mardi 31 décembre 2013

Deuxième semaine

La fragilité du succès se mesure à la sueur nécessitée. Chirac et Mitterrand ont souvent et largement échoués avant d'endosser le costume de président. Giscard a peu souffert. Il était né coiffé d'un bicorne. Hollande et Sarkozy, plus besogneux, n'ont pas davantage été ajournés à leur première tentative élective. Les trois sont de brefs candidats. L'onction du peuple les fait chefs de la nation à leur coup d'essai.
L'histoire de l'actuelle République enseigne que le pouvoir se conserve mieux quand on le conquiert dans la difficulté. Mitterrand est un looser méritoire dont la finale victoire l'incitera à ne pas lâcher l'étendard. Chirac, ce "cheval sans jockey", est un has been sympathique, revenu du diable joli, pour siffler la coupe, décrocher la timbale, dans le temps additionnel. Il s'appropriera en maréchal un deuxième mandat.
Giscard, Hollande et Sarkozy n'ont jamais mordu la poussière. Ils sont moins cabossés sur le seuil de l'Elysée. Les trois heureux guerriers ont ciblé leur volonté avec une économie d'épicier. Ils n'ont pas mouillé leur chemise comme le Corrézien et le Charentais dont le maillot d'arrivée était à tordre.
Chirac et Mitterrand iront jusqu'au bout, rudes au mal, meilleurs à l'endurance. La chiennerie du scrutin est imprimée dans leur chair comme le matricule du destin. Giscard et Sarkozy ont raté le doublé, faute d'estomac. Pas assez couturés ni balafrés.
A caboter dans une douceur d'été, à cultiver un art un peu trop rondouillard du pouvoir, à se contenter de la même facilité, Hollande s'emploie à déserter son petit ouvrage. Comme le Sarkozy des Hauts de Seine, comme l'Auvergnat fort en thème, il s'interdit de revenir en deuxième semaine.




dimanche 29 décembre 2013

Peur des météores


Nicolas de Staël a cent ans. Sa peinture est une morsure qui dure. Il est mort, s’est débarrassé de son corps, l’a jeté par-dessus bord, un jour à Antibes, vue sur le port. Six décennies sans dessiner. 
C’est un centenaire qui se terre, sans esbroufe, un cri dans le désert qu’on étouffe. Staël est seul avec la merveille. Il s’est brûlé la cervelle avec des ciels rouges. Il s’est cassé la figure dans la peinture, en pleine nature. 
« J’ai besoin de cette fille pour m’abîmer ». Les lettres de Staël ont une violence d’origine, le sens et le son d’une détonation, la sauvagerie vitale d’une poésie.
Staël n’est pas fêté. L’Etat fait l’impasse. Il se rapetisse. Il a peur des météores. 

samedi 28 décembre 2013

Cassage d'os

Entre deux images, dans l'embrasure d'écran, je coince mon oeil. J'épingle au vol le gypaète barbu. L'oiseau briseur d'os étoile les hauts plateaux d'Ethiopie. Il tournoie dans l'air torride, plane sur les proies décharnées des roches sculptées du Tigray.
Le rapace ne repasse pas les plats. Il se tasse sur la carcasse. Les charognards désertent l'ouvrage. Vient le tour du grand vautour. Il ne festoie qu'à la fin. Il s'accommode des restes, des gros os qui luisent au soleil. Il crochète l'os, le dérobe à la terre, ajuste son vol à bonne hauteur, lâche le bout de squelette sur des hachoirs de pierre, pique sur les miettes dont il extrait la moelle.
Le cycle ensorcelle. M'ébahit la cérémonie du cassage d'os de l'oiseau technologue. D'Ethiopie, je ne connaissais qu'un vague poète de Charleville et d'ascétiques marathoniens. J'ajoute aujourd'hui le gypaète barbu des montagnes de Gheralta.

vendredi 27 décembre 2013

Le mot de l'année

Le mot "inversion" prête à confusion. On ne sait pas par quel bout le prendre. Au pied de la lettre, sans doute. Le président croit mordicus à l'inversion. Il a chaussé ses lunettes de Noël. Il voit les hausses comme des baisses. C'est un tempérament heureux. Son lorgnon invertit les courbes.
Inversion est le mot de l'année. Fini la comédie des extravertis, Sarkozy et la guitare de Carla Bruni. Les in(tro)vertis sont donnés en modèle au pays. Ayrault rentre dans sa coquille d'escargot. Hollande se planque par discrétion.
Au siècle dernier, Marcel Proust s'intéressait lui aussi à l'inversion, tout au long de sa grandiose narration. Le baron de Charlus est la figure emblématique de l'inverti. En ces temps datés, l'inversion désignait l'homosexualité.
Hollande, qui n'est pas flou, joue sur les mots avec un bonheur fou. Avec le mariage pour tous, le président travaille dans l'inversion. Il bouscule nos us et coutumes. Les invertis, style Charlus, sont repêchés pour la cérémonie des épousailles.
En maître artisan du dictionnaire, Hollande est un chef visionnaire, sans tabou, qui fait de l'inversion le totem de la nation.

