ses racines chrétiennes sont évacuées des textes communautaires. Bref, l'actuel malentendu évoque le brillant paradoxe lacanien du sentiment amoureux.

mardi 28 octobre 2008

Le compte y est

C'est l'expression favorite des princes qui nous gouvernent. "Le compte n'y est pas", son contraire, peut aussi bien faire l'affaire. Les râleurs d'opposition se l'approprient volontiers. On oublie parfois de quel compte il s'agit, mais on sait d'autorité qu'il y est ou qu'il n'y est pas. 
La vogue de l'incontournable sentence doit beaucoup au travail de prédication de politiciens vedettes. Xavier Bertrand et Jean-François Copé ont excellé dans l'art épicier d'exalter les totaux victorieux. Eux-mêmes relayés par la voix contestataire de syndicalistes en colère: "Non, le compte n'y est pas !"
On songe à la brillante carrière de la "feuille de route". Elle a commencé par brûler les lèvres de Georges Bush à l'amorce de son expédition punitive à Bagdad. De là, elle a rayonné un peu partout dans le monde. Les patrons d'entreprise ont adopté la "roadmap" avec zèle et naturel. La pensée était du même coup régénérée, les idées clarifiées. A vrai dire, on se demande comment on a pu vivre sans feuille de route ni souci du compte juste. Tant de frivolité confond.

Le vieux d'aujourd'hui

Ils sont vieux comme leur continent d'origine. Ils sont vieux comme l'Europe vue d'Amérique. Leur nombre croissant pèse sur les statistiques. Ils alourdissent les comptes sociaux. Ils embarrassent la société. Il est loin le temps où la sagesse des anciens régnait sur les mentalités. Le vieux d'aujourd'hui est distancé par la vitesse de civilisation. 
Le vieux d'aujourd'hui vit très vieux. Il est parqué dans des zoos vaguement médicaux. Il y est traité, retraité, maltraité. Les générations fringantes se détournent des visages fripés: elles y lisent le terminus des stress et détresses. Derrière la rieuse statistique, derrière la sérieuse paperasserie administrative, il est un regard troué de deux yeux infinis. Le vieux d'aujourd'hui est un gardien de musée où repose l'humanité.

lundi 27 octobre 2008

Nos années Matulu

Il est parti il y a un an, jour pour jour. Il a faussé compagnie à ses amis. Il avait écrit un très beau livre dans la lignée spirituelle de Drieu: "La jeunesse est lente à mourir". Titre majestueux. Grégoire Dubreuil était habité, taraudé, rongé par la littérature. Au milieu des années 1980, il avait relancé Matulu, journal d'écrivains. Avec des bouts de ficelle, il publia une dizaine de numéros à la gloire du style et des textes oubliés.
Grégoire Dubreuil était un ami fougueux, un franc-tireur des arts, un homme courageux jeté à la poursuite des magies de l'écriture. Le journal accueillit Dupré, Mandiargues, de Roux, Matzneff, Sollers, Hallier, Serres, Girard. Grégoire Dubreuil aimait la terre rouge d'Ibiza et la couleur du vin. Un beau jour, il quitta le vacarme de Paris. Il se retira dans l'amitié des livres, dans une vieille librairie de Dinan.
Je me souviens de son oeil goguenard, un peu canaille, qui brillait comme la flammèche d'un feu de bois. Grand brûlé des lettres, il rêvait d'une autre époque, moins confortable dans les têtes. Dans son grenier de la Montagne Sainte Geneviève, nous causions de nos trouvailles, des plaisirs et des jours, de la séduisante esthétique du traître. Grégoire Dubreuil était blessé par les mensonges de la matière. 

Malherbe, le peintre

La luciole des chevilles éblouit la toile sans éveiller la crainte, le visage enlisé dans un si long songe. La dormeuse se meut, s'abîme comme une souche, prieuse fervente, qui sait le paradis gardé par les anges. La dormeuse habite le sommeil, se sent des ailes et chez elle.
Elle dort sans art: d'après nature, sans un mot, comme une enfant. Elle est morte au regard.
Elle pose en paix. Elle vit dans l'aise de ses cils ajustés. Tache d'or qui fait torche. 

vendredi 24 octobre 2008

Un bon souverain

L'argent est dépouillé de sa liquidité. Il est gelé, pétrifié. L'argent est suspecté. Son crédit est écorné. Les valeurs se déprécient. On s'appauvrit dans son lit. La paresse du sommeil n'est pas bonne conseillère. 
On cherche un bon souverain pour sauver nos chefs d'oeuvre industriels en péril. Quelqu'un du cru, respectueux de la nation. On fait roi les fonds d'Etat. Le krach conduit au sacre de l'Etat.
On se jette dans les bras du monstre froid, on s'agenouille au pied du démon de la Bible, on caresse la cheville du Léviathan de l'Apocalypse. La liberté est ajournée.

