mardi 31 janvier 2023

La plus belle fille du monde

La nature est chose obscure. Le cinéma regarde l’émoi d’une salle. Le jour se lève sur nos lèvres. J’ai fui la nuit, stoppé au métro Antonioni. L’image clignote sur le mur d’en face. Lucia Bosè ose une métamorphose. Je suis criblé de sa beauté. L’actrice réveille une cicatrice. Je me fige au spectacle d’une effigie. Lucia est d’évidence une brune intense. Lucia Borloni est fille des brumes de Lombardie. Je m’éloigne des clichés mitraillés. Je m’ennuie devant des photographies. Je reviens vers mon destin. Je contemple la plus belle fille du monde. Je demande du bonheur à une vendeuse de douceurs. La luxueuse Lucia plante ses yeux de fille du feu comme des banderilles d’adieu. Visconti, bon prince, en fit une Miss Italie. La demoiselle des confiseries, via Victor Hugo, s’octroie une célébrité, rafle le trophée à Gina Lollobrigida. L’icône abandonne le panettone, quitte le chocolat pour Cinecittà. Visconti invente Lucia Bosè comme Saint-Laurent, Laetitia Casta. Les yeux d’une Milanaise sont des brûlures de braise. Je jette un œil sur la nature morte de De Pisis. La mer, la plage, deux poissons à l’étal. L’été converse avec l’éternité. La rétrospective Antonioni est pleine d’affiches dont je me fiche. Je ne peux me défaire des portraits de Lucia, à gauche de l’entrée. Je sais combien mes petites amoureuses sont venimeuses. Lucia, Laetitia. Je raconterai Olga. Ces lignes sont extraites de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, pages 14/15).

jeudi 19 janvier 2023

Les soldats du crack

Avec l’âge, les sons, les visages, les mots se brouillent. Désormais j’entends mal, je vois flou. Né au temps de l’artisanat, je mourrai dans un monde d’assistanat. On dirait des sosies, mais tout les distingue pourtant. Pas le même argent de dingues. A l’attention du métier s’est substitué l’attentat de quartier. Or la mansuétude à l’endroit des dealers de centre ville se situe dans le droit fil de la tolérance sociale à ne pas travailler, de la sainte solidarité à indemniser la paresse. Tout se passe comme si on comptabilisait les points de deal pour les retraites. Bref, la politique de complaisance vis-à-vis du trafic de stupéfiants complète la panoplie républicaine des mesures en faveur de l’assistanat. Mais avec les incessantes chamailleries de bandes rivales, les rixes tournent au vinaigre. Les soldats du crack ne sont pas de petits anges de la poudre blanche. Ils tuent et s’entretuent dans la rue. Allons plus loin. Ils ont besoin d’armes pour se défendre. Le défaut de chars Leclerc se fait sentir chez nos valeureux dealers. Comme si l’Etat, toujours pingre, rationnait la fourniture d’armes à destination de nos jeunes combattants.

dimanche 8 janvier 2023

Furia à Bahia

On en voit des verts et des pas mûrs. Je pense aux numéros pour la couleur. Je songe au roi pour la maturité. Quand il se lasse des selfies et des coups de fil à Poutine – qui à l’origine, s’appelait Poutin -, il se distrait avec les numéros verts. Mais il n’apprécie pas celui des boulangers en danger. Il manque de répondant. Il l’a dit au grand marquis de Bercy. Le roi se divertit avec des riens, s’ennuie avec des moins que rien. Il fourgue des légions d’honneur à ses grognards grincheux. A qui mieux mieux. La tache de rouge se porte comme une couperose sur l’épaule. « A Bahia ». A ces mots de Pap, je revois Mylène Demongeot. Le ministre des préaux, vieux cinéphile, réveille une nostalgie. « Furia à Bahia pour OSS 117 ». Je raffolais des petites tenues à la Bardot, des jolies filles dévêtues qui s’habillaient comme des gros mots.