dimanche 22 décembre 2013

L'avenir dure longtemps

L'année finit sans beauté. Ni grandeur. La chefferie sourit dans une lumière de féerie. Elle prie le peuple de patienter, le supplie de souffrir en silence jusqu'à l'apothéose de la productivité, jusqu'à l'épiphanie d'une croissance. La France stationne sur un trottoir déserté par l'Histoire.
On incarcère le travailleur dans un petit salaire, le chômeur dans une petite misère. L'Etat imposteur abuse du monopole de la terreur. Des acteurs de la rue, il exige un lourd tribut.
Le pays rétrécit au lavage des esprits. Nulle en calcul, la France recule. Foi de Pisa. Les médailles Fields nous illusionnent sur la compétitivité des lycées.
Les gens de médias et de Sénat aboient, défendent bec et ongles des niches fiscales cinq étoiles. Le microcosme s'exonère d'écot, n'acquitte l'impôt qu'avec des mots. La noblesse d'Etat jouit du privilège d'une loi scélérate.
Au nombre des années cotisées et des travaux effectués, les députés de nos contrées sont des pensionnés choyés. La jacquerie des corporations est un cri d'indignation, une révolte contre les marquis et malappris, la colère bleue des gueux. Guéant, Cahuzac ou Placé se font pincer. Car ils exigent davantage de bienfaits. Nos altesses appartiennent à une espèce qui ne rend pas la monnaie de sa pièce. L'exemplarité est une incivilité qui provoque l'hilarité.
Au micro du Crif, Hollande mime l'humour juif, blesse l'orgueil à vif de l'Algérie. La diplomatie du pays rougit des plaisanteries de garçon de bain d'un président de Rotary.
L'indice Insee n'est qu'un cap d'épicerie, jamais la destination d'une nation. La cécité économique dissuade toute vision politique. La gestion notariale est un idéal de vieux canton rural. La gauche gâche, la droite rate. L'avenir empire.
La renaissance viendra d'un surcroît de science. L'école dégringole. De Gaulle avait lu Bergson. Il tarde que le pays s'instruise, n'abandonne à personne le prestige de la raison.
L'année finit sans beauté. Ni grandeur. La démocratie ressemble à une ploutocratie. La République se résume au coup de menton des cyniques. La corruption est une addiction ordinaire des pouvoirs. La faillite des élites est couronnée du satisfecit des déficits.
La solitude d'un mort pèse sur la foule des cimetières. Le présent manque de temps.  Le courage est au bout du naufrage. Décembre 1944, de Gaulle tient la dragée haute à Staline, ne cède pas un pouce sur le sort de la Pologne. Il prévient le Kremlin que "l'avenir dure longtemps" (Mémoires de guerre/Le Salut, page 659, Bibliothèque de la Pléiade).
De même, l'Hölderlin des poèmes exhorte les soldats de première ligne: "Tout proche et difficile à saisir, le dieu ! Mais aux lieux du péril croît aussi ce qui sauve" ("Patmos"/Période des grands poèmes 1800-1806, page 867, Bibliothèque de la Pléiade, traduction Gustave Roud). Ni Hollande, ni Sarkozy ne sont aux fourneaux. Cette croissance-là s'apprivoise avec les dents de la chance.