jeudi 23 octobre 2008

Nicolas, l'as de la cavale

Il dépense des fortunes, se dépense sans compter. A défaut de bouger les lignes, il déplace de l'air, saute d'un perron, d'un avion, d'une réunion, d'un sermon à l'autre. Il accumule les "miles", multiplie les "smiles", valide sa carte d'habitué, s'abandonne aux flashes des photographes. 
Le président réside peu. Il se jette dans les jets, rabroue l'ouvrier, menace le banquier. Il se délecte au banquet des élites. Il consulte sa Rolex. Il se sauve. Il est en cavale. Il fuit la meute de ses souvenirs. S'il se retourne, il est mort. Le premier des Français calque son jeu sur l'ennemi public numéro un.

Monsieur Bassaque

La littérature est une figure de la félicité. J'ai aimé le chant de la langue française dans le regard de Monsieur Bassaque. Visage creusé, mal rasé. Onze ans, cinquième. L'image du doux instituteur ne s'est pas défraîchie au fil des décennies. Sans crier gare, elle surgit aujourd'hui. 

mercredi 22 octobre 2008

Pouvoir de rachat

La société des épargnés s'émeut peu des prisonniers. A la maison d'arrêt de Loos, on peut laisser sa peau, ne pas faire de vieux os. Au pénitencier, les incarcérés sont serrés dans des geôles. Les cellules sont des îles. Pas moyen d'échapper au temps. La mort volontaire d'un homme nous saisit comme un frisson d'automne. Les détenus se pendent en toute saison. Ils s'évadent du dedans. Ils trouent la muraille intérieure. L'incarcéré veille à son pouvoir de rachat. Il reprend sa liberté. Au prix chair. 

Ravel fait la planche

C'est un livre de poche - disons de grande poche -, un livre blanc écrit avec une vraie plume d'oiseau rare, pas du tout le memorandum d'un homme égaré dans les fougères de papier.
C'est un livre blanc caréné comme un voilier, poncé à l'eau de Ravel, un bouquin polaire à main gauche, qui ne se referme pas pareil après les traces de doigt. A cause du bandeau bleu, glissé page trente-six, qui disjoint les lèvres du récit. Non, "on ne peut pas couper, inévitablement à la table du commandant, à l'immanquable brève barbe blanche et vêtu de son uniforme blanc d'apparat".
Echenoz est habillé en Minuit. Avec du froid sur la couverture, et dans le dos. Le texte se dévide d'une traite, se prend dès le rebord de la baignoire, s'empoigne par les cheveux dès les premiers mots. On traîne Ravel sur son genou, sans le quitter des yeux une seconde, jusqu'à son gilet livide, jusqu'à ses linges de trépané. Ravel fait de la musique flaubertienne. La sienne, il lui tord précisément le cou. Il gueule sa ritournelle d'usine, il bolérise jusqu'à plus soif, il peaufine sa répétitive colonne sans fin, il invente comme Brancusi la vie invincible, l'art d'exode du canard sans tête.Il échappe à son art. Ravel ôte la musique comme Flaubert se départ de l'histoire. Restent le rythme, l'élan, la cadence du corps au travail, la machine qui marche toute seule.
Echenoz s'échine un peu. C'est l'impression qu'il donne au petit roman-fleuve qui coule d'une même, longue et brève saccade. Le secret est inviolable, impossible à éventer. Ravel est touché dans ses retranchements, dans ses frivolités les plus intimes, sans pour autant céder un pouce de quotidienneté, sans dévoiler son éventuel mystère qui, au contraire, ne cesse de grandir d'un fragment de vie à l'autre.
Page cent-sept: "On part à sa recherche, on le trouve à faire la planche et se laissant dériver en attendant les secours". Echenoz n'est pas de ceux-là. Il laisse aller. Ravel n'est pas soignable.
Ravel fait la planche comme moi, ce dimanche, à le lire au vent des pages. Echenoz a même osé des ratages absolus. Page vingt-sept: "La canne est à la main ce que le sourire est aux lèvres".
Non. Ravel, le dimanche. Ritournelle entêtante.

mardi 21 octobre 2008

Courrier d'un lecteur

Il y a quarante-cinq ans, Charles de Gaulle s'emballe tout à trac pour le premier roman d'un étudiant niçois. D'une plume enfiévrée, il répond à l'auteur qui lui a adressé son ouvrage par la poste. "Votre livre Le Procès Verbal m'a entraîné dans un autre monde, le vrai très probablement, et j'ai pu, avec Adam, le parcourir en zigzag. Comme tout commence pour vous, cette promenade aura des suites". Au premier coup d'oeil, de Gaulle reconnaît l'artiste à son travail. Près d'un demi-siècle avant la gloire du prix Nobel, le génial général se décoiffe, ôte son képi devant le jeune poète inconnu. Il termine sa lettre comme s'il se confiait au compagnon d'une même rébellion: "A moi qui suis au terme, vous écrivez que "le pouvoir et la foi sont des humilités". A vous, qui passez à peine les premiers ormeaux du chemin, je dis que le talent, lui aussi, en est une".