samedi 7 janvier 2023

La fin des haricots/L'Interview

Comment définiriez-vous votre livre ? Pourquoi l’écrire ? Le sujet, c’est l’envie d’écrire, de faire luire une phrase comme on frotterait une pièce d’argenterie. En chemin, à mesure que j’écrivais, j’ai rencontré le président Macron, les gilets jaunes, le virus de Chine, la guerre en Ukraine. Avec un crayon et du papier, j’ai illustré ce grand chemin, semé de bandits Certains de mes livres trouvent une issue littéraire dans la mémoire, des souvenirs recomposés, une vie morte reconstituée. D’autres s’imposent à moi, heurtent de plein fouet une écriture, se présentent tels quels comme des modèles à figurer. Ce sont des croquis d’aujourd’hui, extérieurs au for intérieur. « La fin des haricots » en prolonge les traits, fait écho à l’art des portraits. Il appartient au deuxième style, rosse et féroce. Car je ne considère pas comme fortuit le mot rire dans celui d’écrire. Rire et écrire procède du même élan, du même tourment, d’un même ricanement. Ce dixième ouvrage se situe dans le droit fil d’un premier livre consacré à de Gaulle. Il témoigne d’un retour aux sources. Il s’affiche comme la chronique urticante d’un fiasco national. Les personnages publics dont j’évoque les agissements fugitifs, dont je mentionne les noires impérities, obéissent au monde enfantin de la bande dessinée. A vrai dire, j’observe un théâtre, non pas absurde mais burlesque, où l’acteur au pouvoir endosse la caricature comme une deuxième nature. Je regarde comment s’agitent les chefs à savoir bref. Ce livre n’appartient à aucun genre bien défini. Un peu pamphlet, un peu essai littéraire, peut-être les deux à la fois, il dessine la tragi-comédie du pouvoir. Il s’est écrit à mon insu, tout seul, sans que je le veuille. Là, je parle du livre, comme d’un bloc unitaire. Mais la phrase, je l’ai voulue, désirée, convoitée, courtisée. Il n’y a pas d’histoire. Mais toujours une couleur, faite de consonnes et de voyelles. Et une couleur, c’est beaucoup plus important qu’une histoire. Car je crois que l’imagination la plus pure, c’est de voir de la couleur dans une phrase, dans une écriture, dans un livre. Du ressenti, du subjectif, de l’arbitraire : l’écrit le revendique ici. J’invente au besoin, j’affabule à plaisir. J’observe la gesticulation du pouvoir avec compassion, mépris et moquerie. L’actuelle gestuelle mécanique du pouvoir, à cadence saccadée, renvoie à des saynètes d’un cinéma disparu, aux délires de Louis de Funès, Tati, Chaplin, Keaton, Sennett ou Harold Lloyd. Le genre politique selon Macron ressortit de l’art burlesque. D’une manière générale, à quel besoin profond, à quelle nécessité intérieure répond votre travail d’écrivain ? J’écris à la recherche de quelque chose. Je suis un désir dans un désert. Je suis à la remorque de ce désir d’écrire. Alors savoir si c’est un roman, un essai, un pamphlet, à vrai dire je n’en sais rien. Je sais seulement que le désir est impérieux, qu’il exerce un empire ravageur sur mon écriture, qu’il frappe toute laborieuse volonté d’un dédaigneux coup de vieux. Le thème de la nostalgie est très présent dans votre livre… Une fois le livre achevé, j’ai été saisi par un vers de Pasolini qui m’a émerveillé : « La connaissance est dans la nostalgie » (Adulte ? Jamais). Oui, mes haricots témoignent d’un cri qui est celui de la nostalgie. Un cri de scrogneugneu. Avant, c’était mieux. Il y avait davantage de soin dans le travail ouvragé. L’éditrice du livre m’a confié que le livre « ne manquait pas d’humour ». On attribue souvent à Boris Vian une phrase qui appartient à Chris Marker, le poète cinéaste : « L’humour est la politesse du désespoir ». Cette politesse du désespoir, je l’ai baptisée, moi, avec mes propres mots : « la fin des haricots ». D’un livre à l’autre, comment s’effectue la transition ? Pouvez-vous dire un mot sur le livre auquel vous travaillez aujourd’hui ? Bref, j’ai écrit tous les jours des bouts de phrases. A force, cela a représenté une centaine de pages. C’est généralement la taille de mes livres. J’ai relu l’ensemble. Et j’avais l’impression que "ça tenait ». Je n’ai pas projeté au départ que je voulais écrire ce livre. Pour moi, c’était une récréation, un divertissement. Une manière de retarder les échéances. Avant de passer aux choses plus sérieuses, à ce livre auquel je pense un peu tous les jours, celui-là voulu et bien voulu, un livre sur l’écriture, la solitude, le style, le théâtre. J’ai le titre, un label obsessionnel, entêtant au fil du temps. Je l’appellerai « Une manière d’être seul ». Mais je ne sais pas si je suis capable de l’écrire, ce livre. Un livre dont la matière est la manière. Quand j’écris, j’ai finalement l’impression d’être à ma place. La difficulté est d’y rester. L’ouvrage est en vente sur le site de la maison d’édition à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/518-la-fin-des-haricots.html Il est également commercialisé sur les sites de la Fnac et Décitre.

