dimanche 30 décembre 2012

Rentrer à la maison

La grande pièce de lumière où j'engrange les photographies est disposée pour le regard. Elle est piquetée de portraits. C'est de la mort sur papier.
Je vois sa figure de vivant derrière le divan. Le meuble de Szekely est une ligne d'infini. "Je veux rentrer à la maison". Leitmotiv de papa, songe urgent d'une vieillesse qui blesse.
Sa maison a fui les saisons, choisi la trahison. Papa se tait dans la mienne. Se terre comme un père.
Il est glacé. C'est une figurine de carton. Il jette ses yeux en plein ciel bleu.
Il interroge la lumière, vérifie l'identité de la terre. "Je veux rentrer à la maison". Il me regarde avec une patience insistante. Demande de ne pas l'abandonner.

Tweet

Bref. Comme l'amour clandestin d'un Sofitel. Entre deux portes. Bref. Comme le chant du signe. Sur le pouce.
On tweete à la hâte. On éructe une humeur. On crache sa poignée de syllabes. On se débarrasse d'une phrase comme d'un pardessus. On se plaît à l'abrégé. A la nudité, à la nullité.
L'écrit preste évacue Proust. Vide à l'entrée le désaxé de la syntaxe. On ne recherche ni ne développe. On taille du temps court à l'état brut. On s'abandonne à la tyrannie d'un infantile gazouillis. Borborygme expressif. Cri primal, onomatopée de nouveau-né.
Le tweet squatte la tête. Contingente la page blanche. Formate l'épanchement du moi. L'esprit, à défaut d'infini, se caricature en deux lignes.

samedi 29 décembre 2012

Paquebot

Les voeux ont de l'avance. On s'embrasse avant l'heure. Ayrault s'enivre de mots. On oublie la hargne, on débouche le champagne. On croit mordicus à l'effet placebo d'un paquebot.
Mais l'hirondelle de l'Atlantique ne fera pas le printemps mirifique. Ce colosse des mers est destiné au loisir de riches désoeuvrés. L'ouvrier de Saint-Nazaire se réjouit de travailler pour les rentiers de la terre.
On flanque Depardieu à la porte. Dans le même temps, on se félicite du pouvoir d'achat de vacanciers fortunés. Les nantis sont les bienvenus au pays. L'argent n'a pas d'odeur quand il s'approprie la bonne sueur.

jeudi 27 décembre 2012

Nous fatigue l'ennui

Nous fatiguent les fêtes imparfaites et les dons sans pardon. Nous fatiguent les moitiés d'amitié et les sourires sans rareté. Nous fatiguent  le déballage des victuailles. Nous fatiguent les souhaits sans y penser.
Nous fatigue la France. Avec son histoire, ses patelins, ses clochers. Nous fatigue le roman des souches. Nous fatiguent les petits blancs et les grosses blondes. Nous fatigue une patrie pas très jolie jolie, jamais guérie des jalousies. Nous fatigue l'ennui.
Je regarde la carte: c'est quand même un monde ! Nation démission. Nous fatigue ce terroir propriétaire, mouroir des temps de guerre.
On gomme la frontière. On tourne la page des querelles de bornage. On fait la bringue avec l'humanité. On fraternise à sa guise. Caïn farfouille en magasin, débusque de nouveaux Abel à la pelle. On s'achemine doucement vers des tourments sans précédent.

samedi 22 décembre 2012

Paul Crauchet

Paul Crauchet est mort. Ce n'est pas la fin des haricots. Les comédiens sont les princes de l'éphémère. L'acteur en maillot de corps impose une présence muette, une poésie charnelle à ses films.
Paul Crauchet vit dans notre mémoire, au coin d'une nostalgie, au rayon des curiosités post soixante-huitardes.
C'est l'ouvrier lunaire des années libertaires. Il est l'homme d'un premier rôle. "Bof...Anatomie d'un livreur" raconte le vagabondage d'un manutentionnaire, l'abandon de poste d'un cinquantenaire.
L'humble humanité de Paul Crauchet ensoleille la pellicule. Elle crève l'écran d'un temps de conte de fées. Où la paresse revendiquée était l'emblème de lendemains enchantés.

vendredi 21 décembre 2012

Disponibilité charnelle

Sentiment d'être entravé dans ma liberté d'apprécier. Le vin de Champagne d'hier, au raout de la société des auteurs, avenue Velasquez, altère ma sensibilité du réveil, gâte mon humeur à bien lire.
Le bout de fièvre, qui montre son museau, impose aux mots ses priorités. Il m'enseigne que la majesté d'un style nécessite la santé du corps.
Lire Proust ou Chateaubriand exige une attention précise, une sensibilité réactive à la phrase, réclame une disponibilité charnelle au chant des voyelles. Faute de quoi, on rate un virage à chaque page.
D'où le lot de consolation du texte de raison. Une conscience diminuée se contente de science épurée.
Inutile de s'aventurer blessé dans La Vie de Rancé. Aujourd'hui, je feuillette Le Goff, lit des bribes sur le Moyen-Age. L'esprit, même embrumé, se plaît à déchiffrer l'expression réduite à son austère signification.
On ne peut pas lire Claudel, les jambes en flanelle. La littérature s'adresse aux bien-portants, par nature. La science de l'homme, deuxième choix, parle au camp des malades.

jeudi 20 décembre 2012

Minable

Je tiens mon maigre savoir du philosophe de ma jeunesse. Il m'enseigna l'origine minable du mot ministre. Du latin minus. Ministère se situe au bas de l'échelle de la petitesse. En revanche, magistère, son contraire, se recommande d'une certaine grandeur.
Autrement dit, le maître est l'exact opposé du ministre. Je sais de Michel Serres, mon joyeux mandarin aquitain, la nature vraie de premier ministre.

Villa Brune

C'est une adresse de bout d'impasse. L'homme du lieu écarquille les yeux comme un enfant taiseux. Il nous accueille en pyjama dans sa maison grenat. Nous assied sur un canapé d'angle. Le matou gris s'ébroue. N'en perd pas une miette.
L'homme du lieu s'est défait des contraintes de mémoire. Dans son salon, il ne se souvient qu'à l'occasion. Il est indéchiffrable derrière sa face lunaire, rose comme un homme qui se repose.
Il se fiche des souvenirs, les chasse de la main comme des mouches indésirables. Le service du thé l'attentionne comme une fidélité à exécuter. Il nous reconnaît mais ne sait nous identifier.
C'est une demeure où les heures ne font pas peur. On jette des mots dans la conversation comme des hameçons dans une mer sans poisson.
Il se dresse, droit comme un lutin, petit soldat sans embarras, vieux bambin sans destin. Il ne confesse qu'une faiblesse. Le froid, qu'il conjure à La Réunion, loin de sa maison.
L'éclaircie du visage est une épiphanie. Intelligence de chat, ou condescendance de nouveau-né, l'homme du lieu n'est pas plus saisissable que la joie du feu.
On marche dans la rue, Villa Brune, décontenancé par la nuit.

mardi 18 décembre 2012

Depardieu l'Européen

Depardieu est un Européen de Néchin. C'est un étudiant du continent, intoxiqué à l'idéologie Erasmus, drogué de mobilité, qui s'établit en Wallonie. Il saute la frontière, fait le mur comme un collégien en colère. Il quitte sa patrie comme un Rom de Roumanie. L'homme des Valseuses fuit le pays de Valls.
Il échappe aux attaques d'une horde, bivouaque chez Poelvorde.
Depardieu considère l'Europe avec sérieux. Prend au mot la fraternité de son drapeau. La France s'embrouille dans ses lignes Maginot. Se gargarise de ses beaux impôts.

lundi 17 décembre 2012

Un corps de volupté

J'attends le chariot des gâteaux. Dans le hall du Plaza, la clientèle emmitouflée sollicite le guichetier, malmène le concierge.
L'Asie impavide se photographie devant l'immense sapin blanchi. Je patiente dans le temps étiré qui sied à la beauté du dimanche.
J'accède au fauteuil du couloir. Trempe mes lèvres dans un joyeux Champagne. Santon de pâtisserie, bécassine de caramel, la religieuse du Plaza est l'invitée de ma prévenante écuelle.
C'est un gâteau d'échafaud. Je l'accueille en délicat bourreau. Je décapite la prisonnière, triture le tissé serré d'une chair. Je dissèque un corps de volupté, vandalise le buste de sucre d'une Vénus de Milo.

dimanche 16 décembre 2012

L'imposteur

Hollande pour la Belgique. Il quitte les prés de Saint Germain pour le crachin de Néchin. L'ardoise est discourtoise: il y a des Ayrault de trop. Depardieu se sauve. Sa lettre de désertion est plantée au front de la nation. Il s'exile parce qu'on rogne ses ailes. Depardieu jette son panache dans la bagarre. Il fuit la meute des viandards.
Le fisc est le fils. Il hérite en premier du travail des pères. L'imposteur lève l'impôt. Use et abuse de sa ruse. L'homme de mains oeuvre en bandit de grands chemins. Le fisc est armé jusqu'aux dents. Il dépouille et châtie la riche fripouille.
L'Etat revanchard s'autorise de tondre l'homme prospère comme hier la femme adultère d'une guerre.
Dans le récit de sa vie, Chateaubriand peint la police d'Italie en termes choisis: "Quand le délégué de Padoue vint chez moi, je lui trouvai une mine de secrétariat, un manteau de protocole, un air de préfecture, comme à un homme nourri aux administrations françaises" (Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, tome II, page 831). Depardieu n'en croit pas ses yeux. Il imagine Ayrault.

samedi 15 décembre 2012

Les gens d'armes

La télé ronfle dans les maisonnées. Samedi, c'est emplettes à petits prix. Le potlatch de fin d'année dicte sa marche forcée. La télé radote. La télé chevrote le récit d'une tuerie. Une escouade de doctes commente la fusillade du Connecticut.
L'Amérique est composée d'une classe hégémonique: les gens d'armes. L'Europe raille l'arriération d'une nation aux sécuritaires amendements de la constitution.
Terre sans laïcité, l'Amérique des libres pistolets déconcerte les esprits français. Elle contrarie nos solides préjugés. Aux dégâts des armes constitutionnelles répondent les larmes compassionnelles d'Obama. Les gens d'armes ont une âme, une belle âme même. La passion du revolver n'altère pas les bons sentiments.

Chateaubriand

J'achèverai les Mémoires du vicomte juste avant Noël et ses cantiques de gloire. La mort rôde tout au long des quarante-quatre livres. Chateaubriand émeut par ses dépêches au ton altier et ses courriers mêlés de piété.
Il fourre sa vie imaginée dans ce majestueux recueil de miscellanées. Deux femmes surplombent le récit de l'homme de plume: Charlotte, la taiseuse amoureuse, Lucile, le génie absolu de la famille.
Les lettres d'une soeur poignardent le frère ambassadeur. Les yeux d'une veuve se plantent dans le mauvais rêve de diplomate.
Les trois journées de la révolution de juillet sont prétexte au chatoiement d'une langue étincelante. Chateaubriand reporter exécute un crayonné échevelé du Paris émeutier.
La vieillesse situe l'âge des prodiges de l'artiste. Venise est écrite pour l'éternité. On rougit des inutiles rajouts de pèlerins écrivains. Chateaubriand y patiente à l'hôtel de l'Europe. La duchesse de Berry lui confie le destin d'un fils.

jeudi 13 décembre 2012

Low cost

Les princes qui nous gouvernent semblent ternes à comparaison des saisons, des républiques de jadis. On les formate pour l'anonymat immédiat des médias les plus plats. Ils règnent sans rêverie ni fantaisie, régentent un pays comme de petits commis.
En un mot, les politicards sont taillés au plus juste, cintrés dans des costards low cost, cravate de travers. Copé, sans talonnette, tout juste honnête, évoque Sarko, nabot low cost. Fillon reste second, aux marches du palais, interdit d'accès, monotone et félon.
Ayrault parle en prélat, marmonne un long sermon, rabâche un prêchi-prêcha. Ayrault est un politicien étouffe-chrétien. Hollande voyage en train sans l'entrain d'un chef de bande. Hollande suit sa route indécise sans valise ni balise.
Présidence normale. Locomotion low cost du petit père de la nation. La chefferie du pays s'est rétrécie. Nos princes aux idées minces ont bien dégringolé depuis de Gaulle. Le peuple achète son billet à l'Elysée, compagnie low cost. Sans garantie pour sa survie.


mercredi 12 décembre 2012

Ciel abstrait

La petite boulangère mulâtre ne boude pas son plaisir qui est de sourire dans la lumière blonde de ses pains.
Splendeur dehors. Le toit du monde est un grand aplat de peinture jaune. Les parallèles ont des ailes. Impriment une géométrie des traces dans un ciel abstrait. Déposent l'échelle dans une gamme de vieux roses et de vents éventuels.
S'ébouriffe le bleu bref des genèses. Rougeoie sa joue d'oiseau de proie. Le ciel emmêle son récit indiciel dans la diagonale d'un réel marbré d'estafilades. Les griffures se croisent sur l'ardoise impure. On perd latin, Nord et conscience.

mardi 11 décembre 2012

La suite

On connaît la suite. Les sous de Nafissatou. L'argent éponge le temps, efface les faits. L'audience dure l'espace d'une romance.
Les hommes de loi fixent le montant de l'ardoise. Nafissatou pavoise. Nafissatou sourit. Nafissatou souffre du dos. Déesse Cas longe une rue en travaux. Nafissatou remercie Dieu. Déesse Cas sourit en écho.
On connaît la suite. Déesse Cas annonce qu'il est candidat. Qu'il est candidat aux médias.

