mardi 24 novembre 2009

Panthéon

De par sa fonction, Nicolas Sarkozy représente la Nation. Il incarne une volonté générale. A ce titre, il lui appartient de se hisser au-dessus des intérêts particuliers. En théorie. C'est pourquoi il me semble malvenu d'exiger qu'il partage nécessairement les idées d'un écrivain, Albert Camus, dont il a exprimé l'intention de transférer la dépouille au Panthéon.
A suivre l'argumentaire de M. Onfray (Le Monde daté du 25 novembre), on peut s'interroger sur les limites requises de la légitimité présidentielle pour exercer pareil choix. Pourquoi s'arrêter en chemin à la seule parenté idéologique ? En bonne logique, le chef de l'Etat, en plus des idées de l'homme, du citoyen, de l'artiste Albert Camus, devrait aussi jouir du même statut d'écrivain reconnu, voire faire valoir le prestige d'un prix Nobel, pour justifier son initiative et décider d'égal à égal.

Cher Guy Dupré

Le facteur a fléché le petit cube de métal où gisent mes correspondances. Ce matin, une enveloppe rectangulaire, couleur des sables, m'était destinée. J'ai glissé, sans me couper, ma main pour la saisir. Je l'ai accueillie avec cérémonie car elle me désignait pour la décacheter.
Je connais ce livre, me souviens du titre, gravé dans ma tête depuis si longtemps, me garde de l'approcher de trop près. "Lui aussi écrivait pour l'émotion". J'identifie son signataire, Guy Dupré, au dernier diamantaire de la place, à l'ami des mystères de la terre.
La littérature n'a pas d'autre but que de fracturer les domiciles. Aujourd'hui, elle repose entre mes doigts comme une perdrix solitaire dont la plume brûle encore. Votre livre donne la fièvre. C'est un récit de cruelle splendeur qui exige la pleine santé du texte. Il embringue dans la ronde empourprée des vertiges.
Ces années passées, les mots m'abandonnaient. Au point que mon père lui-même s'est absenté."Les Fiancées", que j'ai vues grandes, et rouges sur les joues, se plantent dans ma chair à l'heure où je cherche un visage sur une photographie décatie. Mon temps, ces jours-ci, est haché en menues besognes. Quand j'étais petit, je lisais "Un Beau Ténébreux". Tout haut. Maintenant, l'habitude m'est venue de parler tout bas. Or voici, dans le silence, une langue qui sonne. La récréation est finie. Votre sublime petit livre m'a empoigné la gorge. J'ai l'âge, tout juste, des "Fiancées".

lundi 23 novembre 2009

Les loups vidéastes

La clameur unanimiste se précise. Il faut impérativement des caméras de vidéosurveillance dans les stades. Histoire de démasquer les mains chapardeuses. Histoire d'épingler les tricheurs du ballon. Or je me refuse de hurler avec les loups vidéastes.
Au rugby, la vidéosurveillance supplée depuis longtemps aux déficiences du corps arbitral. Avec des résultats très médiocres. Il suffit de se référer au dernier France/Samoa. L'arbitre a accordé un essai tricolore sans même discerner le ballon dans un impressionnant paquet de joueurs enchevêtrés. A l'aveuglette. De même, en fin de match, il a validé un essai samoan, totalement imaginaire, aplati bien avant l'en-but. Autrement dit, vidéo ou pas vidéo, l'arbitre n'en a fait qu'à sa tête. Bon prince, il a gratifié l'équipe perdante d'une sorte de lot de consolation psychologique en contravention manifeste des règles élémentaires du rugby.

jeudi 19 novembre 2009

La main visible

C'est la main visible, bien en vue de Thierry Henry, qui a conclu l'affaire, emporté le marché. Les Bleus iront en Afrique du Sud. Pas les Verts. Il a suffi de ce seul chapardage de fin de match pour infléchir le sort. Cette chiquenaude du destin, exhibé en gros plan, diffère de "la main invisible" d'Adam Smith qui décide de l'équilibre d'une offre et d'une demande. Nul besoin de la cacher. La main du capitaine tricolore saute aux yeux, agrippe le regard, colle à la rétine comme au cuir du ballon.
A leurs heures, entre idéologie et tricherie, le capitalisme et le football, jeux de vilains, recourent aux mains. L'une visible, l'autre pas. Reste que les joueurs du Onze national, manchots comme il se doit, devront disposer de leurs deux jambes et se conduire convenablement, balle au pied, s'ils veulent s'illustrer parmi l'élite mondiale.

mercredi 18 novembre 2009

Sourire chiffonné

Aujourd'hui mercredi. Jour de la brune étudiante. La jeune glacière fripe son visage d'un petit sourire chiffonné. Elle jardine les crèmes dans leurs bacs de couleur. La courbure des dos signale les premières rigueurs d'automne. Les peaux jaunissent à la lueur des néons. Je glisse un minuscule rectangle de chocolat dans un café juste chaud. J'observe la taille des clientes qui s'arrondit, saison après saison. On s'emmitoufle sous les épaisseurs comme on s'empiffre de douceurs.