lundi 20 octobre 2008

Soeur sourire

L'humanité rayonnait dans ses yeux. Derrière la religieuse rieuse se cachait la fêlure d'une inguérissable douleur. Elle témoignait des pauvresses et des miséreux. Elle faisait naturellement le bien, parlait couramment la langue de l'humilité. Elle confessait son horreur de la médiocrité, son radical désintérêt pour la petitesse. Sa vocation l'avait saisie après qu'elle eût comparé le prince charmant terrestre à l'infinie grandeur de Dieu. Soeur Emmanuelle avait choisi Dieu parce que les hommes - petites choses dont elle faisait trop vite le tour - ne tenaient pas le choc. C'est pourquoi elle dirigea l'amour de Dieu, invincible, sur ses innombrables prochains, exclus du banquet, dans le dénuement des bidonvilles.

Blanc comme Obama

Obama lave plus blanc. Plus blanc que blanc. Blanc Harvard. Transparent. Ethique. Citoyen. Obama est le candidat blanc  le plus abouti d'Amérique. Candidus veut dire blanc en latin. Obama est imbattable. Obama est un concept publicitaire absolu. Ni Blanc, ni Noir: Métis. Il  partage sa couleur de peau avec l'humanité bigarrée. Il possède la prestance d'un trader de Manhattan. Il lui reste juste ce qu'il faut de noirceur pour évoquer les révoltes du Sud et réveiller les remords d'Occident. Obama est le meilleur Blanc de toute la planète bleue.

vendredi 17 octobre 2008

Traduit du bulgare

Les chroniqueurs financiers de la télévision s'expriment dans une drôle de langue. Ils dissertent sur les valeurs de Bourse avec des phrases qui semblent traduites du bulgare. On ne sait pas très bien si c'est un genre qu'ils veulent se donner. L'un d'entre eux, sans doute plus imaginatif, parsemait récemment ses doctes prévisions de deux mots bizarres, dont il paraissait fier: "impacter" et "performer". Cela donnait à peu près: "L'action machin performait tandis que le cours de la devise truc impactait - sur le moment, j'ai compris "empaquetait" - sur, mon Dieu, quelque chose dont j'ai bêtement oublié le nom".
Bref, le français des experts décline à la vitesse des cotations de la Bourse de Hong Kong. C'est un sabir insensé, assez vilain à l'oreille, prononcé avec fébrilité, sans autre souci que de marteler des syllabes. Ces gens d'entregent renient la langue de leur mère, pareils à ces gredins de gradin qui sifflent de bon coeur leurs chants patriotiques.

Une histoire de fou

A dormir debout. Au grand soleil d'une vie achevée, l'homme de la croix fait face, attendant la relève. Foudroyé comme un orme centenaire, déchiqueté par ses ouailles. L'abbé Donissan est mort au confessionnal dans la posture du vif. Mordillé dans sa chair, des chevilles à la tête, des mornes peccadilles qui laissent au paroissien ce teint de linge, ces traces de doigt."Le soleil de Satan est un feu d'artifice tiré un soir d'orage, dans la rafale de l'averse". Bernanos parle de son oeuvre première comme d'un phénomène atmosphérique. C'est un bloc d'abîme anonyme:"J'aime ce livre comme s'il n'était pas de moi".
Bernanos, soixante ans de cimetière au compteur, est misérablement absent des mémoires. 

jeudi 16 octobre 2008

Coup de vieux

En deux mois, le monde a vieilli très vite. Le capitalisme a pris cent ans. Il s'est ridé de failles profondes. La crise financière a fait grimacer son visage anti-âge. Les coups de torchon donnent toujours un coup de vieux. Mais chacun sait, en bon désespéré, qu'on n'a a encore rien vu. La récession économique va reléguer nos tourments de pouvoir d'achat aux oubliettes. Le spectre du chômage revient comme un cyclone récurrent. On serre les coudes, le crédit, la ceinture, les dents. 

Mort d'un météore

Guillaume Depardieu avait l'allure d'un gentilhomme taiseux, d'un preux chevalier de l'excès. 
Il illumina Pola X, somptueux ratage de Carax, chef d'oeuvre de grande brûlure. Maître des fulgurances, le comédien rimbaldien traîna sa magnétique présence blonde sur les plateaux de cinéma. Il jouait sur une jambe, marchait sur le fil du rasoir. Il lui manquait le bon sens des salauds. Il est parti vite, en catimini, sans qu'on le voie. Il a tout donné à la beauté. Il est temps d'ouvrir les yeux, de fixer son regard bleu, de contempler la splendeur d'un météore.