vendredi 28 décembre 2018

Meilleurs voeux

17 était une année nombre premier, comme Jupiter, divinité première, indivisible comme un pouvoir d’experts.
18 était un nombre, pas premier du tout, divisible à loisir.
C’était une année, non pas à couper en quatre, mais en deux ou trois, en six coups de sang à gilets fluorescents.
19 a la figure de l’excellence, une allure de majesté dans la notation des connaissances. La copie évaluée 19, encore nombre premier, est la première sortie du tas.
C’est une année presque parfaite, exemplaire.
C’est une année à vague air référendaire.
C’est une année avec des souhaits consignés dans des cahiers spiralés, formulés sur la durée, déployés en janvier et février.
A tous mes amis, je souhaite une année généreuse, insoucieuse, peut-être heureuse. Alors, ce sera gagné.

mardi 18 décembre 2018

La baraque de Scott

La saison s’étiole. Le soleil dégringole derrière l’Esterel. J’observe la chair incendiaire de la mer. Villa de Fitzgerald. Je squatte la baraque de Scott. L’écrivain des années vingt s’est cloîtré à Juan-Les-Pins.
Le barman secoue la mémoire avec de quoi boire sans état d’âme. L’alcool cogne à la porte du songe, d’un livre qui me ronge. Luca jongle avec la vodka, la mandarine et le vin qui pétille comme un merveilleux artiste de cirque. Les absents, comme les blancs d’un texte, sont les plus importants. Je songe à mes compagnons de calice, morts au champ des délices qui soudainement les remémore.
C’est à Juan-Les-Pins que j’ai achevé Fred, le récit d’un destin, que j’ai décidé d’y mettre fin, un beau jour. Je fixais alors une rondeur d’épaule quand nous choquions nos deux alcools. Fred récuse un guide. Il regarde, garde une fois, deux fois, mille fois, avant de se taire, de se terrer dans un cimetière.
J’ai du respect pour Steve, le maître pâtissier, à cause d’une saveur à la guimauve. Derrière la vitre avant la nuit, j’épie les mâts qui sont des croix. Les buildings se sont levés méchamment, au détriment des villas d’antan, rasées par manque de consentement. Loin d’ici, un président content, inventeur de bidules, inaugure les parlotes Théodule.

mardi 11 décembre 2018

Le stagiaire de l'Elysée

Manu, Bibi, Jupiter, on ne sait plus comment le nommer le petit jeune homme président. En dix-huit mois, il a dilapidé le capital de bonne foi d’un peuple en émoi. Sans même traverser la rue, en restant sur les lieux, il a décroché un stage de longue durée, de quoi s’aguerrir et pénétrer les arcanes du métier.
Un premier bilan d’étape mesure l’étendue d’un flop. Le chômage régresse peu, la dureté de la vie est ressentie comme jamais. Le contentement de soi du roi ajoute au désenchantement. Depuis les pugilats de Benalla, on démasque les mensonges d’Etat. La technocratie révèle un mépris naturel du peuple, sa distance de classe avec les muets des terroirs enclavés.
La révolte sent le fuel, exhale une odeur de bagnole. Les gilets jaunes annexent les ronds-points, ces scandales de jadis à financements opaques. L’émeute émeut les féodaux régionaux. On casse à Bordeaux. On dévalise à Saint-Etienne. On effarouche le bourgeois.
On privilégie les symboles. L’Arc de Triomphe est préservé, le palais de l’Elysée sauvegardé. Mission accomplie. Les dix mille policiers ont protégé le soldat inconnu et le président incongru. On se fiche des vrais gens aux échoppes pillées, aux boutiques vandalisées.
Le ciel est tombé sur la tête du bel Emmanuel. Jupiter a peur. Les ruades de la rue lui ont ôté son éclatant sourire de pontife ébouriffant.  Le gamin a shooté dans son Meccano alambiqué de sale gosse, il a brisé son jouet, il l’a dans l’os. Le mouvement de menton ne suffit pas à dompter une nation. L’histrion se fabrique une figure de repenti. Il lâche une dizaine de milliards au grand dam de ses ministres experts. Il accrédite ainsi les vertus de la violence. C’est une exemplarité à la moralité douteuse.
Avec sa tribu, Manu a marché dans les rues sans rien voir de la colère des gueux, des gens de peu, des nécessiteux du milieu. L’aveugle est désormais paralytique. Je doute que le peuple ait vraiment envie de le sauver. On ne bricole pas une présidence avec des rudiments de théâtre et des approximations de stagiaire.


mercredi 5 décembre 2018

Szecessio


Budapest a de beaux restes, souriante et maussade, grise et indécise, derrière ses façades raides. Sa mémoire est d'Orient mais ses souvenirs sont allemands.
Nem ertem. J'aime à m'égarer dans la sonorité hongroise. Ferenc, Arpad et Joszef étanchent leur soif d'un vieux vin jaune. Szecessio est le mot qu'il faut. Il désigne l'art de rue d'une fin de siècle architecte.
Szecessio chante un matériau métis, mixte la géométrie, rythme les coloris de rotondes décaties. Les bulbes du Danube sont des baobabs de brique. La place Czervita est un débarras de marbre, un grand drap de pierres, une musique d'apparat. Ses vastes murs d'architecture sont impurs par nature.
Budapest la nuit brille dans l'écartèlement du fleuve. Du Danube, le peintre sort du tube un bleu de Prusse. Il braque la couleur brique.
Le palota Gresham mime les coulures molles catalanes, dégouline comme un suaire de Dali, un sanctuaire de Gaudi. On mâche un texte à vouloir marcher dans Budapest.
La librairie Latitudes a quitté le quartier juif, la rue Wesselényi, dérangé mes habitudes. A Buda, elle s'est agrégée à l'Institut Français, l'ignoble bidule des bords du Danube. J'inspecte ses rayonnages dépareillés.
La blonde Hongroise s'invite en ma solitude. Elle me désigne un gros bouquin noir, au papier bible des missels de jadis. Elle me convainc par la magie du mot "proustien". C'est Histoires Parallèles, l'oeuvre de vingt ans de Peter Nadas. Je tranche le volume comme une pomme. Manière d'en avoir le coeur net.
Je suis ébloui par la soudaine blancheur des deux pages. Mes yeux se règlent à la lumière du texte. Je talonne une poignée de mots, à première vue, comme une inconnue dans la rue. Je ressens la fraîcheur d'une chair. J'interromps mon désir de plaisir. L'imagination m'ordonne d'en différer la satisfaction. Je claque le bottin, dégrafe ma liasse de forints.