Vincent pour cent

Marie-Ségolène est incorrigible. Marie-Ségolène, comme les rois et les voleurs, se sent chez elle partout. Nul besoin de la convier à sa table: le couvert de Marie-Ségolène y est disposé d'office. Où qu'elle aille, Marie-Ségolène n'est jamais indésirable. Il y a toujours un coin de nappe pour "le désir d'avenir", une place pour la pauvresse du PS. Sauf aux yeux trop bleus du beau Vincent qui peine à asseoir sa notoriété de prince charmant. Il fait ce qu'il peut pour galvaniser sa popularité de gendre idéal. Les sondages bougent à peine: Vincent pour cent.

lundi 16 novembre 2009

Hugoleador

Il est un grand escogriffe à la mine de moineau dépité. Devant sa cage, l'athlète multiplie les acrobaties. L'homme jette son corps en travers de toute balle hostile. Il ressemble comme deux gouttes d'eau à l'humoriste Pierre Palmade. Sur sa ligne, il boxe le cuir d'une main sûre de pugiliste. Les filets de Lloris restent inviolés. L'élégant portier des Bleus en a fait voir de toutes les couleurs aux petits hommes verts. Sans péril en sa large demeure, le gardien des ultimes finalités erre comme une âme en peine. Hugoleador tourne en rond dans sa surface. Le gardien à gueule d'ange rêve de haute voltige.

mercredi 11 novembre 2009

Frère et soeur

La rumeur des rues s'est apaisée. Un long silence enveloppe la cité. Les poilus de la "der des der", tout le monde s'en fiche comme de l'an quarante. Les gens du 11 novembre sommeillent chez eux, paressent en attendant le stress du 12. Les guerriers de 14/18 ont le chic de transformer Paris en ville morte. On s'agite un peu du côté de l'arc de triomphe. La télé retransmet la commémoration comme un match de première division. La voix des speakers maintient l'attention. Merkel et Sarkozy s'envoient des fleurs en déposant des gerbes sur la tombe du soldat inconnu. Même taille, même gaucherie. On les dirait frère et soeur.

mardi 10 novembre 2009

Marre du Mur

Ils ont fait le Mur comme un rite iniatique. Ils ont fait le Mur comme une guerre générationnelle. Ils ont fait le Mur comme Mai 68. Ils ont fait le Mur comme les touristes mitraillent la Tour Eiffel. Ils ont fait le Mur comme de médiocres politiciens. Sans vergogne. Ajoutant le mensonge au mensonge, ajoutant leurs tromperies aux forfaits du communisme. Ils ont fait le Mur, le jour approprié, à l'heure politiquement correcte.
Cette course à la première place sur la photo de l'Histoire relève d'une psychologie de cour de récréation. On savait que le pouvoir rendait à moitié fou. Il n'exonère pas de la sottise. Marre du Mur.

lundi 9 novembre 2009

A demeure au Sénat

Les livres sont rangés dans un lieu bien peigné, dans une bibliothèque un peu toc à force d'être d'époque. Nous sommes entre gens du monde. Du grand monde. Alain Minc semble vanter une marque de champagne. Il se réclame de son oeil allumé. La prunelle qui pétille est sa signature de télévision, comme la chemise échancrée du philosophe à trois lettres. Bref, il donne sa définition du brio en montrant sa figure. Les mots suivront comme une caravane qui passe avec son tombereau d'opinions. L'étourdi plagiaire d'un bouquin sur Spinoza glousse de contentement comme une jeune s'extasie devant la glace. Tous les coups bas sont permis. L'effronté reproche à Aron son manque d'éclat. Pas loin du délit de faciès. Elkabach est de mèche, une paume rêveuse entre joue et menton. Il évoque ses prestigieux voisinages de plage à Tanger. Le duo des parleurs se plaît, s'aime beaucoup, passionnément, à la folie, au milieu des notoires notables. Ils effeuillent, caprice après caprice, la marguerite des bonnes fortunes. Ne manque que la Rolex de Séguéla. Les consultants des puissants se sentent à demeure au Sénat.

vendredi 6 novembre 2009

Un continent retrouvé ?

Du temps où la vieille Europe était coupée en deux - comme les guillotinés d'avant 1981 -, on rêvait à un continent retrouvé, à un vaste territoire, riche de ses bariolages nationaux - "sa richesse difficile" disait excellemment Karol Wojtyla -, uni par de communes valeurs humanistes. Or, à cette époque d'effroyable mutilation géopolitique, nul ne se serait interrogé sur l'identité d'une Europe rassemblée. Je me souviens du merveilleux songe de Maurice Clavel, baptisant Prague, capitale de l'Europe. Au nom de la beauté, on raisonnait de travers, on voulait croire aux contes de fée. Mais la brutale réalité s'est refusée aux angéliques lendemains chantants.
L'Europe d'aujourd'hui ne sait, ni ce qu'elle est, ni où elle est. C'est un continent perdu.

mercredi 4 novembre 2009

La relève

Deleuze s'est défenestré. Barthes s'est laissé mourir. Jankelevitch a cédé à la folie. Althusser a étranglé sa compagne. Foucault a péri du sida. Derrida a succombé au cancer. Levi-Strauss est mort dans son lit. Nous restent à l'écart du cimetière, Serres, Girard, derrière eux Descola. Qui reprendra le flambeau des concepts, le témoin des idées, dans un monde de sommaire brutalité ?