lundi 10 décembre 2012

Née d'un rejet

L'hostilité crée la communauté. Les démons aux frontières fédèrent les nations. Les mauvaises fées sont des traits d'union. L'Europe est née d'un rejet.
Elle s'est extraite de la Shoah et de Marx. Elle vient d'un traumatisme de la mémoire: Hitler et Staline. Marx est mort dans les usines. L'histoire remballe ses horreurs. Elle saute la page de la solution finale. L'Europe désigne un horizon de paix.
Or l'union pèche par déficit d'anticipation. L'Europe s'agrège autour d'une paysannerie dont les jours s'abrègent. Elle privilégie l'acier dont on faisait les canons.
Elle s'entiche du fétiche de l'économie. Elle repeint les nations aux couleurs de leurs seuls picaillons. Amnésie des géographies. Silence poli sur les croyances. La technocratie s'approprie les patries. Les nouveaux héros se moquent des mondes locaux.
L'Europe cingle vers l'avenir avec une cargaison de conceptions arriérées. Elle s'étourdit d'historiettes gentillettes, s'épuise au marathon des concurrences, se nourrit du ressentiment de la mondialisation.
L'ennemi s'apparente à l'étranger menteur, producteur à bas prix. L'Europe a trouvé sa nouvelle solidarité. Elle actualise son logiciel d'interprétation des marchés, consent à installer sa dernière version. Elle identifie la mondialisation d'échange inégal comme sa nouvelle grande querelle.
L'Europe grandit au voisinage d'une terrible guerre de bornage. Il s'agit de délimiter le champ mondial d'un commerce équitable.
Ce combat renaissant nécessite la vaillance d'un continent. Il exige la claire vision d'une ambition.


dimanche 9 décembre 2012

Un choc de palais

Chez Petrossian, on s'enivre des fraîcheurs de la Baltique. On se plaît à gratter ses poudriers de mince grammage. Le caviar est un genre de beauté. Noir miroir dans son luxe de tiare.
La vodka désaltère aussi légère et pure qu'une eau imaginaire, aussi lisse et rude qu'un persistant délice. Je mouille mes lèvres dans une nostalgie. J'y vois l'idée nette du parfait infini.
L'assiette est tapissée d'orange. Tranches de saumon comme des bannières à l'abandon. J'incise la chair froissée. Je bois dans la félicité. J'évoquerai la vodka comme un choc de palais.

L'alphabet des pliures

Les corps se rangent au gymnase comme des chevaux dans leurs stalles. Ils s'agitent à leur place, gesticulent, exercent leurs muscles.
La musique militarise les postures, brusque les anatomies. Régine impose un régime. C'est le caporal de la salle. Elle ordonne à chacun, tonne au besoin.
Les corps grincent sous la loi des secousses. Récitent l'alphabet des pliures, se courbent contre-nature. On s'épie. On guette le faux pas. On mime la prof de gym.

vendredi 7 décembre 2012

Frère de beauté

Il voit la vie sans lui. Du creux de sa paume, il sèche la rosée d'une joue. Il sait dans les yeux la finitude des ciels bleus.
Tremble un frère de beauté. L'humanité secoue son encolure de bête apeurée. Le corps sent l'été se dérober.
Va dans le mur sans un murmure. La main flotte dans un vêtement. Les stridences sont des silences. Un cri dessine le repentir d'une lèvre.


jeudi 6 décembre 2012

Hors pistes

Le gouvernement godille à ses risques et périls. Il crée des leurres, des pleurs et des rancoeurs. A changer de pied sur l'acier, il jette le discrédit sur sa sincérité.
La droite a déserté. Elle vide la démocratie par défaut de sa chefferie. Après le plein soleil des chamailles, la querelle s'opacifie dans le huis clos des bureaux.
On se défausse sur un peuple, traité comme la dernière roue du carrosse. On se moque d'un monde muet comme une tombe, sans bulletin hors des scrutins, interdit d'expression au plus fort de l'inexorable récession.
A slalomer entre les gens de peu, les hommes de pouvoir soliloquent entre eux. Hors pistes, sans complexe, dans une poudreuse flatteuse.

Cimabue, Dali, Bacon

Fixer des vertiges. Rimbaud dispose du marteau et des clous. Dali d'un pinceau. Christ panoramique de Dali. L'imagier catalan figure l'attrait du vide, la tentation du néant. Christ cascadeur, à deux doigts de plonger dans l'uniforme univers. La toile est à Glasgow.
Le Christ de Cimabue est suspendu comme un pendu. Boxeur dans les cordes. Le corps se tord. Se dépatouille mal de la mort. Crucifix de Santa Croce.
Chair, viande, barbaque ou bidoche: Bacon embroche son pape innocent. S'approche au plus près des secrets de Cimabue. Contorsion christique d'évocation byzantine.

mardi 4 décembre 2012

Les nuques

Du vent et de la pluie. De la nuit sur les yeux. L'horizon se borne au goudron. La chair est pincée. Elle se tasse dans sa masse. La peau démange.
S'engoncent en dimanche des corps de mensonge. Luisent les balcons graisseux. Le bruit de la ville joue de sa griffe. Un châtiment de taupe abaisse les nuques.

lundi 3 décembre 2012

Sviatoslav

J'ai trouvé ma place pour écrire. Je la cherche pour reproduire, dessiner, ébaucher un sourire. La musique m'en déloge. M'en fait voir de toutes les couleurs. Je rougeois dans ma loi.
Ses exils sont ses domiciles. La musique se rit, s'amuse de bouts d'espièglerie. La musique est nomade et guérit les malades.
L'ordinateur placarde la trogne lunaire de Richter. Le temps claque entre ses doigts. Sviatoslav s'approprie l'esprit virtuose d'une bourrasque. Bach a planté dans l'espace son entêtante absence.

samedi 1 décembre 2012

Voter encore, voter mieux

Les sottes ambitions se heurtent au roc esthète de Beckett. "Echouer, échouer encore, échouer mieux" (Cap au pire).
Voter, revoter, bourrer, re-bourrer les urnes. Voter encore, voter mieux. En l'espèce, la bouffonnerie est une noblesse. Cioran, de mèche, ajoute son grain d'ironie, de rire en-dedans: "N'avoir rien accompli et mourir en surmené" (Aveux et anathèmes).
Fillon n'échoue pas mieux. Mauvais perdant. N'aime que l'éclatant succès. Copé ne veut pas le savoir, n'échoue pas du tout.
Ils sont possédés par des prouesses menteuses. Ils sont agités par des vitesses immobiles. Ils gesticulent à la sortie des métros. Persévèrent dans des travaux sans écho.

vendredi 30 novembre 2012

L'histoire de l'art

L'histoire des hommes suinte d'ennui, de sang et de querelles monotones. La guéguerre accélère le cycle des cimetières. Les princes de Bourgogne se distraient sans vergogne à la tuerie des peuples. La volonté, soleil mort des visages, borne le front des pouvoirs. L'idiotie règne en majesté, roi ivrogne de l'humanité.
J'ai choisi un raccourci. Loin des bandits de grands chemins et des historiettes à gonflette. Je dédaigne les charniers ordinaires. J'interroge l'histoire par le détour des beautés. J'use mes yeux au Louvre. J'examine les traces de doigt laissées, la sueur sur la pierre des travailleurs de lumière. J'apprends le temps des édifices. J'engrange la leçon de fastueux artifices.
J'oublie les noms, les dates. Je regarde les couleurs qui colmatent la fureur des pleurs. Je garde le silence. Je ne veux surtout pas d'histoire.

jeudi 29 novembre 2012

"Rumpf"

Dans la bagarre de la droite, les mots ne sont pas saufs. Ils saignent aussi, ils perdent du sens. La sécession des hommes de Fillon se cristallise dans une faction baptisée "Rump". R comme rassemblement. R comme le RPR d'avant-hier.
Le mot "rassemblement" se juxtapose au mot "union" qui veut dire la même chose. Kif kif bourricot.
La sédition double la mise unitaire. Deux synonymes fondent le nouvel acronyme. Copé prononce "Rumpf". Avec malignité. Le rajout du "f" évoque une fuite d'air. Il laisse entendre un bruit de baudruche qui  se dégonfle.

L'ogre de l'Elysée

Idées prétextes, intérêts en tête. L'Elysée est paré de charmes d'Etat qui enivrent ses candidats. C'est un palais convoité qui altère la raison des plus modérés.
Copé le fourbe et Fillon le tâcheron se cognent à l'illusion d'un même songe. Ils ont gravé leur destin dans un marbre imaginaire. L'Elysée fantasmé transite par le marchepied d'une Ump, même plombée.
Copé s'estime intellectuellement supérieur. Fillon revendique avec Matignon une légitimité meilleure.
La haine les embastille dans sa prison. Elle jette un voile sur leur lucidité. La lutte agonistique exprime l'horizon ultime de l'ambition politique.
Ils se ressemblent trop pour consentir à la victoire de l'autre. Ils sont trop égaux pour apaiser leurs egos. L'objet de leur passion ne souffre aucune entorse. Il est d'autant plus désiré qu'il est éloigné. Girard a tout dit sur pareille bagarre.
Ils sont possédés par le diable de la rivalité chimérique. L'Elysée à cueillir est situé en deux mille dix-sept. C'est un ogre insensible qui déjà mange une batailleuse marmaille.

mercredi 28 novembre 2012

L'anniversaire d'un "super-menteur"

Chirac, quatre fois vingt-ans, a vieilli vite, hors des chienneries addictives d'un pouvoir excitant, décline à toute allure, rangé des voitures. Il a l'âge du dernier de Gaulle, terrassé à Colombey.
Au soir d'une improbable victoire, Copé évoque sa mémoire, exprime sa reconnaissance "personnelle" à l'endroit d'un mentor cabossé, couturé de partout.
Chirac a raflé la mairie de Paris, au nez et à la barbe de la noble Giscardie. Il a chapardé l'Elysée en renard de poulailler. Il a démenti la bien-pensance des pieux bavardages et des doctes sondages.
Copé ressuscite l'image d'un Chirac, un peu voyou, "super-menteur", bousculant les pronostics, brûlant les politesses, à la hussarde. Copé fête à sa manière l'anniversaire du vieux chef:  il ravive, avec une même impétuosité, le souvenir de ses prouesses.

lundi 26 novembre 2012

Un seul peuple

"La colère du peuple de droite". La manchette du Monde provoque aussitôt la mienne. Car il est inapproprié de procéder à la partition du peuple, notion indivisible comme la nation.
Il est vrai que l'expression "peuple de gauche", souvent proclamée, revendique une improbable légitimité. Pourquoi pas, pendant qu'on y est, "un peuple du centre" ? Le peuple ne se fractionne pas en travées d'hémicycle.
La République ne souffre qu'un seul peuple français, riche de sa diversité et de ses libertés.

Un voyage de trente ans

Jackéguéna, c'est deux prénoms qui n'en font qu'un. Jackéguéna, c'est le nom d'une saga. Jackéguéna sont des voyageurs nés.
Tout commence entre eux par le transport amoureux. Mais le transport amoureux ne leur suffit pas. Car ils sont amoureux, tous deux, des transports. De tous les transports possibles. Qui dit Maussion, dit locomotion.
Auto, bateau, chevaux, c'est leur métro, boulot, dodo. Auto, bateau, chevaux. Pourquoi chevaux ? Parce qu'ils se sont mariés sous le signe de fiers destriers, sous le signe du Haras du Pin, sous le signe des pur-sang et des bois environnants. Or ces bois, ces pins du haras annoncent les bois de Tertu.
Bois de Tertu dont Jackéguéna tailleront des glissières d'autoroutes qui, en trente ans, couvriront la terre entière.
Auto, bateau, chevaux. On ajoute au pot, l'avion. L'avion des Maussion vole de Chine au Chili. Tertu, Normandie, est à portée de Patagonie.
Mais Jackéguéna aiment les transports à la folie au point même d'y embringuer leurs mollets apprentis.
Grand papou enfourche sa machine, appuie fort sur les pédales, la tête dans le guidon, grimpe les côtes en se déhanchant. Grand papou amorce une nouvelle carrière de cycliste.
Et grande mamou dans tout cela ? Je ne sais pas. Elle regarde grand papou, d'un oeil amusé, courbé sur sa bécane. Le vélo lui aussi revendique sa part de gâteau. Vélo a rejoint auto, bateau, chevaux.
Récapitulons. Enumérons les transports. Auto, bateau, chevaux, avion, vélo, Malo. Malo aussi.
Ce saint d'Irlande ou du Pays de Galles - Wikipedia, quand on l'interroge, s'emmêle un peu les pinceaux - est un modèle d'aventurier des eaux.
Malo évoque les flots, mais pas seulement. Malo chante do, l'enfant do. Malo résume tous les rêves de bateaux de grand papou et de grande mamou. Malo est une sorte d'enfant de la balle, élevé au voisinage des eaux. Malo des mers est le jumeau de Gabriel, son frère qui, lui, porte un nom d'archange.
Gabriel, l'adorable angelot, est messager du ciel. Gabriel chahute un peu dans le ciel. Il va plein pot, à toute allure, fend l'azur avec ses ailes d'oiseau.
Malo et Gabriel sont nés voyageurs, l'un des mers, l'autre des airs. Ils ont de qui tenir. Ils ont l'amour des grands espaces dans le sang. Ce sont Jackéguéna crachés.
Jackéguéna - j'ai commencé par là - sont des voyageurs nés. Des voyageurs nés qui ont trente années de bourlingue conjugale au compteur. Ne sont pas près de s'arrêter, n'ont pas envie de tourner le dos au grand large. Non. Pas pour un empire.
Ils piaffent déjà d'impatience dans leurs starting-blocks. Ils sont partants pour un deuxième voyage de trente ans. Ils écopent de la double peine, les deux chenapans, les deux chenapans des cinq continents.
Et nous serons là dans trente ans - à peine moins fringants - pour les noces de diamant d'arrière grand papou et d'arrière grande mamou.
Joué du Bois, le retour, Joué du Bois, saison 2, c'est pour le 24 novembre 2042. 24/11/42, nombre magique, parfaitement symétrique. 24/11/42. Notez-le sur vos tablettes. Save the date comme on baragouine sur Internet.