samedi 21 décembre 2013

La jalousie

La Jalousie coule de source. Elle est originelle et pécheresse comme le film de Garrel et ses actrices. La beauté se dévêt de laids colifichets. La simplicité guérit la cécité. Par son économie de moyens, La Jalousie est un film racinien.
Garrel peint sa toile en noir et blanc. Il fuit depuis toujours l'art braillard de la couleur. La parole va de soi, les syllabes sont heureuses et les images soyeuses. C'est le jour et la nuit. La douceur se situe à une rue de la douleur.
La Jalousie de Proust finit sur un lit de mort de jeune homme. C'est la dernière nouvelle de Marcel, les pages les plus belles des Plaisirs et des Jours. L'écrivain sait ce que la mort rend vain. Il néantise la convoitise. René Girard tient son oiseau rare.
Charlotte, l'écolière sans collier, regarde par le trou de la serrure. C'est La Jalousie de Robbe-Grillet, ses volets en lamelles qui découpent les ciels, le jeu de cache-cache du voyeur qui épie. Charlotte voit son père comme une petite sotte.
Un père fixe la bouderie d'un fils, songe au récit du grand-père. Philippe, Louis, Maurice. On ajoute Mouglalis, les actrices. On touille la querelle de famille. Les vieux sont rangés des voitures au rayon Sénèque de leur bibliothèque.
La femme a froid, glisse un bras sous la hanche de son roi. Elle est casée, emmitouflée, dans la sonorité des pavés. Anna Mouglalis est une impératrice. Sa voix rauque est d'époque. Louis Garrel, nouveau Léaud, plus beau, moins intello, se rase en déclamant des mots. Il n'est qu'à peine réveillée, presque mal embouchée.
La mère abandonnée prépare le dîner. Soupe de carottes et mandarines. "Repas orange". Louis, Charlotte et Claudia se serrent, s'éloignent, se retrouvent comme les deux joues d'un accordéon. Claudia vole une sucette. Louis fronce un sourcil. Charlotte court vers la roulotte.
Mouglalis enfile son pardessus grumeleux. Elle parle de profil un dialecte guttural. Visage muet d'arrêt sur image. Deux avant-bras blancs, le canon noir d'un pistolet. On se rate, on se trompe sur la date. Le dos de Louis bascule, se retourne de biais, éteint la lampe de chevet.



vendredi 20 décembre 2013

Un séminariste sans joie

Ayrault mime les points de croissance avec ses petits poings serrés. Il boxe l'air avec ses maxillaires. Il est blême au milieu des problèmes. Il est carré dans un corps égaré. Il crispe un maigre sourire. C'est un politique couleur mastic à physionomie soviétique. Il vend son dévouement jusqu'à l'écoeurement.
Ayrault est blanc comme un linge. Il digère moyennement l'hiver. Il est dans de beaux draps. L'invité du journal télévisé est dans ses petits souliers. Il mouline ses petits bras à la cadence du blabla.
Flaubert a lu Fourier, Proudhon et Saint-Simon. Il croque les socialistes de l'époque: "Des séminaristes en goguette ou des caissiers en délire" (Lettre à Edma Roger des Genettes, été 1864, Tome III de la Correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, page 402). Ayrault est un séminariste sans joie, un triste caissier de casino.

jeudi 19 décembre 2013

Une femme au Panthéon

Au loto du Panthéon, Régis Debray le guerillero coche la case jazz, abat l'atout coeur de Joséphine Baker.
Je milite pour un mythe. Je voterai pour une femme de papier. Madame Bovary est de chair immortelle. La femme de Charles n'a rien de très gaullien. C'est une amoureuse, une malheureuse, "un sang de paysanne", une sultane de Flaubert sur une terre de notaire.
J'incarcérerai la femme adultère à l'abri des pierres. Au Panthéon. C'est une grande révolutionnaire que cette carnassière de l'amour, brûlée par la sorcellerie d'un désir tout d'un cri. Elle jette sa rêverie infinie à la face d'une infime bourgeoisie.
La fiancée du piètre Léon mérite le Panthéon. Madame Bovary est transgenre, un peu Emma, beaucoup Flaubert. Transgenre comme le roman qui n'appartient à personne et ne ressemble à rien. Madame Bovary étincelle d'une beauté hermaphrodite. Son gîte est là-haut, rue Soufflot.

mercredi 18 décembre 2013

Le goitreux des Alpes

Flaubert est impatient d'en découdre. Il a écrit Salammbô. Il repart de zéro. Il a des clous sur le cou. Il est vérolé, lit Renan et Michelet. C'est l'heure fatidique du roman parisien. Il est dans ses petits souliers. Dans quinze ans, il sera mort. La Chantepie sombre dans une religiosité impie, s'intoxique à la Bovary.
Flaubert confie ses peurs à la petite fille de sa jeune soeur. Flaubert échange quelques mots avec Caro, Carolo, Caroline, adresse à Liline ses plus belles lignes. Flaubert lui use les joues.
Il a besoin d'un peu d'entrain. Il a sur les bras un troisième quinquennat de forçat. L'Education Sentimentale fera mal. Comme un abcès, il le sait.
Flaubert bande ses yeux. Il a peur du labeur. Nul truc n'apaise le trac. Il ne ment pas comme un premier communiant. Il ignore se souvenir du geste d'écrire.
"Je me suis remis à travailler. Mais ça ne va pas du tout ! J'ai peur de n'avoir plus aucun talent et d'être devenu un pur crétin, un goitreux des Alpes" (Lettre à sa nièce Caroline, jeudi 14 avril 1864, Correspondance, Tome III, Bibliothèque de La Pléiade, page 388).