Lévi-Strauss

Il était frêle, chétif, tout en os et intellect, parlait d'une voix tremblée, monocorde. Ce vieil homme au pupitre, derrière son tableau noir du Collège de France, dispensait à la craie un savoir méticuleux, presque désabusé. Dans son dos, un solide gaillard l'assistait avec empressement. Jean-Marie Benoist, philosophe de tradition libérale, céda à la tentation politique avant de mourir à quarante ans et des poussières. Durant un siècle d'horreur, Claude Lévi-Strauss a sauvé l'honneur de la vieille Europe. A l'avenir, le débat sur l'identité gagnerait à se nourrir de ses travaux. Des obsèques nationales n'auraient pas nui au discret orgueil du grand homme.

mardi 3 novembre 2009

Avant-centre

"Chaque pas doit être un but". Chirac s'est rêvé avant-centre. Il a ambitionné le destin d'un Gignac. A chaque enjambée, il y a un but dans les filets.

Mur

De Gaulle est un nom issu d'une forme germanique: "De Walle" qui signifie le mur d'enceinte, le rempart. Un jour d'automne, De Gaulle s'est effondré sur sa table de bridge où il alignait des cartes à jouer. Malraux écrira un petit livre sublime à la mémoire du glorieux défunt: "Les chênes qu'on abat". De Gaulle est mort un 9 novembre, il y a presque quarante ans. Cet homme à grand destin a cédé le même jour que le Mur de Berlin, un peu moins de vingt ans auparavant. Troublante histoire des hommes.

Talisman

C'est un vieux livre taché, décoloré, que je tiens dans ma main de père. A quinze ans, je l'ai offert au mien, plus jeune, aimé, admiré, sans savoir qu'il deviendrait un talisman, le signe visible d'un destin. "Gustave Flaubert écrivain, Maurice Nadeau, Dossiers des Lettres Nouvelles".
Il m'a laissé sa poussière sur les doigts. Papa a collé une coupure de journal dans l'entre-deux du récit. Le bout de papier est soigneusement disposé. "Tout ce qu'on invente est vrai". Il n'a pas lu ce pieux volume. Je l'ai chipé. Il est mort depuis déjà tant de jours.

Chirac revient toujours

L'immobilité du terminus l'a réveillé. Chirac est descendu du train de l'Histoire de France pour le chemin des tribunaux. Avant de quitter l'Elysée, il avait confié à Michel Drucker, l'intime des grands hommes, qu'il y aurait "un après, et puis la mort". Nous sommes aujourd'hui en plein dans "l'après". Chirac publie "Chaque pas doit être un but". Le premier tome de ses mémoires révèle un titre aisément taxable d'antisarkozysme primaire. En effet, l'actuel président multiplie les petites enjambées en tous sens sans jamais beaucoup s'appesantir sur leur finalité. Les couches de secrets sont épaisses. Le Chirac reposé des palaces marocains fait oublier l'ancien baroudeur de la République. Car il n'a pas toujours chaussé ses babouches d'amical grand père de la nation. Il est couturé de partout. Il trimbale une longue histoire derrière lui. Un jour, dans une autre France, il y a très longtemps, il s'est extrait du noir anonymat pour s'imposer à Pompidou. Chirac en 1995 est revenu des derniers cercles de l'enfer. Il faut le savoir: Chirac revient toujours, généralement du diable vauvert, à l'énergie, avec ses dents, avec une belle générosité carnassière.

lundi 2 novembre 2009

Travail fictif

La pratique des emplois fictifs est considérée comme un délit. Or cette expression "d'emplois fictifs" pèche par son imprécision. Il vaudrait mieux parler de "travail fictif". Car, s'il y a abus, c'est de ne pas travailler, ou insuffisamment, en contrepartie d'une rémunération contractuelle. Dès lors, on élargit le champ de l'infraction à nombre d'administrations et d'entreprises qui ferment les yeux sur une certaine productivité zéro.
Le stress, si largement évoqué dernièrement, ne résume pas à lui seul les conditions de travail. Il est des îlots de paresse protégée, à l'abri des comptes à rendre. En effet, beaucoup de salariés sont préservés des contraintes de travail dans des "placards dorés". Ils jouissent d'enviables sinécures. Ils bénéficient d'un privilège exorbitant: ils sont payés à ne rien faire. Certains ne cachent pas leur tristesse à s'installer dans l'oisiveté. François Fillon traîne sur sa figure une certaine mélancolie de l'inutilité. Jacques Chirac, qui est aujourd'hui inquiété par la justice de son pays, fut traité en son temps de président "résident" ou de "roi fainéant" par les meilleurs observateurs politiques.
Au nom de la République, il conviendrait que "le travail fictif" soit désormais puni comme un vrai délit, et non plus toléré comme une faveur princière.