Le petit lieutenant

Pas de commission des recours mais un appel au secours. Juppé, chef de mission bidon, tend la main à Fillon qui a pris un bouillon et qui cherche un giron.
Fillon et Juppé n'étaient pas faits pour s'entendre. Le volcanique Séguin, mentor de l'un, rival de l'autre, se dressait massivement entre les deux petits lieutenants. Or Juppé, le factotum de Chirac, s'est plu à faire un geste de charité. Il sait Fillon, éternel numéro deux, en demande de protection.
Juppé soigne sa vanité. Question d'étiquette, de respect des hiérarchies. Question d'identité des grades. Juppé n'est pas sans ego: il ne parle qu'à ses égaux. Le coup de main de Juppé à Fillon s'interprète comme le dialogue de deux excellences, de deux anciens premiers ministres, de deux grands hommes à gloire similaire. La conversation au sommet excluait Copé, à moindre pedigree.
Mais Fillon et Juppé ne sont pas des chefs. Ce sont des présidents de commission. Juppé n'a jamais pu s'affranchir de Chirac. Fillon demeure le "collaborateur" de Sarkozy. Sa carrière de second tourne en rond. Juppé vieillit avec sa nostalgie.
Copé rechigne au rôle de porteur de valises. Il s'est établi à son compte. Sert, ou se sert de Sarkozy à sa fantaisie. Sa combativité rappelle l'impétuosité de Chirac à la conquête de Paris, au grand dam de Giscard. Copé roule pour Copé. Il n'a pas le profil du tout d'un petit lieutenant.

vendredi 23 novembre 2012

Juppé, figure de sainteté

Le roman de l'Ump est une illustration saignante de la pensée girardienne. Fillon, Guaino, Karoutchi. Les lieutenants du séguinisme se regardent en chiens de faïence. Ils se détestent comme des pestes. Ils se jalousent comme des frères. On ne se pardonne rien quand on est paroissien d'une même chapelle.
Ajoutez Juppé par dessus le marché. Juppé, né coiffé, ne demande jamais rien, sauf à être sollicité au sommet, sans serrer une main. Fillon revendique le giron de l'ennemi juré de son mentor adoré. Le vieux rival de Séguin se pourlèche les babines.
Juppé rejoue la phrase de Chirac. "Juppé est le meilleur d'entre nous". Il trône en majesté sur un parti déchiqueté. Juppé le père se compose le visage de Jupiter. Copé s'est fait tirer l'oreille. Les deux chiraquiens de souche s'apprécient peu. Juppé est désormais courtisé comme une divinité.
Fillon, plus récent dans ses galons d'ancien premier ministre, lui avait brûlé la politesse. Juppé tergiversait. Voulait secrètement se présenter à la présidence. Fillon, en ami des bolides, le doubla sans un regard. La mémoire de Juppé ne flanche jamais.
Bref, Juppé se compose le visage d'un sage au-dessus de la mêlée Ump. Autorité morale. Ses postures d'extrême lassitude disent son grand âge. On a oublié les emplois fictifs de la mairie de Paris. On zappe les démêlés avec la justice, la condamnation, l'exil au Canada. Juppé était alors une victime émissaire.
Juppé veut rompre avec son passé sacrificiel. Régner, loin du peuple, sans porte à porte, lui va comme un gant. Juppé siffle la fin de la récréation. Le parti de la droite, dont il rédigea les absurdes statuts, lui appartient de droit. A la faveur d'une belle pagaille, Juppé est remonté sur son cheval. Ce preux politique, pourfendeur des bourrages d'urnes, est en voie de canonisation. Juppé se prête sans se forcer au jeu de la figure de sainteté.

jeudi 22 novembre 2012

On fête un fils

Ruée dans les escaliers. Les proches s'approchent. La petite foule s'est répandue comme une flaque. Porte close de la quatrième chambre. Les familles s'endimanchent. Les avocats règlent leurs manches. La liturgie du serment exige procession et recueillement. La confrérie baptise. Le bâtonnier marmonne son sermon. Se plaît en plaideur. Sourit à son nombril. Se complaît dans l'excellence de soi.
Les officiants dissertent de "léontologie" ou science de Léon. On engrange des images. On perd le fil du boniment. Le spectacle des robes noires évoque la distribution des prix des collèges de naguère.
On boit un coup au bar du caveau. On trinque de bon coeur. On sait les fourberies de la vie. On se serre en famille comme des princes en exil.
Razzia sur les pizzas. On rit. On fête un fils. On dément le serment d'ivrogne. La tablée des sept est gravée dans nos têtes. La joie luit dans la nuit.

mercredi 21 novembre 2012

Les liens du gang

Mafia et politique s'accordent sur les valeurs. La famille et la morale définissent un même code d'honneur. Le parti est une structure clanique, peuplée de frères ennemis. On s'y étripe, on ne se quitte pas. Les malfrats corses pratiquent la vendetta, ne tolèrent aucun manquement au respect de la figure patriarcale.
On ne s'affranchit pas du lien partisan. L'étroitesse d'une famille vaut mieux qu'un solitaire exil. Fillon battu s'interdit le grand large. Il reste au chaud dans sa famille. "Naturellement". Liens du sang, liens du gang.
La pègre est sincèrement tracassée par la morale. Elle tue de bon coeur, sans frivolité, pour le maintien des règles. Le bandit de grand chemin est taraudé par le bien. La tricherie des démocraties résulte de l'intérêt supérieur des partis. On s'y désole des "fractures morales".
La morale est la religion des voyous. Ses officiants ont la foi du charbonnier. "Ils mentent de bonne foi" comme dit joliment Bernard Tapie.

Une entreprise qui m'intéresse

"J'ai 22 ans. Je suis un jeune sans emploi. J'ai envoyé des CV par centaines. Sans succès. Hier j'ai regardé la télévision et j'ai entendu parler de la COCOE. J'avoue que je ne connaissais pas. C'est une entreprise qui m'intéresse. Je suis assez motivé.
Pouvez-vous me donner ses coordonnées ? Merci d'avance."

mardi 20 novembre 2012

Les lauriers sont Copé

On parle de sérénité, les mâchoires serrées. On échange des sourires de coin. On remue des lippes gourmandes. Les mots des lieutenants tranchent avec les arrière-pensées du moment. 
Les rictus se creusent. Les regards sont des poignards. Les yeux des deuxièmes couteaux jaillissent des fourreaux. Les états d'âme sont aiguisés comme des lames.
Il en va des carrières de messieurs les porte-serviettes. Et puis, patatras ! Les sondages sont démentis. Les lauriers vont à Copé. Les figures s'allongent autour de Fillon, le débonnaire tonton.
Le cercle des ambitieux neveux se mord les doigts. Les irrite que Copé les déshérite. L'oncle Fillon n'était pas l'investissement de père de famille, l'engagement politique sans risque, idéal pour un budget moyen d'arriviste.

lundi 19 novembre 2012

Le Picasso du pouvoir

Portraitiste de talent, Mélenchon peaufine la grande toile gouvernementale du quinquennat. Au centre du tableau, figure en majesté la peinture d'un président "capitaine de pédalo". A sa droite, le pinceau du maître a esquissé le premier ministre sous les traits "d'un petit politicien de province sans imagination".
Il appartient maintenant à l'artiste d'ébaucher la piétaille des ministres. A l'arrière plan de l'oeuvre. On sent déjà que le Picasso du pouvoir est déterminé à soigner l'image de Valls.
Il est même démangé par l'envie de croquer le lointain successeur de Fouché. Le ministre de l'intérieur est dans le collimateur. C'est son tour. Mélenchon, notre Pablo des micros, aiguise son crayon. Va ouvrir sa grande gueule. On a lu Oscar Wilde: "On ne résiste à la tentation qu'en y succombant".

Fouette cocher !

Le fouet du cocher importe autant que le cheval de trait. Le doigté de Saint-André, driver du Quinze tricolore, galvanise les costauds du rugby. Le verbe de Deschamps, mentor des footballeurs, sublime à merveille les mercenaires à millions du ballon rond.
Picamoles, pic de la Mirandole d'une mêlée sans mollesse, range le splendide Harinordoquy au musée des vieilleries. Le lutin Valbuena marque à la Messi contre l'Italie. Ces deux grands joueurs, ignorés jusqu'alors, reviennent du diable vauvert.
Période faste. Fouette cocher ! Le rugby français étrille l'Australie et l'Argentine. Wallabies et Pumas. Les hommes de Dédé la Dèche dominent l'Espagne d'Iniesta et l'Italie de Pirlo. Souveraine maîtrise des rênes de Deschamps et Saint-André. Mieux que des "coaches", vous êtes des cochers entre rage, panache et courage. Merci messieurs.

Une fille publique

Fillon a patienté dans le froid. Il a poireauté une heure sur le trottoir avant d'entrer dans l'isoloir. Il n'est pas sûr qu'il en soit ressorti. Car rien ne ressort de ce scrutin de maffiosi. Omerta sur les résultats.
Les bulletins tombent du ciel, se ramassent à la pelle. Comme des feuilles mortes. Aux couleurs fauves de l'automne. Aux couleurs de fraude de petits hommes.
La démocratie de parti est une fille publique, la traînée des cités qu'on viole à sa fantaisie. Copé sourit, un peu blafard, toujours bavard. La droite est décomplexée, voire même dévergondée.

samedi 17 novembre 2012

Clichés d'Europe

On se lasse des cartes postales. On se fatigue des facilités de pensée. J'en ai par-dessus la tête des bavardages de coin de comptoir. L'Europe est à inventer. A ré-interpréter.
Le Calabrais thésaurise comme l'Ecossais. Le Germain dépense comme un Macédonien. Le Lorrain marchande comme un Napolitain. Le Catalan travaille comme l'Auvergnat. Le Portugais joue au rugby comme un Irlandais.
Les pays protestants sont jouisseurs et menteurs. Les contrées catholiques sont austères et disciplinées. Les Nordiques sont des gens indolents et les Méditerranéens des brutes de travail. La grisaille endort les corps. Le soleil réveille les morts.
Désagréger les clichés, dépiauter les peuples de leurs oripeaux. Voilà l'Europe de mes desiderata.

vendredi 16 novembre 2012

Cannabis, ter et quater

La réalité déçoit. Car loin de soi. Loin des souhaits. On l'acclimate comme on peut à la douce intimité. On repeint le monde extérieur aux couleurs du for intérieur.
La consommation de cannabis s'inscrit dans une logique d'escamotage des périls, de camouflage du réel. La drogue apprivoise l'étrangeté du monde. Elle humanise les bourrasques de violence et de non-sens.
C'est pourquoi le sujet de l'actuelle cité-monde s'y abandonne à l'envi. Il se jette comme une bête sur la cigarette. Il plonge dans l'alcool. Il se vautre dans le travail, le sexe et la bouffe. Il cède au culte du web, des sons et des images. Il se livre aux bâillons des religions. Il s'incarcère en Enfer. Bref, il aliène sa liberté à tous les cannabis, ter et quater de la terre.
La reddition à l'addiction signe une perte d'autonomie. L'homme d'aujourd'hui y consent malgré tout. Il se dérobe au duel frontal avec le réel. Trop dur.
Il se soigne avec les moyens du bord. Il emprunte l'itinéraire cannabis à destination d'un cap imaginaire.
Il s'y fourvoie. La drogue est une passerelle de fortune entre le monde et nous.

mardi 13 novembre 2012

Un bout de soie

Sa cravate de travers indique une direction, peut-être un but, voire même un cap. Secret d'un bout de soie. Gardé pour soi. Hollande n'en dit pas plus que le tissu. Il ne lâche pas le morceau.
Hollande louvoie dans ses phrases, à l'aise dans ses mots, en bonne intelligence avec son impopulaire gentillesse. Hollande manie l'ironie comme une solution aux questions. Certaines jolies femmes rient ainsi, faute de répartie.
Ne voit pas l'avenir en noir. Noir de jais comme ses cheveux teintés. Ne voit pas l'avenir du tout. Regarde derrière pour se satisfaire de la route accomplie. Le chômage n'a pas d'âge. Il souffrira bien un an de plus.

lundi 12 novembre 2012

Le ministère de la parole

Fillon pépère ou Copé filou. Sage sourcilleux ou guerrier fougueux. La droite balance entre deux styles.  Empire ou Restauration. L'histoire bégaie. Fillon se "balladurise". Chute de chaise à porteur, à l'appui. Copé se "sarkozyse". Avec le risque de forcer le trait.
Fillon veut en finir avec sa carrière d'éternel second. En revanche, Copé s'est toujours imaginé premier.
Les deux candidats briguent le ministère de la parole qui échoit au chef de l'opposition. Le maire de Meaux aiment les mots.
Le ronron monocorde de l'ex de Matignon modère l'ardeur du parler choc de Copé. La droite s'interroge sur le choix de son meilleur chantre.