mardi 17 décembre 2013

Sauf à Bangui

L'enseignante du Louvre se rit des simagrées du général Bonaparte. Napoléon se regarde dans la glace de son hagiographe. Il franchit les Alpes, emmitouflé, à dos de mulet. David l'aide à se hisser, le peint en majesté sur un grand cheval cabré. Le barbouilleur d'Empire introduit la figure de César à son sacre de bazar.
Ingres crayonne l'homme en Christ pantocrator. Canova le sculpte en athlète olympien. Napoléon se soucie de sa personne. La tricherie fait partie de la stratégie. Elle pommade une réalité maussade.
Napoléon refait l'histoire sur la toile. Il se refait une beauté, contre vents et marées, en dépit des faits. Sarkozy gomme les bourrelets des photographies sur papier glacé. Hollande noircit ses cheveux vieillis. Sauf à Bangui où le gris s'est trahi.

lundi 16 décembre 2013

O'Toole

Peter O'Toole était sans doute fêlé comme un Irlandais, rythmé par la houle et l'alcool. Il partage avec Helmut Berger, prince d'Autriche, une persistante ambiguïté de l'extrême beauté.
La gueule d'O'Toole est pâle, hésite entre animal et minéral. L'homme aux yeux mauves collectionne les folies neuves. La paralysie du regard précède la brusquerie d'un traquenard. L'acteur se plaît à la ruade.
A l'Old Vic, conservatoire de brique, il pratique l'art cabochard des rois de l'histoire. J'ai frôlé son haleine rouge de petit matin londonien. J'avais l'âge de la rage.
C'était un film d'après-midi de pluie au casino d'une ville d'eaux. O'Toole endosse l'habit nazi du général Tanz. Il étrangle les prostituées d'une griffe millimétrée. Kessel coudoie les voyous, caresse les voyelles dans le sens du flou. Kessel est scénariste, ordonne les mots de "La nuit des généraux". O'Toole émeut la foule. Le maniaque du film de Litvak terrorise les habitués du ressac.

dimanche 15 décembre 2013

Szecessio

Budapest a de beaux restes, souriante et maussade, grise et indécise, derrière ses façades raides. Sa mémoire est d'Orient mais ses souvenirs sont allemands.
Nem ertem. J'aime à m'égarer dans la sonorité hongroise. Ferenc, Arpad et Joszef étanchent leur soif d'un vieux vin jaune. Szecessio est le mot qu'il faut. Il désigne l'art de rue d'une fin de siècle architecte.
Szecessio chante un matériau métis, mixte la géométrie, rythme les coloris de rotondes décaties. Les bulbes du Danube sont des baobabs de brique. La place Czervita est un débarras de marbre, un grand drap de pierres, une musique d'apparat. Ses vastes murs d'architecture sont impurs par nature.

samedi 7 décembre 2013

Justin, c'est Flaubert

Je suis triste car j'ai fini Madame Bovary. Je suis sonné par la vitalité d'Emma, sa vaillance sur le ring. Elle est dévorée d'un somptueux désir. La dame d'Yonville, à sang de paysanne, se jette à l'extrême bout du péril.
Une infime localité, médiocrement bourgeoise, enfante une femme brûlée, ficelée aux barbelés des ciels ardoise. Je ne distinguerai pas la Normande infidèle de Flaubert de la sublime Italienne, l'épouse trahie de La Peau Douce, le film de Truffaut.
Des deux rives de l'adultère, la femme se conduit en féroce guerrière. Elle ne fait pas de quartier. Elle n'endosse pas à moitié la véhémente querelle du sentiment.
Emma, c'est Flaubert. Tous les autres mentent, faute de grandiose attente. "Le plus médiocre libertin a rêvé des sultanes; chaque notaire porte en soi les débris d'un poète" (Madame Bovary, collection Pocket, page 401).
Non. Justin, c'est Flaubert. Justin, le petit commis du pharmacien, l'indicateur de destin. Justin, c'est Gustave à la plage, dans ce trou de bord de mer, sacrifiant l'ennui à la tyrannie du rien, à l'épiphanie du charme vénérien. Là, il voit Za. Apprivoise Elisa.
"Sur la fosse, entre les sapins, un enfant pleurait agenouillé" (page 466). Les sanglots de Justin tracent le nom de Flaubert au bas des couleurs du tableau, authentifient le signataire de l'ouvrage.