jeudi 5 janvier 2023

Je suis morte à Niorte

Je suis native de Périgueuse. Je n’aime pas le pays. Affreux pays. A cause de son genre, son mauvais genre, vilainement masculin. En revanche, j’aime la France. Marianne. A cause de son identité féminine. J’ai passé une enfance heureuse à Vénissieuse. J’ai fait de courtes études à Boulogne-Billancourte. J’ai passé une licence de cuisine à Sainte-Quentine. J’ai travaillé comme soubrette à Levalloise-Perrette. J’ai dealé des cerises à Sainte-Denise. Quand je suis en goguette, souvent je m’arrête à Cholette, la cité des serviettes. J’apprécie les nuits frisquettes de Bourge Sainte-Mauricette. J’ai élevé des ânes à Perpignane. J’ai vécu loubarde à Montbéliarde. J’ai vécu sans stress, aux frais de la princesse, à Barre-la-Duchesse. Je suis morte à Niorte.

dimanche 1 janvier 2023

Au plus près du terrain

Le « terrain » est un lieu d’exotisme, peut-être même une utopie, une lointaine contrée inexplorée, sans doute une vue de l’esprit, située au bout du monde ministériel. Il fascine le souverain qui soliloque ses vœux du trente-et-un. L’homme fenêtre de la saint Sylvestre exprime le souhait de s’encanailler dans les bourbiers, de s’introduire « au plus près du terrain ». A vrai dire, le terrain était demeuré une terra incognita du premier mandat. Mais depuis Mbappé au Qatar, le prince sait désormais fouler les terrains sans crier gare. Il a compris que le terrain est aux politiciens ce que l’atome est aux physiciens. Il lui appartient de s’aventurer toujours plus loin dans les mystères de la boueuse matière humaine. Il lui incombe d’aller débusquer les neutrinos du terrain, de percer le secret des portées d’engueulade. Les ploucs et les sous ploucs, qui gîtent au diable dans des coins paumés, peuplent un terrain merdique, inflammable à la première connerie, à la première ânerie de petit marquis de l’Ena. Ces ethnies de la périphérie se lassent des selfies des explorateurs de la préfecture. Les analphabètes photographiés par les messieurs des ministères, en service commandé de tourisme humanitaire, s’impatientent un peu. La gent illettrée des pourtours d’Elysée ne se satisfait pas des seules joggings républicains, des pieuses marches blanches du dimanche. Le terrain, c’est comme l’atome. A vouloir le taquiner, on s’expose à des risques de fission. Quand on le casse, lui casse les pieds, l’enquiquine à l’excès, quand on roule le boulanger dans sa propre farine, il déferle en nombre dans les cités, s’éparpille dans les centres-villes comme un peuple illégal d’immigrés indésirables.