dimanche 11 novembre 2012

L'avenir de La Tour

Au bout de la galerie, le tricheur de La Tour fait tapisserie. L'espace est lieu de passe-passe. Les mains voltigent, les doigts dansent, brouillent les apparences. Volent et voilent sur la toile.
L'as de carreau complote par derrière. Fait voir un dos.
La Tour a peint la lumière à même la couleur. Economise un bout de chandelle. Je coince mon épaule à l'angle du mur. Je me cale à l'embrasure. J'observe de travers. L'aile Richelieu connaît un creux. Personne ne songe à s'égarer dans un hangar à regards.
A deux escaliers de là, Caravage est exposé sans tralala. On change d'étage. Sa diseuse de bonne aventure trace l'avenir de La Tour. Pontormo ne dit mot. A sa manière. Fine et précieuse.

samedi 10 novembre 2012

Tosca

Opère la loi du chant de Floria. On sort de Tosca requinqué de joie, rehaussé de gloire sonore. Vibre en soi l'écho d'une grandissime soprano.
On s'attable, groggy par Puccini. Il y a à boire et à manger. La plainte de causeur rompt le fil du bonheur. Une logorrhée de société balaie d'un trait l'intimité d'une paix.
On malaxe une matière dégueulasse. On se dégrise à la morne entreprise. Les mots déballent un lot de rancoeur ordinaire. On bavarde affaires de menus patrons, de chefferies du lundi, comme on parle chiffons. Tosca s'est tue sous les chahuts d'un moi ostentatoire.

vendredi 9 novembre 2012

Une main de bénédictin

Novembre ravive le chagrin. On oublie les rois de fantaisie des dernières décennies. Le défunt du jour, c'est de Gaulle et son drôle de corps.
Il a quitté la maison. Quarante-deux ans qu'il pleut dedans. Les tuiles dégringolent. On attend que quelqu'un rafistole. Nous manque un travailleur grandeur nature, un bâtisseur de toiture. Les missions d'intérim sont ruines des nations.
De Gaulle est ordinaire jusque dans sa mise en terre. Il fonde un ordre, dira Malraux. Il ne veut rien, voit le vide. Il a la force de ne pas désirer. De Gaulle échafaude une république gothique. Il a taillé l'édifice d'une main de bénédictin.

jeudi 8 novembre 2012

La cupidité des élus

Le rapport Jospin réactive le corporatisme parlementaire. La gent politique pousse des cris d'orfraie. Le cumul des mandats est un privilège de caste. Gauche et droite le défendent mordicus, au nom d'une juste démocratie.
Ils justifient pareil archaïsme au motif du sacrosaint ancrage local, nécessaire à la bonne écoute du peuple. La République, une et indivisible, cède à la pression terroriste du "terrain".
Fadaises et billevesées ! La démocratie a bon dos. L'hypocrisie règne en despote. Elle dissimule une logique de gros sous. Le cumul des mandats autorise l'addition des rémunérations. Il enrichit l'élu. Sous de grands airs démocrates, l'élu collectionneur masque une cupidité de mercenaire.

mercredi 7 novembre 2012

Noir et blanc

Il est blanc comme un linge. Il bredouille un volontarisme étriqué. Il serre ses petits poings pour illustrer  un modeste dessein. Ayrault prend mal la lumière, "ré-enchante le rêve français" de curieuse manière.
C'est un éteignoir d'espoir qui ne provoque pas de hourrah avec sa TVA.
Il est noir comme un basketteur de NBA. Il n'a pas peur d'être une star. Il plaît aux nababs d'Hollywood. Il trimbale un physique de victoire. L'Amérique veut le croire, a besoin de belles histoires.
Obama gagne haut la main. Ayrault perd ses moyens. La télévision départage les deux gladiateurs. La morale du vainqueur est celle du Vingt Heures.

mardi 6 novembre 2012

Rapport à l'export

C'est un pays d'industries pourries. Aux produits qui ne font pas envie. Hormis aux gentils Quataris. On y ferme les usines comme des parenthèses.
C'est un pays qui fabrique de l'écrit à qui mieux mieux. Qui forme des scribes de haut niveau. Au plus fort des crises, il y pleut des rapports. Avec succès. Les tables de la loi Gallois visent un destin de best-seller. Dixit le pape bien informé du redressement productif.
Nous jouissons d'un savoir-faire légendaire dans la confection d'études. Pébereau, Attali, Gallois sont des orfèvres en matière de memorandum. Dès lors, il conviendrait d'organiser l'industrie du rapport en filière prioritaire à l'export.

lundi 5 novembre 2012

Louvre gratuit

Je gravis l'ultime étage de l'aile Sully, à rebours de la chronologie. Je bivouaque dans des galeries vides à lumière livide. Les chemins de Mortain voisinent le paysage romain. Corot n'a peint ce matin que pour un gardien qui se tient à carreau.
Je salue le geôlier du lieu. M'assieds devant le beffroi de Douai. Je regarde la couleur de craie. Je bavarde avec la toile. Le gardien baisse la nuque. On dirait un condamné. J'ai la sensation d'une pièce muette, de trois acteurs sans texte, échoués là. Le gardien, moi et le beffroi. On ne se parle pas, chacun à sa manière.
Delacroix ne fait pas le poids. Zéro regard. L'orpheline au cimetière crie dans le désert. Son oeil de cheval s'adresse grand ouvert à Picasso, le peintre de l'enfer. Sans Delacroix, pas de Guernica. Les visiteurs ont peur. Ne se frottent qu'entre eux dans de laborieuses queues leu leu.
Louvre gratuit. Happy hour dans les galeries. On a les yeux embués. On trinque avec une jeune fille égarée.

samedi 3 novembre 2012

Freud sans tabou

Dans le dernier Monde des Livres, je lis ces mots touchants d'un père de famille vieillissant. "C'est le seul plaisir sans mélange que de pouvoir donner de l'argent à vous, mes enfants, ou à maman ou à tante; c'est cela seul qui me rend le travail supportable".
Ce dangereux papa s'appelle Freud. Il partage un sentiment largement répandu. La transmission du patrimoine récompense une vie de labeur.
Or l'Etat s'introduit par effraction dans le cercle de famille. Il s'arroge des deniers qui ne lui sont pas destinés. En use sans consulter ses bienfaiteurs. Autrement dit, la taxation de l'héritage impose l'Etat en sa qualité de fils adoptif. La fiscalité des successions, toujours plus confiscatoire, octroie à ce fils de roi la part du lion.
L'héritier abusif, détenteur de la violence légitime, s'invite au banquet familial avec une arrogance de despote. Freud, sans tabou, sans même le nommer, touche du doigt le scandale de l'Etat.

vendredi 2 novembre 2012

L'ouragan des riches

On s'apitoie sur le sort de Manhattan. L'Amérique dénombre une centaine de morts. A Haïti, les hommes ont péri dans l'anonymat d'un monde sans médias.
Sandy pimente le duel Romney/Obama. Sandy est l'ouragan des riches. Manhattan mobilise l'attention, focalise la compassion. Nos démocraties sélectionnent leurs émotions.
Haïti panse ses plaies dans un silence de réprouvés. Je songe à La Fontaine. Le texte s'appelle "Les animaux malades de la peste". Je retouche un peu la fin du poème. "Selon que vous serez puissant ou misérable, les caméras des médias braqueront leur lumière ou jetteront un voile pudique".
On manque de fables pour comprendre le réel.

Le trou du centre

Le milieu a fait long feu. Le coeur se meurt de tiédeur. Le centre s'est fait plus gros que son ventre. Le centre a fui à la périphérie. C'est un point de géométrie, une vue de l'esprit, une fantaisie.
Le centre est incarné par le pontife du moment, le chef élu du peuple émotif. Le président de la nation se situe au centre, par définition. Le fait majoritaire l'installe à mi-chemin, au milieu des idées du scrutin.
Au centre est la demeure d'une balle. La vie politique consiste à shooter dedans. Dès lors que la partie se joue, le centre est vide.
En attendant Borloo comme on poireaute avec Godot. Le centre est un ciel sans Dieu, un espace silencieux. C'est un lieu de transit, une ligne d'horizon pour l'orientation. C'est un pli qui démarque la partie droite de sa jolie gauche.
Bayrou est tombé dans le trou du centre. Après Giscard, sans espoir de pouvoir. Trou noir de l'histoire. Car le centre conduit à l'amertume des grandes solitudes. Faute de troupes, ses chefs sont narcissiques. A scruter leur nombril, ils choient dans un puits, chutent dans l'imaginaire, comme les ivrognes sombrent dans l'alcool, s'oublient dans l'éther.
Il n'a pas de place pour le centre. D'où le rituel ordinaire de ses penchants suicidaires.

jeudi 1 novembre 2012

Taille moyenne

On se lasse de leurs radotages. Ils dissertent d'économie comme des buveurs de pastis au café du commerce. Ils s'accoudent au comptoir comme une marionnette de Borloo. Ils ne refont pas le monde. Trop de boulot. Ils réinventent l'entreprise. Ils la rêvent bien proportionnée, ni géante ni menue. Jolie comme un coeur. Un coeur de métier.
Un même leitmotiv dégouline de leurs lèvres songeuses: "On manque d'entreprises de taille moyenne".
Au café, on crée par décret. A l'Elysée, on crée par décret des tonnes de papier, jamais la richesse d'une société.
L'entreprise résulte d'esprits mal formatés, dos au mur, infichus de se plier aux plates docilités du salariat. Elle comble un désespoir ordinaire, satisfait le besoin de s'en sortir.
L'entreprise ne naît pas moyenne. Mais petite, infime, réduite à l'illuminé qui la crée, contre vents et marées. Nos énarques de comptoir, nos sympathiques buveurs de pastis, si bavards au bistrot, ignorent que l'entreprise moyenne se situe au bout d'une trajectoire de croissance.
Ce sont les conditions de son essor qu'il convient de favoriser. D'où l'impérieuse nécessité d'alléger les charges et la fiscalité qui pèsent sur les coûts, l'embauche et l'investissement.


"L'absente de tout bouquet"

Il tait la singularité, l'installe en sa langue étrangère. Veille à la forme irrégulière. Dessus la toise ne s'apprivoise. Mallarmé, dont j'aimais "l'instinct de ciel", respecte le sommeil des voyelles.
Je songe à Camille et Lucile. A la fille Claudel, la môme d'argile, à l'aînée du René, à deux soeurs jumelles. A l'angle mort des beaux arts.
Je prie pour le renouveau du rouge coquelicot. N'ai de chambre à moi que pour "l'absente de tout bouquet". Je guéris de Mallarmé comme Bartimée à Jéricho.

mardi 30 octobre 2012

Le rapport gaulois

C'est un rapport qui prend l'eau comme un navire marseillais. L'encre suinte de ses pages. Nul ne songe à colmater ses fuites.
En haut lieu, on pratique le désaveu. Il n'appartient pas à Gallois de faire la loi. Le pouvoir, son commanditaire, contribue au battage publicitaire.
Bref, le rapport gaulois suscite les querelles de chapelle. Il attise les batailles intestines. On guerroie sur le mot compétitivité de manière indisciplinée. Hollande peine à apaiser le chahut comme Vercingétorix jadis ses tribus.
Hors de Gaule, on ne sait pas lire les traités de compétitivité. On déferle sur les marchés.

lundi 29 octobre 2012

L'injuste "prix"

L'intolérance progresse avec la vieillesse. Je râle après l'éditorial du Monde. Mes yeux sont fixés sur la première page. Je pince le papier journal pour apaiser ma fureur.
Le texte évoque le groupe de rock Pussy Riot. Il relate ces propos de Vladimir Poutine, entachés de vandalisme orthographique: "Il est normal que le tribunal ait prix une telle décision...". Inutile de préciser que j'ai pris ce "prix" en pleine figure.
Je souffre peu ces fautes de malappris. A mon âge, je pardonne moins. L'injuste "prix" exerce une forme de violence. Je vieillis, blessé par l'écrit.

vendredi 26 octobre 2012

L'Evangile et le vélo

"Les premiers seront les derniers". La sainte écriture se fiche des hiérarchies, s'exprime sans fioritures. La parole d'Evangile devient communiqué des chefs cyclistes. Les premiers sont nécessairement "dopés". Il faut les rétrograder. L'injonction christique secoue le peloton, critique la bonne opinion.
Haro sur les héros du vélo. Ils introduisent le muscle "sale" dans le circuit des valeurs olympiques.
Le déclassement sanctionne les manquements au règlement. Il brouille l'entendement. "Les premiers seront les derniers". On rabaisse le caquet des trop bien coiffés, on requinque le moral des délaissés.
On se débarrasse des vedettes comme de vieilles chaussettes. Armstrong est expédié aux oubliettes. Car il s'est drogué de rivalité, goinfré de cupidité, empiffré de cachets absorbés en cachette. Les meilleurs sont rayés des palmarès. On se rit des tricheries par une nouvelle loterie: "Les derniers seront les premiers".

jeudi 25 octobre 2012

Amérique

Obama ressemble à Julien Clerc. Il jongle avec les mots et les micros. Il est policé, métissé, racé. Il est l'image rêvée d'une société.
Romney colle à l'Amérique étriquée. Il ravale l'intelligence au niveau du bon sens. Il trimbale ses valeurs provinciales dans une carrure conforme de banal cowboy.
Obama agace par excès de dignité. Romney plaît par défaut d'intellectualité. Au pays de l'extrême pauvreté, Romney débusque Obama de sa posture de "sainteté", de Nobel de la paix. La bataille d'isoloir se joue dans un mouchoir.