jeudi 5 décembre 2013

La dorure d'une idole

Tapage au trépas de Mandela. Barouf, esbroufe. Unanimité des pipeules, bavards comme des pies.
A l'heure où le sympathique jazzman de la fraternité humaine prenait congé des caméras, je lisais la passion Léon d'Emma Bovary.
Flaubert craint la première discordance, la moindre fausse note, dans le culte du dieu vivant. "Il ne faut pas toucher aux idoles: la dorure en reste aux mains" (page 391, collection Pocket).
De Gaulle, lecteur de Flaubert, prévenait ses thuriféraires: "Le prestige ne peut aller sans mystère, car on ne révère pas ce que l'on connaît trop bien. Tous les cultes ont leurs tabernacles et il n'y a pas de grand homme pour ses domestiques"(Le Fil de l'épée).

La réunion, la télévision

Le travail à plusieurs dure des heures. Il produit du temps mort. On baptise réunion un théâtre de chaises et de table, un fleuve de paroles frivoles. La réunion est une récréation, une oisiveté, un gros mensonge.
La pratique du travail en tas s'apparente à une sorte de yoga. Elle exhorte au désoeuvrement en bande. Cet empêchement de faire est une arme de guerre destinée à contrarier la productivité solitaire.
La réunion est le plus petit commun dénominateur de la rivalité ordinaire. Elle organise un surplace, installe une paresse nécessaire, jette un voile d'immobilité sur l'hostilité.
Plus tard, le soir. La télévision est la réunion de la maison. C'est un loisir facile visant à différer l'effort de faire. Elle dispense pareillement de la souffrance d'un savoir-faire. La télévision n'exige pas de formation. On abuse de la réunion, on se bourre de télévision, comme d'un stupéfiant. L'anesthésie est la meilleure stratégie d'évitement des douleurs de la vie.


mercredi 4 décembre 2013

Refonder, relire, revisiter

Le ministre veut refonder l'école. Recréer l'odeur de craie. Réinventer l'excellence. Restaurer la République des préaux. Repartir de zéro.
On refonde l'école comme on relit Proust. L'escroquerie intellectuelle se ramasse à la pelle. On va refaire la dictée sans faute. On saute le chapitre premier, on revisite ce qui n'a jamais été visité. Le ministre n'a jamais feuilleté La Recherche.
Les faux bâtisseurs se maquillent en reconstructeurs. Les amateurs d'esbroufe se disent relecteurs de Joyce. La République échappe à toute logique. N'avoir jamais lu n'interdit pas de relire.

mardi 3 décembre 2013

Hongroise

On a balayé les feuilles dentelées qui faisaient d'un trottoir violet une sorte de ciel étoilé. Un soleil d'hiver a rougi la pierre.
Je malaxe le Routard, accordéonise ses pages d'encre noire. J'imagine la Hongrie à ma fantaisie. J'invente Budapest en marge du texte. Juste un mot. Hongroise est un songe.
C'est une lueur de cheval hongre dans une pénombre villageoise. Je me rappelle les rondes enfiévrées du Psaume Rouge de Jancso.
Lauren Bacall m'a dédicacé son livre de cicatrices. C'était un jour d'automne, dans la librairie de Chardonne, la boutique Delamain des cognacs de Saintonge. Je me suis raconté une histoire de regard magyar. Sa mère était roumaine, son père polonais. Le diable est dans les détails d'Europe centrale.

lundi 2 décembre 2013

L'homme est une épaule

On a mendié l'accès des Amandiers. On s'est livré les premiers au sourire du portier. On a garé nos fessiers.
Pascal Greggory est une sorte de grizzli. Son bras menace l'infini. Sa nuque repose sur l'omoplate. La courbure indique une blessure de trottoir. La diction sonne comme une malédiction. Chéreau mâche ses mots, rumine une famine.
La Solitude est un monologue de rue, une apparence de roc fendu, une habitude de parler brut. La nuit précise l'indécise ressemblance des sosies. L'heure est aux corps qui s'empoignent.
Ils jettent des syllabes, du sable sur les plaies. Les mots sont des brûlures sur les os. L'homme est une épaule, un portique au manteau sans écho.
Ils se frôlent entre deux halls. Ils dansent sur une absence, tournoient dans l'embarras. Ils se ruent dessus, se rouent de coups, se rient de la cérémonie. La rudesse de Koltès est tassée dans un texte sans vieillesse.