mercredi 24 octobre 2012

La rumeur des corps

La gymnaste marmonne ses ordres. Les élèves rampent sur des tapis de caoutchouc. Les corps obéissent avec gaucherie. On se roule, s'étire et se courbe. On asticote son squelette.
La sueur est aérée de l'extérieur. Elle suggère la communion musculaire. La béance des vitres témoigne du fracas de la ville.
On cale son séant, on déploie son buste, on fixe ses pieds. On épie l'autre, faute de bien saisir la teneur du clairon d'adjudant. Une musique sans âge se superpose à la rumeur des corps.
On lace ses souliers. Le parquet crisse. C'est fini. On sourit comme si on avait joui de la vie.

mardi 23 octobre 2012

Rejet des temps abrégés

Le travailleur du tertiaire numérique accomplit des besognes d'urgentiste. Il est posté, aux aguets, sur le qui-vive, telle une sentinelle de l'immédiateté, exercée à la seule réactivité.
Urgentiste. Pugiliste aussi. Car il boxe en contre, répond aux attaques, riposte du tac au tac, expédie des clics comme des uppercuts.
Le temps de la quotidienneté est pulvérisé comme des confettis de brièveté. Il est secoué de clics, au fil des cadences tactiles. Le travailleur travaille ailleurs. Il est embastillé dans un virtuel totalitaire. Il est soumis à la dictature du court terme. A la tyrannie de la brévissime échéance.
Le temps s'est rétréci après lavage de cerveau. A l'usine, au bureau, à domicile. Les travaux impatients ont modifié sa libre fantaisie.
A l'échelle d'une grande entreprise, l'unité de temps se nomme le "quarter". Dans les sphères d'argent, on se bat pour une pièce jaune. Le futur se résume au trimestre. Pas de visibilité au-delà. L'avenir est économe de son temps. Le cycle des quarters sans horizon se calque sur la ronde infernale des saisons. Le quarter impose sa terreur ordinaire.
En politique, le temps de la souveraineté a rapetissé de deux années. La frénésie du petit quinquennat nuit à la fixation d'un cap noble et solennel. Elle excite les candidats plus qu'elle ne fortifie l'esprit des lois.
L'actualité prime sur le temps éloigné. Elle obéit à l'immédiateté des médias. Elle sacrifie au rite de passage de "la petite phrase".
La réflexion dérive en réflexe, en action sous pression. La pensée courte est fille des temps abrégés. Or aujourd'hui, la société exprime un même rejet à leur endroit. "A long terme, on sera tous morts". On se souvient un peu trop de la facétieuse boutade de Keynes. Car à court terme, on ne se sent déjà pas très bien.

lundi 22 octobre 2012

Borloo, Plic et Ploc

La nouvelle chapelle de Borloo ressemble comme deux gouttes d'eau à la défunte Udf. C'était une machine de guerre giscardienne destinée à dépoussiérer la vieille droite gaullienne.
Giscard, c'était Plic. Chirac, c'était Ploc. Deux grands échalas sortis de l'Ena. Mitterrand, homme de gauche au passé très droitier, exploita la fratricide division au point de régner quatorze ans, record imbattable de l'actuelle république.
Borloo a décidé d'être le nouveau Ploc car Bayrou, Ploc en toc, a fait plouf. Sarkozy est l'héritier naturel de Plic. Mais deux challengers, Copé et Fillon, lui contestent sa couronne. Cette crise de légitimité à droite rappelle les velléités présidentielles de Barre au grand dam d'un Giscard ulcéré.

vendredi 19 octobre 2012

Canards boîteux

Jouyet est un banquier, un vrai. Qui ne prête qu'aux riches. Sans barguigner. Pas aux pauvres diables, rebaptisés "canards boîteux".  Jamais de la vie. Inutile de le tanner avec Florange.
Pas diplomate pour un sou, le banquier Jouyet. Pas très "diable boîteux", pas très Talleyrand, l'ami de coeur de Hollande.
Déjà que "redressement productif" était une appellation pas très contrôlée, voici désormais Montebourg affublé du titre enviable, moins technocratique, de "ministre des canards boîteux".

Un sanglot de cirque

Les feuilles collent aux semelles. La nuit bleuit le Grand Palais. Les baraquements d'une foire longent l'allée Marcel Proust. Dans ces halls éphémères, les toiles pétillent comme des lucioles.
Une foule se presse, s'entasse, se glisse dans un tunnel d'alvéoles. On se heurte à des dos, des sacoches ou des regards frontaux.
A droite, l'éclaboussure jaune d'un Lanskoy mouille l'oeil d'une jaillissante lumière. A gauche, les luxueuses "larmes d'un clown" composent d'élégantes douleurs enrubannées de couleurs. L'un vendu, l'autre pas. On s'égare dans les songes.
Un fragment de rouge, une lèvre de braise, l'esquisse d'une frayeur, l'amorce d'un petit jour, l'ébauche d'un sanglot de cirque, trouent les grands aplats noirs. La clarté s'échappe du corps enténébré.

jeudi 18 octobre 2012

L'art de geindre

On règle sa vie en mode plaintif. Doigt sur la touche. C'est la vibration privilégiée d'une petite civilisation chamailleuse. On ne se regarde dans la glace qu'avec les yeux du contentieux.
S'enseigne l'art de geindre. On crie sa plainte par écrit. On récrimine, on enquiquine. Jérémiades dont on se fiche comme de son premier i-pad.
A défaut de franchement sourire, on s'exerce à gémir. Lancinante sonnerie, sirène de midi, aux mêmes horaires d'usine. La plainte intervient dans un désert de joies défuntes. Pour un oui ou pour un non.
"On ne se laissera pas marcher sur les pieds !"confesse un cul-de-jatte.

mercredi 17 octobre 2012

Le hasard et la nécessité

"Je ne suis pas Premier ministre par hasard". La confession d'Ayrault s'adresse à la nation. On n'est pas propulsé sur le perron de Matignon, au petit bonheur la chance. On n'est pas chef de la dette, à l'aveuglette. On n'est pas aux ordres de l'Elysée, sur un coup de dés.
Par "ministre", on entend "serviteur". Humble serviteur. Le suffixe "mini" rabaisse le caquet du mot. On n'est pas le premier des humbles serviteurs de l'Etat, par étourderie. On n'est pas le premier des fidèles partisans du président, par enchantement.
Sa loyauté l'a distingué d'Aubry, Fabius, Montebourg et autres Valls. D'où Ayrault, sorti premier du chapeau. Par nécessité. Au diable, le hasard !

Roja et triple A

Le style de la Roja n'a pas bougé d'un iota. L'Espagne ressasse son jeu de passes. La France se dépense dans le vide. On commence par le début: panique et but.
Lloris, parallèle à sa ligne, boxe la balle de Fabregas. On est sauvé par le portier. La prouesse de Lloris galvanise la petite bande française.
Deschamps trépigne, tape du poing, multiplie les coups de sang. Coaching de dingue. Iniesta sort. La hargne se mesure en coups de tête. Giroud troue les filets de Casillas. Le football d'Espagne perd son triple A. Egalité imparfaite des deux économies.

mardi 16 octobre 2012

Le malentendu d'un Nobel

Lauréate du prix Nobel de la paix, l'Europe est plébiscitée pour les vertus de son modèle. Le comité suédois dément le disgracieux avertissement de Donald Rumsfeld. Le Vieux Continent n'a pas fait son temps, son exemplarité mérite lauriers.
Je crains que pareille récompense ne soit le fruit d'un malentendu, d'une erreur de discernement. L'Europe a certes éradiqué la guerre de ses territoires. Au culte des patries s'est substituée la religion de l'économie. Les querelles de marchés ont remplacé les théâtres d'hostilités. On a cessé de se chamailler aux frontières. La paix en Europe est vécue comme une idée neuve.
Or cette bienheureuse concorde entre nations n'est pas réservée à notre seule communauté. En la matière, l'Europe n'est pionnière en rien. Les Amériques, septentrionale, centrale ou méridionale, ne guerroient plus entre elles depuis belle lurette. Les grands ensembles asiatiques - Chine, Inde, Japon - s'interdisent conflits et canonnades. A contrario, l'effervescente Afrique, et surtout le bouillant Moyen-Orient, souffrent de fragilités guerrières.
Les sages nordiques ont couronné l'Europe pour l'ensemble d'une oeuvre qu'ils n'ont lue qu'entre les lignes. Ils valorisent à l'excès son statut de bon élève de la paix.
L'Europe du traité de Rome ne trouve pas son identité dans le marbre d'une paix perpétuelle, mais dans la figure glacée du marché. Le libre-échange a créé l'Europe du dernier demi-siècle. Il a enrichi ses pays. Il a favorisé des décennies de prospérité comme nulle part ailleurs au monde.
L'ère des facilités matérielles s'achève. L'Europe non-guerrière s'est dégradée dangereusement en zone dépensière. La crise de la dette la touche en pleine tête. Un prurit de sécession, des démangeaisons de partitions se font jour en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni, voire en Italie. Les régions les plus fortunées se désolidarisent des contrées arriérées. Les égoïsmes prévalent sur les bons sentiments.
Or ces vastes mouvements d'autonomie ne s'observent pas qu'à l'échelle nationale. L'actuel cavalier seul de l'Allemagne, au niveau communautaire, appartient au même courant protestataire.

lundi 15 octobre 2012

Les pourquoiteurs

Ayrault le vertueux chapitre Peillon l'audacieux. Il gourmande un ministre qui préconise la dépénalisation du cannabis. Le chef du gouvernement précise qu'un détenteur de maroquin "n'est pas un commentateur". Point. Fin de l'ire du grognon locataire de Matignon.
En revanche, s'ils sont sommés de négliger le "comment", Ayrault et ses ministres sont tenus de s'intéresser au "pourquoi". Pourquoi la crise ? Pourquoi la précarité ? Pourquoi la désillusion ?. Le peuple les interroge. Noblesse de leur fonction oblige, les ministres ne sont pas des commentateurs mais des "pourquoiteurs".

Saut de l'ange

Lâcher prise. Laisser tomber. Choir dans le noir. Se jeter dans le vide. C'est la tentation des damnés de la terre qui peinent à s'en sortir. Ou bien le prodigieux coup de tête d'un aventurier.
De très haut, avec ce mépris qu'autorise la folie, il a foncé sur la planète comme dans un mur. A pieds joints.
Le vide est à l'espace ce que l'avenir est au temps. Une terra incognita, un champ d'attraction, l'horizon des songes. Cette expulsion à la vitesse du son est l'allégorie de la naissance de l'homme.
Elle réveille la mémoire de la première chute, du plongeon fatal dans l'humanité. Le saut de l'ange de Baumgartner ravive l'expérience initiale du bébé, sa sortie hallucinée de l'utérus nourricier.
Nous sommes bouche bée devant la prouesse vertigineuse d'un acrobate de notre destinée.

Tu prends le manche

Il me tendait les clés comme un chapelet: "Tu prends le manche". On s'engouffrait dans l'auto, libérés des contrariétés de société, dans un sentiment de paix, à l'écart des mots.
Nos sourires s'adressaient au pare-brise. J'avais l'âge de l'inutile vitesse. Il se plaisait à la première vieillesse. De la main, il indiquait le chemin. Il plissait les lèvres, acquiesçait du regard.
La voiture voisinait la nature. On sillonnait le canton dans la contemplation des maisons de religion.
J'expédiais mes yeux sur les choses comme on administre une fessée.  Il photographiait les nefs, tympans et vitraux. Il engrangeait la matière de ses précieux albums.

samedi 13 octobre 2012

Je t'embrasse faible

Je dépouille mon courrier. On y témoigne son amitié. Otons les spams, restent les états d'âme. Les mails s'écrivent avec du miel. La formule de politesse se mue en déclaration de tendresse.
J'exècre, comme il se doit, le bref "bisous", qui me chatouille le cou, m'impose sa signature affectueuse sur la joue. Les expéditeurs de mails se querellent sur son pluriel. "Bisoux" est parfois usité en écho nostalgique des lointains "cailloux", "hiboux", "genoux".
A défaut de "bisous(x)", on sait aussi se congratuler avec énergie. Le "je t'embrasse fort", imprimé en pleine figure, cloue le lecteur à son ordinateur. L'accolade épistolaire relève alors de l'épreuve musculaire. L'effusion lyrique s'apparente à une discipline olympique.
La violence du "je t'embrasse fort" coupe court au commentaire. Je t'embrasse fort et je m'en fous. Dernier mot. L'incident est clos.
Je rêve d'un mail ou d'un essaimesse qui par étourderie s'achèverait dans une exquise paresse: "Je t'embrasse faible".

jeudi 11 octobre 2012

La proie opéra

L'opéra est une cible à la mode. Gaiement vilipendée. L'obligatoire blockbuster à la française "Intouchables" s'en donnait à coeur joie. Du haut de sa confortable bien-pensance, il raillait l'opéra, ridiculisait la musique de chambre.
Jean Echenoz fait écho à pareil conformisme intellectuel. Son dernier livre accrédite le cliché culturel. On lit dans Le Monde une citation de l'ouvrage: "Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas tellement l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux."
L'auteur de récits brefs s'autorise même d'être répétitif : "longueurs", "à la longue". Tout se passe aujourd'hui comme si au premier son d'opéra il fallait sortir son bazooka. Les opéras de Verdi, Mozart ou Wagner sont des proies faciles. Les quolibets de Jean Echenoz et les pitreries d'Omar Sy témoignent pour leur époque.

Armstrong

Armstrong n'était pas si "strong" que cela. Il doutait de la force de ses jarrets. La tricherie est une ruse pour déjouer l'arbitraire des loteries. Car nulle justice ne se révèle dans la diversité des natures. Petits et grands sont embringués dans des querelles de hiérarchie, sont livrés à d'inégales empoignades. On ne conquiert l'Everest qu'à la faveur du mensonge ("Un héros", Félicité Herzog, Grasset). Le cycliste Armstrong se dope pour être à la hauteur, être apte à la bagarre d'asphalte.
Le tricheur veut gagner sans frayeur, à coup sûr. Il est en guerre. Il a des ennemis. Il veut vaincre. C'est pourquoi il procède à des trucages. Pour les besoins d'un palmarès, d'une gloire et de gros sous.
On triche à vélo, à l'école, au bureau. On établit une échelle des risques. On compare l'opprobre d'une délinquance à l'horreur d'un échec. La tricherie est fille d'initiative. C'est une décision, un calcul d'intérêt, qui rompt le bon ton des règles de société.

mercredi 10 octobre 2012

Tomate cerise

On s'habille. Dîner en ville. Courtoisie. On tend une bouteille, on serre des doigts. Les deux mains sont prises. On demeure debout à converser de la pluie, de l'appartement, du quartier épatant. On jette un oeil par la vitre. Jolie vue: c'est la rue.
Il sert à boire. Donne le signal de s'asseoir. Se tasse au bord du canapé. Elle l'imite un peu décentrée. On se cale dans nos fauteuils attitrés. L'horizon change. Je ne vois que des genoux, quatre carrés cagneux dans les yeux. Lumière oblique sur les visages.
Sur la table basse, deux bols blancs à denrées rouges. Je saisis une tomate cerise que j'avale, sa collerette verte comprise. On va parler maintenant. Jusqu'au générique des adieux, jusqu'aux embrassades d'avant minuit.

mardi 9 octobre 2012

Le bandit manchot

Récit bref qui flanque un malaise de monotonie. Ecrit d'avance comme rédige la providence. Ton tenu du convenu, teinté d'ironie pointue. Echenoz pose un même visage blême, couleur de livre Minuit, sur le même bout de nuit que tous les Céline de l'enfer. Va vite la mécanique clinique de grande guerre qui dévaste les chairs.
Taille de boîte de cartouches, l'opuscule se manipule avec retenue. Il sent la mort. Il pressent le sort des corps. Il jette sur papier le sort d'un quatuor d'hommes propulsé d'un ressort.
Se lit d'une traite, en roue libre, sans frottement, comme on vide un verre. Inutile d'essuyer ses lèvres. Sensation de lecture blanche. Impression de promenade du dimanche. Sentiment de guerre étrange. La page efface sa trace.
Je ne me souviens de rien. Sauf d'instants brefs. Echenoz peint l'effroi de la mort dans les yeux, fixe la nudité du dernier regard. Charles, hautain dans sa carlingue d'aviateur, en piqué fatal, s'écrase sur la douce bourgade de Jonchery-sur-Vesle, "dont les habitants s'appellent les Joncaviduliens".
Plus loin, le rescapé des tranchées, Arcenel, le boucher solitaire, "est parti faire un tour". Il suit sa rêverie, se balade à sa guise, chemine sans dessein, déserte sans savoir, est exécuté par ses frères d'armes.
Roman d'une bourgeoisie sans joie ni fantaisie où les manchots sont rois. Anthime, au bras volatilisé, joue sa partition gagnante, croule sous une fortune de souliers. Il donne à Blanche sa deuxième chance, un deuxième Charles. Jackpot d'un bandit manchot.

Journée blanche

Je mélange tout. Je déjeune chez Max, feuillette Echenoz. J'identifie une photo au Duomo de Lecce. Lis les Mémoires d'outretombe. Imagine Mila l'Iroquoise ou Blanche dans "14". "S'en aller à la vanvole". Chateaubriand use d'un mot dont Brassens raffole. Sortent de chez Max des notaires de villages soigneux de leur moustache.
Je note la parole de Denis Bruna sur l'abbaye romane. Apprécie Bernard, le Cistercien, iconoclaste en diable. Les styles se croisent, les désirs de ciel se mêlent. Les arts se chevauchent comme des plates-bandes de square.
Je tapote la joue d'une touche pour qu'on m'expédie Duby manu militari. Le vicomte breton, égaré en Pennsylvanie, contemple les femmes peintes, oublie la monarchie défunte.
Il pleut. Je bois du mauvais vin. Ma chaussette est mouillée. Journée blanche comme une marche d'endeuillés. Baverez bavasse à la télévision. Ressemble à son maître Aron. Il est tard. Je veux y croire, mais je n'atteindrai pas Drieu.

lundi 8 octobre 2012

La dette et le mandat

Panade, mouise, pétrin. Merde. Les mots affluent pour désigner la crise. Nous sommes plongés dedans. A notre corps défendant. Nos déboires ont une histoire. Nous traînons des dettes depuis belle lurette. Nous n'avons plus le sou depuis Pompidou. Nous vivons sans broncher au crochet des marchés. Qu'est-ce que la dette ? Un budget insatisfait qui se plaît au déséquilibre. Pourquoi donc, sacré bonsoir ? Parce que la dépense est souveraine en régime d'opinion.
La démocratie est fille de panier percé. Car elle exige de ses chefs qu'ils séduisent le peuple, qu'ils répondent à ses voeux, qu'ils promettent monts et merveilles. Contrairement à la croyance commune, les promesses d'élus sont tenues. Pour une raison simple: le deuxième mandat.
La campagne électorale plante le décor. On serre des mains. C'est le temps inaugural de la démagogie. Suit l'exercice du pouvoir, les tiraillements stratégiques du premier mandat. Gérer ou dépenser ? Se colleter à la réalité épicière ou s'échapper dans l'imaginaire. A mesure qu'un deuxième mandat précise sa possibilité, l'accomplissement des ruineuses promesses redevient d'actualité. On contentera l'électorat dans l'espoir de garder sa couronne de roi.
Autrement dit, la gestion dispendieuse est subordonnée à l'exercice d'un deuxième mandat. La perspective de réélection est fauteuse de gabegie. La dette résulte de l'entêtement du pouvoir, du désir de durer au sommet, de la volonté de se maintenir dans les ors des palais.
Nous sommes endettés jusqu'au cou. Depuis Pompidou, je l'ai dit. Auvergnat hostile aux assignats. La dépendance à la dépense n'est pas créatrice de croissance. Mais d'une certaine aisance hallucinatoire. Elle accoutume au mensonge. Le peuple s'illusionne. Il s'étourdit de ses crédits. Dépenser nuit grave. Dépenser tue. La théorie économique nous enfume depuis des décennies. On s'entête à la dette. Eradiquer le mal suppose de supprimer le détestable deuxième mandat.

dimanche 7 octobre 2012

Lot de trois

Brun, blond, chauve: Modiano, Echenoz, Quignard. Tiercé des libraires. Trio du loto littéraire. Gagnants dans un fauteuil au palmarès des bonnes feuilles.
La télévision élit roi ce lot de trois. Ils se coudoient devant l'arbitre des élégances poétiques. L'animateur de France Cinq instruit des enjeux de la quinzaine commerciale: les trois lascars sont les meilleurs conteurs du royaume.
Ni Modiano, ni Echenoz, ni Quignard ne se lèvent d'un bond à pareille évocation. Ils apprécient le satisfecit. Ils sourient de manière un peu niaise comme les invités des plateaux qu'on se repasse un peu trop. Ils acceptent le sceptre d'une postérité préemptée.
Modiano fait son numéro coutumier de bègue inspiré. Echenoz le mime à la perfection, mais sans les mains dans le vide à chasser les mots et démons qui désordonnent et inachèvent. Il tient son guidon et la parole crispée du bon ton. Quignard fait cavalier seul. Quignard est bavard selon les normes du parleur. Ses yeux bleus trouent la quiétude des songe-creux. Il ne se souvient plus très bien. On est loin du sens commun.
L'émission du jeudi est destinée à vendre du papier, de la notoriété, du temps retrouvé. Ni une, ni deux: j'achète "Quatorze". Echenoz a bredouillé des mots délicats sur l'ivrognerie des soldats. Je m'exalte sur la gueule de bois des gueules cassées. Les trois lauréats des magazines se dévisagent du coin de la paupière. On sent une commune tendresse pour la bouteille.

vendredi 5 octobre 2012

Les épaulettes

Sarkozy, c'étaient les talonnettes. Valls, ce sont les épaulettes. Hollande fend la foule avec une lenteur d'évêque. On a l'impression qu'il discerne mal l'horizon, qu'il marche à tâtons dans son champ de vision.
Montebourg distribue les coups de menton. Peillon est satisfait de sa personne. C'est un maître d'école qui se pousse du col. Moscovici est un habile teneur de caisse. Fabius garde ses distances, soigne sa hauteur patricienne. Cahuzac teste ses médications, s'exerce, ou plutôt exerce au budget.
Chateaubriand, pair de France, était une langue de vipère. Il fustigeait "les ministres qui tombaient de la médiocrité dans l'importance".

L'armoire à fusils

Un fusil est un ami qui dort sur votre joue. Il sent le bois, l'huile et l'acier, parfois la poudre. L'armoire à fusils est une sorte d'écurie où chaque arme repose dans sa stalle.
C'est un butin planqué, au bout d'un long destin, qui - privé d'un maître - se laisse dépouiller. Le "superposé", aussi précieux que disgracieux, enchanta mes rêveries de ses coups de longueur. Je ne le vois pas sur l'étagère. Je vois la perdrix morte de l'allée des tilleuls.
Reste l'adorable "vingt-huit", léger comme une plume, délicatement orné de ses chiens sculptés. Il tua le faisan de mes treize ans, ajusté sans broncher dans le jardin potager. Il y a le "seize" que je n'aime que parce que c'est le mien. J'observe les deux "vingt" de papa. Le platiné et l'autre écaillé. J'appréciais le petit "vingt" à la passée des grives. Pas de "douze" car papa trouvait non avenu ce fusil de battue. Trop lourd à son gré. L'art de papa s'apparentait à la phrase de Céline.
Le gibier s'étalait par rangées sur le gravier. Je me souvenais du partage des tableaux de chasse. Or c'est déjà l'heure de la distribution des armes.

mardi 2 octobre 2012

Ecole du Louvre

C'est un théâtre dans la nuit, un amphithéâtre qui rompt avec la fureur de la rue de Rivoli. Les travées sont bondées de jeunes filles pressées, de vieilles femmes studieuses, de vieux hommes figés.
Le parleur est retranché dans l'ombre, barricadé à l'extrêmité gauche de l'estrade. Il s'est volontairement décentré comme on s'efface au passage d'une altesse, d'une image, d'une sainte figure de pédagogie.
Il parle bas, articule long, détache les syllabes de sa phrase. Il tâche de se défaire d'un mauvais roi, de contrarier le bégaiement de sa voix.
Il fouaille, dissèque les entrailles de l'abbaye romane. Il use d'une parole descriptive qui fuit le concept, introduit au transept. On scarifie nos cahiers à la lueur de pupitres écaillés. Les séants se tordent d'inconfort.
L'érudit a fini son récit. Une pluie d'applaudissements ponctue la causerie avant l'échappée mécanique vers la rue.

lundi 1 octobre 2012

Il a quel âge, Bayrou ?

"Il n'y a que les faibles qui craignent la compétition". Bayrou hausse le niveau de son université. Il recycle la vieille fable capitaliste du renard libre dans un poulailler libre. Bayrou s'excentre dans le registre d'une morale à deux balles.
Le grand sachem du Modem s'exerce à la maxime assassine. Or l'homme qui cause ainsi distord la vérité des choses. Il amalgame le faible et le doux. Car ce sont les doux, eux-seuls, qui esquivent la compétition, la fuient comme la peste, par éthique de conviction.
Ils savent que la concurrence n'attise que la violence, que la rivalité ne produit que l'inimitié. Autrement dit, Bayrou le matamore se pose en petit caïd de cour de récréation. Il agite ses petits bras, montre à Borloo ses biscotos. Il a quel âge, Bayrou ?.

Le pain

J'achète mon pain à la première heure. La boulangerie sourit seule dans la nuit. Verticales comme des fusils en émoi, les baguettes se mêlent, pareilles dans leurs corbeilles aux flèches des carquois.
La ronde marchande me tend une moitié enrubannée de papier. J'en sens le chaud dans ma paume. Je me débarrasse de petites pièces malades, jaunies d'économie.
J'ai peur que l'aurore ne refroidisse un fugitif délice. Je hâte le pas. L'ascenseur me hisse à l'étage. Je sors de la cage. Je me jette sur le pain, les narines tachetées de farine.

dimanche 30 septembre 2012

Vieillesse ennemie

Ils prolifèrent dans nos cantons, obèrent les comptes de la nation, se cramponnent à leurs derniers automnes. Les vieux sont lents à mourir. Ce manque de hâte est une faute de goût. La société apprécie peu le sit-in de ses pensionnés. Les vieux rapetissent dans leurs hospices. Campements vétustes, chair à bulldozer.
Ces bons à rien n'ont plus de destin. Ils parasitent la cité, s'étourdissent de télé. Il leur faut du temps dans une société qui n'en a pas. La crise les désigne comme des branches mortes. Vieillesse ennemie.
Le président des gens, des indigents notamment, trouve normal de privilégier la jeunesse. Le sort des seniors est contrarié par leurs bulletins de votes conservateurs.
C'est pourquoi on leur fait sentir leur poids, leur volume, par ces temps d'amertume. "En ce temps-là, la vieillesse était une dignité; aujourd'hui elle est une charge" (Mémoires d'outre-tombe, livre premier, chapitre 4, La Pléiade, page 23). François-René de Chateaubriand parlait de Madame de Bedée, sa grand'mère assistée.

jeudi 30 août 2012

Là où tu m'emmèneras

"Là où je t'emmènerai". De Gaulle nous a sans doute menés par le bout du nez. Grand dans l'Histoire, il voyait loin dans l'avenir. Se souvenir de la reconnaissance de la Chine en 1964. Seul au monde. De Gaulle visait l'indépendance nationale. Il décolonisa, industrialisa, installa la République sur des bases stables.
Après lui, Pompidou paracheva l'oeuvre. Il cala la nation sur l'exigence de production. Queue leu leu, avec une myopie de taupes, Giscard, Mitterrand, Chirac et Sarkozy ont raté la marche du grand dessein.
Pas trace chez eux d'un savoir-faire visionnaire. Aucun d'eux ne sut galvaniser les foules vers un vivre-ensemble qui soit une aventure collective.
Hollande emboite le pas de leur modération, de leur déficit d'ambition. Il ne précise pas la destination de la nation. "Où va-t-on ?" s'interroge un pays grognon. Les récents pilotes ont multiplié les tours de périphériques pour mieux masquer l'absence de direction stratégique.
La France roule pépère, pas vraiment tombeau ouvert, sans ressort visionnaire. Qui va se coller à la question du sens, au travail de vision, au labeur présidentiel de la définition d'un horizon ? Le primat de l'économie frappe le pays d'anémie existentielle. De lilliputiennes chicanes d'intendance scandent la vie politique de leaders du dimanche. Au ras des paquerettes, la petite démocratie sécrète l'ennui.
La fin des guerres fratricides d'Occident a démotivé les ardeurs à bâtir, a découragé les esprits à regarder l'avenir. Les joutes franco-allemandes récurrentes et la grande chamaille soviético-américaine ont disparu du champ des compétitions patriotiques. Dans le sillage d'un de Gaulle aujourd'hui sans âge, le cadre d'un nouveau cap exige la paix comme consentement des peuples à vivre en bonne intelligence.
La construction de l'Europe figure en haut de la "short list" des projets générateurs de paix. C'est un exercice malaisé confié à des gratte-papier. L'ouvrage se tricote au ralenti, sans doute à l'envers, les longues soirées d'hiver. Toutes les intendances du "petit cap asiatique" (Valéry) se sont liguées pour tordre le cou au désir de transcendance. La technocratie verrouille l'épicerie.
L'ébauche d'Europe est née de la peur. Staline et Hitler sont les petits pères de notre aire de loisir communautaire. Or la frousse n'est pas nécessairement bonne conseillère. L'entame du siècle réclame un élargissement d'échelle. L'Europe, nain démographique durable, est un format mondial petit bras. "L'Hexagone s'inscrit dans une sphère" (Morand, je crois). On raisonne planète, on travaille internet.
La petite politique de la France est subordonnée aux mouvements erratiques d'un monde unitaire, par-delà ses déclinaisons identitaires. La seule vision du monde qui vaille, c'est le cliché d'un corps céleste bleuté, la Terre, vue du belvédère lunaire. Coup de gong d'Armstrong.
Avec le monde pour seul horizon, la nation tient bien son guidon. Avec en corollaire l'extinction de la misère, l'éradication des guerres, l'abandon d'une dévastation industrielle totalitaire. On rêve, bien sûr. On veut rêver. Car on sort de l'Europe complètement dégrisé. La gueule de bois fait loi. Le besoin d'avenir se fait sentir. Pressante actualité d'un grand dessein, impérieuse nécessité d'un songe de substitution.
La paix dans le monde est un projet révolutionnaire qui a gardé sa fraîcheur. Elle ne se fragmente pas en continents rivaux. La paix, c'est le cap de bonne espérance. "C'est là où tu m'emmèneras". Dignité et prospérité viendront par surcroît.

mardi 28 août 2012

Avoir une vision

Le quinquennat démarre à bout de souffle. Il se traîne. La caravane du changement s'ébranle sans élan. Reviennent aux oreilles les vieux sarcasmes. On dirait des ronds dans l'eau. On songe au pédalo.
Ayrault a conservé sa pâleur d'avant l'été. Il chevrote à la télévision. Sa main tremble comme une feuille. Une feuille de route un peu frêle.
Hollande consulte. Il parcourt des kilomètres d'amabilités, accueille et raccompagne ses visiteurs. Montebourg mime le Chevènement d'antan. Valls jette des yeux noirs. Valls gronde les pauvres. Pas de Valls-hésitation.
Aubry, la mère supérieure d'un socialisme incantatoire, ne lâche pas le magot de la rue de Solferino comme cela. Marie-Ségolène se verrait bien en vert, cheftaine du parti des éoliennes. Bref, rien d'emballant dans le déballage d'egos et la croisière du pédalo.
Le bateau d'Ayrault est encalminé, faute d'activités. Mer d'huile. Les tsunamis sont de l'autre côté de l'horizon.
L'opposition ne se tourne pas les pouces: elle se chamaille. Elle se délecte des querelles de famille. Copé copie Sarko. Il revendique un héritage: l'atavisme de l'activisme. Fillon devise dans les champs, en bordure d'hospice. Il pratique la politique sur une jambe, peut-être même par dessus la jambe. Fillon temporise. Il adopte le même train de sénateur que le président Hollande. La droite, qui a tant raté, n'échappera pas à l'étripage de ses grands sachems. A défaut de faire la planche, Sarko s'emploiera à attiser les braises, s'il le faut.
L'épisode de la viande halal avait scandé l'insipide campagne présidentielle. Le tour de chauffe du quinquennat Hollande s'enlise dans le prix de l'essence à la pompe. A vrai dire, on sent qu'Ayrault n'est pas cap et qu'Hollande n'a pas de cap. Car le cap, c'est bien le problème du capitaine.
On se gargarise souvent d'un mot creux pour définir l'authentique chef d'Etat: la vision. Or nos hommes politiques ont des visières, rarement des visions. A aucun d'eux, de Gaulle n'a transmis son secret du grand dessein. La question de la vision appartient à la mystique du chef. C'est un signe extérieur de sagesse du leader providentiel. Mais c'est aussi un attribut chiche du pouvoir: n'avoir qu'une vision, une seule, quand l'ermite halluciné en perçoit à foison.
Le capitaine de pédalo n'endosse pas nécessairement les mots de son ophtalmo. Il se refuse à chausser des lunettes de sept lieues. Libre à lui. Car le grand homme prévaut par sa vision, un peu comme Jeanne d'Arc s'impose par les voix qu'elle entend. Déjà lassés par l'ennui, nous voulons un chef qui, à défaut d'être visionnaire, entende des voix. Celles des intérêts de la France, par exemple.

lundi 27 août 2012

Le développement friable

Le souvenir fait durer, peut-être pas le plaisir, mais son empreinte éphémère dans la chair. Car la vie est une étourdie qui passe son tour. Elle est sotte à mourir, gaspille son temps à des feux de paille. Ne la sauve qu'une mémoire incertaine qui s'applique à réciter des fables.
La vie échoue dans les grandes largeurs, ne pénètre pas les cathédrales, pyramides et autres bidules des hommes fouettés par la terreur. La vie tourne le dos au développement durable. Elle est venue, elle a vu, elle n'a rien vaincu.
Le souvenir est son meilleur outil. Ce couteau de poche tente le pari insensé de la durée, réconcilie les géographies du présent et du passé, hachure la région comme un seul continent. Il travaille dans le développement friable. Il meurt avec le dépositaire de son mystère.
La mémoire est une nanotechnologie, située au coeur du for intérieur. Elle y stocke nos petites économies de fourmi. C'est le meilleur artifice connu pour prolonger le cours fugitif d'une vie.
Plus performant que toutes les médecines réunies: les bavardages de l'art ou les échafaudages de pierre. Ces thérapeutes de toile et de sable, de sac et de corde, font semblant de nous faire signe. On n'a jamais compris le cri de la pyramide d'Egypte.

jeudi 23 août 2012

L'artiste sans oeuvre

A vrai dire, il est une phrase de Cioran qui définit l'air du temps, les gens qui le respire. "N'avoir rien accompli, mourir en surmené."
Nous avons besogné tout l'été sans rien chanter de très achevé. Oui, l'industrieuse énergie se disperse en confettis. Nous sommes possédés par le démon des serviettes et la diablesse des chiffons. L'épuisement est le juste châtiment du désoeuvrement. Car la gesticulation laborieuse est une grimace du corps, la parodie bouffonne du travail de l'oeuvre.
"N'avoir rien accompli, mourir apaisé". Il est des hommes sans oeuvre dont la copie blanche éclate de splendeur. L'art est fiché dans leur regard. Ils trimbalent leur maîtrise comme des cicatrices. Ils ont dessiné leur vie, stylisé leurs envies.
L'artiste sans oeuvre est concis jusqu'au mutisme. C'est un dandy sans ébauche de rien de précis. Si jamais vous le croisez sur les sentiers, il convient de se décoiffer comme il sied au passage d'une radieuse beauté.

mercredi 22 août 2012

Rouge

Savoir la couleur comme pressentir un malheur. Savoir la couleur pour vaincre la peur. Savoir la couleur. L'Italie sait le rouge. Elle rit du rire sonore des Ferrari. Un peuple aussi savant confie sa chance, mendie son espérance à la beauté.
Savoir le rouge, comme lire, écrire ou compter. Rouge définitif. Rouge coups de griffes. Le crayon vagabonde dans les bas-fonds vermillon. Tous les ciels bleus d'Italie sont rouges de fièvre panique.

Journal de Gide

"En ce temps ma parole tenait du chant, ma marche de la danse. Un rythme emportait ma pensée, réglait mon être. J'étais jeune."
André Gide écrit cela le 12 avril 1941. Il séjourne à Nice. Il a 71 ans. Il lui reste dix ans à vivre. En trois phrases, il restitue l'insoucieuse allégresse d'une jeunesse. L'auteur de "Paludes" racle le fond de l'encrier d'où jaillit la nostalgie. L'austère parpaillot sait l'heure brève.

mardi 21 août 2012

Le monsieur écarlate

Retour à la vie matérielle après les plages et les songes sous les ciels. C'est la rentrée, maintenant, nous murmure au creux de l'oreille le monsieur écarlate, habillé d'une cravate.
L'exercice du pouvoir impose une stricte apparence. Une photo volée dévoile le visage apaisé du monsieur d'avant, l'agité, désormais buriné par l'été, tapissé d'un semblant de barbe négligée.
Le monsieur écarlate recommence ses allers et retours de perron. Il tapote la manche de ses invités. Les pneus crissent sur le gravier de l'Elysée. Le monsieur écarlate est descendu du train, sans valise, les yeux seuls fixés sur la crise.
Il reprend son travail normal d'écriture. Il rédige ses discours au porte-plume, biffe un adjectif, supprime une virgule. Il trouve les mots sur les plans sociaux, convoque le ministre du redressement illico presto.
Le monsieur écarlate s'offense des dérèglements du prix de l'essence. Il a relu Rimbaud. A rêvé d'Abyssinie à l'heure de la Syrie. Il se sait cerner par "l'horreur économique".

dimanche 19 août 2012

Les jeunes Chinoises

La volonté ne se regarde en face qu'à condition d'en gommer la grimace. Dans la moiteur du petit jour, j'observe l'immobilité de l'été. Je cours sur les trottoirs.
Révolution de palais à La Madeleine. La Marquise de Sévigné, dans sa fierté chocolatière, ne jouxte plus la roturière épicerie Fauchon. Elle coudoie désormais l'altière Maison du Caviar.
Place de la Concorde, les drapeaux tricolores se dessinent dans le ciel comme des linges morts. Un soleil téméraire dore la pointe triangulaire de l'Obélisque. Le corps de l'édifice est tatoué de vieux graffitis d'Egypte. Il s'applique à écrire la chronique du temps qui passe. Il crayonne le bleu du ciel.
C'est une grande classe dont les maîtres sont juchés sur des trônes. La verticalité de la Tour Eiffel voisine la coupole du Grand Palais, mime au loin le fuselage immédiat de l'exotique trophée. En revanche, l'hôtel de Crillon et le ministère de la marine ont modelé leur bâti, étendu leur maison sur le seul horizon.
La place est piquetée de colonnes muettes qui lèvent le doigt à la question des mêmes professeurs de pierre. Le jardin déverrouille ses grilles. Les jets d'eau brunissent le sable, couleur de craie, de la grande allée. Les jeunes Chinoises trottinent.
Le soleil rougeoie dans l'axe de la grande roue des Tuileries, au raz des toits de la rue de Rivoli. Les baraquements forains rouillent à l'ombre du silence. Le soleil étincelle dans les vitres du Louvre. Ce sont des meurtrières aux yeux d'armes blanches. Miroirs qui réfléchissent une odeur de cadavre, qui renvoient la lumière pâle d'un ciel jaune. Ils clignotent comme un signal de cruauté d'une absolue beauté.
L'eau verdâtre a déteint sur les chaises emmêlées du bassin déserté. Un Nègre, vêtu de kaki, brandit l'une d'entre elles, s'initie à l'haltérophilie. Les mouettes toisent le ciel d'un même battement d'aile.
Je zigzague dans l'allée arrosée. L'Obélisque perce l'entrecuisse de l'Arc de Triomphe. Je gagne l'asphalte en toute hâte.

vendredi 17 août 2012

Clélia

Elle n'a jamais vécu que dans mon imagination. Elle devait s'appeler Clélia. Son sort est subordonné à ma propre mort. Les créatures de rêve sont par nature dispensées de sépulture.
Cette fille des vents n'a émergé du néant que pour fixer mes tourments. Les deux syllabes de son identité définissent son exacte féminité. Avec Clelia Trotti, Bassani m'a chipé ma chipie.

mercredi 15 août 2012

Mi-août

Assunta. Ferragosto. Le choc rouge de Titien, chiesa dei Frari. Vitrail jaune acide qui coiffe l'abside de Saint-Sulpice. Journée de tirée. Jour férié. On marche sur des os. Les premières feuilles mortes craquent comme des chips.
Des cambrioleurs s'introduisent dans les églises, photographient les frises, se signent au nom du père et du fils. Ciel voyou, terre étale. Tournicotent dans ma tête les mêmes histoires de mi-août. Les étés se fêlent comme les vaisselles.

Ferrare en tête

J'ai du mal à m'extraire de l'infinie rêverie d'Italie. Envie de rien. Envie de me rendormir au petit matin. De revivre en songe la joie d'être soi, l'émoi d'être un roi parmi les ciels sensuels de Ravello. M'attabler sans projet dans la paix de Colle di Val d'Elsa. M'étourdir de prosecco devant les eaux de Mattimata.
Mièvrerie de Parigi. Asiatisé par l'été. Vite je veux repartir comme je veux relire Proust. A défaut de cela, une même fadeur de chewing-gum pèse sur des heures sans foi.
J'ai Ferrare en tête. J'ai foncé chez le gros libraire, farfouillé dans les hautes étagères. "Le Roman de Ferrare". Giorgio Bassani est le régional de l'étape romagnole. Je lui confie la tâche impossible d'en restituer la féerie.  

lundi 13 août 2012

Cent secondes

Dans les courses de fond et de demi-fond, l'athlète faisait jadis ses classes en sa qualité de "lièvre". Le "lièvre", c'est le "gregario" en vélo ou le "nègre" en littérature. Il fait le travail, le sale boulot, laisse la gloire au champion.
David Rudisha, sublime vainqueur d'un huit cent mètres d'anthologie, a périmé l'emploi des coureurs sacrificiels. Il a tué le "lièvre" avec son fusil à deux tours de piste. Il a accompli la double boucle, sans voir la meute à ses trousses. Rudisha a déployé sa majestueuse foulée durant cent secondes. Nous étions bouche bée: il y avait une beauté infinie dans ce genre de folie. Le Kényan a pulvérisé le record du monde. Il a réinventé le demi-fond comme Fossbury a révolutionné le saut en hauteur.
"C'est de la poésie pure !" s'est exclamé un commentateur de télévision. Je suis d'accord. Plus que Bolt, Rudisha a imprimé sa marque sur la piste de Londres.

jeudi 9 août 2012

Jouer avec le feu

Ils agitent des fanions. Ils se peinturlurent la figure aux couleurs de leurs étendards. La peau est le support du drapeau. Ils sont galvanisés par la fièvre partisane et la ferveur chauvine. Les Jeux autorisent sans modération le fanatisme des nations.
La comptabilité des hochets est destinée à échauffer les guerriers. On se rétracte sur ses réflexes, on cède à ses instincts. L'olympisme génère l'autarcie de terroir. La bien-pensance élitaire tolère ce bestial embrasement planétaire. Elle ferme les yeux sur le nationalisme festif et braillard. Les Jeux sont une parenthèse populiste de temps de crise.

mardi 7 août 2012

L'indécision des sexes

"Masculin/Féminin". On a lu le livre de Françoise Héritier. On a vu et revu le film de Jean-Luc Godard.  On a regardé la télé. Les Jeux nous abreuvent de corps des deux sexes. Ils s'expriment dans la gloire d'une jeunesse. En gros plan, au ralenti, sous toutes les coutures, on observe des silhouettes d'un troisième genre. De loin, vue de haut, la femme ressemble à l'homme comme deux gouttes d'eau. Sa puissance musculaire l'apparente au modèle masculin. A Londres, tout se passe comme si l'athlétisme illustrait ladite "théorie du genre".
L'indécision des sexes brouille les cartes du regard. Le flou des usuelles démarcations crève l'écran.
A examiner de près la compétition, on réalise combien l'idéal d'un corps-type par discipline relève de la fantasmagorie biologique. Sur 3000 mètres steeple, un tout petit Kenyan rivalise avec un grand échalas de Français. En sprint, on observe des corps à morphologie contrastée, avec des échelles différenciées dans le sculptural. Dans les postures de course, la crispation d'un visage côtoie la quiète sérénité d'un autre. Certes, les corps des deux sexes se rapprochent. Mais, dans le même temps, prévaut le beau paradoxe de la diversité.

jeudi 5 juillet 2012

Higgs et Joyce

On avait le mot. Boson. Mais pas la chose. Le grand collisionneur vient de la débusquer de sa cachette. Boson existe, on l'a collisionné. Le nom de boson vient de Higgs, un Ecossais. Higgs est un nom dont la sonorité évoque l'inconnue mathématique, le petit x d'une impossible équation.
Dans l'infiniment petit, les noms ont besoin de fantaisie. Ils sont suggérés par nos amis du Royaume-Uni. Dans Finnegan's Wake, Joyce invente le mot quark. Le poète irlandais précède le savant écossais dans le nommage des grandes énigmes de la nature.

mardi 3 juillet 2012

Un salariat sale

Le capitalisme pratique le culte de la marchandise. C'est une religion de la convoitise. Elle ne parle d'autre langue que l'idiome du marché, ne célèbre d'autre idole que l'argent. Pareil mode de production érige la prostitution au centre de son organisation. Le sourire de prostituée transite par la publicité.
Dans l'anonymat d'un monde d'appâts, le salariat légitime l'achat du corps. La force de travail est sollicitée à l'envi comme la prostituée des trottoirs.
Le travailleur manuel vend sa sueur, ses muscles et son coeur à l'ouvrage. Le travailleur intellectuel cède au plus offrant l'agilité de ses neurones.
Dans ce cadre général d'un capitalisme brutal, la prostitution n'illustre qu'un cas particulier d'exploitation. La location libre des sexes n'est pas de nature différente de l'octroi par contrat des bras et cerveaux.
Dès lors, on peut s'interroger sur l'angélisme d'une proposition politique visant à prohiber le commerce de la prostitution. En arrière-plan, on semble identifier les contours d'un tabou, l'interdit moral d'un salariat sale qu'il conviendrait d'éradiquer. La chasse à la grisette flaubertienne témoigne d'une flambée d'idéologie victorienne.

vendredi 29 juin 2012

Hors journal

Au coin de la rue, j'ai su que l'heure était venue. J'ai contourné le kiosque. J'ai dédaigné la pile de papier. Je ne tournerai plus la page. Ce recueil d'expressions, sans soin de rédaction, ne m'est pas plus aimable qu'une porte de prison.
Je quitte une geôle. Je laisse les journaux à leurs moraux éditoriaux. Le plaisir a fui des mots comme d'une roue de vélo. L'actualité s'écrit de plus en plus mal. Désormais j'errerai dans les volumes d'une littérature à la beauté durable, je lirai hors journal.
J'en ai fini avec les petits récits d'écrits de fantaisie. J'ai l'âge des pleines pages de corpus travaillés, nés des seules nécessités.

Détraqué

Le corps ne souffre pas l'inconfort. Il est réglé, à la virgule près, pour l'éternité brève d'une sensation. Il est caréné pour la joie brusque qui empourpre ses peaux.
Une chair sans gloire, chassée du paradis de ses étés, mime une méchanceté de déclassé. Ne reste qu'un bec d'oiseau désailé. Le corps songe au temps de paix de son torse bombé. Il est détraqué. Il est embringuée sur la voie patraque d'une destination terraquée.

mercredi 27 juin 2012

De Sarkozy à Nasri

Les footballeurs sont mal éduqués et peu instruits. Les journalistes qui les interrogent aussi. L'incivilité se propage, de proche en proche, de corporation en corporation, comme la résultante de nos manquements. La société est gangrénée de l'intérieur.
Faute de vocabulaire, à court de richesse lexicale, on emprunte à la force son laconisme de "coup de boule".
Samir Nasri, star millionnaire du sport, parle comme un charretier. Nicolas Sarkozy, président tapageur, s'exprimait comme le chef de bande d'un film d'Audiard. On s'éloigne d'une société policée pour les rivages de terres sans politesse.
Autour des mots "polis" en grec et "urbs" en latin, les langues de notre civilisation ont associé à l'idée de cité un sentiment d'urbanité. Notre époque sans délicatesse a tourné la page de pareille sagesse.

lundi 25 juin 2012

Brune aux yeux noirs

Les présidents n'ont jamais les yeux bleus. Les premiers ministres non plus. Hormis Jospin, à l'exception d'Ayrault.
La parité blonds/bruns n'est pas respectée. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont nécessairement le cheveu foncé. Sauf Villepin. Sauf Ayrault, qui pousse le vice à gouverner d'un regard bleu.
La cinquième république pratique un racisme anti-viking. Un président blond aux yeux bleus n'est pas politiquement correct. Le délit de faciès perdure au sommet de l'Etat depuis plus d'un demi-siècle.
Tout candidat à l'Elysée, de type nordique, doit masquer la photo de son CV pour avoir une chance. La République est brune aux yeux noirs.

dimanche 24 juin 2012

La peur bleue

Le fiasco d'Ukraine illustre un malaise récurrent où les rodomontades masquent la peur nationale d'en découdre. Blanc et ses Bleus se sont sauvés, ont fui devant l'ennemi. Nos matamores du sport ont visé la nullité du score. Il se sont serrés autour de Lloris dans la sotte observance d'une stratégie du pire.
A se recroqueviller devant l'ange gardien, ils exprimaient leur désarroi, appréhendaient leur destin de proie. La couardise est mauvaise conseillère. La reculade érigée en doctrine mérita l'impitoyable châtiment.
Ce jeu contre-nature fit d'un rude arrière un misérable ailier. On envoya Debuchy à la boucherie. Il s'égaya parmi les Rouges le long de la touche. On réveilla Réveillère du banc des "coiffeurs".
Nos fanfarons du ballon rond se tassèrent en pack d'austérité dans un jeu à croissance nulle. Nos filets tremblèrent deux fois. On aurait dit la même peur bleue. La pâle équipe du "Président" claquait des dents. Dans les vestiaires, ils étaient fiers et contents d'eux. On se remémorait le spectre Domenech.

vendredi 22 juin 2012

Arrêté antimendicité

L'incurie des pays d'Europe du sud indispose les contrées du nord. L'endettement massif déferle en zone euro comme une horde d'indigents roumains dans les rues de Paris. L'Allemagne vertueuse s'attribue le rôle du préfet de police. Elle pratique la politique de l'arrêté antimendicité. Les pays du soleil, en bordure méditerranéenne, lui font la manche avec insistance.
Mendiants ou Européens, il faut choisir entre les deux, nous avertit l'intraitable Chancelière. S'interdire "la médiocrité", c'est chasser les vagabonds de la zone euro.

Sans grand sachem

Le temps des chefs charismatiques est révolu. Cette grâce du commandement ne court plus les rues. Le peuple s'habitue à des leaders ternes. La gauche se range comme un seul homme derrière Hollande, président en contre sans faire beaucoup de je(u). La droite s'éparpille au gré des mornes guichets Fillon, Copé, Juppé.
Ces meneurs de petite bande s'époumonent à dissuader la naturelle débandade de leurs ouailles. L'échec favorise l'indiscipline. Les ambitions se dévoilent. La piétaille politique songe à sa carrière.
Sans grand sachem rimbaldien pour "fixer des vertiges", le peuple s'emballe peu pour l'improbable destin national. Les clans s'épient. Les zélés élus sont tapis derrière leurs arrière-pensées. On bataille pour un perchoir. On brigue un statut de chef de groupe comme on solliciterait une considération de chef de rayon.
Le peuple républicain n'a plus la foi du charbonnier. Il ne vibre point à l'incantation du président normal. Il n'attend rien, hors la crise. Il s'abstient.

mercredi 20 juin 2012

Lire et délire

Sortir de Proust ? Pour quoi faire ? S'assommer la tête avec de brumeuses sornettes ? J'ai peur que Proust ne m'abandonne. C'est pourquoi je me garde bien de lâcher La Recherche. Je me cramponne à ses mots comme au bastingage d'un bateau.
J'ai mon rond de serviette, j'ai l'habitude de sa phrase sur la nappe. Je vis dans sa clarté aux frais de la princesse. Je parasite une oeuvre composite. C'est une brocante où les bibelots sont des mots, où l'auteur des splendeurs jamais ne s'absente.
A quoi rimerait-il de changer de crémerie ? Jusqu'à nouvel ordre, je demeure chez Marcel Proust. J'y séjournerai jusqu'à épuisement de ses charmes. Le lire m'interdit le délire d'un autre.